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L’ancien Nouveau Parti Anticapitaliste

Partisan Magazine N°22 - Décembre 2023

On pourrait passer outre, en se disant intérieurement : « Une scission de plus chez les trotskistes… » Sauf qu’on ne parle pas cette fois de scission mais d’implosion, d’explosion, de disparition ; provoquant cependant les dénégations des intéressés.

Le dimanche 11 décembre 2022 au soir, un article de Mediapart [1] résume : « Lors de son 5e congrès, le NPA a définitivement explosé. Les partisans d’Olivier Besancenot et de Philippe Poutou ont annoncé la rupture avec l’autre moitié de la formation trotskiste, hostile à tout accord avec la France Insoumise. » En réalité, les voix des 1500 adhérents s’étaient séparées en trois : 48,5% pour la fraction historique dirigeante (plate-forme B, celle de Poutou, …), 45,3% pour la plate-forme C, regroupement de 4 fractions en opposition, et 6,2% pour la plateforme « Ni scission, ni marasme ». Bien que faisant exactement le même score qu’au congrès précédent (février 2018), la fraction majoritaire quitte la salle, déclare que l’organisation est devenue ingérable, tout en proclamant « Nous continuons le NPA » [2]. A peine 18 mois après le départ d’une première fraction qui créera Révolution Permanente.

Deux lignes politiques étaient manifestement en présence. Au sujet d’un « accord avec la France Insoumise », écrit le journaliste de Mediapart. Quelques années seulement après avoir proposé un « nouveau parti » révolutionnaire pour les travailleurs, ça coince sérieusement. Que s’est-il passé ? L’aventure, même négative, nous interpelle, car nous aussi nous voulons créer un nouveau parti. Alors, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire ?!

Les ambiguïtés électorales

« Accord (ou pas) avec la France Insoumise ». Or celle-ci est bien strictement une machine électorale et parlementaire. Et la nouvelle unité populaire, écologique et sociale, la NUPES, a été créée spécialement en vue des élections présidentielles de 2022. Voici, en un mot, où se loge tout le réformisme du NPA : dans une ambiguïté électoraliste.

A VP, nous ne sommes pas par principe contre une participation à des élections organisées par la bourgeoisie, même si aujourd’hui ce n’est pas vraiment d’actualité. Elles peuvent être l’occasion d’exprimer une ligne politique, d’affirmer l’existence d’un camp de classe. Mais si c’est l’activité politique principale, elle risque fort d’entretenir chez les travailleurs les illusions existantes sur la démocratie bourgeoise. Pour dégonfler ces illusions, on peut utiliser dans les débats l’exemple d’une victoire électorale d’une « vraie gauche », celle de Tsipras et de son parti Syriza en Grèce en 2015 [3].

Mais rappelons-nous le contexte des années 2000 et ce qui a poussé la LCR à proposer un nouveau parti. Aux élections présidentielles de 2002, un petit facteur sympathique et combatif fait un bon score, 4,25%, soit 1,2 million de voix. Il s’appelle Olivier Besancenot. Il renouvelle l’exploit 5 ans plus tard, avec 4,08% et 1,5 million de voix. Pendant que Arlette Laguiller plonge, passant de 5,72% en 2002 à 1,33 en 2007. Le PCF a le même type de trajectoire : de 3,37 avec Robert Hue à 1,93 pour Marie-George Buffet. C’est alors, en mai 2007, que la LCR propose la création d’un nouveau parti des travailleurs, qui deviendra réalité en février 2009. L’ambiguïté électoraliste est totale, le nouveau parti se construit d’abord sur la base d’un succès électoral.

Les élections organisées par la bourgeoisie peuvent être, nous l’avons dit, une tribune et l’occasion d’une campagne politique révolutionnaire (on nous donne la parole, pas le pouvoir…). Mais elles sont aussi un « piège à cons », selon le slogan de 1968 (c’est l’expérience de juin 1968) [4]. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les trotskistes insistent peu sur le côté piège à cons des élections ! Pour eux, elles ne sont pas directement le chemin du pouvoir politique, mais tout de même une « transition » possible…

Encadré

« Ma lettre de rupture avec Lutte Ouvrière »

En mars 2002, le journal Partisan avait publié des extraits de la lettre de démission de Granier (Daniel Bénard). Voici le début de cette lettre :

Depuis plus de 25 ans, LO s’est impliqué systématiquement dans toutes les élections (une par an en moyenne dans ce pays) et ce qui sert de direction politique à l’organisation a fini par y croire. Au dernier Comité Central, la version officielle devient que « les élections ne changent pas tout, mais ça change quand même... ». Finalement, le thermomètre fait quand même un peu monter la température du malade... pas jusqu’à 42°, mais un petit 38,5 quand même !

