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Et si on changeait le travail ?

Dans les années 80 notre journal de l’époque (Pour Le Parti) relançait le débat sur la réduction du temps de travail (rappel en 81 on travaillait 39 heures par semaine) et aussi sur quel type de travail : Travailler, tous, moins et autrement. Comment utiliser le potentiel de révolte des prolétaires à vivre mieux ? Comment fera-t-on sous le socialisme ?

Et si on parlait de quel travail ?

Qui ne se souvient des spots TV sur la revalorisation du travail manuel ? Ces cours d’instruction civiques tombaient tellement à coté de la plaque qu’on ne savait si on devait en rire ou en pleurer. C’est que le rapport au « travail manuel » - c’est-à-dire au travail ouvrier – n’a plus grand chose à voir aujourd’hui en usine avec celui de l’artisan peut encore connaître. Comment les ouvriers vivent-ils ce rapport ? Y-a-t-il des aspirations à « changer le travail » et comment se manifestent-elles ? Je vais tenter dans ce premier article – forcément général – de poser les jalons d’une réflexion sur cette question. D’autres articles suivront : dans le prochain numéro du journal (« Robots : le fin des OS ? ») et dans le numéro 5 (décembre 81) de la Cause du Communisme (« Travailler tous, travailler moins, travailler autrement »). En attendant, aux camarades qui ont une expérience et des idées à partager de continuer le débat en faisant parvenir critiques et correspondances.

 

De la même façon qu’il n’y a pas UNE classe ouvrière homogène, soudée... et largement mythique, il n’y a pas UN rapport unique au travail ouvrier. C’est essentiellement la place dans la division du travail qui détermine la façon dont l’ouvrier va vivre son travail. Valorisant ou négateur de lui-même, intéressant ou décervelant.

 

Peu ou prou du côté des forces intellectuelles de la production les ouvriers auxquels on a laissé une part de création et/ou de création de responsabilisation par rapport au produit de leur travail n’ont forcément pas la même vision des choses que les OS rivés à une machine ou à un poste de travail parcellisé et répétitif. Dans le premier cas leurs gestes de travail ne sont pas aussi « robotisés » que ceux de l’OS. Il faut qu’ils réfléchissent un minimum pour que leur travail s’accomplisse. Ceux qui sont professionnels dans le procès de travail (c’est-à-dire : dans l’organisation du travail) mécanisé classique de la grande industrie (et quand leur poste n’est pas déqualifié) créent encore quelque chose, leur savoir propre est indispensable à leurs postes de travail. Ceux qui sont opérateurs dans le procès de travail automatisé sont responsables de « machines » qui valent des milliards d’anciens francs : s’ils ne créent plus directement ils doivent contrôler un processus complexe, prendre des décisions, et leur interventions est souvent décisive. Quand à ceux qui sont régleurs – petits chefs - leur pouvoir de commandement supplée à l’inintérêt éventuel du travail. Ces quelques exemples pour comprendre que ces hommes s’investissent personnellement beaucoup plus dans leur travail que les OS, « éclatés » du travail en miettes, que les ouvriers mutilés par la machine.
Tout cela est d’ailleurs relatif : un travail n’est vécu comme « intéressant » bien souvent que par rapport à ce qui existe de pire à coté. Un tourneur d’il y a 50 ans n’accomplissait pas son travail de la même façon que le tourneur d’aujourd’hui. Si le premier s’était trouvé brusquement transplanté dans les conditions du procès de travail actuel, nul doute qu’il aurait jugé sa fonction déqualifiée et abrutissante. Cependant, le tourneur d’aujourd’hui se sent probablement valorisé dans son travail quand il le compare à celui de l’OS (1).

