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Quelques questions qui m’ont fait arrêter de militer à VP

Cause du Communisme N°11 - 1990

Cette lettre et la réponse qui suit s’inscrivent pleinement dans le débat sur l’Impérialisme et ses rapports au Tiers-Monde. C’est pourquoi nous avons choisi de les publier.
Le camarade était un militant sénégalais d’origine intellectuelle, issu du mouvement marxiste-léniniste de son pays.

Quelques questions qui m’ont fait arrêter de militer dans V.P.

1 - Dans les métropoles impérialistes la bourgeoisie a considérablement étendu sa domination politique et idéologique. Elle a forgé un consensus qui s’appuie sur l’exploitation des pays dominés.

2 - Ainsi en France et dans les autres métropoles, le mouvement ouvrier a abandonné ses objectifs révolutionnaires. Les luttes qu’il mène demeurent essentiellement des luttes pour le partage.

3 - Le discours radical ne repose plus sur une classe porteuse. Il en résulte une marginalisation des organisations révolutionnaires. Ces organisations sont politiquement les exclus du consensus social. Pour être crédibles, elles se transforment en syndicats radicaux. Les revendications avancent, mais la révolution recule.

4 - Pendant ce temps, la misère s’étend dans les pays dominés qui jouent le rôle de soupape de sécurité pour les métropoles.

Le militant d’un pays dominé que je suis n’a plus sa place dans une organisation française classique. Les réformes servent au consensus dans les métropoles et accentuent l’exploitation des peuples du "Tiers Monde".

A la suite de ce constat plus qu’amer, je ne me sens plus la force de mener ni une activité politique ni une activité théorique pour les besoins de V.P. Cette rupture est bien plus profonde et douloureuse que mes remises en cause du début.


Réponse à ta lettre

Reprenons d’abord ta lettre point par point

1- Dans les métropoles impérialistes, la bourgeoisie a forgé un consensus qui s’appuie sur l’exploitation des pays dominés écris-tu. Consensus d’accord, mais il nous parait unilatéral de dire qu’il s’appuie sur l’exploitation des pays dominés. Nous voyons dans l’attitude de la classe ouvrière vis-à-vis des peuples des pays dominés plus la passivité de celui qui ne veut pas trop se poser des questions embarrassantes qu’un véritable consensus actif. Effectivement, la bourgeoisie s’appuie sur cette passivité pour réaliser ses forfaitures "au nom de la France" Mais ce n’est quand même pas pareil quant à la situation idéologique de la classe ouvrière vis-à-vis de l’impérialisme. Par exemple, rares ont été les exemples de solidarité concrète d’ouvriers pour la lutte d’indépendance du peuple algérien, mais il n’y a pas eu non plus de mobilisation populaire en faveur (!) de la répression, ni de rejet systématique du projet d’indépendance. De la même façon aujourd’hui, la classe ouvrière essaie de préserver son niveau de vie attaqué par la crise du système. Elle le fait sans se préoccuper des conséquences de sa lutte sur les peuples des pays dominés, mais sans demander explicitement que la crise soit reportée sur eux. Sauf les secteurs aristocrates pour qui effectivement on peut parler de consensus réel et actif.

Et nous avons des exemples à travers l’activité de VP [parmi les derniers, Alsthom/Azanie et Renault/Kanaky] où la passivité a pu être transformée en opposition à l’impérialisme français, preuve que cette passivité ne traduisait pas un consensus actif, mais une soumission relative faute de clarté politique et d’alternative.

D’autre part, il apparait dans ton texte que, pour toi, le niveau de développement dans les pays impérialistes repose uniquement sur l’exploitation des peuples dominés. Ce qui te conduit d’ailleurs logiquement à mettre bourgeoisie et prolétariat dans le même camp.

C’est faux. L’accumulation primitive du capitalisme en Europe s’est faite sur le dos de la paysannerie sous le féodalisme. Ensuite, le développement des forces productives a connu un bond avec la révolution industrielle du 19ème siècle, sur les bases de laquelle s’est développé le colonialisme. Et l’impérialisme est le fruit ultime de ce développement inégal. En conséquence, on ne peut réduire le caractère impérialiste de la bourgeoisie à l’exploitation des peuples dominés. Une part importante de sa force vient de l’exploitation très intensive [liée au développement poussé des forces productives] de la classe ouvrière multinationale dans les métropoles. Evidemment, cela donne une place différente à la contradiction bourgeoisie/prolétariat alors que sa situation dans une métropole est pour certains le signe qu’elle ne se situe plus qu’en termes de partage du gâteau [ce à quoi il nous semble débouche ta position], pour nous, cela signifie que la classe ouvrière est porteuse de l’éradication du capitalisme là où il a été porté à son point culminant et où se noue le cœur du système impérialiste,

2- Dans les métropoles, le mouvement ouvrier a abandonné ses objectifs révolutionnaires. Les luttes qu’il mène demeurent essentiellement des luttes pour le partage.
Entièrement d’accord ! Cela correspond à l’analyse de VP sur l’absence en France de Parti communiste et sur la conception de la classe ouvrière comme spontanément réformiste, comme se situant dans sa lutte quotidienne [en dehors des périodes révolutionnaires] à l’intérieur des rapports sociaux dominants. N’est-ce pas d’ailleurs la même chose dans les pays dominés ? N’est-ce pas seulement dans les pays où la classe ouvrière est plus forte et où commence à émerger la conscience de ses intérêts propres de classe [Brésil, Corée du Sud, Azanie] que sa lutte débouche sur la question du pouvoir [au moins sous la forme de la critique de la nature de classe du pouvoir en place] ?

