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L’attaque du 7 octobre est-il un « pogrom antisémite » ?
Partisan Magazine N°23 - Juin 2024
Le samedi 7 octobre 2023, Le Hamas lançait l’opération « Tempête d’al-Aqsa » (un des noms arabes de Jérusalem), en collaboration avec le Jihad Islamique et le Front Populaire de Libération de la Palestine (ou ce qu’il en reste). Des centaines de miliciens ont abattus les murs et coupés les barbelés qui les séparaient de la zone sous contrôle israélien et ont pris pour quelques heures le contrôle des localités autour de la bande de Gaza, ils ont fait une centaine d’otages en affirmant vouloir les échanger contre une partie des Palestiniens et Palestiniennes détenus sans jugement en Israël. Ils ont également attaqué des postes militaires. Environ 300 soldats israéliens ont été tués dans les 48 heures suivantes, et entre 600 et 800 civils, dont des centaines jeunes qui participaient à une fête et des familles vivant dans des kibboutzim. Il semble que les miliciens organisés aient été suivis dans leur incursions par des groupes d’éléments incontrôlés, motivés par la vengeance et à l’origine d’une partie des exactions. Du côté palestinien, au moins 700 combattants sont morts entre le samedi et le lundi matin.
Nous avons réaffirmé à cette occasion notre opposition à l’assassinat de civils désarmés, qui a longtemps été aussi la ligne générale de la résistance palestinienne, jusqu’à la création du Hamas à la fin des années 80. Nous avons réaffirmé aussi notre opposition au projet de société du Hamas, pour qui les civils font tous partie de ce qu’ils appellent « l’occupation » et qui consent seulement à regretter les morts d’enfants et de personnes âgées (au nom de la morale religieuse).
Les mots sont importants
Le gouvernement de Netanyahou a réagi avec son cynisme habituel. Après avoir enterré les morts à la va-vite et bloqué les demandes d’enquêtes internationales, il a très vite cherché à prendre le contrôle du récit des événements. Pour cela ses porte-paroles officiels et officieux (comme le député des français de l’étranger pour le Moyen-Orient, Meyer Habib) ainsi que nombre de soutien inconditionnels d’Israël de « gauche » comme de droite (de Dray à Ciotti) sont venus sur les médias bourgeois français en cherchant à diffuser toutes sortes de récits plus ou moins mensongers d’atrocités palestiniennes (bébés décapités, retrouvés dans des fours, pendus à des cordes à linges...), et des éléments de langage bien rôdés.
Il fallait absolument utiliser certains mots tels que « sidération », « terrorisme » ou « pogrom antisémite », ainsi que les comparaisons avec le nazisme, avec le génocide des Juifs, avec Daech, avec le massacre du Bataclan. Ces mots n’étaient pas destinés à exprimer une émotion sincère mais bien à mettre en condition l’opinion publique française pour la suite, c’est-à-dire justifier d’avance tout ce que ferait l’armée israélienne contre la population de Gaza. Toutes les voix discordantes étaient réduites au silence et accusées d’être des ordures sans cœur qui pinaillaient sur des mots et cherchaient à excuser la mort d’innocents et d’innocentes (car « chercher à expliquer, c’est déjà excuser »). En réalité les véritables ordures sans cœur étaient celles qui kidnappaient les émotions des téléspectateurs et téléspectatrices, pour mieux leur faire accepter par avance un crime contre l’humanité. En réalité les mots sont importants car changer le sens des mots c’est ajouter au malheur du monde.
Qu’est-ce qu’un pogrom ?
Pogrom est un mot d’origine russe qui signifie « destruction, pillage ». Il est utilisé spécifiquement pour décrire les attaques, accompagnées de pillages et de massacres commis par la majorité chrétienne contre la minorité juive, dans l’Empire russe entre 1881 et la révolution, en général à l’instigation de mouvement antisémites liés à l’aristocratie et à la police secrète, comme ceux que Lénine appelle les « Cent Noirs » et qu’il dénonce régulièrement dans ses œuvres. Il s’agit pour l’aristocratie d’un dérivatif à la colère paysanne consécutive aux problèmes économiques et parfois aux épidémies. Au fur et à mesure que les idées socialistes progressent dans les masses juives de l’Empire, le pogrom devient un outil de division du prolétariat. Ce mot renvoie à l’histoire de l’antisémitisme européen qui ne concerne pas le peuple palestinien.
