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INTERVIEW avec un camarade du PCR du Chili

Cause du Communisme N°4 - 3ème trimestre 1981

Le document publié ci-dessous est la seconde partie d’une interview publiée dans le journal Pour le Parti, en décembre 1980.

LA FORMATION DU PCR

De quelles luttes politiques la formation du PCR est-elle l’aboutissement ?

Le PCR a été formé en 66 par l’unification de deux groupes marxistes-léninistes chiliens, séparés pour des raisons plus géographiques que politiques. Ces groupes résultaient d’une lutte de ligne menée à l’intérieur du parti révisionniste dans les années 50. A l’intérieur du PC Chilien, les éléments ml ont commencé à diffuser les documents de la polémique internationale, à faire toute une propagande centrée sur les problèmes de stratégie : quelle sorte de parti nous avons besoin, quelle sorte de front il faut créer, pourquoi la lutte armée, la guerre populaire prolongée. Parallèlement tout un travail d’analyse de la réalité chilienne, de regroupement des ml et de lien aux masses populaires était commencé.

Le programme du parti a été approuvé au congrès de constitution en 1966. C’était le premier programme ML chilien. On considère que le PC chilien bien que reconnu par la 3ème Internationale, a toujours été un parti social-démocrate. Avec beaucoup d’influence dans la classe ouvrière mais dirigé par l’idéologie bourgeoise. Par exemple, il n’a jamais proposé la dictature du prolétariat.

Quels étaient les principaux points de ce programme ?

Je peux exposer certains points qui étaient résolus en 66 et d’autres qui ne l’étaient pas.

  La lutte contre le révisionnisme avait une place importante. Mais on n’avait pas bien compris alors le projet de dépendance par rapport à l’Union Soviétique qu’ils avaient . On savait que les révisionnistes étaient des agents de la bourgeoisie, mais on ne voyait pas qu’ils avaient un projet de capitalisme différent des capitalistes traditionnels. Ça a paru très clairement après l’arrivée d’Allende au pouvoir. Les révisionnistes défendaient un projet de capitalisme monopoliste d’état qui entrait en contradiction avec l’oligarchie au Chili. Et c’est pour cela que l’oligarchie et l’impérialisme ont renversé le gouvernement d’Allende.

  La conception de la guerre. En polémiquant avec des groupes petits bourgeois qui avaient comme référence l’exemple cubain, nous avons soutenu la conception de guerre populaire prolongée que Mao a développé. Ce n’est pas un problème de ville ou de campagne : la guerre doit se développer là où sont les masses. Le caractère prolongé, ce n’est pas vouloir que la guerre dure longtemps, c’est permettre aux masses de mûrir politiquement. C’est non seulement un élément important pour obtenir la victoire mais surtout une façon pour que les masses soient préparées à exercer le pouvoir une fois conquis. Sinon, c’est un petit groupe révolutionnaire qui est l’administrateur de la révolution et bien sûr on peut avoir toutes sortes de déviations.

  Ce programme a aussi été la première analyse de classe au Chili et a donné les premiers éléments d’une stratégie ML pour le Chili.

LES ÉTAPES DE LA RÉVOLUTION AU CHILI

Est-ce que tu pourrais reprendre cela car dans l’interview précédente, nous étions restés trop général ?

Il y avait une certaine influence trotskyste qui disait qu’au Chili, il fallait faire tout de suite la révolution socialiste, entendue comme l’expropriation de tous les exploiteurs. Dans la réalité chilienne, la partie la plus importante de l’économie est contrôlée par les impérialistes, surtout américains. Mais tout le reste de l’économie est constitué de petites et très petites entreprises non monopolistes. Et l’idée de faire tout de suite la révolution socialiste aboutit aussi à isoler le prolétariat de la petite-bourgeoisie.

Il y a bien sûr un caractère national à la révolution au Chili. Mais si le capitalisme, même sous domination étrangère, est développé, est-ce que ce n’est pas les tâches socialistes qui l’emportent ?

