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Cuba : l’évaporation d’un mythe. Une révolution anti-impérialiste pour finir pantin du social-impérialisme

Cuba : l’évaporation d’un mythe fut publié pour la première fois dans le numéro de Revolution du 15 février 1976, organe du Central Committee du Revolutionary Communist Party, USA [1]. Il fut publié sous forme de pamphlet en mars 1976. Quelques légers changements éditoriaux ont été effectués pour plus de clarté.

 

Introduction

 

Le rôle de Cuba dans le monde aujourd’hui rend de plus en plus importante la révélation du caractère de classe de ses dirigeants, et la véritable nature de la société.
Dans les mots, Cuba est socialiste. Il dit que ses milliers de soldats combattant en Afrique sous la direction soviétique sont là pour faire progresser la cause de l’internationalisme prolétarien. Mais les mercenaires payés par les Etats-Unis brandissent aussi les bannières de la liberté et de l’ « anti-impérialisme ». Manifestement, il faut aller au-delà de l’apparence des choses pour comprendre ce qui se passe réellement dans le monde. Pour comprendre un pays, il faut demander quelle classe y est au pouvoir. Et pour comprendre la politique d’un pays, il faut demander au service de quelle classe ces politiques sont.
La révolution dirigée par Castro en 1959 fut un considérable bond en avant pour Cuba. Elle a fait dégager les impérialistes américains et les propriétaires fonciers cubains, les capitalistes dépendants et tous leurs parasites, souteneurs et bandits. En raison de ceci ainsi que des objectifs révolutionnaires proclamés par Castro et ceux qui l’entouraient, de nombreuses personnes à travers le monde se sont tournées vers Cuba pour y trouver l’inspiration et des conseils pour leurs luttes.
Mais les perspectives de classe, la ligne politique et les méthodes promues par les dirigeants n’ont entraîné que des échecs et des défaites partout où elles ont été adoptées. Elles se sont révélées erronées et nocives au développement de la lutte révolutionnaire.
A Cuba, la révolution s’est transformée en son contraire. Aujourd’hui, Cuba est autant une colonie de l’Union Soviétique qu’il ne le fut autrefois des Etats-Unis, son économie dominée par le sucre et ses travailleurs de pauvres salariés travaillant pour rembourser un emprunt interminable à l’URSS. Les dirigeants de la révolution anti-impérialiste de 1959 sont maintenant eux-mêmes devenus une nouvelle classe capitaliste dépendante.
La question de Cuba est particulièrement vive en ce moment pour deux raisons. Au niveau international, l’Union Soviétique, qui est elle-même un pays impérialiste tentant de chambouler tous les projets de domination américaine afin de s’accaparer la part du gateau, utilise de plus en plus Cuba. Elle utilise Cuba comme bâton mais aussi comme carotte. En Angola, les soldats cubains ont mené la poussée pour conquérir le pays sous le couvert de s’opposer à l’impérialisme américain (lequel essaye de faire la même chose sous le couvert d’une opposition à l’URSS), tandis que les Soviétiques désignaient Cuba comme un exemple sur la manière avec laquelle l’ « aide » soviétique avait acheté le socialisme pour Cuba et offraient le même accord à l’Angola et à d’autres pays. Cette combinaison de roubles « anti-impérialistes » et de tanks « anti-impérialistes » est la clé des efforts socio-impérialistes soviétiques pour remplacer les Etats-Unis en tant que principale puissance impérialiste mondiale. C’est pour cette raison que Cuba est très précieux pour les Soviétiques.