Ce mot a été choisi et martelé dans les médias bourgeois pour consolider l’idée que le petit Etat juif serait isolé, cerné de masses arabes hostiles, comme les shtetl (villages juifs) de l’Empire russe. Cela n’a rien à voir avec la réalité de ce qu’est Israël depuis 75 ans : une puissance coloniale, désormais dotée de l’arme atomique, qui chasse la population palestinienne de son territoire historique.
L’histoire de la colonisation de la Palestine est pleine d’assassinats et de massacre de civils palestiniens : on pourrait citer Deir Yassin en 1948 (commis par l’Irgoun et le Lehi, des milices sionistes à l’origine du parti Likoud de Netanyahou, 77 à 120 morts), Khan Younès en 1956 (commis par l’armée israélienne, 239 morts)...En 1982, a lieu le massacre des camps de Sabra et Chatila, perpétré par les milices d’extrême-droite chrétiennes maronites libanaises, avec la complicité de l’armée israélienne et de Sharon, futur premier ministre. Le massacre fait entre 700 et 3500 morts civils, principalement des femmes et des enfants (le 7 octobre, selon les derniers bilans officiels, c’est 800 civils assassinés et 300 militaires tués pour ce qui est des Israéliens). Personne ne parle des « pogroms » de Sabra et Chatila. Depuis la fin du processus d’Oslo en 2000, il y a eu 10 500 morts et mortes du côté palestinien, en grande majorité des non combattants, souvent des paysans assassinés par les colons d’extrême-droite de Cisjordanie pour leur prendre leurs terres.
Parler du 7 novembre comme si c’était le seul massacre qui compte, c’est nier l’humanité des victimes palestiniennes et faire comme si elles ne comptaient pour rien. Il s’agit de déshumaniser les Palestiniennes et les Palestiniens. Le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant a d’ailleurs donné une clé de ce récit : « Nous luttons contre des bêtes humaines et nous agissons en conséquence ».
Nous sommes politiquement opposés à l’assassinat de civils désarmés au nom d’une lutte de libération et c’est valable tant pour la Palestine que pour le Kurdistan, l’Irlande du Nord, le Pays Basque ou hier lors de la guerre d’Algérie. Pour nous un massacre de civil est un massacre de civils, il n’est pas plus acceptable que les victimes soient juives ou non.
Le Hamas est-il antisémite ?
Le Hamas n’aime pas les Juifs et les Juives, il suffit de lire sa charte de 1988 (amendée en 2017 et 2023, dans le sens d’une solution à deux Etats) pour s’en convaincre. On y retrouve de l’antijudaïsme religieux (« L’Heure ne viendra pas avant que (...) les pierres et les arbres eussent dit : « Musulman, serviteur de Dieu ! Un Juif se cache derrière moi, viens et tue-le. », (Article 7). On y trouve aussi des emprunts au fond antisémite européen : « ... tu trouves [les ennemis] sans cesse sur la brèche dans le domaine des médias et des films (...) [Ils agissent] par l’intermédiaire de leurs créatures membres de ces organisations sionistes aux noms et formes multiples, comme la franc-maçonnerie, les clubs Rotary, les sections d’espionnage, etc., qui toutes sont des nids de subversion et de sabotage ( Article 17 ) ; « Grâce à l’argent, ils règnent sur les médias mondiaux, les agences d’informations, la presse, les maisons d’édition, les radios, etc. » (Article 22) ; « Le plan sioniste n’a pas de limite ; après la Palestine, ils (les Juifs) ambitionnent de s’étendre du Nil à l’Euphrate... plus loin encore, et ainsi de suite. Leur plan se trouve dans Les Protocoles des Sages de Sion et leur conduite présente est une bonne preuve de ce qu’ils avancent » (Article 32, à noter que si la référence aux Protocoles est bidon (c’est un faux antisémite bien connu diffusé par la police tsariste), des alliés de Netanyahou comme le Parti du Grand Israël continuent à revendiquer la conquête d’une partie de l’Egypte, de la Syrie et du Liban. On y trouve enfin la promesse d’une coexistence religieuse dans une future Palestine théocratique : « Le Mouvement (...) se conforme à la tolérance de l’islam en ce qui concerne les disciples des autres religions : il ne s’oppose à aucun d’entre eux sinon à ceux qui lui sont ouvertement hostiles. (...) À l’ombre de l’islam, les disciples des trois religions, islamique, chrétienne et juive, peuvent coexister dans la sécurité et la confiance » (Article 31).
