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A propos du confédéralisme démocratique

La lutte du peuple kurde a connu, ces dernières années, un regain d’intérêt en France. D’abord, suite à l’assassinat de Fidan, Sakine et Leyla, trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à Paris le 9 janvier 2013 ; puis, surtout, avec le développement des cantons autonomes kurdes de Rojava [1] au cours de la guerre civile en Syrie [2]. Le siège de Kobané par l’Etat islamique (EI) l’hiver 2014-2015, notamment, a suscité un mouvement de soutien aux Kurdes de Syrie et à sa principale organisation, le Parti d’Union démocratique (PYD), qui est la structure du PKK en Syrie.
Ce mouvement de soutien mêlait l’émotion face aux actes barbares de l’EI, la révolte face à l’inaction des puissances impérialistes et la complicité de l’Etat turc avec les djihadistes, mais aussi un intérêt prononcé dans une grande partie du mouvement libertaire pour le « Confédéralisme démocratique », nouvelle ligne politique officielle du PKK, que ce parti affirme mettre en œuvre aujourd’hui à Rojava. Puisque le Confédéralisme démocratique est aujourd’hui mis en avant par certains, ici en France, comme un modèle de société, il nous est apparu nécessaire d’en discuter.

Egalement en anglais, en arabe et en espagnol


L’OCML Voie Prolétarienne s’est engagée dans le mouvement de soutien au peuple kurde en considérant que celui-ci devait avoir pour aspect principal la lutte contre l’impérialisme. En effet, le chaos en Irak et en Syrie, les groupes fascistes du type de l’EI ou Al-Qaïda, sont des conséquences directes ou indirectes des ingérences impérialistes dans la région depuis près d’un siècle au moins. Le soutien aux Kurdes de Syrie est donc pour nous indissociable d’un refus des interventions armées impérialistes. Nous pouvons comprendre que les Kurdes portent un mot d’ordre du type « les Occidentaux doivent livrer des armes à Rojava », mais ce mot d’ordre n’est acceptable dans un front que si il s’accompagne d’une dénonciation claire de la duplicité des impérialistes, de leur responsabilité dans la situation, etc. Bref, si il ne propage pas d’illusion sur le rôle de l’impérialisme et, sous prétexte de lui demander de l’aide, permet en fait de le mettre en accusation. Ce mot d’ordre n’est acceptable que si par ailleurs toute autre forme d’intervention impérialiste est par ailleurs refusée expressément, l’un ne peut aller sans l’autre.

 

Quoi qu’il en soit, nous soutenons la lutte démocratique et anti-impérialiste du peuple kurde, quelque soit l’organisation qui la mène et les désaccords que nous pouvons avoir avec elle. Nous reconnaissons Rojava comme l’expérience progressiste la plus avancée aujourd’hui dans la région, du fait notamment de sa politique de promotion des femmes, des minorités nationales, des droits individuels et collectifs primordiaux. Les Kurdes de Syrie sont aujourd’hui à l’avant-garde dans la lutte contre les fascistes de l’EI. Cependant, nous ne pouvons pas qualifier le mouvement politique en cours à Rojava de « Révolution sociale ». D’abord, parce que tout jugement définitif sur une situation politique et sociale doit aboutir d’une enquête sérieuse. Ensuite, parce que l’expérience historique du PKK met en cause le caractère révolutionnaire de ce parti.

 

Qu’est-ce que le PKK ? Qu’est-ce que le Confédéralisme démocratique ?

 