Le degré de développement du capitalisme est un élément, mais pas le seul. A la fin des années 60, même à la campagne, il restait très peu d’éléments précapitalistes. Mais le capitalisme est très dépendant. Ça c’est du point de vue économique. Mais il y a aussi tout un problème social, de rapport de forces. C’est un pays très capitaliste mais où il y a des couches de la petite-bourgeoisie très nombreuses. A l’époque, la paysannerie représentait autour de 40 %. Aujourd’hui moins. Surtout à partir des années 60, il y a toute une petite bourgeoisie urbaine qui se développe ; Il y a les mines mais le prolétariat industriel est peu important. Pour la transformation du pays, tu dois tenir compte de l’économie, et des forces qui agissent.

Prenons La révolution russe. En octobre 17, la révolution socialiste était à L’ordre du jour dans ce pays que Lénine disait le plus petit-bourgeois d’Europe. Les tâches démocratiques étaient jugées secondaires.

L’étape de la démocratie populaire peut être très brève ou non, selon le rapport de forces. Pour nous, le prolétariat au Chili doit prendre le pouvoir en alliance avec la petite-bourgeoisie de la ville et de la campagne. Dans la superstructure, le prolétariat n’est pas en mesure d’imposer directement son hégémonie sur les structures démocratiques, anti-impérialistes et anti-monopolistes qu’il faut mettre en place.

En France aussi, pour la révolution socialiste, le prolétariat doit établir son hégémonie en indiquant des mesures capables de rallier ou de neutraliser la petite-bourgeoisie. On ne fera pas la révolution en La rejetant dans le camp de La bourgeoisie.
Le fondement d’une première étape de la révolution, c’est ta réforme agraire, la terre aux paysans, si l’on développe les rapports capitalistes à La campagne. Mais tu dis qu’à partir des années 60, c’est les rapports capitalistes qui dominent à la ville et à la campagne.

Au Chili, il y a le problème que le capitalisme est en soi-même peu développé, les bourgeois parlent de sous-développement. Et il y a le problème du type de capitalisme. C’est un capitalisme dépendant de l’extérieur. Ça c’est l’économique. Comptent aussi les problèmes de rapports de classes. Cela doit être analysé avec les transformations en cours de la révolution chilienne. Il y a un changement de stratégie de la bourgeoisie. Jusque dans les années 70, stratégie de substitutions d’importations, de développement du capitalisme local. Maintenant on ne développe que les branches qui intéressent directement l’impérialisme. A la campagne, on reconstruit les latifundia. On développe la mécanisation, on ruine des paysans. Après tous ces changements de l’économie, notre Parti doit réexaminer sa stratégie. Même si en gros jusqu’à maintenant nous pensons que la stratégie du premier congrès reste valable.

De toute façon, la révolution socialiste est un processus dans lequel tâches démocratiques bourgeoisies et tâches socialistes peuvent s’enchevêtrer. Quelles sont donc les tâches de cette première étape de RNDP pour le PCR ?

Concentrer tous les coups contre l’impérialisme, les monopoles liés à l’impérialisme (industries, finance, assurances...). Tâche démocratique dans l’agriculture : donner la terre â ceux qui la travaillent. Il y a toute une polémique : la donner à titre individuel ou collectif. Il y a aussi d’autres tâches qu’économiques : démocratisation de l’administration, de l’enseignement... qu’il faut nécessairement accomplir. Là aussi, il y a une polémique en cours : est-ce que le Parti doit être une instance de pouvoir (nommer le gouvernement, les dirigeants d’administration...) ou le Parti doit agir par les militants qui font partie des organisations populaires qui sont au pouvoir... En URSS, en Pologne, mais aussi en Chine, en Albanie, ça a toujours été le premier cas. Le Parti doit-il exercer son rôle dirigeant institutionnellement ou parce qu’il est le plus influent dans les masses ?

L’IMPLANTATION DU PCR DANS LA CLASSE OUVRIÈRE

En 66 a eu lieu le 1er Congrès du PCR qui approuva statuts, programme et tactique de lutte contre le gouvernement démocrate-chrétien de Frei. L’occupation la plus importante du parti a été alors de se lier aux masses, car il était surtout composé d’étudiants et d’intellectuels révolutionnaires.