L’O.S. contre Taylor : combat permanent

Dans le travail parcellisé de la grande industrie, l’OS est devenu l’appendice d’une machine ou d’un poste de travail qu’il ne contrôle théoriquement plus. La dépossession des moyens de production s’est prolongée dans la dépossession du procès de travail : l’ouvrier est séparé des puissances intellectuelles de la production que le capital à concentrées dans la machine, le travail vivant (celui de l’ouvrier) est soumis au travail mort (celui qui est contenu dans la machine). L’outil de travail a cessé d’être perçu comme un instrument d’aliénation. C’est sur cette base que naît le rapport au travail « moderne ».
Pour l’ouvrier enchaîné une double conséquence dans le rapport spontané qu’il entretient avec la production. Tout d’abord la dévalorisation de son travail tend à l’amener à une dévalorisation de ses propres capacités intellectuelles et, partant, de son statut social : « Puisqu’on me demande de ne pas penser c’est que je ne suis pas capable de faire autre chose, c’est à dire que je suis un raté » (2).
Ensuite la domination du travail mort produit un sentiment d’impuissance devant la force apparente de la machine : dans ces conditions il devient difficile de percevoir comment un système si « scientifique » peut être transformé, comment la logique implacable du procès de travail tayloriste peut être renversée ; il devient difficile d’imaginer que le travail vivant puisse un jour se soumettre le travail mort. C’est ce qui explique essentiellement que les aspirations à changer le travail se manifestent surtout par des biais « négatifs » et une lutte sourde et permanente qui oppose l’homme à « l’organisation scientifique du travail » ou OST(3).

 

Désintérêt pour le travail : l’encadrement a beau jeu de railler « ces pauvres cons d’OS » qui ne cherchent pas à comprendre plus loin que leur poste de travail, ne posent jamais de questions sur l’utilité de telle opération, le devenir de leur production... Comment s’intéresser à ce que l’on hait, comment s’intéresser sur la fonction de ce qu’on vit comme négateur de soi-même ? La seule façon de tenir dans l’enfer de la chaîne et des cadences, c’est d’abord de rejeter par l’esprit ce qui assujettit son être, de nier de toutes ses forces ce qui vous nie vous-même. Commencer à s’intéresser à son travail c’est commencer à accepter sa propre destruction : la machine rejette l’homme, l’homme rejette la machine en même temps que la maîtrise qui est là pour maintenir ces rapports décervelant. Comment en plus « rentrer dans le jeu » avec elle ? Mais, au delà de ces désintérêts ce qui inquiète bien plus les responsables de la bonne marche de l’OST c’est la façon dont l’ouvrier arrive à « détourner » quand même une logique apparemment infaillible : coulages des cadences, non respect des consignes de production, « traficotage » de la machine ou des instruments du poste : tout un système inventé quotidiennement par chaque ouvrier pour arriver à produire en apparence ce qu’on lui demande, mais en se gardant une part d’intervention créatrice et en aménageant son poste de tel façon qu’il puisse récupérer contre l’OST un minimum de temps... et d’indépendance.
C’est là une lutte perpétuelle, lutte de classe au sein de la production qui lie les ouvriers entre eux (par la complicité que suppose ces mini-sabotages sur des postes interdépendants) aussi sûrement qu’elle les oppose au procès de travail tayloriste ; et là l’intelligence ouvrière se déploie.

 

On connaît aussi la « perruque », pratiquée plus facilement par les professionnels que par les OS, mais qui reste aussi une aspiration forte chez ces derniers. La perruque ne recouvre pas seulement, comme on a trop tendance à la croire, une fonction utilitaire ou une idéologie « réactionnaire » (retour au travail artisanal) : elle est aussi signe de l’aspiration à travailler autrement, à retrouver un prolongement de soi-même dans l’unité de la conception et de l’exécution ; dans le plaisir de se servir de son cerveau, et de maîtriser enfin la machine. Cette joie éclate chez les ouvriers en grève de l’Alstom St Ouen dans le film consacré à leur lutte (voir aussi à ce sujet l’extrait de « salaire aux pièces » sur la perruque dans le numéro 4 de « la cause du communisme »).

 

A ces manifestations d’opposition au travail parcellisé qui existent dans le cours même du travail productif il faut ajouter le turn-over (c’est à dire les départs volontaires d’ouvriers qui changent de boîtes) et l’absentéisme. Avec la crise de l’instabilité de l’emploi,,le turn-over s’est certes ralenti. Mais, l’absentéisme a pris une telle importance qu’il n’est pas pour rien dans la remis en cause de l’OST traditionnelle par certains capitalistes. Les statistiques sont parlantes : taux d’absentéisme chez les ingénieurs et cadres : 2,75 %, chez les agents de maîtrise : 5,5 %, cher les OS : 18,5 %. A la répression ouverte (suppression des primes, sécurex, déconventionnement de certains médecins...) le capital adjoint maintenant les mesures plus subtiles... et efficaces que sont l’aménagement du temps de travail, l’enrichissement des tâches, les primes au « présentéisme ».

