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Vers une voie palestinienne alternative ?

Partisan Magazine N°18 - Décembre 2021

Dans la deuxième moitié des années 1980, les Palestinien-ne-s des territoires occupés (c’est-à-dire les habitant-e-s de la partie de la Palestine conquise en 1967, qui contrairement aux Palestinien-ne-s de 1948 vivent sous le contrôle permanent de l’armée) ont lancé la guerre des pierres, la première Intifada. Cet événement a eu un très fort impact international. Jusque-là, la propagande israélienne présentait la résistance palestinienne comme des groupes « terroristes » formés et dans les camps de réfugiés des pays voisins, des mercenaires fanatisés et totalement coupés des Palestinien-ne-s de l’intérieur. Les peuples du monde découvraient des hommes, des femmes, des enfants, des travailleurs et des travailleuses qui après 20 ans d’occupation et de colonisation étaient encore près à risquer leur vie pour défendre leur liberté. A coups de pierres, comme dans l’histoire de David et Goliath. L’image internationale d’Israël a été fragilisée, mais elle n’a pas été la seule touchée. L’intifada a montré l’affaiblissement de la direction de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), alors en exil en Tunisie et sans réel impact sur les évènements et la montée en puissance des groupes de gauche, entre autres du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) et de ses comités populaires à la base.

L’impérialisme et les régimes arabes voisins, jugeant que cette situation révolutionnaire risquait de faire tache d’huile ont alors organisé une conférence de « paix » à Madrid en 1991, rassemblant pour la première fois les représentants israéliens et des négociateurs palestiniens, issus du Fatah de Yasser Arafat, mais qui n’avaient consulté ni leur base, ni les autres composantes de l’OLP. Ils se sont engagés dans un « processus de paix » qui devait se révéler rapidement une voie de garage. A partir de 1993 on a vu se créer une « autorité palestinienne » sans légitimité démocratique, administrant le morceau de territoire que lui concédait Israël et y menant la répression contre les groupes révolutionnaires.

Cette fiction d’indépendance ne trompe plus personne en Palestine. Depuis la guerre de 2002 contre la 2e intifada, deux lambeaux de territoire maintiennent la fiction d’une Autorité Palestinienne, l’un (la Cisjordanie) sous la direction de Mahmoud Abbas (Fatah), l’autre (la bande de Gaza) sous la direction du Hamas. Les deux partis s’opposent depuis 15 ans sur l’organisation d’un scrutin qui les départagerait. Pendant ce temps les Palestinien-ne-s de la diaspora restent en exil, les Palestinien-ne-s des territoires subissent toujours l’occupation et la colonisation et les Palestinien-ne-s de 1948 les discriminations quotidiennes.

Face à cette situation bloquée, une importante dynamique de résistance populaire se développe depuis plusieurs années et appelle la constitution d’une nouvelle dynamique politique. C’était le but de la Conférence Masar Badil qui réunissait des représentant-e-s du FPLP, des syndicalistes, des féministes, des familles de prisonnier-e-s, des représentant-e-s de la société civile palestinienne (de l’intérieur et de la diaspora), ainsi que des mouvements de solidarité internationale. Cette conférence s’est tenue à Madrid en octobre-novembre 2021 pour ouvrir une « Voie Alternative Palestinienne », en rupture avec le « processus de paix » négocié dans la même ville trente ans plus tôt.

La tenue de cette conférence est un signe encourageant : quelque chose est en train de bouger dans le rapport de force politique palestinien. Il est trop tôt pour dire si c’est le début d’une nouvelle ère pour la résistance. Le FPLP milite depuis longtemps pour une démocratisation de l’OLP, avec intégration de représentant-e-s du Hamas et du Mouvement du Jihad Islamique Palestinien. Du coup, ils concentrent leurs coups contre l’autoritarisme et le clientélisme du Fatah en Cisjordanie, alors que le Hamas ne fait guère mieux à Gaza. Aujourd’hui tous les partis nationalistes bourgeois qui s’entredéchirent pour des bouts de territoires sont des obstacles à la libération de la Palestine et des adversaires de toute dynamique populaire. Les vrais alliés des Palestiniens sont les peuples voisins et les travailleurs du monde entier. On l’a vu en 2011, quand le « printemps arabe » en Egypte a failli ouvrir en grand la frontière sud de Gaza.