Au commencement, ça a été paternaliste. On aidait les ouvriers â lutter. Les étudiants avaient tout un esprit révolutionnaire, inspiré par mai 68 en France et la révolution culturelle, pour se lier à la classe ouvrière. On a trouvé des formules de groupes étudiants qui soutenaient la lutte des ouvriers. Les premières occupations d’usine commençaient au Chili. Des ouvriers grévistes ont été emprisonnés. Notre parti a créé un comité de soutien et un mouvement national de solidarité oui a obligé la Centrale Unique des Travailleurs à soutenir le mouvement et plusieurs syndicats et fédérations des étudiants à faire des grèves contre l’avis des révisionnistes. Ce mouvement a été important pour prendre des contacts dans tout le pays sur une lutte politique assez importante pour démasquer la légalité bourgeoise et le révisionnisme.

Quand tu dis que la CUT soutenait, tu ne précises pas quel travail le PCR avait fait dans le syndicat pour y être influent ?

On a fait une large campagne de propagande, de manifestations... on n’avait pas fait un travail très profond dans le syndicat. On n’avait pas de cellule dans des industries vraiment importantes. Après cette agitation, on a essayé de faire quelque chose de plus permanent. On a créé avec d’autres forces révolutionnaires des organisations de quartier industriel (« cordones ») et les « comandos comunales » ouvertes aux usines, et aussi aux syndicats paysans, d’étudiants, de femmes, de voisins.., c’est une sorte de soviet qu’on a essayé de généraliser.

On a organisé des groupes de synthèse d’expériences avec les ouvriers, par exemple après une grève. On a eu de l’influence dans un certain nombre de petites industries où le révisionnisme n’était pas très influent. Pour les grandes usines, on a eu des difficultés. Là, on a organisé des comités clandestins qui préparaient certaines luttes dans le syndicat avec un travail dans les masses. Comme ça on a pris le contrôle de quelques syndicats importants de la métallurgie, du bâtiment... cela a été atteint pendant le gouvernement d’Allende.

C’était un « contrôle » sur une ligne syndicale de gauche, pas sur un accord politique sur la voie révolutionnaire proposée par le PCR ?

En effet. Les militants, même s’ils étaient connus comme membres du parti, étaient élus comme dirigeants prestigieux parce qu’ils luttaient beaucoup, avec des méthodes démocratiques. Nos dirigeants syndicaux élus ne l’ont pas été contre le gouvernement parce qu’il n’était pas l’ennemi principal. Mais si le gouvernement prenait parti pour le patron, ils étaient clairement contre. Il y avait une polarisation de la vie politique, ce qui signifiait ou bien tu es avec le gouvernement, donc révolutionnaire, ou bien tu es contre donc réactionnaire fasciste. On a essayé d’exprimer une autre alternative mais, avec des forces réduites. N’utilisant pas une tactique adéquate on n’a pas réussi. Je voudrais critiquer certaines formes d’économisme qu’on a eu. Au début de notre formation, nous avons été très sectaires car il fallait se démarquer de tous les groupes petits-bourgeois. Nous avons critiqué notre conception « d’aider » les masses dans leurs luttes, qui est aussi sectaire : ça veut dire nous, nous sommes la secte qui lutte pour les masses. Notre parti aussi a été absorbé par la lutte ouvrière. Il y avait à ce moment-là 5-à 10 grèves importantes à Santiago tous les jours. On est tombé dans le praticisme le plus absolu et nous n’avons pas fait tout un travail de réflexion qu’il fallait faire. Par exemple, on n’a pas considéré important de faire un Congrès du Parti pour évaluer toute cette situation politique.

Le PCR a rapproché de lui des dirigeants des luttes. Comment en a-t-il fait des communistes qui dirigent consciemment la lutte vers la révolution ?

Notre parti a été dans les expériences d’avant-garde de la classe ouvrière. Comment a-t-on fait pour rapprocher ces gens-là ? En général disons-le, on a fait très peu. On a fait des réunions avec les ouvriers les plus avancés. Il y avait deux choses que le parti leur donnait. Une vision générale et stratégique : lutte armée, le parti, la situation internationale, l’impérialisme américain au Chili. Et après la chose immédiate sur la grève qu’on va organiser le mois prochain. Entre tactique et stratégie, on a eu une sorte de vide, de choses très générales.

