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Exclusion de la CGT PSA Poissy : les erreurs syndicales de Lutte Ouvrière et des trotskistes

Partisan Magazine N°20 - Décembre 2022

Depuis plus d’un an, le conflit couvait à PSA Poissy. A partir d’un petit groupe de syndiqués en désaccord, sur une orientation très « collaboration et petites magouilles », on va dire, la direction du syndicat – dont Jean-Pierre Mercier de Lutte ouvrière à sa tête, également Délégué Syndical Central CGT de tout le groupe PSA, a été contestée par les structures CGT.
D’épisodes en épisodes, le conflit s’est durci, et la Fédération de la Métallurgie (une fédération très réformiste) a créé un deuxième syndicat sur le site, pour ensuite désaffilier la CGT historique et interdire à ses militants de se revendiquer de la Confédération. Pas une exclusion au sens propre, mais une basse manœuvre qui revient au même.
Nous n’allons pas revenir ici sur les détails de cette affaire, et renvoyons nos lecteurs aux divers articles du blog « Où va la CGT ? » qui a soutenu sans réserves les camarades contre cette exclusion de fait, tout en étant très circonspect sur la conception du syndicalisme porté par Lutte Ouvrière. Lutte Ouvrière qui sans diriger totalement la CGT de l’usine à une grosse influence sur l’orientation du syndicat.

C’est donc plutôt à ce volet que nous allons nous intéresser, à la politique de Lutte Ouvrière dans les syndicats, l’organisation trotskiste qui a été à la manœuvre tout au long de l’affaire.

L’argument principal de LO : c’est pas démocratique !
Ils ont raison, c’est le moins qu’on puisse dire. Il y a eu un vrai congrès (peut-être insatisfaisant mais réel) le 14 novembre 2021 de plus de 190 syndiqués pour reconduire la direction du syndicat, et une réunion de tous les délégués du groupe PSA pour la désignation du DSC le 13 mai 2022 à Montreuil, véritable sketch où malgré l’appui de 88% des voix à JP Mercier, c’est un autre délégué, « officiel », qui a été validé par la Confédération, puisque JP Mercier n’est prétendument plus affilié à la CGT.
Donc, les dirigeants de la Métallurgie, comme ceux du département des Yvelines ne sont pas des démocrates. OK, c’est l’évidence.

Mais alors pourquoi ont-ils fait cela ? Alors que la CGT se gargarise de démocratie interne, du syndiqué acteur et décideur et bla et bla.
Que dit Lutte Ouvrière : « les syndicats CGT ont toujours refusé de collaborer avec le patronat ou de signer des accords en défaveur des travailleurs. Pour eux, leur activité doit être dirigée vers les travailleurs, pour mener la lutte contre l’exploitation. Et c’est cela que la Fédération veut détruire » … « Les bureaucrates se moquent de la démocratie ouvrière comme de leur première signature » … « Bien entendu, la Fédération a bénéficié du soutien inconditionnel de la direction de PSA dans ses attaques » … et de conclure que ce qui compte ce n’est pas l’étiquette « mais la lutte contre l’exploitation et pour cela de s’organiser en regroupant dans ce but le maximum de travailleurs conscients ». Journal Lutte Ouvrière du 9 septembre 2022, disponible en ligne https://journal.lutte-ouvriere.org/2022/09/07/psa-poissy-non-lexclusion-du-syndicat-cgt-historique-par-les-bureaucrates-de-la-federation-des_402842.html C’est cette même thématique qui a été reprise par toutes les interventions qui ont suivi, par exemple à la fête de l’Humanité https://youtu.be/4XcSzv4MhYc, ou au rassemblement au tribunal de Bobigny le 20 octobre.

Alors nous renouvelons notre question : d’où viennent ces bureaucrates, comment se fait-il qu’ils se retrouvent à la tête des structures de la CGT ? Comment se fait-il qu’ils soient réélus à tous les congrès, sans opposition ? Est-ce un problème spécifique à l’entreprise PSA, à la métallurgie, comme le dit Lutte Ouvrière ? Quelques méchants qu’il faudrait dégager avec un peu plus de démocratie ?
Continuons nos questions : la situation existait depuis des années, avec des frictions mais sans ce genre de conflit (d’ailleurs Martinez lui-même, quand il n’était alors que secrétaire de la métallurgie, avait contribué à apaiser les tensions avec les militants de LO et du NPA). Comment se fait-il qu’aujourd’hui la Fédération ait décidé de faire le ménage dans le groupe PSA ?
Continuons encore : comment se fait-il qu’on retrouve les mêmes attitudes dans d’autres structures, comme le Commerce, nombre d’ULs etc. ?