On trouve moyen, dans l’édito du journal du 15 janvier, de conclure à propos du projet de licenciements de Danone : « Mais à défaut de suffire pour faire reculer le patronat, les prochaines élections municipales nous permettront de montrer aux politiciens... etc ». La référence à la lutte nécessaire dans le paragraphe précédent, c’est la feuille de vigne pour la bonne conscience ; parce que les élections ne suffisent pas.

J’ai proposé au dernier Comité Central qu’on affirme clairement et publiquement que les élections ne changeront rien au sort de la classe ouvrière. On se retrouve avec une formule dans laquelle ça n’est simplement « pas suffisant » bien que « ça change quand même des choses ». La voie électorale pour le changement à petits pas ? Ce sont les révolutionnaires que nous étions qui ont changé ; pas le piège illusoire que sont les élections. (...) Un camarade, qui est intervenu au CLT [cercle Léon Trotsky] de la salle, a fait remarquer que vouloir remédier aux maux engendrés par le système sans démolir le système, cela s’appelle le réformisme. Je partage son intervention. Lutte Ouvrière par des tas d’aspects est devenue une organisation réformiste ; et les raisonnements gestionnaires ressortent à tout bout de champ (...).
Depuis plus de trois ans, très officiellement, LO a initié cette politique opportuniste vis-à-vis du PCF, ses militants et ses dirigeants. Je me suis exprimé plusieurs fois là-dessus de vive voix et par écrit. Mais trois ans après, ça donne quoi, cette orientation ? Il y a eu l’épisode des manifestations unitaires PCF-LO-LCR de fin 1999 interdisant toute critique du gouvernement puisque le PCF était impliqué. Bilan ? Par un tout autre cheminement, LO extrême-gauche de la gauche de la gauche (...).

Une ligne politique radicale… et ouverte

La ligne politique est déterminante pour une organisation politique, c’est l’évidence. Rassembler qui, pour faire quoi, en alliance avec qui, tels sont les choix de base. Or la démarche fondatrice du NPA est une démarche d’ouverture, y compris de la ligne politique. Un sérieux indice se trouve déjà dans le choix du nom.

L’ancienne Ligue devient un « nouveau » parti en abandonnant le C et le R, le communisme et la révolution, au profit du qualificatif ouvert « anticapitaliste » qui en fait ne veut plus dire grand-chose. Des critiques de ce renoncement ont fait remarquer que Besancenot, affiché LCR, communiste et révolutionnaire, venait de récolter 1,5 million de voix sans que ces adjectifs n’aient semblé avoir posé de problème.

En janvier 2009, le journal Partisan [5] explique « pourquoi nous ne rejoindrons pas le NPA ! » :

« Le NPA représente aujourd’hui une proposition nouvelle d’un nouveau parti, et cela a un côté positif. Enfin, on ne parle pas seulement des luttes, mais de la nécessité d’un quartier général pour les exploités, ça faisait longtemps qu’on n’en entendait plus vraiment parler.
Pourtant, nous ne rejoindrons pas ses rangs. Car le NPA n’est pas un parti ouvrier, mais le parti du tous ensemble et de tous les salariés. Il n’est pas le parti du communisme, mais le parti des luttes et des élections. Il n’est pas un parti révolutionnaire affirmé, mais louvoie entre le réformisme radical et un timide discours anti-capitaliste. Le NPA va évidemment faire des alliances pour les élections avec des traîtres qu’on connaît bien, va masquer les contradictions pour ratisser large (c’est déjà bien parti !), va caresser dans le sens du poil sans éduquer réellement à la marche au communisme. Aujourd’hui, son discours ressemble à une savonnette, adaptée à chaque public.
Ce n’est pas comme cela qu’on avancera, on ne fait qu’ajouter de la confusion à la confusion.
Nous voulons construire un vrai parti communiste... Contre la crise, le chômage, la misère, le chauvinisme, pour construire notre avenir. »

