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Chine : Massacres à Tien An Men et Révolution Culturelle

Article de Partisan N°43 - Septembre 1989

L’ECHEC SANGLANT DE LA VOIE CAPITALISTE

On ne nous fera pas oublier les bouleversements économiques et sociaux qu’a connus la Chine depuis 1976, au nom des trop fameuses « Quatre modernisations » chères à Deng Hsiao Ping. Il s’agissait d’une remise en cause sans précédent de toute la politique suivie jusque-là par la Chine révolutionnaire, avec Mao Tsé Toung à sa tête.
On pourrait la résumer par la formule « le profit au poste de commande », la priorité à l’efficacité économique, et l’abandon de la position de « la politique au poste de commande ». Sans faire un bilan des succès et échecs de la Chine maoïste, le résultat de la politique chinoise actuelle est en tous les cas aveuglant.
Inflation (20% officiellement en 1988, environ 30% aujourd’hui), libération des prix et mise au premier plan des lois du marché avec développement de la concurrence. Enrichissement considérable des entrepreneurs (capitalistes) dont l’initiative est laissée sans limites. Restructurations, chômage (15% officiellement) et licenciements dans les usines, avec évidemment démotivation complète des ouvriers, et donc baisse de productivité (un autre article développe plus cet aspect).
Eloge de la propriété privée, destruction de la propriété collective, en particulier à la campagne : destructions des communes populaires, d’où exode rural (on parle de 50 millions de paysans arrivés dans les villes en moins de 10 ans, vivant dans les bidonvilles, voire sans domicile fixe), pénurie de grains, stagnation puis récession de la production agricole.

Et bien sûr en parallèle, réapparition des phénomènes typiques du capitalisme : criminalité (en progression stupéfiante), corruption généralisée à tous les niveaux de la société, prostitution...
Au niveau économique, la Chine ne s’est pas cachée de rechercher ses modèles vers l’Occident capitaliste dont elle vante les mérites, révisant même sans sourciller les fondements les plus élémentaires du marxisme (voir l’encadré ci-contre sur l’impérialisme).
Recherche à tout prix des investissements occidentaux, puisque depuis 1979 la Chine a autorisé des investissements étrangers de 25 milliards de dollars, a réalisé des emprunts de 47 milliards de dollars, souvent remboursés grâce au produit (par exemple pétrolier) des projets pour lesquels ils sont prévus. Aujourd’hui, la dette extérieure de la Chine se monte à 40 milliards de dollars, ce qui ne l’empêche pas de rechercher à tout prix la poursuite des investissements étrangers, seul moyen de faire survivre l’économie chinoise dans la voie où elle s’est engagée. Des zones spéciales, comme à Shekou ou Shenzhen, situées juste à côté de Hong Kong, offrent toutes facilités en termes de main d’œuvre à l’investisseur étranger : flexibilité, salaire au rendement, précarité avec la généralisation des contrats temporaires. Sans doute pour concurrencer Taiwan ou Singapour !

Bref, on ne peut pas dire que ce soit un franc succès ! Et les manifestations puis émeutes du mois de Juin dans toute la Chine sont évidemment le fruit de cette politique.

L’OPPOSITION COMPLETE A LA CHINE REVOLUTIONNAIRE

Il n’est pas possible dans un aussi court article de faire le bilan des réalisations de la Chine à l’époque de Mao. Deux dossiers ont été publiés dans notre précédent journal « Pour le Parti » fin 1979 et sont disponibles en photocopies, qui font le point de la restauration du capitalisme dans plusieurs domaines, en rapport avec la politique précédente de la Chine révolutionnaire.
Quelques grandes lignes cependant, pour comprendre l’opposition complète avec la Chine de Deng Hsiao Ping.

« Avancer vers le communisme » et non pas vers le capitalisme était l’objectif central des communistes chinois. C’était cet objectif qui guidait toute leur activité, dans tous les domaines, économiques, sociaux, artistiques..., qui leur a permis de faire le premier bilan de l’échec du socialisme dans les pays de l’Est, en comprenant que la voie choisie n’était que celle du retour au capitalisme.

« Mettre la politique au poste de commande » justement pour comprendre quels sont les objectifs à atteindre d’une part, d’autre part comment se manifestent les contra¬dictions dans la société socialiste, pour favoriser le développement d’une conscience politique permettant aux masses elles-mêmes de maîtriser leur vie, de diriger toute la société. Tout-à-fait contradictoire avec la politique de Deng qui est au contraire d’étouffer le débat politique, pour mettre l’efficacité économique et le profit au poste de commande.

« Poursuivre la lutte des classes sous la dictature du prolétariat », pour « lutter contre la formation d’une nouvelle bourgeoisie » était une des leçons essentielles de la Révolution Culturelle, comprise à partir du bilan des pays de l’Est, comme un des points clé de la survie du socialisme et de la marche au communisme. Celle-ci n’a rien d’évident, et il y a toujours deux voies qui s’affrontent : celle des révolutionnaires qui veulent aller de l’avant, supprimer toutes les séquelles du capitalisme, bouleverser de fond en comble la société, et celle de la stabilisation, de la soumission aux règles économiques, du pouvoir des bureaucrates ou des experts, qui est celle proposée par Deng Hsiao Ping.

