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« Hors la loi »

Le film de Rachid Bouchared vient de sortir en salles. Au printemps, une partie de la droite avait dénoncé, sans l’avoir vu, son caractère anti-français. Maintenant la polémique s’est éteinte. Ce film mérite d’être vu. D’abord car il y en a peu traitant de la lutte du peuple algérien en France (il y a aussi Vivre au Paradis de Bourlem Guerdjou). Ensuite parce qu’il restitue bien ce qui a alimenté le soulèvement contre le colonialisme, ainsi que la situation que connaissaient les Algériens en France.

Les facteurs favorisant le déclenchement de la lutte sont brièvement évoqués : expropriation des paysans de leurs terres, massacres de mai 1945 qui rendaient illusoire une évolution pacifique vers l’indépendance, enfin l’impact de la défaite du colonialisme français à Diem Bien Phu au Vietnam en 1954. La situation des Algériens en France plus est développée : l’entassement dans les bidonvilles, la répression policière constante, la lutte entre le FLN et le MNA. Le FLN apparaît aussi comme accordant peu d’importance à l’éducation politique des militants, et plus à la contrainte.

Le film s’attache à suivre l’évolution politique de trois frères qui ont dû émigrer en France. Deux commencent comme ouvriers, le troisième choisit de faire sa vie à Pigalle, d’abord comme maquereau ensuite comme organisateur de combats de boxe. Ainsi à travers ces trois personnages et quelques autres sont illustrées les contradictions qui traversent le peuple algérien. Mais la dimension romanesque prime sur la prétention à faire œuvre historique et politique.

Pour les besoins de l’action, le film réduit les massacres de 1945 à une journée alors qu’ils se sont déroulés sur plus d’un mois. Par ailleurs, il ne permet pas de comprendre ce qui oppose le MNA au FLN. Un des frères accuse le MNA d’être partisan d’une voie électorale. Or dans les faits, FLN et MNA sont tous deux issus du PPA (Parti du peuple algérien), et ont la même idéologie. Le MNA n’a pas été à l’initiative de la lutte armée, mais il tente vite de prendre le train en marche. Ce qui les oppose, c’est un conflit de légitimité et pas deux lignes antagoniques.

Ce qui pêche encore dans ce film, c’est le rôle assigné aux dirigeants du FLN. Un des frères est présenté comme un dirigeant de la fédération de France. Pour les besoins de l’action on le voit s’exposer dans des actions les plus diverses : convoyages d’armes, embuscade, manifestation du 17 octobre 1961. Cela n’est en rien conforme aux exigences de la lutte clandestine menée par le FLN qui supposaient un fort cloisonnement. Cela permet de faire de Hors la loi un film d’action, mais ne rend pas compte des conditions de la lutte du FLN en France. Il en est de même de la courte scène qui se passe à Renault. On y voit un des frères haranguer les ouvriers qui pointent la fin du travail. Tous les ouvriers sont algériens. Ce qui n’était le cas dans aucun atelier. Si les militants avaient agi ainsi, ils se seraient inutilement exposés à la répression. Le travail d’organisation du FLN dans cette usine se faisait clandestinement avec comme couverture la section algérienne de la CGT.

Il y a d’autres approximations sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Il faut voir donc le film pour ce qu’il évoque d’une époque et d’une lutte, plus que pour ce qu’il en dit dans le détail. Ce n’est pas un film historique ni même politique. Toutefois, il peut être un point de départ des questionnements et des débats.

G F

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