 

Enfin l’aspiration à changer le travail se manifeste aussi dans l’aspiration à quitter ce travail. Soit pour s’en sortir par l’artisanat et la,petite propriété (se payer un taxi, ouvrir un garage à plusieurs, acheter un café ou une boutique dans le cas des immigrés). Soit, dans le cas des femmes, retourner à la maison : s’occuper de ses gosses et de son intérieur est vécu par beaucoup d’entre elles comme plus gratifiant que l’exploitation à outrance sur la chaîne avec en prime le double journée et la contradiction maternité/travail. On les comprend ! Et derrière cela il y a aussi l’aspiration à se libérer des contraintes du travail enchaîné, à trouver dans le travail une réponse à ses besoins et un prolongement de soi-même.

 

C’est de cette façon que bien des ouvriers se définissent spontanément par rapport au travail parcellisé : en opposition, en lutte permanente. Que cela se traduise dans des réactions individuelles et, d’une certains façon « passives » ne doit pas nous faire oublier que derrière cela il y a le refus de rentrer dans le moule décervelant qu’on leur impose. Ces phénomènes sont aussi un levier pour faire surgir l’aspiration sous-jacente à « changer le travail ».

 

Mais, cette aspiration s’exprime aussi de façon positive, comme cela s’est passé dans les années 65/70 au travers des grandes luttes d’OS qui ont secoué la tranquillité apparente des appareils syndicaux : le Joint Français, Renault le Mans, Moulinex... « le P1 pour tous », « un même taux pour tous », « baisse des cadences »... Derrière ces revendications il faut aussi percevoir tout ce que ces mouvements contiennent de refus de la chaîne, comme contestation du travail parcellisé. Que cette aspiration se soit cristallisée sur des revendications qui concernaient essentiellement la qualification, rien d’étonnant à cela : c’est l’aboutissement immédiat le plus « réaliste » d’une contestation bien plus vaste et irrecevable par le système capitaliste. Mais, les réformistes ne s’y sont pas trompés, qui la premier moment d’affolement passé se sont acharnés à récupérer un mouvement lourd de menaces contre leur emprise. La bourgeoisie non plus qui cherche à désamorcer la contestation de l’OST par des mesures qui semblent partir des aspirations à changer le travail : l’aménagement du temps de travail, l’enrichissement des tâches, les groupes de réflexion de la nouvelle politique sociale dans l’entreprise, autant de réponses bourgeoises à la lutte que mènent les ouvriers contre la parcellisation.

 

Mais la bourgeoisie en peut réussir avec de telles méthodes à masquer la réalité que vivent les OS. Significatif de cela : Renault Sandouville et Peugeot Sochaux . Ces deux grandes luttes d’actualité qui fissurent « l’état de grâce » que le gouvernement aurait bien voulu perpétuer ont un point commun. Elles sont parties non pas des questions salariales ou des problèmes de réduction du temps de travail, mais du contenu du travail : les cadences infernales. Dans les deux cas, cette revendication en apparence toute simple (« baisse des cadences ») ébranle fortement les directions de deux entreprises aussi « opposées » : « Renault social » et « Peugeot-réactionnaire ». Le changement qu’attendaient ces travailleurs, c’était d’abord celui là. Mais c’est un changement en contradiction directe avec les nécessités capitalistes de la rentabilité des entreprises. Le problème des cadences, du contenu du travail, c’est le problème qui aboutit immédiatement à : quelles conditions pour une autre organisation du travail ?

Transformer le potentiel en force

On peut se demander pourquoi l’aspiration à changer le travail ne se manifeste pas plus concrètement. A cela plusieurs raisons.

 

La première, et la plis importante, c’est l’écrasement par la division capitaliste du travail, l’interdépendance sociale d’un système qui embrasse toute la production. Alors que sur tout ce qui touche à la reproduction de la force de travail (salaire direct et indirect – chômage, maladie, retraite...) il est spontanément plus facile de revendiquer quelque chose de précis et de l’obtenir , la responsabilité en ce qui concerne la mise en œuvre de la force de travail apparaît comme beaucoup plus diffuse, voire dépassant la volonté des hommes. A la limite les transformations du procès de travail ça ne dépend pas du patron, ça le dépasse, ça fait partie de la force « objective » de la technologie, avec un grand T. Il est possible d’obtenir de petits aménagements (les pauses, la baisse des cadences, la transformation des méthodes policières de la maîtrise) mais on ne voit pas spontanément comment imposer un autre mode de travail – si tant est qu’on perçoive qu’il soit possible de travailler autrement. Et cela repose sur une réalité : changer le travail, c’est transformer la logique même de la loi du profit. D’où la difficulté de cristalliser sa révolte sur des revendications immédiates.