Voici résumée d’une manière simple la ligne politique : le NPA est « le parti des luttes et des élections ». Les uns seront plutôt luttes (plutôt grève générale), les autres plutôt élections (pour une « vraie gauche »). Cette ligne politique a la même cohérence que celle du PCF et de la social-démocratie en général : syndicalisme et associations à la base, au quotidien, et gouvernement de gauche comme débouché stratégique, via les élections. La touche trotskiste spécifique se trouve dans l’ajout d’une mobilisation populaire, dans le mot d’ordre éternel de grève générale, et du mélange de revendications immédiates et de revendications stratégiques, typique de l’éternel programme de transition. Les travailleurs passent alors sans s’en apercevoir de l’immédiat syndical au stratégique socialiste, et le gouvernement de gauche devient malgré lui révolutionnaire. Ce n’est pas du réformisme classique, c’est du réformisme radical. Il est symptomatique que les grandes références historiques soient 1936 et 1968, et que 1944 soit oublié, ou réduit aux réformes d’un bon gouvernement de gauche, alors que ce fut d’abord une insurrection.

Derrière l’articulation entre le syndical immédiat et le communisme stratégique, se trouvent deux opposés indispensables laissés dans le flou : la lutte communiste immédiate, qui n’est pas, selon l’expression de RP (Révolution Permanente), qu’un propagandisme abstrait [6]. Et après la prise du pouvoir politique, la continuation de la lutte des classes, la poursuite de « l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Le rôle de l’avant-garde maintenant, et celui des masses demain. Ce sont les contradictoires, d’une part du syndical immédiat, et d’autre part, du parti prolétarien au pouvoir. Pour les trotskistes, tous les contradictoires, parfois assez rudes, deviennent autant de transitions.

« Pas un parti ouvrier »

Un parti peut être dit ouvrier soit par sa composition sociologique, soit par sa ligne politique. La construction la plus solide réunit les deux.

En 2008, au cours d’une réunion de préparation du nouveau parti à créer, un intervenant de la LCR expliquait que la classe ouvrière était réduite à peu de chose, que ce n’est plus elle qui jouait le rôle d’avant-garde, que ce rôle était désormais assuré par la petite-bourgeoisie intellectuelle. Cette opinion correspondait peut-être à la réalité de la Ligue mais pas à sa ligne majoritaire déclarée. L’essence de la ligne réelle est peut-être très bien exprimée par… Karl Marx, dans Le 18 Brumaire :

« Les démocrates reconnaissent qu’ils ont devant eux une classe privilégiée, mais eux, avec tout le reste de la nation, ils constituent le peuple. Ce qu’ils représentent, c’est le droit du peuple, ce qui les intéresse, c’est l’intérêt du peuple. (…) Ils n’ont qu’à donner le signal pour que le peuple fonce avec toutes ses ressources inépuisables sur ses oppresseurs. »

La grève générale comme l’échéance électorale exigent de faire appel au peuple tout entier. La classe ouvrière, et elle est toujours là en France même après les gains de productivité, les licenciements et les délocalisations, n’est plus qu’une composante du « tous ensemble ». La LCR et le NPA n’ont jamais été très ouvriers et n’ont pas manqué de traiter leurs frères ennemis de LO d’ouvriéristes ; ce qui n’est pas entièrement faux, même si LO a une vision assez extensive de la classe, y incluant tout le prolétariat c’est-à-dire les employés et jusqu’aux cadres.

L’effet Besancenot, entre les élections présidentielles de 2002 et celles de 2007, avait induit un afflux de nouveaux adhérents à la Ligue. Une doctorante de Sciences Po avait envoyé un questionnaire aux 2900 militants de l’organisation en janvier 2006. Voici en résumé les résultats [7] :

Résumons grossièrement. Les 4 premières catégories, petites-bourgeoises, diminuent relativement, passant de 80% à 70%. Au sein des 30% de prolétaires, les employés doublent leur représentation, tandis que les ouvriers, peu nombreux, se tassent encore un peu.
L’organisation politique n’est pas un syndicat. Nous savons bien à VP que les employés et les intellectuels révolutionnaires ont toute leur place dans une organisation communiste. Mais il faut que les choses soient claires, ils intègrent une organisation ouvrière. Même si c’est ouvrière d’abord par sa ligne politique. Si les ouvriers ne sont que 5% dans l’organisation, c’est un problème. C’est une lutte à mener. A moins de nier tout lien dialectique entre la situation matérielle et le positionnement politique. A moins de nier les contradictions de classes au sein du peuple.
Les notions de peuple tout entier et de contradictions au sein du peuple nous renvoient à la scission entre Moscou et Pékin dans les années 1960. Mais elle a aussi des conséquences aujourd’hui dans nos luttes quotidiennes, politiques et syndicales. Exemple dans le journal Partisan du 4 mai 2010 [8] :