DECLARATION DE MADRID

Pendant quatre jours, la Conférence de la voie alternative palestinienne (Conférence Masar Badil) s’est réunie dans la capitale espagnole, Madrid. Cette conférence coïncidait avec le 30e anniversaire de la tristement célèbre conférence de liquidation de Madrid en 1991 et constituait une réponse pratique et populaire à la voie catastrophique d’Oslo et à ses conséquences, afin d’affronter les politiques du colonialisme sioniste et les régimes de capitulation et de normalisation.

Les participant·e·s à la conférence ont adopté les positions politiques suivantes :

Notre peuple palestinien, qui mène la bataille pour la libération nationale depuis 104 ans en affrontant le colonialisme sioniste, est conscient, grâce à sa longue expérience de lutte, de l’importance de l’unité populaire palestinienne dans les domaines de la lutte, du combat et de la résistance, et de la nécessité d’un consensus sur les objectifs directs et la stratégie générale qui protège sa lutte et préserve ses réalisations, son identité, son unité, sa dignité et ses droits nationaux.

Sur cette base, nous appelons les forces de la résistance palestinienne, les différents corps nationaux et populaires, les mouvements de jeunesse, étudiant·e·s et féministes, les comités de boycott et d’anti-normalisation et toutes les masses de notre peuple en lutte dans la patrie occupée et dans toute la diaspora à s’unir nationalement pour établir un front national palestinien uni pour résister au colonialisme sioniste dans toute la Palestine, s’affronter au mouvement sioniste et ses alliés dans le monde, travailler à briser tous les cycles de siège en développant la capacité de notre peuple palestinien à restaurer et libérer ses institutions, et à renforcer la position et le rôle du mouvement de libération palestinien et sa présence active dans les arènes arabes et internationales.

Notre conférence considère que l’Organisation de libération de la Palestine est une institution confisquée et détournée, dont le processus décisionnel est dominé par un secteur de classe corrompu, agissant en tant qu’agents du colonialisme sioniste, et une direction faible manquant de légitimité révolutionnaire, populaire ou légale. Sur cette base, nous considérons que l’Organisation et sa direction, dans leur forme actuelle, ne nous représentent pas et ne peuvent pas représenter les luttes et les droits de notre peuple.

La conférence appelle donc toutes les forces populaires, les associations et les organisations affiliées au Mouvement alternatif de la voie révolutionnaire palestinienne à intensifier le rythme de la lutte de masse à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine occupée et à affronter le projet de liquidation de « l’administration autonome » sur la voie de son isolement et de son renversement.

Le Mouvement alternatif de la voie révolutionnaire palestinienne s’engage à travailler à l’escalade de la lutte politique et publique, et de la lutte dans les champs de confrontation, contre la liquidation et la reddition, qui a été incarnée et à commencé avec la signature des Accords de Camp David en 1978 entre le régime de Sadate et l’entité sioniste sous les auspices américains, et de faire face aux résultats de l’étape de Madrid-Oslo, à l’accord de Wadi Araba de 1994, et à tous les accords économiques et de sécurité signés entre les pôles réactionnaires des régimes arabes officiels avec l’entité sioniste, dont le dernier en date est ce qu’on appelle les « accords d’Abraham ». Nous les considérons comme des accords et des traités invalides et illégitimes.