Le PKK est l’organisation qui dirige aujourd’hui la lutte du peuple kurde, du moins en Turquie et en Syrie. Il avait, à sa fondation dans les années 1970, une ligne formellement marxiste-léniniste [3]. Il présentait la Turquie comme un État à la fois dominé par l’impérialisme, principalement américain, mais agissant lui-même comme une puissance colonialiste au Kurdistan. De manière juste, il affirmait que la contradiction principale du Moyen-Orient opposait les peuples aux puissances impérialistes, et que sa domination s’appuyait sur les régimes réactionnaires arabes, turc et iranien, ainsi que sur Israël, considéré comme un élément central de la domination impérialiste. Il ciblait à la fois le colonialisme et le féodalisme kurde à son service, comme les deux obstacles principaux à la libération des masses kurdes. Il différenciait donc, au sein de la société kurde, les classes devant diriger la révolution (ouvriers et paysans) et les classes qui devaient s’y rallier, des ennemis irréductibles de la Révolution : féodaux de tout poil (propriétaires terriens, Aghas, Cheikhs, religieux), Compradores kurdes [4], agents de l’Etat turc... Par ailleurs, le PKK défendait la réunification du Kurdistan (éclaté entre plusieurs Etats colonialistes) et son indépendance, rejetant toute idée de résolution de la question kurde dans le respect des frontières existantes.

 

Au début des années 1990, l’OCML-VP avait fait la critique du PKK et publié une brochure à ce sujet [5] . Nous basant sur la critique faite par les organisations communistes de Turquie, nous avions souligné plusieurs points.
- Le PKK a jusqu’au bout considéré l’URSS comme un pays véritablement socialiste, et repoussait la critique maoïste du révisionnisme comme du sectarisme.
- A l’époque où la direction du PKK était réfugiée en Syrie et au Liban, dans les années 1980 et 1990, le PKK considérait la dictature fasciste des El-Assad comme un « allié anti-impérialiste » [6].
- Le PKK avait à l’époque un point de vue ambigu sur les mouvements islamistes. Tout en étant en guerre avec le Hezbollah turc [7] il écrivait : « On ne peut considérer comme ennemi les mouvements religieux étant donné qu’ils ont pour objectif de renverser les régimes pro-occidentaux et ont une ligne radicale » [8].
- Enfin, peut-être le plus important, le PKK n’a jamais été une organisation au fonctionnement démocratique. Le débat interne n’y est pas libre, et les contradictions politiques importantes ont été systématiquement réglées par des exclusions, voir des assassinats de membres de l’organisation, accusés d’être des agents de l’État turc.

 

Le PKK est monté en puissance tout au long des années 1980. Au début des années 1990, il se lance dans une offensive militaire de grande ampleur face à l’Etat turc, se fixant pour objectif de libérer de grandes parties des régions kurdes. C’est un échec militaire pour le PKK, qui peu à peu s’oriente vers des négociations avec l’Etat turc.
Abdullah Öcalan, dirigeant historique du PKK, a très récemment [9] appelé son parti à déposer définitivement les armes, pour trouver un terrain d’entente avec l’Etat turc. En fait, ce n’est pas du tout une nouveauté : A. Öcalan porte publiquement cette ligne depuis le début des années 1990 [10], estimant que la résolution de la question kurde ne peut être que pacifique. C’est à ce moment que la direction du PKK a décidé, en gage de « bonne volonté », de retirer la plus grande partie de son armée de guérilla du Kurdistan de Turquie pour la caserner au Kurdistan d’Irak, dans la région des Monts Qandil.
Öcalan a été kidnappé par les services secrets turcs en 1999 au Kenya, alors qu’il était réfugié à l’étranger suite au coup d’Etat militaire de 1980. Il avait notamment passé plusieurs années en Syrie, pays qui abritait à l’époque la direction du PKK. Öcalan a ensuite été condamné à la prison à vie et c’est depuis son lieu de rétention qu’il a élaboré la nouvelle ligne stratégique du PKK dans plusieurs ouvrages (« Guerre et paix au Kurdistan » [11], et « Confédéralisme démocratique » [12]). Le Confédéralisme démocratique a ainsi remplacé officiellement le marxisme-léninisme au début des années 2000.

