Approfondir > Editorial : nous avons deux ennemis !
Editorial : nous avons deux ennemis !
Partisan Magazine N°24 - Décembre 2024
« En fait, on a deux ennemis ». Cette conclusion a été faite par certains sympathisants de VP après discussion. De quels ennemis parlaient-ils ? Des capitalistes et des réformistes.
En réalité, tous ceux qui luttent ont deux ennemis. Voyez les Ukrainiens : si vous faites partie du RESU (le réseau européen de solidarité avec l’Ukraine) ou si vous vous informez grâce à ses publications, ou si vous vous informez tout simplement, vous savez que les travailleurs en Ukraine ont un ennemi principal, l’impérialisme russe, et un ennemi secondaire, le gouvernement Zelensky, pro-occidental, pro-capitaliste, et anti-social. Les Palestiniens, de leur côté, ont pour ennemi principal le colonialisme génocidaire du sionisme, mais ils ont, secondairement, le problème de leurs dirigeants politiques, le réformisme bourgeois de l’OLP, le programme dictatorial, théocratique et patriarcal du Hamas.
Beaucoup, autour de nous, ont trouvé tout-à-fait juste que nous ne nous contentions pas d’un « soutien inconditionnel » aux Palestiniens, mais que nous ajoutions à notre soutien inconditionnel au peuple une critique ferme de la direction politique du Hamas. Quelques-uns ont jugé, et là aussi c’est une réaction habituelle, que toute critique de la direction de la lutte faisait le jeu de l’ennemi principal. Vous lirez cela dans ce numéro de Partisan.
En réalité, tous ceux qui luttent ont deux ennemis parce qu’ils ont un ennemi principal, externe, et un ennemi secondaire, interne. C’est notre cas à nous aussi, bien sûr, en France.
Notre ennemi principal est d’ailleurs de plus en plus impitoyable. Sa démocratie se révèle de plus en plus être une dictature de classe. Un référendum perdu – pourtant approuvé même par la direction de la CGT -, sur le traité constitutionnel européen en 2005 : ils s’en foutent. Une révolte populaire jusque dans les beaux quartiers de Paris – les Gilets jaunes : ils s’en foutent. Une Assemblée nationale qui votent mal : 49-3, et ils s’en foutent. Un peuple qui vote mal (été 2024) : ils s’en foutent. Ils n’obéissent qu’à un seul maître : le marché mondial, autrement dit le Capital. Après avoir symboliquement supprimé l’ISF, soutenu les entreprises pendant le Covid, maintenu le CICE de François Hollande, toléré l’évasion fiscale, affecté 413 milliards à l’armée, ils se préoccupent, ce n’est pas nouveau, de limiter la dette et imaginent maintenant mille et une manières de taper dans nos portemonnaies. Ils réduisent même les indemnités des chômeurs à une misère au moment où se profile une nouvelle vague de licenciements. Ils ne nous supportent que passifs, résignés, écrasés, dans le désespoir et la peur. Toute autre attitude est inadmissible. A l’extérieur, la continuité coloniale de l’impérialisme ne peut plus se cacher, concernant la Palestine, le Sahara occidental, la Kanaky, la Martinique, Mayotte…
Ce tableau n’est pas exagéré, vous le savez. Vous savez bien que les ouvriers, les immigrés, les femmes, les colonisés ne sont tolérés que comme victimes, pas comme militants. A la rigueur, comme militants réformistes.
Car nous avons un ennemi secondaire, interne. Lui ne nous tolère que réalistes, pacifiques, voire passifs, faisant confiance à nos élus, n’oubliant pas de cotiser, et surtout de bien voter. C’est un ennemi moins évident, parce qu’il est dans notre camp, et même à sa tête. L’ennemi principal, externe, est plus facile à cadrer, mais plus difficile à vaincre. L’ennemi secondaire, interne, est plus complexe à situer – il est trop proche, mais il est plus à notre portée, plus facile à battre. C’est même un préalable, avant d’engager une lutte, que de se mettre d’accord, de se compter, de se préparer.
Evidemment, à lutter contre les réformistes, on apparaît comme des diviseurs, des fouteurs de merde, qui vont à l’encontre du désir profond d’être unis et le plus nombreux possible. Mais voyons, Marx et Lénine n’ont-ils pas été que des diviseurs et des fouteurs de merde ? Marx a d’abord lutté contre les valeurs abstraites et religieuses (« Tous les hommes sont frères », l’humain d’abord !), pour fonder la Ligue Communiste en 1847. Puis contre Bakounine, les libertaires, les quarante-huitards spontanéistes, au sein de l’Association Internationale des Travailleurs, créée en 1864. Enfin, contre le « possibilisme » du parti socialiste ouvrier d’Allemagne et des Chartistes anglais. Possibilisme que Engels définissait ainsi dans une lettre (à Sorge, 8 juin 1889) : « vente du principe à la bourgeoisie contre des concessions dans le détail, et surtout contre des postes bien payés pour les chefs ».
Lénine a mené la lutte, théorique, politique et organisationnelle, contre les populistes, les liquidateurs, les socialistes-révolutionnaires, les trotskistes, les mencheviks… Voilà comment on unifie la classe ouvrière et comme on l’organise !
Dans la situation de crise généralisée dans laquelle nous vivons, crise économique, financière, sociale, écologique, sexiste, de concurrence inter-impérialiste croissante et de préparation de guerre, la première chose à faire est de savoir quoi faire. Mais nous venons de le dire : il faut unifier notre classe, et l’organiser !
Vous verrez, à la lecture de ce n° de Partisan, que c’est bien l’esprit qui nous anime. Il aborde en particulier trois sujets d’actualité, objet chacun de polémique : la situation nationale, la Palestine, l’écologie. Sans oublier, donc, nos ennemis secondaires. Mais la polémique, c’est bien la base d’une unité réelle.
Ne soyons donc pas résignés, inquiets et fatalistes. Ne soyons pas réalistes, espérant tout au plus une belle Assemblée nationale ou une belle grève « tous ensemble ». Soyons communistes. Voyons toutes les révolutions qui couvent ou éclatent dans le monde, comme au Bangladesh cet été. Elles nous disent : « Prolétaires, unissez-vous ! »
« Le pouvoir d’une centaine peut-il surpasser celui d’un millier ? Oui, lorsque cette centaine est organisée » (Lénine, cité par Nina Gourfinkel). Quand l’ennemi secondaire est vaincu, tout espoir est permis !