 

Des mots sans prétention au congrès du parti

 

A Cuba, le premier congrès du « Communist » Party révisionniste du pays en décembre 1975 a marqué la consolidation économique et politique de Cuba dans le bloc soviétique et l’émergence officielle des relations capitalistes après qu’elles aient été cachées pendant des années sous un discours « révolutionnaire ».
Ce congrès a ratifié le nouveau « Economic Planning and Management System » de Cuba, sanctifiant le « critère de rentabilité » comme étant le principe supérieur du pays. Il a également fait figurer une longue auto-critique de Castro pour ne pas s’être rapproché plus tôt de la façon de penser soviétique, une « auto-critique » dans laquelle il essaye de justifier la situation actuelle de Cuba et s’incline si bas devant les nouveaux tsars que cela donne une indication notable de l’actuel statut néo-colonial de Cuba :
« Si nous avions été plus humbles, si nous n’avions pas eu un amour propre excessif », a expliqué Castro, « nous aurions été en mesure de comprendre que la théorie révolutionnaire n’était pas suffisamment développée dans notre pays et que nous manquions de forts scientifiques et économistes du marxisme pour apporter des contributions réellement significatives à la théorie et à la pratique de l’édification du socialisme » (Les discours de Castro et d’autres documents du congrès se trouvent dans Granma, la publication cubaine officielle) [2]
Des mots sans prétention en effet de la part des dirigeants cubains qui, il n’y a pas si longtemps que cela, se présentaient comme le phare de la révolution pour le Tiers monde et ailleurs, à la différence de ce qu’ils considéraient comme le « conservatisme » des révisionnistes et de ce qu’ils calomniaient comme étant le « dogmatisme » des authentiques marxistes-léninistes.
Dans les années 60, les dirigeants cubains étaient réellement devenus humbles en servant de garçon de course politique soviétique dès qu’il était nécessaire de payer le loyer - par exemple en attaquant la Chine et Mao Zedong en 1966, en soutenant l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 et ainsi de suite. Mais à cette époque, les Cubains ont essayé de maintenir une certaine distance entre eux et les Soviétiques, ne serait-ce que pour maintenir le prestige et l’image « ultra-révolutionnaire » de Cuba à un moment où la nouvelle classe dirigeante capitaliste soviétique commençait à sentir de plus en plus mauvais pour un nombre croissant de personnes à l’esprit révolutionnaire.
Mais aujourd’hui, les ficelles soviétiques qui soutiennent le régime cubain se sont fortement resserrées et les dirigeants cubains doivent être plus « humbles » que jamais. Aujourd’hui, Castro dit que la politique étrangère de Cuba est basée « d’abord sur une fidèle amitié avec l’Union Soviétique, le bastion du progrès mondial ».
L’utilisation qu’ont fait les Soviétiques de cette « fidèle amitié » de Cuba a changé au fil des ans. Précédemment, la relation des plus faibles impérialistes soviétiques avec les impérialistes américains inclinait davantage vers la reddition et la collaboration. Maintenant, leur compétition avec les Etats-Unis devenant plus vive et plus violente chaque jour, l’utilisation soviétique de la soi-disant « détente » est principalement une couverture pour l’agression soviétique et pour ses préparatifs de guerre - tandis que les impérialistes américains l’utilisent eux-mêmes aux mêmes fins. Les temps ont changé. Mais il semble que quoique demandent les dirigeants soviétiques, cela convienne à Cuba.
Castro s’est donné du mal pour rendre ce point indubitablement clair en revenant sur la crise des missiles de 1962 lorsque l’URSS a imprudemment installé des missiles à longue portée à Cuba. Puis, lorsque les impérialistes américains ont contesté, ils ont non seulement totalement capitulé en retirant les missiles, mais ils ont également promis aux Etats-Unis de les autoriser à inspecter Cuba pour s’assurer qu’ils étaient partis - sans rien demander au gouvernement cubain. A cette époque, Castro avait avec justesse dénoncé les Soviétiques pour cela.
Aujourd’hui, Castro dit qu’il a eu tort de ne pas comprendre que cette lâche utilisation de Cuba comme argument dans la négociation par les Etats-Unis était « objectivement » une « victoire pour le camp socialiste ».
Mais ceci n’est pas la seule couleuvre que Castro ait été contraint d’avaler lors du congrès. Non seulement les dirigeants cubains auraient dû être « plus humbles » concernant la politique étrangère mais ils auraient également dû « mettre correctement en oeuvre les principales expériences utiles dans la sphère de la gestion économique » en Union Soviétique.