 

Comment le Confédéralisme démocratique est-il défini ? A. Öcalan s’est inspiré directement de Murray Bookchin, un américain, dont l’idéologie se nomme « Municipalisme libertaire ». il s’agit d’un mélange entre anarchisme, écologisme et féminisme radical. Öcalan le définit comme un « type de gouvernance d’administration politique non-étatique, ou encore de démocratie sans Etat » [13]. Il s’agit, en fait, de remplacer les Etats par des fédérations de conseils basés sur la démocratie directe, jouissant chacun d’une très large autonomie, libres ou non de s’associer les uns aux autres, tous les niveaux de la société devant s’auto-administrer. Les structures politiques d’un niveau supérieur aux conseils de bases sont à réduire au strict minimum, car toute tendance à la centralisation est considérée comme mauvaise et porteuse de bureaucratisme et d’autoritarisme. Les coordinations entre conseils sont vues comme mouvantes, évoluant de gré à gré en fonction de la volonté de chacun, au dessus des frontières nationales. Dans les termes d’Öcalan, il faut éviter « tout type d’hégémonie d’un groupe sur un autre » [14]. Toute forme d’appareil d’Etat doit être immédiatement aboli, toutes les fonctions précédemment accaparées par lui prises en charge directement par les membres de la société, notamment la force armée.
Nous, communistes, nous sommes d’accord sur la nécessité finale pour l’Humanité d’abolir les Etats, de construire une nouvelle société basée sur l’association démocratique des individus, une fois les classes abolies. Mais nous allons voir pourquoi nous sommes en profond désaccord avec la manière dont Öcalan et le Confédéralisme démocratique présentent ce processus.

 

La Dictature du prolétariat est nécessaire

 

Pour Abdullah Öcalan, la principale contradiction de la société moderne est entre l’Etat d’un côté et la société de l’autre. Öcalan reprend une thèse anarchiste classique, l’idée comme quoi l’Etat serait le principal problème. L’Etat n’est pour lui pas l’instrument d’une classe dominante, comme le défend le marxisme [15] mais une entité indépendante. Öcalan le présente comme l’oppresseur de toute la société. Öcalan reconnaît qu’il existe une bourgeoisie, une classe exploiteuse, mais son rôle est secondaire l’ennemi principal, c’est l’Etat, c’est lui qui, avant tout, domine la société et qui exploite la force de travail. Le fonctionnement du Capitalisme reposerait entièrement sur les épaules de l’Etat. Le Capitalisme tel qu’il transparaît à travers les écrits d’Öcalan n’est pas décrit comme un rapport de production (c’est à dire comme la manière dont est organisée l’exploitation du travail des prolétaires par la bourgeoisie) mais de manière très simpliste comme une simple ponction des richesses de la société par l’Etat, qui serait au final l’exploiteur. Pour Öcalan, un Etat ne peut avoir qu’un rôle négatif, ne peut être qu’un instrument d’oppression des masses, quelque soit sa forme. Il rejette la nécessité d’adopter, au cours d’un processus révolutionnaire, une forme d’Etat transitoire, l’Etat de dictature du prolétariat. Il prétend que l’expérience historique a montré que toute tentative d’instaurer un Etat ouvrier est vouée à l’échec.

 

Effectivement, il n’y a à l’heure actuelle aucun Etat de dictature du prolétariat dans le monde : tous ont été battus, ou alors ils ont engendré une nouvelle bourgeoisie qui a rétabli le capitalisme. Mais Öcalan passe très rapidement sur tout cela, sans jamais tenter de démontrer son point de vue, sans jamais donner d’explication sur les mécanismes qui y ont conduit. On peut noter que Öcalan et le PKK sont passés d’une position où ils refusaient la critique du « Socialisme réelx », c’est-à-dire des Etats qui se sont prétendus socialistes mais étaient en réalité des capitalismes d’Etat, et de l’URSS, à une position de rejet en bloc, sans critique sérieuse et étude approfondie, de toutes les expérience de dictature du prolétariat.

 

L’Etat enserre toute la société, a une certaine autonomie par rapport à elle, et son personnel dirigeant défend dans une certaine mesure ses intérêts particuliers. Mais cela reste secondaire. Pour nous, la contradiction principale de la société oppose la classe exploiteuse à la classe exploitée, la bourgeoisie au prolétariat. L’organisation de la société est en dernière instance le résultat du mode de production capitaliste. L’Etat est au final l’instrument de la bourgeoisie, même si il peut parfois il y a voir des contradictions entre le gouvernement et les grands capitalistes par exemple. La bourgeoisie a modelé l’Etat pour être à son service.