« Nous participons à la mise en place d’une opposition syndicale de classe au sein de la CGT et nous militons avec des camarades du NPA qui se retrouvent eux-mêmes confrontés à d’autres membres du NPA qui, eux, soutiennent la direction confédérale... pendant qu’une bonne partie de l’organisation s’en fiche et que sa direction prend soin de ménager la chèvre et le chou. Concrètement, cela aboutit à un refus absolu de se mouiller dans un débat qui a pourtant un écho direct dans la lutte des classes. On nous objectera qu’il ne faut pas mélanger la politique et le syndicalisme. Nous pensons pour notre part qu’une organisation politique doit avoir un avis sur tout ce qui touche à la vie des travailleurs : comment abattre le capitalisme avec eux si on n’est même pas capables de dire leur fait à ceux qui les trompent ? »

Comment mener à bien la construction de l’indépendance politique ouvrière, comment construire l’unité entre ouvriers, employés et intellectuels communistes, sans une lutte systématique contre la suprématie politique de la petite-bourgeoisie ?

Exploitation et oppressions : l’intersectionnalité

Partie en 2021, Révolution Permanente évoque cette divergence entre LO et NPA qui fait dire aux premiers que le NPA est « intersectionnel » – qu’il met sur le même plan toutes les luttes, de classe, contre le sexisme, contre le racisme, démocratiques… –, pendant que le NPA reproche à Lutte Ouvrière de ne s’occuper que des… luttes ouvrières :
« La candidature d’Anasse Kazib n’aurait été qu’une déclinaison encore plus démagogique et populiste de ce que LO n’a cessé d’accuser la LCR puis le NPA : en s’adressant « sans distinction, à toutes les catégories, mettant en avant et sur le même plan toutes les luttes, qu’elles soient sociales, environnementales, féministes, antiracistes ou pour le droit des homosexuels et contre toutes les formes d’oppression », l’orientation défendue par la candidature d’Anasse ne concernerait « au fond qu’incidemment la classe ouvrière ». » [9]

Mais VP va dans le même sens en critiquant cet abandon par le NPA de la direction de classe impérative dans toutes les luttes [10] :

« Aucune priorité n’étant avancée, chacun mène son petit front dans son coin. Des initiatives qui auraient pu être intéressantes ont vu le jour comme la Commission Intervention sur les Lieux de Travail (CILT), la commission féministe, ou écologiste. Mais cela participe-t-il à la construction du camp des exploités en combattant ses divisions ? Pour nous, il est clair que non ! La commission féministe appelle à l’unité des bourgeoises et des ouvrières, tandis que la commission écologiste adopte des positions confuses telles que le développement de modes de production alternatifs. Et pour ce qui est de l’antiracisme, le NPA se retrouve aux côtés du PS sur des tracts qui défendent la IIIème République comme exemple... On est très loin du combat pour l’unité de la classe ouvrière et de la révolution prolétarienne, et l’unité comme mot d’ordre mis en avant semble plus concerner aujourd’hui les possibles alliances électorales. »

Deux dimensions apparaissent dans le débat entre LO et NPA, et surtout dans la position de VP : une dimension interne, celle de l’unité de la classe, défendue par le NPA à sa manière (petite-bourgeoise), et une dimension externe, celle des alliances avec d’autres couches sociales (petites-bourgeoises elles aussi), reprochées au NPA par LO.
Il est évident, par exemple, que pour défendre au sein du mouvement féministe, un féminisme prolétarien, il faut que ce féminisme prolétarien existe, concrètement et conscient de lui-même. De même une écologie communiste doit être concrète, consciente, et, avant toute alliance tactique, exister. C’est cette dialectique que LO et le NPA démolissent avec ténacité, les premiers en méprisant toutes ces luttes comme étant secondaires et surtout petites-bourgeoises, renvoyées à l’horizon de la future révolution [11] ; les autres se contentant d’une unité de juxtaposition autonome sur une base démocratique large.

Fractions et fractures

Dans son être même, dans sa genèse et son projet, le NPA est « démocratique et unitaire ». Démocratique à l’intérieur et unitaire à l’extérieur. Mais à l’intérieur, la démocratie ne mène pas à l’unité, et à l’extérieur, l’unité ne mène qu’aux démocrates !

Les oppositionnels de 2022 font remarquer que, si alliance à l’extérieur il doit y avoir, ce serait logiquement d’abord avec LO et avec le CCR – plus connu sous le nom de son organe de presse, Révolution Permanente – parti en 2021. Mais commençons par l’unité interne.