 

Les lois du capitalisme gouvernent l’économie cubaine

 

De quelles expériences parlent-ils ? Que « les lois économiques » (en particulier la théorie de la valeur) « gouvernent la construction socialiste » et que « l’argent, les prix, les finances, les budgets, les taxes, le crédit, l’intérêt et d’autres catégories de produits de base devraient fonctionner comme des instruments indispensables… pour décider quel investissement est le plus avantageux, pour décider quelles entreprises, quelles unités, quel collectif de travailleurs s’exécutent le mieux et ceux qui s’exécutent le moins bien, pour ainsi être en mesure de prendre les mesures pertinentes » (Discours au congrès du parti).
Castro affirme que ceci est dicté par la « réalité », mais ce n’est pas la réalité du socialisme. La classe ouvrière doit prendre en compte ces lois et ces catégories afin de pouvoir consciemment restreindre et limiter sa sphère d’opération et développer les conditions pour les abolir une bonne fois pour toute. Mais le socialisme ne peut pas être gouverné par les lois économiques du capitalisme. Sinon, il n’y aurait plus aucune différence entre les deux systèmes. Les mots de Castro viennent en bloc de récents manuels économiques soviétiques - récapitulant l’expérience de restauration du capitalisme en Union Soviétique.
Le « nouveau système économique » que Castro décrit est basé sur les mêmes principes que ceux qui gouvernent tous les pays capitalistes, en particulier sous la forme de capitalisme d’état : que les prix soient fixés selon le coût de production ; que les usines et les industries qui produisent le taux le plus élevé de rentabilité des investissements soient les zones d’expansion maximale ; que les directeurs de ces unités soient payés selon leur statut social ainsi que selon la rentabilité de leurs entreprises ; que les travailleurs soient payés selon la rentabilité des entreprises pour lesquelles ils travaillent et perdent leur emploi si la production est moins chère sans eux ; et en outre, que les travailleurs soient payés strictement selon leur productivité telle que mesurée par le travail à la pièce (qui, selon Castro, détermine aujourd’hui le salaire de 20% des travailleurs cubains) ou par le fait qu’ils atteignent ou non les quotas de production établis pour leur emploi - en d’autres termes, en fonction de s’ils font du taux (ceci est déjà en vigueur pour 48% des travailleurs cubains).
Ceci est véritablement le capitalisme dans toute sa gloire. Il n’est nulle part plus laid que quand Castro dit qu’il est désolé qu’il y ait une telle pénurie de logements à Cuba, « mais que la révolution n’a pas été en mesure de faire grand chose pour ça - tout en révélant plus tard que le gouvernement est en train de construire 14 nouveaux hôtels pour touristes et d’en agrandir d’autres. La préoccupation n’est clairement pas ce dont les gens ont besoin, mais ce qui est le plus rentable. Bien sûr, Castro n’appelle pas cela le capitalisme, pas plus qu’ils ne le font les actuels dirigeants capitalistes de l’URSS. Tous les révisionnistes prétendent que ce genre de choses n’est qu’une version un peu plus « réaliste » du socialisme.