 

Nous, nous pensons que le prolétariat et le peuple doivent non seulement abattre l’appareil d’Etat bourgeois, mais également, pendant une certaine période, instaurer leur propre Etat. C’est une nécessité, car la définition de l’Etat, c’est d’assurer la dictature d’une classe ; tant que les classes n’auront pas disparu, ce qui est un processus long et complexe, les classes révolutionnaires auront besoin de leur propre organisation pour assurer leur pouvoir sur l’ensemble de la société, pour concentrer leurs force et appliquer leur politique dans tous les domaines. C’est-à-dire, entre autre, pour réprimer la bourgeoisie et plus généralement les couches sociales hostiles à la révolution (qui continueront à exister comme classes conscientes d‘elles-mêmes et désireuses de reprendre ce qui leur aura été pris). Cet Etat sera amené à disparaître en même temps que disparaîtront les contradictions de classe, car il n’y aura alors plus besoin d’une structure spécifique, couvrant toute la société, pour assurer le pouvoir de la classe dominante dans ses moindres recoins. Öcalan reproche aux Etats d’être inévitablement des structures répressives : nous pensons qu’effectivement, il faudra réprimer les contre-révolutionnaires. Nous verrons plus loin comment pour Öcalan, au contraire, la transformation sociale peut et doit être pacifique...

 

La dégénérescence, le retour au pouvoir de l’ancienne bourgeoisie ou la reconstitution d’une nouvelle par l’appareil d’Etat, est effectivement un grand risque. C’est pour ça que notre conception maoïste affirme qu’une fois que le pouvoir politique a été pris à la bourgeoisie, la révolution, en fait ne fait que commencer, car la transformation totale de la société est un processus de longue haleine, une lutte constante entre l’ancien et le nouveau. Or, dans l’esprit du Confédéralisme démocratique, une fois l’Etat abattu, le plus gros est accompli, et le reste se réglera par le consensus social.

 

Le renversement pacifique de la bourgeoisie et de son Etat n’est pas possible

 

Öcalan l’écrit explicitement, il est opposé à la révolution, opposé au renversement par la force des classes dominantes : « Une révolution ne peut créer une nouvelle société » [16]. Dans son idée, L’Etat ne peut pas être renversé, il doit être affaibli progressivement jusqu’à disparaître sans pouvoir opposer de résistance. La stratégie présentée par Öcalan, c’est, d’un côté, de forcer à la démocratisation des Etats pour affaiblir leur pouvoir répressif ; et, de l’autre, d’implanter et de développer les institutions du Confédéralisme démocratique, c’est-à-dire d’établir des formes d’auto-gouvernement local, totalement autonomes de l’Etat, dont le modèle se répandrait peu à peu sur tout le territoire. Ainsi, l’appareil d’Etat finirait par être détruit petit à petit de l’intérieur, d’un côté par sa démocratisation, et de l’autre par la diffusion d’un contre-pouvoir. Le nouveau modèle de société se diffuserait de manière totalement pacifique, en arrivant à convaincre le pays et sa population toute entière qu’il a « la capacité de résoudre les problèmes » [17]. La violence révolutionnaire est rejetée comme mauvaise, et le Confédéralisme démocratique n’usera de la violence que pour se défendre face aux attaques directes de l’Etat. Öcalan rajoute que le « Confédéralisme démocratique est ouvert au compromis avec les traditions étatiques » [18], à la « coexistence égalitaire » [19] avec l’Etat. Öcalan espère que les classes dominantes vont se laisser abattre sans réagir.

 

Il s’agit très exactement d’un point de vue réformiste. Nous ne sommes évidemment pas opposés aux luttes pour les réformes. Mais nous ne pensons pas que la bourgeoisie sera abattue par une succession de réformes partielles et progressives. Les luttes du prolétariat et du peuple visent non seulement à satisfaire leurs besoins indispensables, mais aussi à les renforcer à chaque fois un peu plus en conscience et en organisation, pour les préparer à partir à l’assaut du pouvoir. C’est une illusion de croire que les classes dominantes seront chassées du pouvoir par la combinaison d’une succession de luttes partielles victorieuses et de création d’espaces autogérés autonomes. Toutes les expériences en ce sens ont échoué.