Lutte Ouvrière n’apporte aucune réponse, est bien incapable d’analyser le phénomène, car comme tous les trotskistes, elle fait une analyse complètement fausse de ce que sont les bureaucrates réformistes. Pour eux, il y a un « mouvement ouvrier », en quelque sorte pur, juste avec quelques dirigeants vendus qu’il suffirait d’éliminer pour retrouver le caractère révolutionnaire de la classe ouvrière, dans la généralisation de la lutte. Pour reprendre une formule que nous affectionnons, « des amis qui se trompent », et qu’il faut ré-éduquer, par la contrainte s’il le faut.
Dans cette perspective, il ne faut pas s’attaquer aux réformistes et à la collaboration de classe, en tant que telle, cela décourage les ouvriers, il faut revendiquer plus de démocratie pour écarter les vendus et généraliser la lutte. Les vendus seront alors bien obligés de suivre – parce que eux aussi font partie du « mouvement ouvrier ».

Lutte ouvrière, comme tous les trotskistes, ne comprend rien à la nature des bureaucrates réformistes dans un pays impérialiste, ceux que Lénine appelait « les lieutenants ouvriers du capital » (voir « L’impérialisme et la scission du socialisme » - 1916 - http://ouvalacgt.over-blog.com/article-mais-d-ou-sort-cette-bureaucratie-80165007.html). C’est-à-dire non pas des « amis qui se trompent », mais des « ennemis qui se cachent » pour continuer avec nos formules.
Nous avons longuement développé cette analyse depuis l’origine de notre organisation (voir « Sur les bases de l’opportunisme dans la classe ouvrière » dans notre revue La Cause du Communisme N°1 en 1980, http://ocml-vp.org/article1205.html). Résumons.
Afin de préserver la paix sociale et de maintenir l’exploitation, l’impérialisme corrompt une fraction de la classe ouvrière d’une part (souvent les couches les plus qualifiées des secteurs stratégiques) et crée une couche de bureaucrates issus de la classe ouvrière, incrustés dans la collaboration de classe et l’acceptation des règles du jeu du capital, via les institutions paritaires, les CSE, les postes dans la formation professionnelle, la gestion de la Sécu, des Mutuelles et du chômage, les CESE divers et variés à tous les échelons de la division administrative de l’Etat, le prétendu « dialogue social » avec patronat et gouvernement dans la gestion du capitalisme. Certes, ces aristocrates et bureaucrates peuvent être en conflit avec la main qui les nourrit, mais cela reste dans le cadre d’un affrontement pour le partage des miettes, des conceptions peu différentes (même si elles sont tout à fait illusoires) de la gestion du capitalisme. Ils sont incrustés dans le capitalisme dont ils sont en fait DEVENUS UN ROUAGE pour empêcher sa destruction. Ça commence par la carte bleue du syndicat, ça continue par des salaires de cadres supérieurs pour les permanents, ça se termine avec l’exclusion de militants combatifs, la liquidation de syndicats entiers, les guerres de clans entre factions opposées, mais aussi bureaucratiques les unes que les autres.

Ces « lieutenants ouvriers du capital » ne sont pas des amis qui se trompent, ils sont les représentants corrompus de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier. Ils ne veulent pas la destruction du capitalisme, ils veulent défendre leurs avantages et privilèges, les accroître même pour toujours « en croquer un peu plus ». Combien de permanents reviennent au travail une fois leur mandat accompli ?
Alors, quand ils se sentent menacés, ou quand leurs privilèges peuvent être contestés, ils sont prêts à tout pour les défendre.
Quand nous disons qu’ils sont prêts à TOUT, c’est vraiment à tout. Jacques Leclerc, secrétaire de l’UL de Douai est mort en 2009 d’une crise cardiaque après des mois de harcèlement anonyme contre lui et sa famille, du fait des positions de classe qu’il défendait. Un de nos camarades a été exclu de la CGT un jour et licencié le lendemain pour avoir participé à une grève d’OS alors qu’il était professionnel (Usine Montupet, en juillet 1981) et que la CGT était contre la grève. Et on ne compte ainsi plus le nombre de camarades broyés littéralement, mentalement et physiquement par les bureaucrates réformistes qui se sentaient contestés. Nous ne partageons pas les illusions de Lutte Ouvrière sur la démocratie et les bureaucrates réformistes. Nous nous protégeons, nous veillons à ne pas prendre ou chercher des responsabilités dans l’appareil, car nous savons mesurer le rapport de forces que nous pouvons avoir : à la mesure de la mobilisation et de la radicalité du mouvement syndical, c’est-à-dire globalement faible.