 

L’emprunt cubain de cinq milliards de dollars

 

L’ironie de ceci, c’est que pendant de nombreuses années, les dirigeants cubains ont soutenu que l’aide soviétique et les achats de sucre leur permettaient d’acheter tout ce dont ils avaient besoin pour « construire simultanément le socialisme et le communisme à Cuba ». Aujourd’hui, l’île étant endettée pour 5 milliards de dollars envers l’URSS [3] et dépendant plus que jamais d’elle, il est assez clair que ce qui s’est réellement passé est exactement le contraire - l’URSS est parvenue à s’acheter une néo-colonie. Cette évolution fait également mieux que jamais comprendre que la stratégie des dirigeants cubains n’avait rien à voir avec la stratégie de la classe ouvrière pour construire le socialisme - qu’en fait, Cuba n’a jamais été un pays socialiste. Cela pose la question du type de révolution qu’a eu Cuba et le pourquoi il l’a transformée en son opposée de telle manière que, loin d’être socialiste, Cuba n’a aujourd’hui même pas gagné son indépendance ni sa libération nationale.

 

Les radicaux petits bourgeois accèdent au pouvoir

 

Ce n’est pas la première fois qu’un pouvoir impérialiste profite de la lutte populaire cubaine pour sa libération nationale afin de prendre le pays lui-même. Les astuces des actuels dirigeants soviétiques ne sont pas nouvelles - bien que peintes en rouge, elles ne sont pas fondamentalement différentes de ce que les impérialistes américains font depuis des années.
En 1898, alors que le peuple cubain était sur le point de gagner son indépendance de l’Espagne après s’être battu pendant de longues années, les Etats-Unis sont intervenus sous le prétexte d’aider Cuba contre le colonialisme espagnol. De ce fait, ils ont fait de l’île une néo-colonie pour les Etats-Unis. Le capitalisme de monopole n’étant implanté que depuis peu aux Etats-Unis, ce fut la première guerre impérialiste américaine pour ouvrir de nouvelles régions pour l’export de capitaux américains et pour saisir des sources de matières premières.
Le déluge d’investissement américain vers Cuba a renforcé le nature coloniale et semi-féodale de la société cubaine que des siècles de colonialisme espagnol avaient créé à Cuba. Les impérialistes américains ont soutenu l’autorité des propriétaires fonciers à Cuba et ont créé une poignée de capitalistes dépendants du capital américain, faisant passer Cuba du statut de colonie de l’Espagne à celui de néo-colonie des Etats-Unis, étouffant toute possibilité de progrès. Au moment de la révolution de 1959, le système de la propriété foncière à Cuba était resté pratiquement le même depuis l’époque de l’empire espagnol, et l’économie du pays basée sur la monoculture était stagnante depuis longtemps.
Ce système a mis un fardeau très accablant sur la classe ouvrière rurale et urbaine et sur les petits paysans et les paysans sans terre. En même temps, il a aussi retenu les fortunes de pratiquement tous les propriétaires fonciers les plus riches - la petite bourgeoisie nationale très faible (en tentant de fabriquer le peu de choses qui ne l’étaient pas par les filiales américaines ou importées) et la relativement importante petite bourgeoisie urbaine.
Durant toutes ces années, les travailleurs cubains ont joué un rôle de premier plan dans le combat du pays pour son indépendance et la libération nationale, tout en se battant âprement pour leurs propres intérêts. Ceci a atteint un point culminant dans les années 30 lorsque sous la direction du Communist Party qui existait alors, la classe ouvrière et ses alliés ont déclenché une énorme vague de grèves et de manifestations, y compris des soulèvements armés et l’instauration de soviets (conseil révolutionnaires d’ouvriers) dans les fabriques de sucre.
Le gouvernement fantoche américain existant fut renversé mais fut rapidement remplacé par un coup d’état armé dirigé par Fulgencio Batista. Malgré que la lutte fut très intense pendant les plusieurs années qui ont suivi, la classe ouvrière n’est pas parvenue à consolider son avance et fut finalement refoulée. Alors que se manifestaient ses erreurs passées, le Communist Party est devenu de plus en plus révisionnistes. Dans les années 40, ses dirigeants ont accepté un partenariat dans le gouvernement Batista. Puis, quand Batista les a laissé tomber, ils se retrouvés nulle part et y sont restés jusqu’au début de la révolution de 1959. Ceci a grandement contribué à l’affaiblissement du mouvement ouvrier en tant que force consciente et organisée, bien que les travailleurs n’aient jamais arrêté de se battre pour leurs conditions.

