Vous êtes dans la rubrique > Archives > À quoi servent les députés ?

À quoi servent les députés ?

Partisan n°167 - Mai 2002

Nous allons bientôt être appelés à voter pour les députés. C’est la démocratie, nous dit-on. La « démocratie », littéralement, c’est le pouvoir du peuple : le peuple se gouverne lui-même, et établit lui-même ses propres lois. La France serait un pays démocratique dans la mesure où ses lois sont faites par un parlement élu par le peuple. Mais le système parlementaire est-il réellement démocratique ? Dès qu’on commence à examiner son fonctionnement un peu dans le détail, on voit que non.

Pour commencer, le peuple s’en remet à des intermédiaires qu’il choisit. Il leur délègue la gestion du système. La participation des citoyens se résume donc au vote.

Vote et tais-toi !

Une fois élus, les députés font ce que bon leur semble. Les citoyens ne votent pas pour des programmes, mais élisent des individus qui ont d’après la Constitution le droit le plus absolu de ne pas appliquer leur programme ! Les promesses des politiciens n’engagent que ceux qui y croient.
Il y aurait pourtant des moyens très simples de permettre au peuple de participer directement et activement au pouvoir. Des moyens qui n’ont rien de subversif ou révolutionnaire puisqu’ils existent dans certains pays capitalistes. Par exemple la révocabilité, c’est-à-dire la possibilité pour les électeurs de rappeler un élu dont ils ne sont pas satisfaits en cours de mandat (comme dans certains Etats des USA). Et aussi la possibilité pour le peuple de proposer lui-même des lois : c’est le système du référendum, où lorsqu’une partie des citoyens (par exemple 10% du corps électoral) signe une pétition proposant une loi, le gouvernement est contraint d’organiser un référendum pour soumettre cette proposition au vote de l’ensemble du peuple (fréquemment pratiqué en Suisse).
Comme on voit, dans le système « démocratique » français, le peuple est un peu comme la reine d’Angleterre : il règne mais ne gouverne pas (...)

Intérêt général ?

Supposons cependant un instant que les défenseurs du système politique actuel, c’est-à-dire tous les politiciens et leurs armées de plumitifs, aient raison ; et que le régime représentatif est démocratique. Leur argument est à peu près le suivant : les députés élus par le peuple représentent les différents courants politiques présents dans la population ; de la confrontation de ces différents points de vue dans les discussions parlementaires naissent des lois conformes à l’ « intérêt général ».
Considérons le mode de scrutin utilisé en France. Le scrutin majoritaire en effet exclut automatiquement du parlement les courants minoritaires qui refusent de rentrer dans les combines des grands partis au pouvoir. Là encore, une mesure qui n’a rien de révolutionnaire, le scrutin proportionnel qui existe dans de nombreux pays capitalistes, permettrait à tous les courants d’opinion de contribuer au débat « démocratique ».

Mais qui fait la loi ?

Donc un Parlement qui échappe au contrôle du peuple et dont sont exclus les minorités, cela semble déjà beaucoup moins démocratique. Mais il faut aller encore plus loin dans la critique : les députés font-ils réellement la loi ? Comment fonctionne le Parlement ? Pour qu’une loi soit votée, il faut d’abord qu’elle soit proposée à la discussion du Parlement. Qui a la faculté de proposer des lois à la discussion ? Pas le peuple évidemment : « l’initiative des lois appartient concurremment au premier ministre et aux membres du parlement » (article 39 de la Constitution). Le gouvernement présente des projets de loi ; un ou plusieurs parlementaires peuvent présenter des propositions de loi. Mais dans la pratique, l’essentiel de la législation se fonde sur les projets de loi du gouvernement.
En théorie, l’Assemblée parlementaire pourrait tout aussi bien se consacrer à l’examen des propositions de loi. Sauf que... c’est le gouvernement qui dispose d’un pouvoir d’inscription prioritaire de ses propres projets au détriment des propositions des députés. Pendant la session de 1997-98, sur 338 propositions parlementaires, seulement 23 ont été adoptées (autant dire que la prétention du PCF à être utile au Parlement est une douce plaisanterie).
C’est par conséquent et en réalité le gouvernement qui fait les lois. Le gouvernement dispose de toute une série de lois qui lui permet d’imposer le vote des lois qui lui sont nécessaires. La plus fameuse de ces lois est certainement l’article constitutionnel 49-3 qui permet au gouvernement de faire passer un texte sans discussion ni vote ! Mais, les ministres étant issus du parlement, le gouvernement faisant les lois, ce sont malgré tout des élus du peuple qui font les lois, pourrait-on objecter.