 

Les partisans du Confédéralisme démocratique et Öcalan lui-même présentent les territoires autonomes zapatistes du Chiapas [20], au Mexique comme à la fois un exemple et une preuve de la validité de l’idée comme quoi il serait possible de changer la société par la constitution de territoires autonomes, et que des zones autogérés peuvent durablement exister au sein des Etats modernes. Or, quel est la réalité du Zapatisme ? En fait, l’Etat mexicain tolère ces territoires autonomes dans la mesure où, aujourd’hui, ils ne sont pas une menace contre l’ordre établi. Sous prétexte de laisser faire l’auto-organisation du peuple, qu’il n’est pas possible de faire la révolution à la place des autres (ce qui est juste dans l’absolu), les Zapatistes se désintéressent de la construction d’un mouvement révolutionnaire dans l’ensemble du Mexique, alors même que le peuple y traverse aujourd’hui une période terrible. L’EZLN reste dans ses montagnes, maintenant sa force armée uniquement comme structure d’autodéfense face aux agressions de la police et de l’armée mexicaine. Les Zapatistes ne veulent pas renverser l’Etat mexicain, et c’est pour cela que celui-ci les laisse tranquilles. La « xcoexistence pacifique » avec les classes dominantes est effectivement possible, mais uniquement si on a renoncé à les abattre.

 

Contradictions antagoniques et contradictions non-antagoniques

 

Voilà la manière dont est conçue la transition au Confédéralisme démocratique. Maintenant, comment cela est-il censé fonctionner en interne ? Il n’est pas question de lutte de classe, de prise du pouvoir des prolétaires et du peuple. A.Öcalan dit qu’en son sein, tous les groupes sociaux doivent avoir droit à la parole, sont sur un pied d’égalité, sans plus de précision ; Les conseils sont ouverts « à toute la population » [21], les prises de décisions doivent se faire au consensus, avec l’idée qu’il n’y a pas dans la société des intérêts inconciliables, mais que tous les désaccords peuvent être réglés par la discussion et l’accord. Il faut, dit-il, respecter les opinions divergentes, sans faire de différences entre elles... même celles de nos ennemis de classe ? Il semble donc que la question du sort réservé à nos anciens oppresseurs ne se pose pas. A.Ö. n’aborde pas explicitement la question. Considère t-il qu’une fois les bourgeois privés de leur propriété, une fois les généraux désarmés, ils doivent être considérés comme des hommes et des femmes comme les autres, avec les mêmes droits ? Doit-on aussi chercher le consensus avec eux ? En fait, puisque pour Öcalan le principal problème des sociétés modernes semble être celle entre l’Etat et la société, il est logique que, dans cet esprit, il suffise de supprimer l’Etat pour supprimer toute contradiction antagonique, pour permettre l’intégration harmonieuse de tous les groupes sociaux dans le Confédéralisme démocratique.

 

Par ailleurs, le Confédéralisme démocratique donne le primat à la décentralisation, horizontale comme verticale : « tous les niveaux de la société doivent pouvoir s’auto-administrer et tous les niveaux de la société doivent être libres de participer » [22]. Chaque ville, chaque région, chaque entreprise autogérée, doit être libre de s’associer ou non, de suivre les décisions majoritaires ou pas. La priorité doit être donnée à l’intérêt local sur l’intérêt général. Mais le consensus est-il toujours possible ? A certains moment, pour avancer, il faut trancher, et choisir un point de vue plutôt qu’un autre lorsque l’accord n’a pas été possible sur le moment. Pour nous, la démocratie véritable, ce n’est pas l’autonomie à l’extrême, que chacun puisse faire ce qu’il veut chez soi ; c’est que tous, nous ayons notre mot à dire sur tout, quitte à ce que l’avis majoritaire s’impose à l’avis minoritaire, tout en respectant ce dernier. C’est d’ailleurs le seul moyen d’assurer l’évolution homogène de la société. Nous voulons supprimer les différenciations sociales, supprimer les déséquilibres régionaux, supprimer les divisions matérielles entre les différents secteurs du prolétariat, tous engendrés par l’organisation sociale capitaliste : cela n’est pas possible en donnant la priorité à l’autonomie de chaque ville ou de chaque entreprise.