 

Une petite bourgeoisie instable

 

Dans les années cinquante, la petite bourgeoisie était devenue la classe la plus volatile à Cuba. Les groupes politiques qui en provenaient étaient les mieux organisés pour se battre pour leurs intérêts. Le Mouvement du 26-Juillet était issu de la petite bourgeoisie urbaine , 25% de la population de Cuba - des dizaines de milliers d’hommes d’affaires sans affaire, de vendeurs sans ventes, de professeurs sans élèves, d’avocats et de médecins avec peu de patients et de clients, d’architectes et d’ingénieurs pour qui il y avait peu de travail, et ainsi de suite. Dans son « Manifeste » de 1956, il se définissait comme « guidé par les idéaux de démocratie, de nationalisme et de justice sociale … de la démocratie « jeffersonienne » ; et déclarait « la démocratie ne peut pas être le gouvernement d’une race, d’une classe ou d’une religion, elle doit être le gouvernement de tout le peuple » [4].
Ceci exprimait assurément le point de vue de la petite bourgeoisie, sa haine pour la grande bourgeoisie qui la réprimait, son aversion pour la révolution de la classe ouvrière et ses rêves de « démocratie » au-dessus des classes. Son programme pratique visait à restreindre les Etats-Unis et les propriétaires fonciers en mettant fin au système de quota en vertu duquel les Etats-Unis contrôlaient la production de sucre de canne, en limitant la domination des plus grands propriétaires fonciers sur les cultivateurs de taille moyenne, en distribuant les terres arables ou inutilisées aux petits paysans et un système de participation aux bénéfices pour les travailleurs urbains afin d’étendre le marché pour les fabrications nationales et les nouveaux investissements.
Avec ce programme, Castro et un petit groupe ont pris les armes contre le gouvernement Batista dans la Sierra Maestra alors que d’autres jeunes intellectuels et professionnels organisaient la résistance dans les villes. Cette guerre a obtenu le soutien de presque toutes les autres classes excepté de la toute petite poignée de personnes directement attachées aux propriétaires fonciers et aux Etats-Unis. De nombreux travailleurs la soutenaient et s’y sont joints. Dans le combat lui-même, la force la plus décisive fut la petite bourgeoisie rurale, surtout les petits paysans pour qui la lutte armée était l’unique manière de défendre leurs terres contre les propriétaires terriens et l’armée. En grande partie composée de paysans elle-même, l’armée de Batista a rapidement commencé à s’effondrer.
Le gouvernement Batista s’est désintégré après deux ans de combat n’impliquant que quelques centaines de rebelles. Durant les derniers mois, même le gouvernement américain a renoncé à soutenir le gouvernement Batista. Il pensait qu’il était plus probable que le Mouvement du 26-Juillet accepte de trouver un accord que le gouvernement Batista ne survive [5].
Juste après s’être emparé du pouvoir en 1959, Castro s’est rendu aux Etats-Unis pour une « tournée d’amitié », déclarant à New-York, « J’ai clairement, et de manière définitive, déclaré que nous ne sommes pas communistes … Les portes sont ouvertes pour l’investissement privé contribuant au développement de Cuba ». Il a même appelé à un lourd programme d’aide étrangère américaine pour l’Amérique Latine « afin d’échapper aux dangers du communisme ». Mais ces mots n’étaient pas suffisants pour rassurer la classe dirigeante américaine [6].
Malgré le désir proclamé de Castro de bien s’entendre avec le gouvernement américain et le désir des impérialistes américains que Castro soutienne leurs intérêts, rien ne pouvait changer à Cuba sans que ne soient capturés les moulins et propriétés sucrières et que ne soit mis fin au monopole que les affaires américaines détenaient là-bas. Il s’agissait des piliers du système économique et politique qui avaient provoqué la rebellion. Les contester signifiait contester tout le système colonial et son maître mais battre en retraite face à eux n’était pas possible sans tout abandonner.