Plus que le décrochage massif et discret des « jeunes » ralliés en 2009, ce sont les ralliements (L’Etincelle, la mino de LO) et les exclusions (le CCR en 2021) qui retiennent l’attention. Des entrées et des sorties en groupes. A titre de comparaison, les statuts de VP (ch. I, art. 2) précisent : « L’adhésion est individuelle ».

Quelle est la différence entre une tendance (ex : Tendance Claire) et une fraction (ex : Fraction L’Etincelle) ? Une tendance, ça tend, et une fraction, ça fracture ? C’est un peu ça…
Rappelons très brièvement l’héritage des trotskistes sur ce point. En 1921, le Xe congrès du parti bolchevique interdit « l’organisation de fractions ». Il faut se souvenir du contexte : guerre civile, révolte petite-bourgeoise de Cronstadt…, et l’expérience du devenir de la fraction menchevique a probablement joué aussi. Puis, sous l’égide de Staline, cette interdiction devient celle des tendances, et c’est alors l’étouffement de tout débat.
Trotski, comme à son habitude (centriste), déclare à la fois, dans Cours nouveau (1923) : « C’est dans les contradictions et les divergences de vues que s’effectue inévitablement l’élaboration de l’opinion publique du parti », et : « Il est incontestable que les fractions sont un fléau dans la situation actuelle » [12]. Disons que LO est fidèle au côté discipline et monolithisme, le NPA au côté débat et confusion…

Et VP alors ? Nous sommes aussi les héritiers d’une autre expérience historique et dialectique, plus récente, qui a pour maitres mots : « l’unité est relative, la contradiction est permanente ». Contradictions au sein du peuple, lutte de lignes au sein du parti. En un mot, l’unité est une lutte permanente. Le principe de fonctionnement de l’organisation communiste est bien connu, c’est le centralisme démocratique, principe tellement bien dévoyé à l’époque stalinienne qu’il est devenu synonyme de monolithisme.
En réalité, les débats ne sont importants qu’entre militants qui ont un minimum de socle politique commun. Si le désaccord est profond, on ne discute même plus. Deuxièmement, le débat est totalement ouvert avant la prise de décision. Des tendances collectives se créent, différentes selon les questions. En cas de désaccord, un vote tranche, on ne peut attendre l’unanimité pour agir. La minorité se plie alors à la décision majoritaire, même si elle continue à défendre que le bilan risque d’être négatif. S’il y avait deux actions différentes, ce serait, dans les faits, deux organisations différentes.
Voyez encore les statuts de VP (Cahier IV, 20) : « Les congrès sont préparés à travers un large débat politique au sein de l’organisation au moins huit mois avant la date du congrès. Un bulletin de congrès fait connaitre à l’ensemble de l’organisation toute contribution des membres ». Résultat : des « tendances » collectives s’expriment avant le congrès (et disparaissent après), mais des « fractions » minoritaires sont inenvisageables.

Finalement, l’élargissement a été bref

L’expression de Daniel Bensaïd en 2008, lors du lancement du NPA, a plu et a été retenue : « Perdre en substance pour gagner en surface ». En un mot, c’est s’aplatir, ou se diluer ! Jusqu’où ?

Vous avez peut-être noté le nombre de questionnaires envoyés par la doctorante de Sciences Po, Florence Joshua, en 2006 : 2900. Elle constate alors un afflux d’employés. Trois ans plus tard, fin 2009, après la création formelle du nouveau parti, les effectifs se situent entre 9 000 et 10 000. Puis, très vite, ils redescendent à 3000. En 2022, les votants sont 1500. Que s’est-il passé ? Et pourquoi ? Le journal Partisan expliquait dès 2012 [13] :

« De nombreux militants du mouvement ouvrier et populaire qui l’avaient rejoint ont fini par le quitter. D’abord, ils ont bien souvent été rebutés par le style de travail. Le NPA se voulait un parti ouvert, adapté aux disponibilités de chacun. Mais bien souvent, rien n’a été fait pour adapter le fonctionnement du parti aux exigences du militantisme ouvrier : réunions sans fin, plusieurs fois par semaine, où la parole est monopolisée par les militants quasi-professionnels issus de la LCR ou des JCR... Dans beaucoup d’endroits, les prolétaires, fatigués, ont fini par s’en aller. Le NPA a gardé en partie la même base sociale que la LCR : beaucoup d’enseignants et de petits fonctionnaires, qui n’ont pas fait grand-chose pour adapter leur style de travail.
Ensuite, la lutte entre les différents courants au sein du parti a parfois été une vraie foire d’empoigne, dans laquelle la démocratie, la liberté d’expression et l’autodiscipline ont été souvent méprisées. (…) On entend beaucoup parler de ceux qui ont rejoint le Front de gauche, mais politiquement, tous ceux qui ont quitté le parti plus ou moins dégoûtés du militantisme politique, et qui s’étaient investis dans le NPA sur des bases justes, sont une perte bien plus grande encore. »

