Livre : "The Shift Project"

Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française
The Shift Project, Odile Jacob 2022, 256 pages, 11,90 €

Il y a seulement quelques années, l’écologie, en particulier le dérèglement climatique, était encore un sujet de débat, climato-sceptiques contre écologistes convaincus. On n’en est plus là. Le problème désormais porte sur les solutions ; plus exactement sur la question de savoir comment sortir des grandes déclarations qui ne changent pas grand-chose, genre COP annuelles (conférence of parties), et comment sortir du greenwashing qui donne aux énergies renouvelables le rôle de couverture permettant de continuer à griller toujours plus de pétrole, gaz et charbon.

The Shift Project (projet de changement) est une association créée en 2010. Sa dernière publication, ce Plan de transformation, a exigé « l’apport de dizaines de collaborateurs, de centaines de contributeurs, et de milliers de relecteurs » (p. 18). Ce n’est donc pas l’œuvre d’un seul, son président très médiatique, Jean-Marc Jancovici.

Toutes les contradictions de ce « plan » sont contenues dans le titre. « Climat, crises » : L’urgence de la transformation est celle du dérèglement climatique, de l’émission des gaz à effet de serre, en parallèle avec l’épuisement des énergies fossiles sur lesquelles repose toute l’économie capitaliste. Les interférences avec l’effondrement de la biodiversité, la pollution chimique ou la fragilité sanitaire (les nouvelles zoonoses), etc., ne sont pas évoquées.

« Plan de transformation » : autrement dit programme. Très détaillé, secteur par secteur, industrie et agriculture, énergie et culture, emploi et finance, etc. ; que faut-il faire pour atteindre la zéro-émission de CO² d’ici 2050 ? Le tout est chiffré, concret, imagé !
« Transformation de l’économie » : Le principe de la planification est déjà en lui-même un choix politique. Mais le présupposé politique n’est présent qu’en filigrane, avec une base quinquennale, comme les présidentielles. Et le plan est exigeant pour les riches et les entreprises, bienveillant pour les plus fragiles. C’est-à-dire clairement réformiste.
« Transformation de l’économie française » : Comment peut-on, à l’échelle d’un seul pays, faire face à un problème planétaire ? Par la politique de l’exemple. « La France démontrera qu’anticipation et coordination permettent d’aller vers une situation sobre, apaisée [sans révolte de type Gilets jaunes], préparée aux chocs du XXIe siècle » (p. 61). Cette politique donnera même « à l’économie française de nombreux avantages concurrentiels » et permettra « de retrouver un solde commercial positif » (p. 77).
C’est du socialisme critico-utopique tel que décrit dans Le Manifeste de Marx et Engels : « Ils repoussent donc toute action politique et surtout toute action révolutionnaire ; ils cherchent à atteindre leur but par des moyens pacifiques et essaient de frayer un chemin au nouvel évangile social par la force de l’exemple, par des expériences à petite échelle qui naturellement échouent toujours » (ch. III).

Pourtant ce livre est unique. Il est passionnant à double titre, si on le prend comme un apport à court et à long terme. A court terme, il recense en grande partie nos luttes en matière écologique, et comment la bourgeoisie y répond ou pas. A plus long terme, c’est du Lénine ! Il est beaucoup plus facile de prendre le pouvoir politique et militaire que de gérer l’économie, affirmait-il. « L’État prolétarien doit devenir un « patron », prudent, soigneux et habile » (t. 33, p. 51 – en 1921). Un patron ! Oui, car il s’agira de transformer l’économie.