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A nouveau sur le soutien à la résistance palestinienne

Partisan Pagazine N°24 - Décembre 2024

Dans notre numéro précédent de Partisan Magazine (N°23), nous abordions les questions politiques de la Résistance Palestinienne (https://ocml-vp.org/article2621.html)
La guerre et le génocide ne faiblissent pas, la colère et la révolte dans les peuples du monde non plus face à la barbarie fasciste du sionisme. Mais la colère, la haine, la révolte et la solidarité internationale doivent prendre du recul à partir de l’émotion légitime. Il faut avoir un point de vue, réfléchir, s’organiser aujourd’hui dans le soutien pour prévoir l’avenir.

Nous poursuivons notre réflexion, d’autant plus qu’autour de nous celle-ci s’efface, c’est une certaine vision du soutien « inconditionnel » à la Résistance Palestinienne qui s’impose progressivement.
Alors reprenons ce que nous avons glané depuis six mois, avec lequel nous ne pouvons pas être d’accord.

Nos premiers contradicteurs ne nous étonnent pas, il s’agit du Comité d’Action Palestine de Bordeaux. C’est un collectif auquel nous avons déjà été confrontés dans le passé, dirigé par des réactionnaires religieux islamistes. En 2014, nous avions polémiqué avec lui sous le titre « Pas d’antisémites dans le soutien à la Palestine et à Georges Abdallah ! » (https://ocml-vp.org/article1345.html).
Dans la manifestation lyonnaise de soutien à Georges Abdallah le 15 juin, ce collectif distribuait un tract (https://www.comiteactionpalestine.org/word/revolution-et-contre-revolution-en-palestine/) dont nous extrayons la conclusion :
« Ainsi, le 7 octobre a tracé une ligne de démarcation claire entre le camp de la révolution et le camp de la contre-révolution. Il va de soi que les pays impérialistes et leur partis politiques de gouvernement sont tous alignés pour écraser dans le sang la révolution palestinienne. Il est inutile de s’étaler sur les partis de gauche qui agitent hypocritement la solution des deux Etats. Il reste le cas particulier de l’extrême gauche qui, selon toutes les apparences, soutient la résistance du peuple palestinien. Mais ce soutien reste conditionné. Au lieu de soutenir sans condition le camp de la révolution palestinienne avec toutes ses organisations armées, certains mouvements dits de la gauche radicale s’ingénient à classer les organisations islamiques dans le camp des réactionnaires. Cette gauche fait fausse route sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, sauf que dans la situation actuelle c’est apporter un soutien indirect à l’impérialisme qui propage massivement l’idée que sa lutte est une lutte contre la barbarie islamique.
En taxant de réactionnaires les forces de la résistance les plus importantes et les plus déterminées, les gauchistes s’excluent de facto du camp de la révolution et deviennent les alliés objectifs de la contre-révolution. Ils se targuent de combattre l’islamophobie en France, mais ils l’alimentent dans le cas palestinien. Outre le fait qu’ils sont les dignes héritiers du laïcisme civilisateur, les gauchistes s’excluent de facto aussi de l’héritage marxiste et des enseignements théoriques des pères fondateurs de la théorie révolutionnaire. La pensée dialectique marxiste n’a pas une approche figée du religieux. Dans un cas, le religieux peut être opium du peuple. Ce qui est valable pour la doctrine religieuse saoudienne. Il peut être émancipateur et mobilisateur dans le cas palestinien. La dichotomie progressistes- réactionnaires est une fausse dichotomie. La véritable dichotomie oppose le camp de la révolution au camp de la contre-révolution. Lénine disait que la théorie révolutionnaire n’est jamais que l’analyse concrète des situations concrètes. Le gauchiste, lui, reste figé dans le dogme. Et dans le camp de la contre-révolution.
 »