 

Fidel Castro : « marxiste-léniniste » secret

 

Lorsque Castro a proclamé la première loi de réforme agraire qui limitait la taille des plus grands domaines (une grande partie d’entre eux détenus par des compagnies sucrières américaines), ça a été une énorme pagaille. Les Etats-Unis ont commencé à exercer une pression politique et économique pour renverser l’armée rebelle - qui de fait était maintenant le gouvernement - et à leur tour, les Cubains ont commencé à reprendre les biens de ces forces dont les intérêts étaient opposés à l’indépendance de l’île. En 1961, le gouvernement s’est retrouvé en possession des sections clés de l’économie tandis que les Etats-Unis ont déclenché le vain débarquement de la baie des Cochons.
Plus tôt cette année-là, l’URSS avait envoyé sa première délégation commerciale à Cuba, et Khrouchtchev avait proposé de protéger Cuba avec des missiles soviétiques. Le 1er mai, Castro a annoncé que dorénavant, Cuba serait un pays socialiste. Plus tard cette année-là, il a déclaré qu’il était et qu’il avait toujours été un marxiste-léniniste, expliquant « Naturellement, si nous nous étions mis debout au sommet du Pico Turquino (dans la Sierra) lorsque nous étions une poignée d’hommes et dit que nous étions marxiste-léninistes, il se peut que nous ne soyons jamais parvenu dans la plaine » [7].
Les impérialistes américains se sont servis de cette évolution pour dire que le dirigeant de la révolution avait caché ses véritables intentions depuis le début et avait accédé au pouvoir sous de faux prétextes - en d’autres termes, pour trouver une autre excuse que l’intérêt personnel flagrant en raison duquel ils s’étaient opposés à la révolution cubaine dès qu’elle a touché à leurs biens. Ils ont également utilisé l’annonce soudaine de Castro de calomnier le communisme en disant que c’était comme ça que les communistes opéraient, en glissant discrètement leur système par la porte de derrière sans se donner la peine de dire aux masses ce qui se passe et que les communistes ne se reposent pas réellement sur les masses mais fonctionnent comme des « maîtres de l’escroquerie ».
La grande majorité des travailleurs et des paysans cubains étaient de sérieux partisans de la révolution et très en faveur des mesures qu’elle avait pris ; telles que reprendre les domaines et les moulins et garantir aux petits paysans le droit à leur terre (et dans de nombreux cas, leur en donnant plus), réduire le loyer, l’électricité et d’autres prix, mettant des milliers de travailleurs sans emploi au travail pour construire des hôpitaux, des routes, des écoles, etc, lancer une énorme campagne d’alphabétisation et d’autres dispositions qui ont enlevé une partie du poids qui pesait sur le dos des masses et a permis à leur enthousiasme pour le changement de se manifester concrètement. Et beaucoup de gens étaient enthousiastes à l’idée de passer au socialisme.