« Compter sur ses propres forces » et non pas sur de quelconques aides étrangères, forcément intéressées, même si le développement doit être plus lent, la valeur d’une société n’étant pas seulement la quantité de richesses produites, mais aussi la manière dont elles sont produites. Principe maoïste d’ailleurs valable non seulement en économie, mais dans tous les domaines de la vie politique et sociale.

« Réduire les inégalités » et lutter pour réduire toutes les grandes différences contribuant à maintenir le capitalisme et les classes sociales antagoniques. Lutte contre la différence entre la ville et la campagne, en favorisant le développement économique de cette dernière, son industrialisation progressive, pour éviter les déséquilibres catastrophiques, l’exode rural, les famines, etc. Lutte pour réduire la différence entre l’agriculture et l’industrie, pour réduire celle entre travailleur manuel et travailleur intellectuel, en recomposant le travail dans les ateliers comme dans les bureaux, avec de nombreuses expériences en ce sens durant la Révolution Culturelle. Lutte pour réduire la différence entre dirigeant et dirigé, refuser la division entre ceux qui décident d’un côté, ceux qui obéissent de l’autre...

On le voit, ces quelques grandes lignes montrent le fossé séparant la Chine de Mao de celle de Deng. Faire l’amalgame n’est que la piètre tentative de falsifier le passé pour faire avaler la soupe anticommuniste à la mode aujourd’hui.

LA GRANDE REVOLUTION CULTURELLE PROLETARIENNE

Alors que des centaines, voire des milliers de manifestants étaient massacrés sur l’ordre de Deng Hsiao Ping dans tout le pays, c’est paradoxalement autour de la Révolution Culturelle que tournaient de nombreux commentaires, en traçant un parallèle contestable, on l’a vu. Il s’agissait de faire oublier que Deng était l’homme de l’Occident, contre Mao, que depuis 1976 il était présenté comme le sauveur de la Chine, celui qui serait capable de la « moderniser », de corriger « 25 ans d’erreurs maoïstes ».
Alors, incapables bien sûr de faire une analyse politique de l’affrontement des voies capitalistes et communistes dans la révolution chinoise, on met tout dans le même sac et on tente de tout mettre sur le dos du « totalitarisme communiste ».

Mais on ne réussira pas à faire oublier que la Révolution Culturelle a été un mouvement de masse gigantesque, une révolution au sens strict du terme, déclenché par des révolutionnaires qui savaient qu’ils étaient minoritaires et en train de perdre la partie, pour abattre la bourgeoisie qui s’était reconstituée à l’intérieur du Parti et du gouvernement. « Feu sur le quartier général », était le titre d’un article de Mao Tsé Toung rédigé en Août 1966, à un moment décisif de la Révolution Culturelle.
Les vrais communistes avaient fait un premier bilan de la révolution russe (partiel certes, mais réel) et avaient compris qu’ils étaient en train de glisser sur la même voie, celle de l’échec.

« Da Dao Liou Deng Dao » c’était le mot d’ordre central de la Révolution Culturelle entre l’été 1966 et le printemps 67, ayant pour cible Liou Shao Shi, Deng Hsiao Ping (le même qu’aujourd’hui !) et Dao Chou. Ils représentaient le quartier général des bourgeois au sein du Parti, ceux qui voulaient entraîner la Chine sur la voie capitaliste de l’URSS, et ont été critiqués nommément, de manière extrêmement violente par affiches dans tout le pays.
Deng Hsiao Ping était alors Secrétaire général du Comité Central, ce qui n’est pas rien, et a été critiqué de manière systématique, en particulier pour une formule fameuse « Qu’importe qu’un chat soit blanc ou noir, pourvu qu’il attrape des souris », autrement dit, qu’importe la politique pourvu qu’il y ait des résultats économiques...