Mais un autre aspect essentiel de la théorie marxiste est que malgré cette tare liée à sa situation de classe dominée, la classe ouvrière est et reste la seule classe porteuse du communisme. Connais-tu un exemple historique où l’avancée vers le communisme s’est faite en dehors de la classe ouvrière [en tant qu’intérêts généraux et que classe dans la société] ?
Le problème qui est alors posé, auquel tous les révolutionnaires sont confrontés, est comment faire passer la classe ouvrière de la lutte pour le partage à la lutte pour la direction collective de toute la société. Tu as d’ailleurs toi-même apporté ta pierre à ce processus dans VP, et il a eu des conséquences notables sur notre activité.

3- Le discours radical ne repose plus sur une classe porteuse. D’accord au sens de l’absence de Parti. Pas d’accord si c’est pour signifier que la classe ouvrière n’a plus de rôle historique à jouer, ce qui reviendrait pour nous à assimiler la classe ouvrière entière à sa frange aristocrate. Ce qui est non conforme à sa réalité concrète tant matérielle qu’idéologique.
Pour être crédibles, les organisations révolutionnaires se transforment en syndicats radicaux. Oui, l’opportunisme a des bases très fortes dans la société impérialiste, que l’on doit combattre. Mais on le fera, non pas en niant le combat revendicatif quotidien de la classe ouvrière, sous peine de se condamner à l’impuissance politique, non plus en cherchant des hypothétiques réformes révolutionnaires pures. Mais en éduquant la classe ouvrière, dans ses luttes quotidiennes, sur leurs limites et les moyens de les dépasser.

4- La misère s’étend dans les pays dominés qui jouent un rôle de soupape de sécurité. Oui [et la misère s’étend aussi dans les métropoles, qui ne sont pas aussi socialement homogènes que tu as l’air de le penser !]. Oui, la crise est reportée au maximum sur les pays dominés. De ce constat, on peut néanmoins tirer des leçons divergentes. Pour nous, la conséquence la plus importante est de mettre en évidence le caractère mondial des bouleversements à réaliser, et l’inter-relation des processus nationaux. Tout en pensant que l’importance des métropoles dans le processus de domination, et le caractère plus achevé du capitalisme en leur sein, en font un lieu incontournable de l’avancée au communisme.

Venons-en plus directement au travail de VP. Tu nous traite d’organisation française classique, c’est-à-dire de pro-impérialiste comme les autres. Constat sévère ! Nous ne jugeons pas que tout ce que fait VP revient à un aplatissement devant le réformisme de la classe ouvrière. Il y a cet aspect juste des conséquences pour la classe ouvrière de vivre dans un pays impérialiste qui doit être davantage pris en compte. Nous avons commencé, en partie avec ton aide.

Nous continuerons, en particulier en avançant dans l’analyse des contradictions de classe en France et des rapports sociaux-économiques entre métropoles et pays dominés. Tu sais que ces analyses ne sont pas que des mots, mais auront des conséquences sur notre activité. Alors permets-nous à notre tour de te poser quelques questions quant à ton analyse politique
-  Ta connaissance pratique et politique de la classe ouvrière dans les métropoles est-elle suffisante pour la juger complètement aristocratisée comme tu le fais ?
-  Tu t’es rendu compte comme nous de ce que cette vision de la classe ouvrière peut être transposée à la classe ouvrière des pays dominés. Sur quelles classes ou couches comptes-tu alors t’appuyer pour renverser le système, armées de quelle théorie ? Suppositions de notre part : il y a au Sénégal un fort courant issu de AJ [And Jëf] qui a rejeté la classe ouvrière, se réfugie vers la jeunesse et le lumpen comme alternative à ses déceptions. Quel projet politique donner à ces couches, comment les organiser durablement, les réponses ne sont pas données et le mouvement se condamne à l’impuissance. L’exemple de Sankara lui-même ne montre-t-il pas que le contournement de la classe ouvrière est une impasse politique ?

Le choc de la transition Sénégal-France nourrit ta réflexion politique, pour ton bien et le nôtre. Tu tenais le bon bout et d’un coup, tu jettes la corde entière. Pour nous, cette liquidation va toi aussi de condamner à l’impuissance, parce que tes thèses ne s’appuient plus sur l’analyse matérialiste de la réalité. Nous t’appelons à confronter à nouveau ces thèses à la réalité.

La commission Impérialisme (anti ?) et le CD

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