 

Nous, les Maoïstes, faisons la différence entre contradictions non-antagoniques (au sein du peuple) et contradiction antagoniques (entre le peuple et ses ennemis) [23]. Les premières doivent être résolues avant tout par le dialogue, par la critique et l’autocritique, en ayant pour objectif de résoudre la contradiction en cherchant l’unité. C’est de cette manière que doivent être résolues, par exemple, les contradictions entre les Hommes et les Femmes, entre travailleurs Français et immigrés.
Mais les contradictions du second type, elles, ne peuvent être résolues par le dialogue et le consensus. C’est le cas de la contradiction entre le bourgeois exploiteur et l’ouvrier exploité. Dans ce cas, l’objectif n’est pas de faire l’unité, car cette unité entre les uns et les autres est impossible ; le seul moyen de résoudre le problème, c’est de se débarrasser des exploiteurs. Dans le Confédéralisme démocratique, cette distinction entre les différents types de contradictions, essentielle pour régler les problèmes, n’existe pas : il semble qu’il n’y ait dans la société que des contradictions non-antagoniques.

 

Les libertaires se revendiquent, comme les marxistes, de l’expérience de la Commune de Paris [24]. Une part de son bilan, c’est que lors qu’à l’inverse, le prolétariat est décidé à abattre la bourgeoisie, celle-ci ne peut accepter aucun compromis. Ce qui a tué la Commune, c’est entre autres de ne pas avoir voulu marcher sur Versailles lorsque cela était possible, d’avoir attendu passivement, et vainement, que la révolution gagne tout le pays. L’expérience historique nous donne l’exemple que, dans notre pays, à l’époque moderne, il est illusoire d’espérer une « coexistence pacifique » entre le pouvoir populaire et le pouvoir bourgeois. Le bilan de la Commune nous montre également que la classe ouvrière au pouvoir ne peut se permettre un excès de bonté vis-à-vis de la bourgeoisie. Le peuple doit prendre les armes des mains de la bourgeoisie, s’en servir contre elle, être offensif. La Commune a succombé en partie pour avoir été hésitante face à son ennemi, avoir laissé les bourgeois parisiens contre-révolutionnaires préparer l’entrée des troupes versaillaises, ne pas avoir saisi l’or de la Banque de France sous prétexte de scrupules démocratiques. Elle a été hésitante du fait de la multiplicité des pouvoirs, du manque de centralisation de l’action politique. Face à un danger imminent, la discipline et l’unité d’action sont indispensables : ce qui bien sûr ne dispense pas de la discussion et de la démocratie ! [25]

 

D’ailleurs, si les cantons de Rojava tiennent, c’est bien parce qu’il y a là-bas une direction politique forte et incontestable, distincte, le PKK, qui centralise les décisions et coordonne l’action. Quoi que les anarchistes en disent, Rojava n’est pas l’application en pratique du Confédéralisme démocratique ou des théories fédéralistes libertaires.

 

Le point de vue d’Öcalan sur la situation au Moyen-Orient et la question kurde

 

Dans son analyse des problèmes du Moyen-Orient, Öcalan pointe le nationalisme et le développement du sentiment national des peuples comme principale source des guerres, des massacres et des dictatures oppressives. Il ne reconnaît, semble t-il, aucun aspect positif aux mouvements de libération nationale des peuples. C’est une affirmation contradictoire avec sa propre histoire politique, puisque sans développement du sentiment national kurde, il n’y aurait pas de PKK, pas de Rojava, pas de Confédéralisme démocratique. Öcalan va plus loin, en affirmant même que les Nations ne sont que des constructions dans nos têtes qui n’existent pas objectivement. L’impérialisme est quasiment absent de sa grille de lecture. Il n’agirait qu’à la marge, de manière très secondaire. Il s’agit, là encore, d’un point de vue anarchiste dogmatique. Pour A.Ö., l’impérialisme n’est pas le principal problème des peuples de la région.