Mais le socialisme, ce n’est pas juste une idée, pas une affaire de mots, pas juste la prise du gouvernement. C’est une révolution sociale, une révolution dans les rapports de classes afin que la classe ouvrière ne soit pas juste propriétaire des choses en théorie, mais également en pratique, réelle maître de la production et de la société grâce à la direction de son propre parti marxiste-léniniste impliquant l’autorité politique de la classe ouvrière - la dictature du prolétariat. Sur cette base, la classe ouvrière peut mener des luttes répétées et fructueuses contre la bourgeoisie et ce faisant, est en mesure de transformer les conditions matérielles et de se transformer elle-même afin de progressivement abolir complètement les classes.
Ce n’est pas la route que Castro et ceux qui l’entouraient ont prise, malgré tout leur discours contraire. Ils s’étaient révoltés contre les conditions semi-féodales et néo-coloniales de l’ancien Cuba mais leur position et leur point de vue petit bourgeois qui ont suscité l’envie d’un changement rapide et radical de leur statut ont également provoqué l’ambition de garder - et de renforcer - leur position privilégiée au-dessus des masses de travailleurs et de paysans. Ceci, seul le capitalisme pouvait leur donner. Ce même point de vue de classe les a fait détester et craindre la difficile lutte de classe et les longues années de travail pénible que signifierait l’autorité prolétarienne et la réelle transformation de Cuba. Bien que l’élite intellectuelle petite bourgeoise détestait les laides caractéristiques de capitalisme, d’autant plus qu’il l’avait opprimé, elle ne voulait pas changer la division du travail de la société qui l’avait placée au-dessus des masses, libre de développer sa carrière au lieu de travailler comme pauvre salarié.
Dans les premières années qui ont suivi la révolution, leur position et perspective de classe s’est manifestée dans une ligne politique idéaliste. Cette ligne reflétait le désir des intellectuels révolutionnaires petit bourgeois de voir un monde sans oppression. Mais elle reflétait également leur mépris et leur crainte de l’unique force dans la société qui peut mener le processus de transformation du monde, la classe ouvrière.
La même ligne politique de « gauche » découlant de l’idéalisme de la petite bourgeoisie s’est manifestée dans les activités des dirigeants cubains dans les affaires internationales. Ils ont développé le prétendu « foquisme » dans la lutte dans les campagnes ; il agit comme « détonateur » pour les masses à qui il inspire un soulèvement spontané pour renverser l’ancien régime et mettre au pouvoir leur « héroïque guérilla ». Ceci est contraire à l’expérience de toute révolution communiste fructueuse qui est basée sur la lutte délibérée et organisée des masses. En Chine, par exemple, voici ce que signifiait la guerre populaire : mobiliser la paysannerie, sous la direction de la classe ouvrière, constituer des zones de base dans la campagne, et mener une guerre prolongée. Quand Che Guevara a tenté de mettre le « foquisme » en pratique en Bolivie, il fut tué et toute l’opération fut un fiasco total.