Alors, nous persistons et nous signons. Oui, il y a des forces réactionnaires dans la résistance palestinienne, dont le Hamas est l’exemple le plus éclatant, et affirmer cette évidence ne nous range pas pour autant dans le camp de l’impérialisme et de la contre-révolution. Outre le verbiage prétendument marxiste, on retrouve un fondamental de la période actuelle : il existe une seule contradiction au Proche Orient, celle entre l’impérialisme occidental et ses alliés (le sionisme, les régimes arabes) et la Résistance Palestinienne unifiée et sans contradiction. Nous avons déjà critiqué cette conception dans notre numéro précédent : jamais nous ne soutiendrons un projet politique et idéologique qui vise à transformer la Palestine en république islamique du type de celle des mollahs en Iran.
Le marxisme, le léninisme, le maoïsme sont libérateurs, jamais ils ne défendront un état religieux, jamais ils ne défendront un projet politique réactionnaire, même s’ils peuvent reconnaître la participation de forces réactionnaires dans un combat juste (c’est le cas aujourd’hui) et envisager des alliances ponctuelles avec elles. Mais alliance ponctuelle ne veut pas dire soutien politique. Et précisément la tâche des communistes est de défendre leur indépendance, leur projet démocratique et populaire, laïque et progressiste pour préparer un avenir socialiste. Nous l’affirmons à nouveau : on récoltera demain ce qu’on sème aujourd’hui, et on récolte aujourd’hui ce qu’on a semé hier.

Nos contradicteurs suivants sont plus surprenants, parce qu’ils ne peuvent pas eux être soupçonnés de positions réactionnaires (à la différence du CAP Bordeaux). Mais nous avons sursauté à la lecture du communiqué commun du 7 octobre 2024 de la Ligue de la Jeunesse Révolutionnaire (maoïste, liée au PCm) et de la revue Supernova de Marseille, rassemblement local de marxistes de diverses origines (voir https://www.causedupeuple.net/2024/10/07/communique-un-an-apres-le-07-octobre-le-deluge-dal-aqsa-continue-de-rugir-et-de-deferler-pour-la-liberation-de-la-palestine/).
On retrouve la même analyse simpliste que celle du CAP Bordeaux : il existe une seule contradiction, celle entre l’impérialisme occidental et ses alliés et le peuple palestinien considéré comme unifié et sans contradictions : on soutient ou on ne soutient pas, point barre. Pas un mot sur les autres puissances impérialistes, la Russie, la Chine, pas un mot sur l’Iran et les puissances arabes réactionnaires, soutien explicite au Hezbollah, au Hamas, aux Houtis du Yemen, pas un mot sur les forces laïques comme le FPLP, tout cela pour affirmer sans nuance que « La lutte palestinienne est aujourd’hui le fer de lance de la lutte contre l’impérialisme : c’est un des soleils se levant sur le nouveau monde. Elle est le porte-drapeau des opprimés, le centre de la Révolution Prolétarienne dans le monde. ». Avec l’Iran, le Hamas et le Hezbollah comme direction politique et idéologique – ça c’est nous qui rajoutons.
C’est un alignement pur et simple sur le soutien inconditionnel y compris aux forces les plus réactionnaires de la résistance, en reprenant sans aucune réserve leur logique politique et militaire, qu’il s’agisse du 7 octobre ou du prétendu « Axe de la Résistance », propulsé par l’Iran. Ce n’est finalement pas si loin des positions du CAP Bordeaux…
C’est en tous les cas à mille lieux du marxisme, du léninisme et du maoïsme qui nous ont appris à distinguer qui sont nos ennemis, qui sont nos amis, en distinguant à nouveau entre les amis temporaires et tactiques qu’il faudra combattre plus tard, et les vrais amis fidèles et sincères, sur le fond politique et militaire. On s’interroge vraiment sur la conception de la Révolution Prolétarienne mondiale portée par ces camarades… Les Femmes iraniennes doivent s’interroger…