 

A cela vient s’ajouter tout le poids du réformisme qui a pesé sur les années d’après guerre pour faire accepter le travail en miettes au nom de la hausse du pouvoir d’achat. Fondant toute leur activité sur la dynamique du partage profits/salaires issu des hausses formidables de la productivité, les réformistes ont assis leur influence sur leur capacité à s’emparer des aspirations à vivre mieux, à profiter du progrès, pour apparaître comme les garants des hausses de salaires, de l’amélioration du niveau de vie, de l’accession à la consommation de masse, de la stabilité du revenu.
Ils ont su profiter de la mise en place d’un nouveau rapport salarial dans lequel la bourgeoisie a su leur ménager une place au travers de la politique contractuelle (4). pour réaliser une relative fusion avec les couches du mouvement ouvrier qui ont le plus profité en compensations salariales des gains de productivité réalisés entre autre grâce à l’OST. Mais dans le même temps ils ont approfondi les contradictions qui les séparent de la classe en niant le prix que les ouvriers ont du payer pour accroître leur niveau de vie. Car pendant toutes ces années (au moins jusqu’à 68) les réformistes se sont bien gardés de répondre à l’aspiration « travailler autrement », si de n’est en exaltant la promotion, en opposant la réussite du professionnel de métier à l’OS, en chantant les louanges du progrès technique « libérateur »... de Plus Value. Ici on touche aux limites de la fusion du réformisme avec le mouvement spontané. Car durant ces mêmes années le mouvement spontané n’a cessé de résister au procès de travail parcellisé.

 

L’esprit maison, l’attachement au métier, la défense de l’outil de travail, la conscience professionnelle, la revendication du progrès scientifique et technique, toutes ces caractéristiques de l’idéologie réformiste sont portées par les couches ouvrières les plus protégées dans la division sociale du travail – et d’abord par l’aristocratie ouvrière. Mais, cette idéologie est en contradiction directe avec ce que vivent la masse des ouvriers rivés à une machine qui n’est plus perçue comme le moyen de leur création mais comme celui de leur aliénation. D’où la fragilité de la fusion entre réformisme spontané de la classe et le réformisme organisé des syndicats et des partis.
D’où le maillon qu’il nous faut saisir pour faire déboucher ces aspirations sur le socialisme. Car ici pas de mystère : : la transformation du travail c’est la transformation de la société.

 

Comprendre pourquoi les aspirations à changer la travail ont tant de mal à se formaliser, c’est commencer à comprendre comment les faire surgir, les faire déboucher sur la transformation des rapports de production.

 

Il faut renverser la logique « je fais ce travail où ne on me demande pas de penser parce que je ne suis pas instruit : c’est donc que je ne suis pas capable de faire autre chose » en y opposant toute la richesse intellectuelle de la lutte ouvrière contre l’OST. Il faut renverser le sentiment d’impuissance devant la dynamique du procès de travail parcellisé en montrant qu’il est possible de travailler autrement sans diminuer forcément la productivité. Ne serait-ce qu’en utilisant toutes les inventions ouvrières que seule la pratique peur permettre de découvrir et que les ingénieurs et les techniciens des bureaux des méthodes ne connaîtrons jamais ; tout le savoir ouvrier que la bourgeoisie voudrait bien récupérer (« boite à idées » ou « campagnes de suggestion » à l’appui) mais que que la plupart des ouvriers gardent justement pour eux : quelle formidable libération de l’énergie créatrice permettrait un procès de travail aux mains du prolétariat.

 

Les ouvriers chinois, du temps de la révolution culturelle, nous ont ouvert la voie : la suppression de la propriété privée du capital, ça n’est pas suffisant pour garantir une réelle transformation des rapports sociaux et de la division du travail. Les mesures prises pendant la révolution culturelle allaient dans le bon sens, de ce point de vue là. Suppression des primes et stimulant matériels qui favorisent le rendement individuel et les inégalités, participation des ouvriers à la gestion de l’usine et des cadres au travail productif, formation d’ouvriers-techniciens et surtout : groupes de triple union, université ouvrières à l’usine et groupes d’étude et de réflexion politique sur le temps de travail.