 

Dans les différents conflits, il a donc tendance à renvoyer dos à dos les uns et les autres, et confond le nationalisme de la nation oppressée avec celui de la nation oppresseuse. Cela l’amène à des explications invraisemblables. Ainsi, ce serait le développement de son sentiment national qui aurait affaibli et divisé le peuple arabe ; ce serait l’essor du nationalisme arménien qui, en provoquant en retour l’essor du nationalisme turc, serait in fine à l’origine du génocide [26]. Même si le mouvement kurde de Turquie se positionne très clairement en faveur des droits démocratiques du peuple arménien, les affirmations d’Öcalan ressemblent aux explications négationnistes de l’Etat et de l’extrême-droite turque.

 

Toute en rejetant le nationalisme, la vision d’Öcalan des contradictions régionales se fait sous un angle uniquement ethnique, considérant les différents peuples comme des blocs homogènes, marqués chacun par une psychologie nationale monolithique. Parfois, cela frise le racisme. Ainsi, les Arabes sont caractérisés par une « obéissance servile », et leur cas « paraît désespéré ». Chez les Turcs, « l’obéissance est considérée comme la principale des vertus » [27]. On ne voit jamais le début d’une analyse des contradictions sociales et politiques internes à ces peuples. Au vu de toutes les révoltes populaires qui ont secoué les pays de la région ces dernières années, ces affirmations sont insultantes.
Öcalan en vient même à exprimer une certaine sympathie pour Israël et le sionisme [28], à la fois du fait de renvoyer tous les nationalismes dos à dos, et parce qu’il croit voir dans le mythe sioniste des Kibboutz une parenté avec le communalisme du Confédéralisme démocratique. Il loue la « démocratie » interne à la société israélienne. La lutte du peuple palestinien ne ferait qu’illustrer « l’échec de la solution nationale de part et d’autre ». Les Arabes sont autant responsables du conflit que les Sionistes. En appelant à la formation d’une grande confédération démocratique englobant tous les peuples de la région, A.Ö. appelle Israël à devenir une nation « démocratique et ouverte », ignorant que cela est parfaitement impossible du fait de sa nature même [29].

 

Une stratégie politique dangereuse pour le peuple kurde

 

Öcalan adopte parfois des accents anarchistes radicaux. Pourtant, sur la question qui le concerne au premier chef, la question kurde, il dévoile une ligne politique proprement liquidationniste. Conformément à sa condamnation du nationalisme et de toute forme d’Etat, le PKK a renoncé à la revendication d’un Etat kurde indépendant, a renoncé à abolir les frontières injustes tracées par les impérialistes franco-britanniques qui ont divisé le peuples kurde entre 4 Etats. Conformément à l’idée qu’il est inenvisageable de renverser les Etats par la force, Öcalan en vient à préciser, concernant, la Turquie, qu’il ne s’oppose « ni à l’unité de l’Etat ni à l’unité de la République » [30], en échange de la reconnaissance d’un minimum de droits aux Kurdes. La lutte armée doit être abandonnée : « Il incombe au PKK de convaincre les Etats de la région d’une résolution pacifique de la question kurde » [31].

 

Öcalan met en avant des exemples historiques bien précis, qui montrent la voie qu’il veut suivre : l’Irlande du Nord et l’Afrique du Sud, ont, selon lui, «  résolu des problèmes similaires » [32]. L’aile militaire du PKK pourrait déposer définitivement les armes simplement si était créée une sorte de « Commission Vérité et Réconciliation » sur le modèle sud-africain. L’Irlande du Nord et l’Afrique du Sud ne sont que des exemples de liquidation d’une lutte de libération nationale en échange d’une égalité formelle entre tous les citoyens, d’un partage du pouvoir entre le pouvoir raciste et la direction des mouvements de libération qui se sont vendues. Il s’agit de la pire des propositions politiques pour le peuple kurde, celle de la liquidation pure et simple de son mouvement de libération nationale et sociale.