 

Ce sont les gens qui sont déterminants, pas les choses

 

Sous la ligne politique de « gauche » petite bourgeoise, un révisionnisme non-déguisé se faisait de plus en plus jour. Au lieu de mobiliser et de se reposer sur la classe ouvrière pour changer les réelles relations de classe existantes à Cuba pour faire disparaitre l’économie tordue créée par le pillage impérialiste et sur cette base, développer les forces productives, les dirigeants cubains ont cherché quelque chose qui pourrait remplacer les masses et la lutte de classe. Malgré leur discours prônant la construction de « l’homme nouveau », ils se sont de plus en plus basés sur la ligne commune à tous les révisionnistes selon laquelle ce sont les choses qui sont déterminantes et non les gens ; pour que leur version du « socialisme » triomphe à Cuba, il fallait obtenir une capacité productive en provenance de l’étranger. Leur perspective de classe assurait qu’ils ne puissent jamais comprendre que la révolution des rapports de production est la clé du développement des forces productives. Ils pouvaient encore moins comprendre que, selon les termes de Marx, « la plus grande puissance productive, c’est la classe révolutionnaire elle-même ». A la place d’une lutte délibérée des masses, les dirigeants cubains ont cherché à acheter le socialisme en hypothéquant l’économie de l’Union Soviétique.
Lénine a dit « Il est évident que pour abolir totalement les classes, il n’est pas suffisant de renverser les exploiteurs, les propriétaires fonciers et les capitalistes, il n’est pas suffisant d’abolir leur droit à la propriété, il est également nécessaire d’abolir toutes les propriétés privées des moyens de production, il est nécessaire d’abolir les distinction entre ville et pays, ainsi que la distinction entre travailleurs manuels et travailleurs intellectuels. Ceci demande beaucoup de temps ». A Great Beginning.
Voilà la ligne de la classe ouvrière dans la construction du socialisme et de la poursuite de la révolution pour le communisme. A Cuba, cela aurait signifié de mobiliser les travailleurs pour démolir les divisions du travail héritées de la vieille société semi-coloniale. Cela aurait tout particulièrement signifié de changer l’organisation de l’île qui avait presque pour seul but de produire du sucre pour le marché impérialiste global. Mais les dirigeants cubains, en raison de leur position et de leur point de vue petit bourgeois, ont rejeté cette voie.
Castro a dit que le problème principal auquel était confronté la révolution était la manière de « produire l’abondance nécessaire au communisme » - ce qui, pour lui, voulait dire faire le commerce du sucre pour les moyens de production et les machines qu’il sentait que la classe ouvrière ne pourrait jamais produire en ne se reposant que sur ses propres efforts. Et pour faire ceci, le plan des dirigeants cubains équivalait à mettre la substance des anciens rapports de production, sous une forme relativement remaniée - pour travailler à la vitesse maximale et produire les biens à vendre pour obtenir cette richesse. Maintenant, l’acheteur et le « fournisseur » ne serait plus les Etats-Unis mais l’Union Soviétique.
Une fois que cette ligne fut adoptée, l’enthousiasme des masses pour changer la vieille société fut de plus en plus détourné si bien que le rôle de la classe ouvrière, plutôt que de révolutionner la société, fut réduit à travailler dur pour produire l’argent liquide nécessaire. Ainsi, le rapport de production capitaliste de base fut préservé et a renforcé la subordination de la classe ouvrière à la production pour le profit. Plutôt qu’une nouvelle société socialiste, et encore moins communiste, c’était essentiellement la même vieille société avec de nouveaux maîtres. Le rôle des travailleurs était de travailler dur. Les dirigeants cubains sont de plus en plus devenus des bureaucrates capitalistes d’état dépendant d’un pouvoir impérialiste étranger.
Même la ferveur et le désir révolutionnaire du peuple cubain de soutenir les luttes anti-impérialistes, illustrés par leur soutien au peuple du Vietnam, furent déformés pour soutenir les aventures soviétiques à l’étranger contre leurs rivaux américains, comme au Bangladesh et en Angola.
Une fois que fut prise la voie politique élémentaire d’acheter le « socialisme » au lieu de mobiliser et de se reposer sur la lutte de classe de la classe ouvrière et des masses, qui seule pouvait révolutionner la société, la politique économique de base des révisionnistes cubains a suivi aussi sûrement que la nuit suit le jour. L’argent liquide que cherchait Castro ne pouvait être obtenu qu’en préservant et en renforçant l’économie semi-coloniale très disproportionnée qui avait mené à la révolution cubaine en premier lieu. La production de sucre pour qu’il soit rendu à l’Union Soviétique est devenue la base de l’économie politique sur lesquelles dépendaient toutes les combines pour devenir riches rapidement, les proclamations et astuces « socialistes » et qui les servaient. Et cette dépendance économique, à son tour, est devenue la base pour le futur développement de la ligne politique des dirigeants cubains.

 

Source - Traduction : OCML VP

[1Parti ayant aujourd’hui complètement abandonné le maoïsme.

[2Granma, 4 janvier 1976.

[3Jehn E. Cooeny, Wall Street Journal, 16 décembre 1974.

[4« Program Manifesto of the 26th of July Movement », in Cuba In Revolution, Rolando E. Bonachea et Nelson P. Valdes, Edtors.New York, 1972.

[5Ambassadeur américain à Cuba E, T. Smith, The Fourth Floor, New York, 1962.

[6Hispanic-American Report, Mai 1959.

[7Revolucion (organe du Mouvement du 26-Juillet), 22 décembre 1961.

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