Alors, PSA et la Fédération de la Métallurgie ? Pourquoi cette attaque alors que la situation existait depuis des années ?
C’est probablement la conjonction de trois facteurs (ce serait à creuser)
• Les bouleversements à venir dans l’automobile pour les années à venir, avec l’abandon des voitures thermiques pour l’électrique, et donc les restructurations majeures qui vont se produire dans les usines de production. La fédération de la Métallurgie (FTM), aujourd’hui une des plus réformistes de la CGT, veut avoir les mains libres pour négocier avec l’UIMM (branche métallurgie du MEDEF) les transformations à venir et le maintien du paritarisme dans le nouveau contexte du futur. Les lieutenants ouvriers du capital, les ennemis ne se cachent plus et sortent du bois, ils jouent le rôle que le capital leur assigne.
• Le mandat de Délégué Syndical Central de JP Mercier, par ailleurs porte-parole de Lutte Ouvrière, devenait gênant dans ce contexte et il fallait mettre quelqu’un d’autre aux ordres. Ce n’est pas la politique en tant que telle qui gênait (le PC ne s’en prive pas), mais une certaine combattivité dans tout le groupe PSA qui devenait déplacée.
• Et un noyau de syndiqués très réformistes, souvent jeunes et peu formés syndicalement, prêts à toutes les compromissions, parfois mêlés à petits trafics et magouilles, qui aspiraient à devenir calife à la place du calife pour en profiter et en croquer. L’existence de ce noyau permettait à la FTM de se revendiquer d’une prétendue démocratie pour normaliser le syndicat, quoi qu’il en coûte en termes de lutte des classes.

En fait, Lutte Ouvrière ne comprend pas ce qui s’est passé à PSA Poissy, est incapable de comprendre les contradictions du mouvement ouvrier. Elle le considère quelque part comme pur, dans une contradiction idéale entre bourgeoisie et prolétariat contre l’exploitation. Déjà qu’elle a du mal à admettre l’existence de contradictions secondaires au sein de la classe ouvrière, entre français et immigrés (oui, le racisme existe dans la classe ouvrière !!), entre hommes et femmes (et oui, le patriarcat, le sexisme et le machisme existent bel et bien parmi les ouvriers), entre ouvriers qualifiés et OS, alors imaginer une contradiction ANTAGONIQUE entre classe ouvrière et lieutenants ouvriers du capital, on n’imagine même pas !
Ce qui explique son absence de combat frontal contre le réformisme et les réformistes dans le syndicat, de polémiques sur le fond dans les congrès et les luttes, nous l’avons expérimenté à de multiples reprises. Dans les grèves, Lutte Ouvrière refuse absolument le débat politique, qu’il s’agisse des réformistes, de l’affrontement avec la police et la justice ou autres, pour limiter le débat à l’organisation de la lutte et à exciter la colère contre l’injustice. Certes Lutte Ouvrière valorise les Comités de Grève, mais pas pour faire progresser la conscience de la classe, pour entraîner la masse ouvrière sur l’orientation qu’elle propose. Alors, lorsqu’elle propose de « regrouper le maximum de travailleurs conscients » - voir plus haut, on peut poser la question : « conscients » de quoi ? Certainement pas de la vraie nature du capitalisme, de qui sont les amis et qui sont les ennemis – en particulier de ceux qui se cachent, et des voies et moyens pour avancer vers une libération véritable.

Pour revenir à l’obsession de Lutte Ouvrière, la démocratie, les réformistes bureaucrates ont une conception bourgeoise et autoritaire de la démocratie, la démocratie bourgeoise similaire à celle du capital dans son ensemble, y compris la répression. Lutte Ouvrière a une conception plus ouverte de la démocratie, mais ce n’est certainement pas une démocratie de classe, au service des ouvriers et du prolétariat. C’est plus proche des idées fumeuses de la petite-bourgeoisie sur la « démocratie pure », qui permettrait soi-disant de libérer les potentialités révolutionnaires des ouvriers spontanément révolutionnaires – sous la direction éclairée des « révolutionnaires » qu’ils sont supposés représenter.
Du coup, Lutte Ouvrière sous-estime le danger des bureaucrates réformistes, sous-estime la lutte féroce contre eux, ne protège pas ses militants, elle sous-estime la force de l’ennemi car elle imagine que la démocratie peut tout régler. Aujourd’hui, elle en paye le prix à PSA.

Au fil de notre blog « Où va la CGT ? », nous ne cessons de répéter ces vérités, d’alerter les militants honnêtes, combatifs, des dangers que représentent les réformistes. Nous appelons à la prudence, nous dénonçons sans relâche, nous appelons à nous regrouper, d’abord au plan politique dans l’OCML Voie Prolétarienne pour mener l’affrontement.
Nous savons qu’au final, nous nous retrouverons CONTRE eux, et qu’à ce moment, il nous faudra être lucides et ne pas nous tromper.
Aveuglée par la démocratie pure, Lutte Ouvrière est condamnée à l’erreur, à subir les coups de l’ennemi, à hésiter face aux choix déterminants à venir. C’est la leçon de PSA.

Non, la lutte et la démocratie ne suffise pas à construire une politique de classe dans les syndicats !
Nous avons un ennemi à deux têtes : le capitalisme et les exploiteurs d’un côté, les lieutenants ouvriers du capital de l’autre !

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