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Editorial : nous sommes en guerre ?

Partisan Magazine N°23 - Juin 2024

Le 16 mars 2020, Macron déclarait à la télé : « Nous sommes en guerre ». Le propos avait paru exagéré, même si nous avons connu l’épisode COVID qui évoquait les couvre-feux et les masques à gaz. Mais tout de même, une guerre… contre un virus ! Quatre ans plus tard, l’affirmation a pris une autre dimension. Une vraie guerre s’incruste à l’Est de l’Europe, et la colonisation de la Palestine resurgit sous forme de génocide, menaçant d’embrasement tout le Moyen-Orient. Lors de ses vœux de Nouvel An, le même Macron utilise sept fois le mot réarmement. Le bulletin Partisan de février note : « Réarmement économique, industriel, technique et scientifique, réarmement de l’État et des services publics, réarmement de la Nation, réarmement civique et culturel, et cerise sur le gâteau, réarmement démographique : faites-nous de petits français, on va en avoir besoin ». Au cœur de toutes ces comparaisons se tient bien le réarmement au sens strict du terme. Aux dernières nouvelles, la loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit un budget de 413,3 milliards, en augmentation de 40 % par rapport à celui de 2019-2025. Le rythme de production des canons Caesar à l’usine Nexter de Roanne a été multiplié par deux. Et la relance de la production de poudre à Bergerac permet de promettre fièrement 1200 tonnes de poudre par an dès l’année prochaine. Ce sont là des faits franco-français, mais la tendance est mondiale. Est-ce que par hasard nous ne serions pas en train de changer de période ? Une période de pré-guerre genre 1912 ou 1938 ?

L’histoire nous enseigne que la bourgeoisie, lorsqu’elle est coincée, empêtrée dans sa crise inextricable, a un dernier recours, la guerre. C’est Napoléon III en 1870, qui avait perdu tout crédit politique ; ce sont les généraux argentins en 1982 qui ont cherché une gloire nationale en récupérant les Iles Malouines ; c’est Saddam Hussein qui ne pouvait pas rembourser sa dette au Koweit en 1990. Ainsi, notre bourgeoisie nationale, ou russe, ou mondiale, serait empêtrée dans sa crise ? La réponse est oui. La crise systémique – la crise du système capitaliste – est avouée depuis 50 ans, depuis les crises pétrolières de 1973 et 1979. Elle a pris différentes formes, financière, industrielle, écologique, sociale. Elle connaît des hauts et des bas, un mieux grâce à la mondialisation informatisée, aux délocalisations, un impérialisme libéral-total succédant à l’impérialisme colonial ; un flop en 2008 – les « subprimes » - démontrant qu’une faillite est immédiatement mondiale. Regardez le traitement de la crise écologique, connue dès la même époque – rapport Meadows du Club de Rome en 1972, candidature de René Dumont en 1974. Un demi-siècle plus tard, la production des énergies fossiles, pétrole et charbon, continue à augmenter. Les énergies renouvelables ne font que compenser une partie des hausses de consommation et faire croire à une solution technique. Récemment, le mouvement européen des paysans a généré un coup de frein sur tout ce qui est progrès écologique dans l’agriculture, le gouvernement s’est couché devant le modèle agro-industriel capitaliste pollueur de la FNSEA. Et comment éponger la dette de l’État, qui n’a cessé d’enfler pendant ces 50 ans, sans taper les capitalistes et sans provoquer une explosion sociale. La bourgeoisie est coincée dans ses contradictions, et ça commence à devenir trop évident.

L’intérêt politique d’une guerre ou dans l’immédiat du simple danger de guerre, pour la bourgeoisie, c’est de resserrer les rangs derrière sa domination, c’est l’unité nationale. On avait senti cet air d’Union sacrée avec la Covid 19. Voilà pourquoi Macron a tendance à en rajouter sur le thème de la guerre. Et voilà ce qui explique certaines de ses initiatives surprenantes apparemment contradictoires. Panthéoniser des immigrés communistes et combattants, tout en durcissant la situation des travailleurs immigrés actuels (loi Darmanin). Reconnaître en partie la responsabilité de la France dans le génocide du Rwanda en 1994 tout en soutenant Israël dans sa colonisation génocidaire. Faire de l’extrême-droite l’ennemi politique n° 1 tout en copiant de plus en plus fidèlement sont nationalisme raciste et sa politique fascisante. Inscrire dans la Constitution le droit à l’IVG pour les femmes tout en prenant des mesures anti-sociales qui aggravent au premier rang leur situation. Même les Jeux Olympiques doivent jouer un rôle d’union nationale, pendant que l’agitation du danger terroriste permet d’en faire aussi un lieu d’expérimentation policière de grande envergure pour l’avenir.