Malgré tous ces défauts, l’influence de notre parti s’est renforcée parce qu’il y avait une montée de la lutte des masses. Aujourd’hui où c’est difficile dans notre pays, où il y a une crise mondiale du communisme, on commence à réfléchir. Nous avons commis pas mal d’erreur et on est en train de faire un bilan global de nos expériences.

Ce processus d’édification que tu as décrit est une conception qui existe en France et contre laquelle notre organisation lutte car elle est un rabaissement du travail communiste : en période d’essor des luttes, on les pousse parce qu’on pense que le parti va surgir du mouvement. La démarcation avec le révisionnisme porte surtout sur sa trahison de la lutte, pas sur sa trahison du socialisme. Et en période de recul du mouvement ouvrier, devant les difficultés, on rabaisse encore l’activité politique, ne cherchant qu’à susciter le redémarrage des luttes.

Vous avez l’avantage d’avoir l’expérience politique de la révolution culturelle et de mai 68 ici.

ÉDIFICATION POLITIQUE DU PCR

Comment, sur quoi, le PCR a-t-il enrichi sa ligne depuis sa création ?

Nous avons approfondi surtout la critique du révisionnisme, grâce à la révolution culturelle. Pour délimiter le camp avec le révisionnisme, il y a tout un problème idéologique et politique, mais aussi un problème de méthode et d’organisation. Il s’agit de savoir si le peuple doit se libérer lui-même avec l’aide du parti ou si le Parti doit être l’administrateur de la soi-disant révolution. On a beaucoup hérité des anciennes méthodes justement héritées du révisionnisme. Par exemple, dans le fonctionnement du Parti, on a été plutôt centraliste. On agissait comme si le centralisme était la base de la démocratie, et non l’inverse. Les camarades discutaient parce que la direction le permettait. On avait de la méfiance à l’égard des critiques. On donne maintenant une importance très grande au bulletin interne. Le problème, c’est d’organiser le débat. Tu ne peux pas tout discuter. Mais les points les plus importants doivent être discutés de la façon la plus large possible. On ne peut pas discuter tout le temps, mais c’est une autre question. Chaque camarade a le droit de s’exprimer. Si on a le temps, il pourra parler 2 heures, sinon, il parlera 3 minutes.

Une autre question liée à ces problèmes du centralisme démocratique, c’est notre conception que la lutte de ligne, c’est un phénomène objectif dans le Parti. Ce n’est pas possible de l’empêcher. Toute notre histoire, c’est la lutte entre différentes lignes. Ce qu’il faut, c’est la diriger, lui permettre de l’exprimer de façon positive.

Comment garantir les droits de la minorité et en même temps garantir l’unité d’action du Parti ? On est pour l’expression ouverte des idées. On est contre l’organisation d’une partie du Parti de façon secrète. Nous, on a beaucoup de fois confondu les choses. Des fois, on n’a pas su traiter les problèmes et on a poussé la formation de fraction. Pourtant dans notre Parti sont interdits les contacts horizontaux de cellule à cellule.

Mais est-ce que le Centre lui-même ne peut pas organiser une réunion de ceux qui sont porteurs d’un point de vue minoritaire ?

Jusqu’à maintenant, on ne l’a pas fait, mais maintenant tout cela est à étudier.

Quel rapport voyez-vous entre les problèmes et le passé du MCI ?

Nous sommes les principaux responsables de problèmes que nous avons par rapport à deux choses, dont nous venons de parler : le centralisme démocratique, la vie interne de notre parti. Et comment le parti a compris son rapport avec les masses.

Mais on voit que ces problèmes ne sont pas ceux du parti communiste révolutionnaire du Chili, exclusivement, même s’ils s’expriment différemment ailleurs. Nous pensons en général qu’il y a un héritage négatif du MCI qui doit être analysé à la lumière des dernières expériences, et notamment de la révolution culturelle.

Sur ces questions, nous avons pas mal de choses à dire. Par exemple le besoin que les masses s’expriment et critiquent le Parti. Que le Parti stimule ces critiques des masses en leur donnant les éléments politiques pour le faire. Et le fait que le Parti lui-même soit une cible de la transformation révolutionnaire.

On a des difficultés actuellement pour mettre cela en place dans la situation fasciste du Chili. Mais on est en train de faire des expériences.