 

Nous ne sommes pas une organisation dogmatique. Nous sommes pour la discussion entre révolutionnaires sincères sur la manière dont nous pourrons atteindre notre objectif, quelque soit le courant dont on se revendique. C’est pourquoi à travers cet article nous mettons en garde ceux de nos compagnons de lutte qui attribueraient au PKK des vertus qu’il n’a pas.
Nos positions politiques, notre point de vue sur la manière de faire la révolution, ne sont pas des phrases creuses et prétentieuses, mais le fruit de l’expérience, de la critique et de l’autocritique, d’une approche scientifique. Pour nous, être marxiste, léniniste et maoïste a une signification bien précise : il s’agit d’une vision du monde, d’une stratégie et d’une tactique cohérente pour avancer vers une société communiste sans classes et sans Etat. Tout cela n’est pas parfait, bien des choses restent à éclaircir, compléter, préciser. Mais ce dont nous sommes sûrs et certains, c’est que l’expérience du mouvement ouvrier et populaire a déjà largement disqualifié les idées portées par Abdullah Öcalan, quelque soient leurs auteurs, leurs époques et les noms qu’elles se sont données.

[1A cours de la guerre civile en Syrie, des régions kurdes du nord ont déclaré leur autonomie et s’auto-administrent. Le PKK y est la force dominante sous le nom de PYD (Parti d’Union démcoratique).

[2La guerre civile oppose entre eux le régime baasiste de Bachar el-Assad (voir l’article « Quelle est la situation au Moyen-Orient ? » dans ce numéro), plusieurs groupes rebelles à tendance principalement pro-occidentale et islamiste, les Kurdes de Rojava et l’Etat islamique (EI).

[3Le terme marxiste-léniniste est revendiqué par les Communistes qui se réclament de Marx et de Lénine, mais désigne aussi bien dans la réalité des groupes révolutionnaires que des groupes en réalités révisionnistes (c’est à dire révolutionnaires en parole, réformistes en fait).

[4Aghas et Cheikhs sont des titres de membres des classes dominantes féodales dans la société kurde et dans plusieurs autres du Moyen-Orient. La bourgeoisie compradore est la bourgeoisie qui vit de son rôle d’intermédiaire commercial avec l’impérialisme.

[5« Kurdistan, Turquie : vers la révolution ! », OCML VP, Mai 1992

[6Partisan (ancienne série) n°70, OCML VP, Avril 1992.

[7Mouvement islamiste sunnite violent, soutenu par les services secrets turcs contre le PKK, actif en Turquie dans les années 1980 et 1990. Il n’a pas de lien avec le Hezbollah chiite libanais.

[8Voir note n°7

[9Le Monde, 21 mars 2014.

[10Voir le documentaire « Öcalan et la question kurde », Luis Miranda, 2014.

[11International Initiative Edition, 2013.
Plus loin noté « GP ».

[12International initiative Edition, 2010. Plus loin noté « CD ».

[13CD, p. 21.

[14CD, p.30.

[15Voir « Le manifeste du parti communiste » de Karl Marx (1848).

[16CD, p. 26.

[17CD, p. 34.

[18CD, p. 24.

[19Ibid.

[20En 1994, l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale), un groupe armée de gauche, déclenche une insurrection dans la région montagneuse à population amérindienne du Chiapas, dans le sud du Mexique. Depuis, ils en ont gardé le contrôle de certaines zones et un cessez-le-feu de fait s’est établi avec l’armée mexicaine.

[21GP, p. 33.

[22CD, p. 29.

[23Voir « De la juste solution des contradictions au sein du peuple », Mao Zedong (1957).

[24D’après Karl Marx, la Commune de Paris (18 mars - 28 mai 1871) est le premier exemple historique d’un régime de dictature du prolétariat. Elle sera écrasé par l’armée bourgeoise du gouvernement de Versailles.

[25« Au nom du peuple la Commune est proclamée ! », OCML-VP, 1996.

[26CD, p. 41.

[27CD, p. 37.

[28CD, p. 42 et 43.

[29Voir l’article « Libération de la Palestine : quels alliés pour quelle perspective ? » dans ce numéro.

[30GP, p. 42.

[31GP, p. 32.

[32GP, p. 40.

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