Qui dirige l’État ?

En fait, le gouvernement, nommé par le président, n’est pas nécessairement issu du parlement. Mais quand bien même les ministres sont choisis au sein du Parlement, dirigent-ils effectivement la machine gouvernementale qui, nous l’avons vu, fabrique les lois ?
Eh bien non, comme en témoigne Marie-Noëlle Lienemann*, particulièrement bien placée pour en parler puisqu’elle a été plusieurs fois ministre du logement. Dans son pamphlet, il apparaît clairement que ce sont en réalité les hauts fonctionnaires qui contrôlent la fabrique des lois, car ils interviennent aux deux étapes décisives : celle de la conception et celle de l’exécution.
Au sujet d’une autoroute que l’Administration avait décidé, pour des raisons connues d’elle seule, de faire construire, elle montre comment les fonctionnaires ont fabriqué une étude « prouvant » sa nécessité : légère modification des estimations de trafic par ci, subtile rectification le seuil d’estimation de saturation par là, quelques bidouillages de paramètres comme la vitesse moyenne …
L’Administration a, par mille manoeuvres subtiles, le pouvoir de faire appliquer sa propre politique par dessus la tête des ministres qui ne font de toute façon que passer. Elle a aussi la capacité de faire enterrer les lois qui lui déplaisent. Car pour qu’une loi entre dans les faits, il faut qu’elle soit suivie d’un décret d’application.
Or, tous les décrets, dès qu’ils comportent un volet financier, doivent être cosignés par les Finances et le Budget. Si les hauts fonctionnaires du contrôle financier ne signent pas les engagements de dépenses, ils torpillent une loi. Le cimetière est plein de généreuses intentions des élus de la nation. Là aussi, les techniques légales ne manquent pas : la régulation budgétaire (capacité des contrôleurs de bloquer un quart du budget prévu ou même de geler les crédits) ; le contrôle d’opportunité (le contrôleur financier est habilité à tenir compte de l’effet prévisible d’une loi sur les finances publiques : s’il estime que la loi peut avoir à long terme un effet néfaste sur les finances publiques, il ne signe pas...) ; l’annualité budgétaire (si on dépasse la fin de l’année sans avoir pris une décision, l’argent ne peut plus être dépensé et on ne le récupère pas).
Notre ancienne ministre le dit elle-même : « J’ai entendu un représentant du ministre du budget affirmer tout sereinement, au cours d’une réunion à Matignon : “Bercy est contre, ce projet sera torpillé et de toute manière, ne sera pas appliqué”. »

Mais d’où viennent les hauts fonctionnaires ?

Les députés, le gouvernement n’ont aucun pouvoir sur les décisions importantes. Les décisions économiques et financières, les patrons en décident souverainement : ils organisent la production et investissent. Ils embauchent, débauchent ou précarisent selon leurs intérêts. L’État sera chargé de gérer la situation sociale et politique.
Les hauts fonctionnaires qui dirigent l’État sont formés dans les grandes écoles, ils sont bien souvent issue de la classe dominante bourgeoise. Parfois, ils viennent directement des grands groupes industriels ou financiers. C’est donc la classe bourgeoise qui dirige la haute administration et donc l’essentiel de la machine gouvernementale. Gouvernement et patronat semblent parfois s’opposer. Mais ces contradictions sont entre l’intérêt du capital en général à long terme et les intérêts à court terme de capitaux particuliers, et non entre capitalistes et « élus du peuple ». Si l’Administration, qui tire les ficelles du gouvernement, s’oppose parfois aux patrons, c’est parce que, pour tondre les moutons encore pendant des années, il ne faut pas les égorger… Alors, à quoi servent les députés ? A dissimuler l’implacable dictature de la bourgeoisie.

 

Un militant VP

 

* Les cannibales de l’Etat ”, édition Ramsay.

Soutenir par un don