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Allié hier, menacé aujourd’hui ? Pourquoi ?

Partisan n°173 - Janvier 2003

Avec la diabolisation actuelle de l’Irak par les USA et les impérialistes Européens, on pourrait oublier que pendant plus de 15 ans, entre 1975 et 1990, ce pays a été tenu à bout de bras par l’occident. Mais aussi, qu’en 1991, les USA ont sauvé Saddam d’une insurrection populaire.

En 1968, par un coup d’État, le
parti Baas arrive pour la
deuxième fois au pouvoir. Ce
parti qui se veut nationaliste, laïque,
et socialiste, s’était distingué en 1963
par une féroce répression du PCI
(Parti Communiste Irakien).

1968-1980 : De l’anti-impérialisme à l’alliance avec l’impérialisme.

Les USA ont donc un à priori favorable à
son arrivée au pouvoir. Les choses se
gâtent quand, en 1972, ce parti (alors
dirigé par Ahmad Hassan al Bakr)
conclut un traité d’amitié avec l’URSS
et nationalise le pétrole.
Le PCI et les Kurdes soutiennent alors
le Baas. Mais dès 1974, le régime
rompt avec le PCI et le réprime. Cette
répression pousse l’URSS a cesser
toute livraison d’armes et à suspendre
le traité d’amitié. L’Irak, qui dispose
avec la nationalisation du pétrole de
ressources financières importantes, se
tourne vers les occidentaux qui vont se
disputer le marché de la technologie
et des armes irakiennes. La France
permet à l’Irak d’accéder à la technologie
nucléaire (Réacteur OSIRAK
détruit en 1981 par un raid israélien).
L’Italie et l’Allemagne lui apportent la
technologie des armes chimiques.Tout
se passe avec l’aval des USA, qui sont
eux-mêmes fournisseurs, mais qui
donnent aussi leur accord à Israël pour
détruire les infrastructures nucléaires.
Lorsqu’en 1979, Saddam Hussein élimine
Hassan Al Bakr, l’Irak est un allié
profitable de l’occident.

1980–1988 : Saddam Hussein combat pour l’occident.

Le Baas qui avait pu, grâce à la rente pétrolière, favoriser le
développement d’une petite bourgeoisie
qui était sa base sociale, est
déjà à la fin des années 70 un régime
discrédité. La politique d’armement
pèse sur le budget de l’État.
La révolution islamique en Iran est
perçue comme une menace, par l’écho
qu’elle peut avoir dans la majorité
chiite du peuple irakien. Saddam
pense que c’est aussi une occasion de
régler par les armes des litiges territoriaux
anciens. L’Iran est en pleine
révolution et désorganisation. La victoire
devait être aisée.
En Septembre 1980, l’Irak attaque
l’Iran, avec l’accord tacite des USA.
Les premières batailles lui sont favorables,
mais dès 1982, la situation s’inverse.
L’Iran pénètre en territoire irakien.
L’armée irakienne est suréquipée,
mais moralement faible et
peu combative face à des iraniens
moins bien armés, mais déterminés.
Saddam va être sauvé par l’aide
apportée par l’occident. La France
fournit des avions et des véhicules
blindés, l’Allemagne des armes chimiques,
les USA des hélicoptères de
combat et du matériel informatique
pour perfectionner ses missiles balistiques.
Washington encourage les pays
du Golfe à faire crédit sans compter à
l’Irak qui s’endette pour plus de 100
milliards de dollars. Dès 1985, les
USA dépassent la France comme premier
fournisseur de l’Irak.
Aux USA, le lobby pro-irakien comporte
les principales compagnies
pétrolières. Les USA s’opposent à la
condamnation de l’Irak pour usage
d’armes chimiques en 1983 contre les
iraniens. Et le conseil de sécurité de
l’ONU dénonce l’usage des gaz, sans
nommer l’Irak.
Les USA fournissent à l’Irak des informations
sur les mouvements de
l’armée adverse recueillis par les
avions d’observation AWACS. En
1986, la marine US intervient contre
l’Iran pour éviter la débandade des
armées irakiennes.
Dans le même temps pourtant, les
USA, par l’intermédiaire d’Israël,
livrent des armes à l’Iran. Ce que veulent
les USA, c’est qu’il n’y ait ni vainqueur
ni vaincu, et comme le disait
Henri Kissinger, « qu’ils continuent à
s’entre-tuer le plus longtemps possible ».
Les USA ne veulent dans cette région
aucun État réellement fort, pouvant
contrarier leurs intérêts.

1990 : La seconde guerre du Golfe.