En passant, il faut également critiquer le discours triomphaliste, très en vogue lui aussi. L’idée selon laquelle « quoiqu’il arrive le peuple palestinien finira par l’emporter, car c’est le sens de l’Histoire », est assez unilatérale. L’Histoire ne manque hélas pas d’exemples contraires, de peuples défaits pour des siècles.
La situation stratégique des Palestiniens est bien plus difficile que ne l’étaient celles des Algériens ou des Sud-Africains. Ce triomphalisme permet à bon compte d’esquiver les débats de fond sur la stratégie, la tactique et le programme politique d’un mouvement de libération nationale. Car au fond, si la victoire est irrémédiable, tout cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas ? L’orientation prise par un mouvement de libération est une condition de sa victoire et les débats politiques ne sont pas un luxe et une nécessité.
On retrouve ici les mêmes erreurs que celles et ceux qui affirment la chute inéluctable du capitalisme, dans une sorte de catastrophisme économique à l’échelle planétaire qui provoquerait automatiquement la révolution mondiale. Plus besoin de réflexion, de projet, juste de souffler sur toutes les braises existantes, la seule conviction anarchiste qu’« il faut que ça pète »…

Enfin, nous voulons revenir sur les positions du FPLP. Dans notre dernier numéro, nous écrivions « Et il semble que le dernier congrès du FPLP ait marqué une réorientation à gauche, mais nous n’en savons pas beaucoup plus et nous n’en voyons en tous les cas pas la marque ». Nous sommes en mesure d’en dire un peu plus, et malheureusement pas dans le bon sens.
• Lors de la mort du président iranien en mai dernier, le FPLP s’est fendu d’un communiqué officiel (sur Telegram), en arabe et en anglais : « Le Front populaire fait l’éloge du défunt président iranien et affirme qu’il a consacré sa vie au service de son pays et qu’il a œuvré, tout au long de sa présidence, au développement de la République islamique à tous les niveaux, contribuant à sa transformation en une force régionale, équilibrée et influente dans la région et dans le monde. Il a également fait un effort important pour soutenir la cause palestinienne et la résistance palestinienne, en particulier, lors de la bataille du « Déluge d’Al-Aqsa ». »
Rappelons que le défunt président iranien était surnommé « le boucher de Téhéran », ancien procureur qui avait participé aux milliers de condamnations à mort d’opposants à la fin des années 80 en Iran. C’était un despote sanglant de la pire espèce, dont la mort a été fêtée partout en Iran, qu’il brûle en enfer ! Alors lire que « au nom de tout le peuple palestinien, j’adresse mes plus sincères condoléances au peuple iranien et à ses dirigeants pour cette grande perte et ce douloureux accident », c’est assez insupportable.
• Par ailleurs, concernant Samidoun, organisation de défense des prisonniers politiques liée au FPLP, elle a d’un côté défendu sans nuances les Houthis du Yemen, et vient de recevoir le « prix des droits de l’homme islamique » délivré officiellement par la République Islamique d’Iran. C’est quand même à vomir d’accepter ces relations. On est d’ailleurs assez surpris du silence à ce propos des forces qui en France se revendiquent de Samidoun…
• Manifestement le FPLP s’aligne de plus en plus sur l’Iran et ses relais locaux, et cela n’augure rien de bon pour l’avenir.

En conclusion, la tendance dans le mouvement de soutien est à l’évidence au soutien inconditionnel, y compris aux forces les plus réactionnaires. Notre soutien au peuple palestinien est inconditionnel, nous le rappelons, mais nous regardons d’un œil critique les orientations qui lui sont proposées pour construire son avenir.
Et nous c’est aussi pour cela que nous sommes attentifs aux forces progressistes, même embryonnaires, aux militant.e.s porteurs d’un autre discours. Comme l’ODSI (Initiative pour un Etat démocratique unique), comme le point de vue des femmes iraniennes de Roja ou comme les propos de Ramy Saath, vieux militant palestinien dont nous rapportons les propos sur ce site (https://ocml-vp.org/article2673.html).
Nous le répétons encore une fois : on récoltera demain ce qu’on sème aujourd’hui.

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