On le voit, la Révolution Culturelle avait déjà pour cible la politique suivie actuellement par les dirigeants chinois, et même avait déjà pour cible, très précisément Deng Hsiao Ping.
Le 9e Congrès du PCC, en Avril 1969, qui conclut la révolution culturelle, parlera du « ramassis de révisionnistes contre-révolutionnaires » à propos des dirigeants bourgeois, et Deng Hsiao Ping sera exclu du Bureau Politique et du Comité Central du Parti. Mais, on l’apprendra plus tard, il ne sera pas exclu du Parti, ce qui montre la complexité de la lutte politique à cette époque, cette non exclusion pouvant apparaitre comme un compromis avec le courant droitier.
En Avril 1973, Deng Hsiao Ping est réhabilité ! Et c’est un point de l’histoire qui n’est pas éclairci, d’autant que cette réhabilitation arrive précisément au moment où le groupe dirigeant de la Révolution Culturelle (la « Bande des Quatre ») consolide sa victoire au 10e Congrès du PCC (Août 1973), avec un rapport politique et des modifications de statuts dans la droite ligne de la Révolution Culturelle et de la lutte contre la voie capitaliste autrefois représentée justement par Deng.
Plus même, il devient d’abord Vice-ministre des Affaires étrangères et à ce titre auteur aux Nations Unies d’un discours célèbre en Avril 1974 développant la « Théorie des Trois Mondes » [1], puis Vice Premier Ministre, présenté comme le successeur désigné de Chou En Lai. On le voit, cette réhabilitation n’a rien de formel. Fin 1975, début 1976, nouvelle campagne de critique des positions droitières, où il est visé une fois de plus. Mao dira : « Deng n’attache aucune importance à la lutte des classes ; jamais il n’a mentionné cet axe. C’est toujours sa formule chat noir ou blanc » (Pékin Information, 5 Avril 1976). Suite à cette campagne et à des incidents survenus lors de la mort de Chou En Laï, Deng Hsiao Ping est destitué pour la deuxième fois. Le Bureau Politique estimera que « Le cas de Deng a pris une autre nature, celle d’une contradiction antagonique. Il est destitué de toutes ses fonctions au sein et en dehors du Parti. Il est maintenu membre en observation » (Pékin Information, 15 Septembre 1976).
En 1977, après la mort de Mao et l’élimination politique de la Bande des Quatre, Deng Hsiao Ping est réhabilité et reprend la direction centrale de la Chine sur la voie capitaliste.

On le voit, il y a une certaine constance dans les positions développées par ce dirigeant. De la Révolution Culturelle aux massacres de Juin dernier, en passant par la défense de la Théorie des Trois Mondes, c’est bien une position réactionnaire, bourgeoise, et il est absolument faux de prétendre qu’il y a un changement de ses positions. Deng a agi en Juin comme Jaruzelski en Pologne en 1981, comme Brejnev en Afghanistan, bref comme n’importe quel dirigeant révisionniste qui voit son pouvoir remis en cause par les masses populaires.
Seuls ceux qui ont soutenu Deng contre Mao peuvent être surpris.

A posteriori, les massacres de Juin rendent encore plus valables les leçons de la Révolution Culturelle. La critique du modèle de développement soviétique comme une variante d’Etat du capitalisme, la poursuite de la lutte des classes sous le socialisme, contre la formation d’une nouvelle bourgeoisie, y compris au sein du Parti, bref tous les éléments de la Révolution Culturelle, enrichis durant la période 74-75 par les révolutionnaires chinois (dont la Bande des Quatre) restent encore plus d’actualité.
Car il y a eu échec en définitive de la Révolution Culturelle, dans la mesure où l’objectif qu’elle se fixait était d’empêcher la restauration du capitalisme et éliminant les nouveaux bourgeois et les causes de leur apparition. Mais reconnaitre cet échec n’est en aucune façon rejeter cette expérience, l’une des plus riches du mouvement ouvrier. La Commune de Paris, la Révolution Russe ont été des échecs. Il n’empêche que ce sont des références fondamentales pour les vrais communistes du monde entier, et que leurs bilans ont permis d’avancer considérablement pour les expériences ultérieures. Marx et Lénine ont tiré les enseignements de l’échec de la Commune de Paris, la Révolution chinoise et Mao ont commencé à faire le bilan de l’échec de la révolution russe.
Il est maintenant de la responsabilité des communistes du monde entier de tirer le bilan de l’échec de la Révolution Chinoise et de la Révolution Culturelle pour être capables d’avancer. Pour notre part, à notre toute petite échelle, c’est ce que nous avons commencé avec le travail d’une commission de travail théorique sur ce sujet.
A. Desaimes.

Quelques questions qui doivent relever d’un bilan de la révolution chinoise et de la Révolution Culturelle

• Comment s’est fait le passage entre la révolution démocratique et la révolution socialiste en Chine, et comment en particulier cela s’est traduit vis-à-vis de la bourgeoisie ? N’y a-t-il pas eu sous-estimation de son rôle (négatif) dans la Chine Révolutionnaire ?
• Comment apprécier la réhabilitation de Deng Hsiao Ping, quelles luttes politiques cela traduit-il au sein du Parti, et quel rapport y a-t-il avec des débats politiques de masse ?
• Quel était le rôle politique réel de la classe ouvrière en Chine, par rapport aux autres classes et couches en mouvement ?
• Comment expliquer l’apparition et le développement d’une théorie contre-révolutionnaire comme la Théorie des Trois Mondes dans la Chine maoïste, au moment où les révolutionnaires sont à l’offensive ?
• N’y a-t-il pas eu de grosses difficultés de ces vrais révolutionnaires à consolider dans la réalité économique et sociale leur victoire politique et idéologique de la Révolution Culturelle ? N’ont-ils pas sous-estimé cette consolidation, se coupant ainsi peu à peu des masses et aboutissant à leur élimination relativement facile en 1976 ?

Entre autres, et sans vouloir prétendre donner des réponses définitives aux questions soulevées, et sans prétendre que ce soient les seules questions en cause...

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