Avant 1990, le jugement de John Kelly,
sous secrétaire d’État américain, est
que « l’Irak de Saddam est une force de
modération dans la région ». L’Irak est
alors un bon client des USA avec plus
de 3 milliards d’achats de matériel en
1990, et un de leurs principaux fournisseurs
de pétrole. Après de gazage
des populations Kurdes de Halabja,
Bush père s’oppose au vote par le sénat
américain de sanctions contre l’Irak.
L’Irak, endetté, ne peut pas payer ses
créanciers, les pays du Golfe en particulier.
Devant le refus de ceux-ci de
reconnaître que l’Irak a aussi défendu
leurs intérêts, l’Irak annexe le Koweït
en août 1990.
L’Irak, « troisième armée du monde »,
selon les USA, devient la menace principale.
Cette menace permet aux USA
d’établir des bases en Arabie Saoudite,
alors que, depuis 50 ans, ce pays s’y
refusait.
En janvier et février, pendant 42 jours,
85 000 tonnes de bombes sont déversées
sur l’Irak (7 fois la puissance de la
bombe d’Hiroshima). Fin février, les
soldats irakiens en déroute livrent
leurs armes au peuple à Zubayr. En
quelques jours, tout le sud Chiite se
soulève, rejoint bientôt par le
Kurdistan. 15 provinces sur 18 sont
aux mains des insurgés.
Mars 1991 : Les USA au secours de
Saddam Hussein. Le 28 février, les
USA décrètent un cessez-le-feu unilatéral,
permettant ainsi à la Garde
nationale, troupe d’élite du régime, de
se replier sans trop de pertes. Cette
Garde nationale reprend alors le sud
insurgé avec l’appui tacite des USA et
de leurs alliés. Le 3 mars, les chefs
militaires irakiens obtiennent de pouvoir
faire voler des hélicoptères et d’utiliser
l’artillerie.
Les troupes alliées neutralisent les
dépôts d’armes pour éviter qu’ils ne
tombent aux mains des insurgés.
Saddam peut bombarder à l’arme chimique
la ville de Rumaytha sans que
les alliés ne s’en émeuvent. La répression
fait entre 100 000 et 150 000
morts, soit un nombre de victimes
équivalent aux bombardements. Le
Kurdistan ne subit pas un sort aussi
dramatique. Le 16 avril, les troupes
US pénétrent au Kurdistan pour éviter
l’exode massif des populations.
Depuis la fin de la guerre du golfe,
l’Irak est un pays étroitement dépendant
des USA. Le Kurdistan, autonome
de fait, est un protectorat américain
que se partagent le PDK et
l’UPK. Il reçoit directement 13% des
ressources versées à l’Irak au titre de
l’accord « pétrole contre nourriture ».
Tous les échanges de l’Irak, hormis
ceux faits en contrebande, sont
contrôlés par l’ONU et par les USA,
qui sont le principal consommateur du
pétrole irakien. L’Irak a totalement
perdu le contrôle de l’écoulement de
son pétrole et du prix auquel celui-ci
est négocié. L’embargo permet aux
USA de s’opposer aussi à tout accord
pétrolier de l’Irak avec l’un de leurs
concurrents. La société russe Loukoil
qui négociait des contrats d’exploitation
en Irak a dû y renoncer.
Le lobby pétrolier américain a donc
milité pour obtenir un déplafonnement
des quotas du pétrole commercialisé
par l’Irak au titre de l’accord
« pétrole contre nourriture ». En juillet
2001, l’ONU autorise le déplafonnement
complet des quantités de pétrole
vendues par l’Irak au titre de cet
accord. Tout le pétrole irakien peut
donc s’écouler sous le contrôle indirect
des USA.
Cette situation d’embargo qui pèse
lourdement sur le peuple irakien, est
une aubaine pour le régime de Saddam,
qui reste le seul interlocuteur de
l’ONU.Le clan familial de Saddam est
le principal bénéficiaire de la contrebande
et de la redistribution des produits
échangés au titre de l’accord.
Son fils s’est assuré le monopole de la
commercialisation du poulet qui est
devenue la principale viande produite
et consommée en Irak. Les USA,
comme le régime de Saddam, auraient
intérêt au maintien du statu quo.Alors
pourquoi cette guerre en préparation ?

Les trois raisons de la guerre en préparation.

L’enjeu irakien, n’est pas
immédiatement pétrolier, puisque le
pétrole irakien coule déjà sous
contrôle US. Il est global.
- Il y a d’abord l’affirmation des USA
en tant que puissance impérialiste
hégémonique. Par la guerre, ils obligent
leurs concurrents actuels (Européens,
Russe, etc.) à se comporter en
alliés et à abandonner toute autonomie,
à faire front contre un ennemi
commun désigné par les USA.
- Il y a un enjeu régional. Les deux
grands pays de la région, l’Arabie
Saoudite et l’Iran sont en crise et
connaissent des évolutions qui inquiètent
les USA. Imposer en Irak un
régime militaire, contrôlé plus directement
par les USA, est donc indispensable.
Les USA pourraient y établir de
nouvelles bases militaires, pour remplacer
celles qu’ils risquent de perdre
en Arabie.Avec un tel régime, les USA
pourraient contrebalancer le poids
régional de l’Arabie Saoudite. Ce pays
est riche, mais 30 % de sa population
est aujourd’hui au chômage, et l’endettement
de l’État est tel qu’il ne peut
plus jouer le rôle redistributeur qui
assurait la paix sociale à la monarchie.
Une opposition islamique armée, violemment
anti-américaine, y est de plus
en plus active. L’Iran va vers des changements
politiques importants qui
pourraient lui permettre de jouer un
rôle politique et économique régional
qu’il a perdu.
- Enfin, il y a le pétrole, moins pour
les approvisionnements à court terme,
que pour l’importance croissante
qu’aura le pétrole du Golfe avec la
raréfaction des nouvelles découvertes
et la montée de nouvelles puissances
consommatrices telles que la Chine,
dont la production (en volume)
devrait dépasser celle de l’Europe
avant la fin de la décennie.

 

GF

 

Informations issues de « La question irakienne » par
Pierre-Jean Luizard, chez Fayard.

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