On comprend que Sharon et Netanyahou aient considéré l’hégémonie du Hamas comme une « assurance vie » pour le projet colonial sioniste, et qu’ils aient tout fait pour favoriser cette hégémonie. Désormais face au projet d’un seul Etat suprématiste juif de la mer au Jourdain, l’extrême droite israélienne peut invoquer la menace d’un seul Etat suprématiste islamique. On est loin de la main tendue internationaliste des organisations palestiniennes des années 70-80 (voir le texte du Fatah de 1970, La révolution palestinienne et les Juifs).

La haine et la volonté de vengeance qui s’est exprimée le 7 octobre contre des civils juifs (et aussi parfois contre les ouvriers agricoles asiatiques qui ont eu le malheur de se trouver là) est un problème politique de fond, ne serait-ce que pour l’avenir d’une coexistence des deux populations dans un seul Etat. Cette haine toutefois n’appartient pas à l’histoire de l’antisémitisme européen.
L’apparition des violences antijuives et du racisme dans les pays arabes au fur et à mesure de la colonisation.
Historiquement, c’est la cohabitation qui prévaut entre Juifs et Musulmans dans les pays maghrébins ou du Proche-Orient, y compris avec parfois un statut protecteur de l’administration et des Sultans. Avant 1917, date ou les colonialistes anglais autorisent la création d’un « Foyer National Juif », il n’y avait pas de tensions particulières entre les communautés musulmanes, arabes et chrétiennes de Palestine.
Le racisme anti-juifs apparaît dans les pays arabes avec la colonisation de la Palestine. Chaque nouvelle étape de la colonisation est accompagnée d’une montée des violences anti-juives, que les états arabes persécutent ou expulsent leurs citoyens juifs par des moyens policiers où qu’ils les abandonnent à la haine populaire.
C’est le colonialisme et l’impérialisme qui radicaliseront les tensions entre communautés religieuse en appliquant son principe de « diviser pour mieux régner ». Ainsi le décret Crémieux de 1870 en ouvrant la citoyenneté française aux Juifs et Juives arabo-berbères d’Algérie mais pas aux musulmans, provoquera de sanglantes émeutes anti-juives à Alger, ainsi la déclaration du ministre anglais Balfour en 1917, en promettant aux Juifs et aux Juives un « foyer national » en Palestine créera le conflit encore en cours.
Jusqu’à ce cauchemar qui se déroule sous nos yeux : des soldats d’origine juive yéménite chantent et dansent en arabe dans les ruines de Gaza, pendant que Julien Dray, politicien d’origine juive algérienne, ex trotskiste, ex-PS, devenu chroniqueur sur la chaîne d’extrême-droite CNews dénie à la militante palestinienne Rima Hassan le droit de retourner dans la maison de ses grands-parents en Palestine, sous prétexte que lui-même n’a pas le droit de rentrer dans la maison de ses parents en Algérie. Et Le Protocole des sages de Sion est cité dans la Charte du Hamas (version 1988) comme sur la télévision du Hezbollah libanais.
L’antisémitisme renvoie à une histoire européenne spécifique : une histoire de persécutions, d’expulsions, de pogroms, et finalement d’extermination par les nazis. Il n’y a rien de commun dans l’histoire arabe et aucune raison morale pour que les Palestiniens paient pour les crimes des classes dominantes européennes. C’est le projet colonial sioniste qui a créé la montée de l’antijudaïsme en réaction. C’est pour jouer sur la culpabilité (légitime !) des opinions publiques européennes face aux crimes du nazisme, que la propagande de Netanyahou et de ses soutiens insiste sur l’ « antisémitisme » du Hamas. Et c’est pourquoi nous préférons parler de racisme judéophobe, pas pour jouer sur les mots, mais pour rappeler que le peuple palestinien n’est pas responsable de l’antisémitisme européen.
Non le 7 octobre n’est pas un pogrom antisémite, c’est un acte de résistance face à une situation d’occupation et de colonisation, mais dirigé par une organisation intégriste religieuse et réactionnaire et accompagné de crimes de guerre contre des civils et des soldats déjà capturés, actes que nous condamnons.