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La troisième guerre mondiale a-t-elle commencé en Asie ?
Partisan N°126 - Janvier 1998
Depuis six mois, la crise financière ne cesse de s’approfondir en Asie du Sud-Est.
Déclenchée en mai dernier avec l’effondrement du bath thaïlandais, elle a pris une toute autre ampleur en Corée du Sud, et maintenant par ricochet sur toute la planète : le Japon, l’Australie, le Brésil sont touchés directement, et le système financier mondial se trouve ébranlé.
Nul ne sait aujourd’hui comment va évoluer cette crise. Peut-être sera-t-elle surmontée par l’impérialisme à l’image des crises mexicaine ou brésilienne des années 80, par le biais d’une purge économique impitoyable payée par les peuples de la région, sous l’égide du FMI et de la Banque Mondiale.
Mais peut-être au contraire les secousses vont-elles prendre une ampleur totalement imprévue, aux conséquences dramatiques. Au mois de mai dernier, ne nous disait-on pas que la chute du bath thaïlandais n’était qu’un petit événement, facilement enrayée grâce à l’intervention des banques centrales asiatiques. Aujourd’hui, six mois plus tard, c’est à leur propos qu’on s’interroge...
Actuellement la principale zone d’expansion du capital mondial
L’Asie du Sud et du Sud-Est est depuis une dizaine d’années le cœur de l’expansion économique mondiale : développement foudroyant du capitalisme chinois (et son marché de plus d’un milliard d’habitants), développement des Tigres asiatiques (Hong-Kong, Singapour, Taïwan, Corée du Sud...), émergence de nouveaux pays (Vietnam, Philippines, Malaisie...), tous les grands groupes et les grandes puissances ne jurent que par cette région du Monde. Sans parler bien entendu du Japon, deuxième puissance économique du monde...
Les investissements impérialistes sont massifs, les intérêts sont énormes : que la Corée du Sud arrive au bord de la faillite, et c’est le FMI lui-même qui octroie des prêts sans précédents pour éviter une catastrophe mondiale.
Mais on aurait tort d’en rester à la Thaïlande ou à la Corée : depuis le début des années 90, les financiers du monde entier s’inquiètent des difficultés sérieuses du Japon (récession, endettement, scandales...) et des risques qu’elles font peser sur l’économie mondiale. Ce n’est pas la banqueroute de Séoul, premier débouché du Japon qui va améliorer les choses...
Des appétits de requins
La zone Asie-Pacifique est un chaudron où les requins du monde entier surveillent attentivement la situation et sont à l’affût des marchés ou influences à gagner au détriment des concurrents.
Le Japon est sur place, souvent premier partenaire économique des pays de la région. La Russie, bien qu’affaiblie, a une frontière asiatique et entend bien ne pas se laisser manger la laine sur le dos. Les USA sont omniprésents au point de vue économique comme militaire, au point que le démantèlement des bases US aux Philippines soulève de nombreux problèmes, et ils jouent par ailleurs avec le feu en cherchant à affaiblir économiquement le Japon. Toutes les puissances européennes sont d’anciennes puissances coloniales qui ont gardé de puissants relais dans les divers pays : Grande-Bretagne, France, Espagne, Hollande en particulier.
Mais les appétits ne se limitent pas aux grandes puissances bien connues. L’Inde développe une stratégie expansionniste tous azimuts : ressources hydro-électriques au Népal, gaz au Bangladesh, plantations de thé au Sri Lanka, relance des traités locaux comme l’Association pour la Coopération Régionale en Asie du Sud... L’expansion capitaliste foudroyante de la Chine se double d’une activité fébrile dans tous les pays de la région, via les Chinois d’outremer et de leurs capacités économiques gigantesques.
Des tensions nationales importantes
Mais cette région du monde n’est pas qu’une zone de guerre économique féroce.
Depuis de nombreuses années, les conflits locaux existent, et plus ou moins d’importance et d’acuité selon le contexte et les enjeux. Les frontières, en particulier maritimes, n’ont jamais été délimitées précisément et on ne compte plus les contestations sur les îles ou îlots : Kouriles (Russie/Japon), Paracels (Vietnam/Chine), Spartleys (revendiquées par au moins six pays). Zones de passage commercial ou de prospection pétrolière, les eaux territoriales sont l’enjeu des multiples conflits.
Sans parler de la question de Taïwan, du retour de Hong Kong à la Chine, de l’existence de deux Corées, ou des nombreux conflits persistants entre le Cambodge le Vietnam ou la Thaïlande, la Thaïlande ou la Birmanie, les Philippines ou la Malaisie etc...
Du coup, la prospérité économique au moins passagère des dix dernières années s’est traduite par une "impressionnante course aux armements" (le Monde 27/12/95) : réarmement massif du Japon (deuxième puissance maritime du monde), nombreux achats d’avions ou de bateaux (frégates, sous-marins, et même un porte-avions pour la Thaïlande) par les divers pays, préoccupés de défendre leurs "intérêts nationaux".
Un mouvement ouvrier et populaire fort
Enfin, cette région du monde est caractérisée par la vitalité du mouvement ouvrier et populaire.
Il y a bien sûr la persistance de mouvements armés locaux, sur des bases fondamentalistes ou religieuses, qui ne reflètent que l’opposition à la domination, comme les Tigres tamouls du Sri Lanka, les guérillas musulmanes aux Philippines ou en Birmanie, la guérilla de résistance à Timor Oriental.
Mais il y a plus : la force du mouvement ouvrier sud-coréen, ou dans d’autres pays comme au Bangladesh et même sa réapparition en Chine. Il y a l’existence de luttes armées dirigées par des communistes de diverses tendances, aux Philippines, au Népal, en Inde où l’on vient de fêter les 30 ans du soulèvement de Naxalbari.
Une très grande instabilité
Ce bref panorama n’a pas pour prétention d’être une analyse rigoureuse et fondée de la crise asiatique. Il montre seulement l’accumulation des éléments d’instabilité et des contradictions dans cette région du monde : énormes intérêts économiques et crise du capital, présence de toutes les puissances impérialistes, possibilités de détonateurs nationalistes et course aux armements, instabilité politique et force du mouvement populaire. Voilà un cocktail qui pourrait être explosif...
Loin de nous l’idée d’écrire un scénario de science-fiction dramatique, en forçant le trait à dessein pour on ne sait quelle interprétation catastrophique. L’avenir ne se lit pas dans une boule de cristal, il s’écrit tous les jours dans la lutte des classes, qu’il s’agisse des bourgeois ou des prolétaires.
Mais cette hypothèse n’a pourtant rien d’une absurdité, des cocktails similaires (bien que différents) ont déjà provoqué deux conflits mondiaux...
Lutter contre la guerre, c’est lutter contre l’impérialisme !
Vive la solidarité internationale des ouvriers et des peuples du monde entier !
A.Desaimes