Le Mouvement alternatif de la voie révolutionnaire palestinienne insiste sur la nécessité de renforcer l’unité du camp de la résistance en Palestine, dans la région arabe et dans le monde, qui comprend de multiples mouvements politiques et intellectuels et embrasse les différentes couleurs du spectre arabe et islamique, de l’océan au Golfe. Seul ce camp populaire est capable de faire face aux forces du colonialisme, de l’impérialisme, du racisme et de l’exploitation, d’accomplir le projet du retour, de libérer les terres palestiniennes et arabes, et de renverser l’approche de la capitulation et de la normalisation menée par les Etats-Unis et les régimes réactionnaires et leurs agents dans la région.

Dans le même temps, nous affirmons que la tâche de développer la capacité du camp de la résistance et la cohésion de notre front interne exige un dialogue interne franc entre ses différents courants et pôles nationaux et sociaux d’une manière qui sert la libération de nos peuples de la tyrannie de la domination extérieure et des régimes d’oppression et de tyrannie à l’intérieur, et à réaliser une indépendance nationale complète. Cela renforce la capacité des peuples à protéger leurs richesses et leurs capacités nationales et à sauvegarder la paix civile dans notre grande patrie arabe, de l’océan au Golfe.

Nous réaffirmons notre position ferme et fondamentale sur la nécessité de respecter la lutte des femmes palestiniennes et la participation active des femmes palestiniennes, et de respecter leur rôle central de leadership dans la lutte palestinienne et dans le mouvement national palestinien, sur la voie de la réalisation de la pleine participation et de l’égalité dans le cadre de notre projet de libération nationale et sociale.

La tenue de notre conférence populaire à Beyrouth, Madrid et Sao Paulo, sous la bannière de la Palestine et sous les auspices de notre peuple en lutte, 30 ans après la conférence de liquidation de Madrid de 1991 et 28 ans après le désastreux et traître accord d’Oslo de 1993, l’organisation de notre marche populaire et internationale lancée sous le slogan « Toute la Palestine de la mer au Jourdain », nos positions documentées et déclarées, et la culture de l’autonomie, sont autant de preuves qui confirment la justesse de la boussole de lutte claire de notre nouvelle voie révolutionnaire face aux forces du colonialisme sioniste et au projet de capitulation.

Nous nous engageons à affronter l’approche de la normalisation avec les institutions et l’entité ennemie. En même temps, nous affirmons le renforcement des relations de lutte avec les diverses forces et personnalités juives militantes, antisionistes et antiracistes, qui soutiennent les droits de notre peuple et sa résistance vaillante pour libérer toute la Palestine et l’établissement d’une société démocratique dans toute la Palestine basée sur la justice et l’égalité : une société libre de l’exploitation de classe, du racisme et du sionisme.

L’approche révolutionnaire palestinienne avec des dimensions arabes et internationales, dont les traits ont été dessinés par des milliers de martyrs palestiniens, arabes et internationaux au cours de décennies de lutte, est la voie du changement radical qui interprète la réalité afin de la changer, comprend les défis et les spécificités nationales et locales dans chaque communauté palestinienne et les considère comme une source de force et de pluralisme. Nous adhérons à nos droits et à nos racines tout en regardant vers l’avenir et en suivant le rythme de notre époque. Cette approche révolutionnaire se lève aujourd’hui pour marcher avec confiance et à pas sûrs vers la Palestine libérée… vers une nouvelle aube arabe et humaine.

En ce jour de lancement, nous saluons toute la lutte de notre peuple palestinien dans tous ses lieux de résidence, et toutes les forces de résistance en Palestine. Nous saluons également la lutte du mouvement des prisonniers palestiniens, la direction de la lutte de notre peuple en terre occupée, et l’école révolutionnaire d’où nous tirons toute la détermination et la volonté de continuer sur le chemin jusqu’à ce que nous obtenions notre liberté et atteignions notre victoire décisive.

Vive la lutte de notre peuple palestinien partout dans le monde !

Aucune voix n’est plus forte que la voix du peuple palestinien !

Gloire aux martyrs, liberté aux prisonnier·e·s !

Nous reviendrons et serons victorieux !

Le Mouvement alternatif de la voie révolutionnaire palestinienne
Madrid – Espagne, 2 novembre 2021

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