 


- Les groupes de triple union : formés par des ouvriers, des techniciens, des cadres. C’était un moyen, au niveau local, de mettre les connaissances ouvrières au service de la transformation du travail. Le but de ces groupes était l’innovation, tant pour l’amélioration des conditions de travail que pour accroître la quantité et perfectionner la qualité de la production. Mais, le champ d’application était l’usine : ça n’allait pas encore assez loin du point de vue de la transformation sociale du procès de production.

 


- Les universités ouvrières (voir encadré) ; cette innovation là était était un moyen pour commencer à réduire à réduire les différences manuels/intellectuels et donner aux ouvriers la possibilité matérielle se s’emparer des questions « intellectuelles » et scientifiques. Un ouvrier intellectuel est la meilleure garantie pour la transformation du travail – dans son usine mais surtout au niveau social. Car il ne s’agit pas seulement de bien connaître « son » usine pour savoir comment transformer le procès de travail local. Il s’agit avant tout de maîtriser les connaissances intellectuelles qui permettent de repenser tout le processus de production. Si les conditions de production sont tellement interdépendantes aujourd’hui, si ce qui se passe dans la sidérurgie a des répercussions à Renault, le problème est bien de revoir l’organisation du travail d’un point de vue d’ensemble. Et pour cela il faut transformer la science et la faisant fusionner avec les connaissances pratiques ouvrières, et la mettre ensuite au service de la transformation des rapports sociaux de production. Cela exige bien sûr une transformation ouvrière : c’est ce qu’avaient commencé à faire les universités ouvrières en Chine. Cela exige aussi que la classe ouvrière dirige la société, c’est-à-dire que les ouvriers contrôlent et agissent politiquement.

 


- Les groupes d’étude politique : pour réaliser cette dernière condition (le contrôle et l’action consciente de ouvriers) encore faut-il leur donner les moyens d’intervenir politiquement, les moyens de se former. C’est pour cela que ces groupes qui se réunissent en dehors et à l’intérieur du temps de travail avaient pris forme.

 

Si ces mesures vraiment révolutionnaires de la révolution culturelle sont venues trop tard en Chine pour renverser le pouvoir de la nouvelle bourgeoisie qui s’était reformée sur la base de la propriété d’État seulement, elles nous indiquent la voie : lutter contre la division manuels/intellectuels c’est le seul moyen pour transformer le travail. La science aux mains des ouvriers saura inventer autre chose que la chaîne et l’abrutissement du travail morcelé : le travail vraiment recomposé, mais à l’échelle sociale.

 

Les moyens scientifiques existent pour la transformation immédiate des conditions de travail (bruit, saleté, chaleur, odeurs, santé...). Les moyens scientifiques pour transformer le travail en lui-même existent potentiellement dans la pratique de la classe ouvrière : à nous de nous appuyer là-dessus pour montrer que « changer le travail », c’est possible.

 

Danielle FIGNER

 

1. Un exemple parmi d’autres : les premiers ouvriers sur tours universels à Renault en 1914 étaient classés « manœuvres », au bas de l’échelle des qualifications. Nul doute que le rapport qu’ils entretenaient avec leur travail n’était pas le même que celui des OP 3 qui travaillent aujourd’hui sur ces mêmes tours universels et accomplissent à peu prés la même fonction, tandis que les servants des tours automatiques sont OS...

 

2. Ce sentiment d’infériorité intellectuelle qu’amène la division sociale du travail se mêle toutefois au sentiment plus ou moins conscient d’être le pivot social de la production : sans son travail les couches non productrices de valeur ne pourraient pas vivre. Ceci est particulièrement net dans les entreprises qui comportent un service « commercial » où travaillent des employés.

 

3. L’OST (organisation scientifique du travail) est l’appellation officielle du procès de travail organisé suivant les méthodes du taylorisme : utilisation de la chaîne chaque fois que c’est possible décomposition du travail nécessaire pour produire un objet en une multitude de postes de travail simples et répétitifs, calcul du temps minimum pour chaque geste à l’intérieur du poste de façon à arriver à une cadence maximum, etc...

 

4. L’article « Réformisme et mouvement ouvrier » dans la Cause du Communisme n°5 qui traite de cette question.

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