La période change. Sommes-nous prêts à changer nous aussi ?
D’abord, il nous faut, très consciemment, retourner le slogan. « Nous sommes en guerre » ? Oui, Monsieur Macron, nous sommes en guerre contre vous et votre monde ! Car la première des guerres, la plus répandue, est aussi la plus cachée. « Oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte » (1ère phrase du chapitre 1 du Manifeste du Parti Communiste). Selon la formule des maoïstes chinois, soit la révolution empêche la guerre, soit la guerre provoque la révolution. Ou bien la destruction des deux classes ? A l’époque de Marx, seigneurs et serfs faisaient place aux patrons et aux ouvriers. Aujourd’hui, capitalistes et prolétaires pourraient connaître la « destruction des deux » par guerre nucléaire ou catastrophe écologique. La guerre est par définition une question de vie et de mort, la guerre de classe est devenue une question de survie pour toute l’humanité.

Deuxièmement, il nous faut organiser nos forces. Qui est ce « nous » quand nous disons « nous sommes en guerre » ?
. La classe ouvrière est affaiblie ? C’est faux. La mondialisation a affaibli et transformé la classe ouvrière dans les pays impérialistes, mais au niveau mondial elle l’a énormément renforcée, essentiellement dans les pays émergents. La classe ouvrière est, mondialement, émergente !
. La classe ouvrière n’a plus de parti, plus de perspective politique ? Le communisme promu au XIXe siècle a été un fiasco au XXe ? Mais voyons, faites un bilan un minimum matérialiste et scientifique. La Russie et la Chine avaient à faire une révolution bourgeoise puis une révolution industrielle. Les trois-quarts de la planète, le « Tiers-monde », avaient à réaliser leurs révolutions nationales et démocratiques, leurs 1789. Le programme communiste était présent, n’était pas impossible, mais tout de même prématuré. Voilà tout.
. Les luttes actuelles ne sont pas anti-capitalistes mais anti-impérialistes, nationales, démocratiques, anti-fascistes ? L’Ukraine, la Palestine, l’Iran… Révolution démocratique et révolution prolétarienne ont toujours été mêlées. Passer de l’une à l’autre, tout est là. C’est ce qu’ont fait les travailleurs russes avec le parti bolchevik en 1917, c’est ce qu’on fait ouvriers et paysans chinois avec le Parti Communiste Chinois à partir de 1949 puis avec le grand bouleversement de la Révolution Culturelle. C’est là une grande leçon historique : on ne part pas de rien.
. Nos luttes politiques ont été remplacées par des luttes sociales et sociétales, contre le racisme, le sexisme, pour l’écologie ? La classe ouvrière a été laminée par des vagues successives de restructurations et de précarité, elle est sur la défensive. C’est vrai, déçus par la faillite des stratégies de « gauche » réformistes et orphelins du modèle soviétique, beaucoup de militants se sont repliés sur des luttes immédiates, partielles, des associations et mouvements. Mais c’est là aussi une critique en actes du sexisme, du nationalisme, du productivisme de nos vieilles organisations aux directions faussement ouvrières et surtout pas révolutionnaires. Toutes ces luttes immédiates et sociétales n’ont qu’un débouché possible, une prise du pouvoir par les travailleurs. Reste maintenant à retrouver une classe ouvrière vivante, active et dirigeante, pour ne pas laisser le combat être dévoyé vers les impasses réformistes d’un capitalisme à visage humain.

Et pas de révolution sans les femmes, et un féminisme de classe au cœur. En Ukraine, le ministère de la Défense a publié, à l’occasion du 8 mars, les chiffres de la présence des femmes sous les drapeaux : 45 787 soldates servent dans l’armée, 13 487 occupent des postes de combat. En Russie, les femmes sont au premier rang dans la lutte contre la guerre impérialiste. En Iran, ce sont les femmes qui sont à l’avant-garde.
Enfin, on se rappelle l’interview du syndicaliste ukrainien dans Partisan n° 21 de juin 2023 : « Quand la guerre sera terminée et que ces gens reprendront le travail, chaque employeur devra se rappeler qu’ils peuvent tuer ». La guerre est, contradictoirement, une école de dictature du prolétariat.
Nous entrons dans une zone de turbulences, veuillez attacher vos ceintures ! Transformer la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire, « transformation révolutionnaire de la société tout entière » ou destruction totale... C’est flippant ! Qu’est-ce qui peut transformer la peur en espoir ? Une tactique de lutte. Une organisation collective. Un projet révolutionnaire, réellement antiimpérialiste, féministe, écologiste.

Nous sommes en guerre ? Oui ! Vite, une tactique de lutte ! Collectivement.

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