« Gagner en surface », disait Bensaïd. Mais n’est-ce pas le souci de tout parti, de toute organisation ? Et s’il y a, naturellement, perte de « substance », le remède n’est-il pas bien connu : la formation ! Pas une formation scolaire, mais un mélange de théorie et de pratique, un échange entre « jeunes » et « vieux », entre prolos et intellectuels communistes. Car, comme le dit Marx dans la 3e thèse sur Feuerbach, « l’éducateur a besoin lui-même d’être éduqué ». Par qui ? Par la base ! Par l’enquête et l’étude, par les circonstances de la lutte des classes, par la réalité du monde en évolution. Au NPA, il y a ici un obstacle particulier [14] :

« Pour répondre à un besoin criant, de nombreux militants du NPA réclament la mise en place d’une formation centralisée. Peine perdue. Chaque tendance organise ses propres formations. Et ceux qui ne sont pas au fait de tout cela restent sur le carreau. Pourquoi ? Parce que l’on ne peut pas centraliser des orientations de classe et des orientations politiques aussi différentes. »

Conclusion

Aux déçus des « unions de la Gauche », présidées par Mitterrand et par Hollande, aux déçus du PCF qui a mis les travailleurs à la remorque de ces unions de la Gauche, le NPA a réussi à ajouter une couche supplémentaire, les déçus du NPA. Au réformisme électoraliste bourgeois, il opposait un réformisme radical petit-bourgeois. Les prolétaires ne s’y sont pas retrouvés. Le problème posé était réel : il nous faut un nouveau parti politique des travailleurs. Le problème reste entier.

« Prolétaires, unissez-vous ! ». L’appel n’est pas récent. Il est toujours d’actualité, et plus que jamais. « Guerre, crise écologique, crise sanitaire, inflation, le capitalisme-impérialisme craque de partout sans jamais s’effondrer, mais en plongeant toujours plus dans une spirale de catastrophes et de misères. Alors, va-t-on se contenter de se lamenter ? » [15]. Unissons-nous !

« A l’heure actuelle, nombre de militants qui se réclament, en général, du communisme, en restent à l’intervention dans les combats partiels. Plus même : ils considèrent que la construction du parti n’est pas d’actualité. Ils proposent de s’en tenir à accumuler des forces dans les luttes immédiates, dans l’espoir de pouvoir un jour constituer une force politique. C’est ne voir que l’immédiat, et non l’avenir » [16].

En proposant une plate-forme politique, VP propose de regarder en face le présent et l’avenir ! L’aventure du NPA, comme celles des unions de la Gauche et du PCF, sont des impasses, empruntons la voie prolétarienne !

[1Mathieu Dejean, « A l’extrême gauche, le NPA s’est autodétruit ».

[2NPA, communiqué du 13 décembre 2022.

[3Partisan magazine n° 19, mai 2022.

[4Partisan magazine n° 11, mai 2018, numéro spécial sur Mai-Juin 1968.

[5Republié dans le journal Partisan du 04/05/2010.

[6Claude Piperno, 02/07/2022, « Lutte Ouvrière, Anasse Kazib et l’islamo-gauchisme ».

[7Humanité Dimanche, 10 au 16 juillet 2008.

[8Autre exemple : LO à PSA Poissy, dans Partisan magazine n° 20.

[9Claude Piperno, 02/07/2022, « Lutte Ouvrière, Anasse Kazib et l’islamo-gauchisme ».

[10Journal Partisan, 7 juillet 2011, « Où va le NPA ? ».

[11Partisan magazine n° 10, février 2018, « Féministes révolutionnaires », p29.

[12Cité dans le dictionnaire Labica, page 1133.

[13Journal Partisan, 27 juillet 2012.

[14Journal Partisan, 4 juin 2010.

[15Partisan magazine n° 20, page 1.

[16Plate-forme politique de VP, cahier 4.

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