Approfondir > L’antisémitisme est-il devenu d’extrême-gauche ?
L’antisémitisme est-il devenu d’extrême-gauche ?
Partisan Magazine N°23 - Juin 2024
L’extrême-gauche est-elle devenue islamo-gauchiste ?
Depuis des années, on entend la même musique : la gauche et l’extrême-gauche aurait « renoncé à l’universalisme » et elle serait en train de devenir antisémite. Ou, selon certains, elle serait en train de redevenir antisémite, puisqu’elle l’était déjà au XIXème siècle avant l’affaire Dreyfus, ou (c’est la version de Zemmour et du RN) la gauche n’a jamais cessé d’être antisémite, puisqu’Hitler et Mussolini étaient de toute façon des hommes de gauche. Tout le monde joue sa partition : l’extrême-droite est à la grosse-caisse, les macronistes jouent du pipeau et des experts bien choisis (souvent proches du PS et de sa fondation Jean Jaurès) viennent donner de la crédibilité à l’ensemble avec des mots compliqués et Fabien Roussel vient faire l’idiot utile en dénonçant ses voisins pour avoir des friandises.
Dans ce contexte, la France Insoumise joue depuis le 7 octobre une partition singulière qui lui vaut d’être la cible principale de la campagne médiatique et judiciaire de diabolisation qui touche aussi des organisations d’extrême gauche clairement antisionistes telles que Révolution Permanente ou les NPA. Pourtant malgré ce que répètent les médias, LFI n’est ni d’extrême-gauche, ni antisioniste, c’est une organisation réformiste et électoraliste, qui soutient ce que les gouvernements de la France impérialiste soutenaient de de Gaulle à Chirac : un Etat palestinien à côté de l’Etat israélien avec Jérusalem-Est pour capitale, sur la base de la résolution 242 de l’ONU. Du coup, à un bout de LFI il y a les militants et militantes de base qui diffusent de bonne foi des tracts sur la « paix juste » et le cessez le feu et se retrouvent d’un coup pestiférés, traités de nazis, menacés de mort, quand ils ne se font pas frapper et cracher dessus par des pro-israéliens chauffés à blanc.
Et à l’autre bout de LFI, il faut bien le dire, il y a quelques stratèges qui se disent que la diabolisation qu’ils subissent peut avoir du bon en termes électoraux. Après tout il y a de l’antisémitisme dans les masses, les sondages le prouvent. En 2012, les soralo-dieudonnistes ont fait courir le bruit que Mélenchon était juif pour lui faire perdre des voix. On peut donc tenter des clins d’œil discrets envers les électeurs complotistes comme on en a fait aux antivax, à condition que les clins d’œil soient assez discrets pour ne pas effaroucher le militant ou la militante humaniste de base. On pense entre autres à David Guiraud, député LFI, qui se décrit comme un ancien ado fan de Dieudonné, qui connait bien les codes de la secte, et qui croit rusé de faire des blagues sur les « dragons magiques » (métaphore tirée du manga One Piece et qui a remplacé chez les dieudonnistes l’expression « au-dessus, il y a le soleil » pour désigner les Juifs « intouchables »). Ceux-là, on les voit, on les surveille comme le lait sur le feu, mais on ne les met pas dans le même bain que les militants et militantes sincères qui paient les pots cassés.
Quant aux camarades de Révolution Permanente ou des NPA, quelques soient les désaccords qu’on a pu avoir par rapport à leurs flottements au moment du 7 octobre, on est dans le même camp face au harcèlement médiatique et judiciaire pro-israélien et on les sait assez attachés aux principes pour ne pas échanger des recettes de cuisine avec des cannibales sur twitter.
La chanson, on la connait : la gauche et l’extrême-gauche ont perdu la classe ouvrière et ils cherchent à se recréer une base populaire en draguant les « banlieues », et c’est pour ça qu’elle mettrait en avant la question palestinienne et déraperait régulièrement dans l’antisémitisme. Il y aurait beaucoup de chose à dire sur ce discours, et d’abord qu’il est fondamentalement raciste, puisqu’on suppose que seuls les « banlieusards » seraient sensibles à la question palestinienne puisque forcément musulmans et forcément antisémites. C’est ce que la droite et l’extrême-droite appellent l’islamo-gauchisme (comme un écho au « judéo-bolchévisme » d’avant-guerre.
L’aspect principal c’est que le capitalisme est en crise, qu’il est en train de plonger des millions de personnes supplémentaires dans la misère et la précarité, que la bourgeoisie est en train de favoriser l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite pour préserver sa domination. Et que dans ce contexte, l’intérêt des macronistes comme du RN et de Zemmour, est de criminaliser les luttes, de diviser les classes populaires en présentant les « banlieusards » comme la cinquième colonne du terrorisme et de l’antisémitisme, de justifier un niveau de répression de plus en plus élevé. Il n’y a qu’à voir l’interdiction des manifs pour la Palestine, suivie de nassages et de dispersions violentes pour s’en rendre compte. Par ailleurs, les macronistes ont tout intérêt à diaboliser la gauche et l’extrême-gauche et le RN a toutes les raisons de s’en réjouir, puisqu’il peut se refaire une respectabilité comme lors de la soi-disant manif contre l’antisémitisme du 12 novembre.
Si on en restait à cet aspect principal, on dirait sensiblement la même chose que 90% de la gauche et de l’extrême-gauche, et on n’apporterait rien de nouveau au débat. On se contenterait de répondre à une campagne médiatique particulièrement violente et ordurière, qui peut déboucher sur des suite judiciaires (dissolution du collectif Palestine Vaincra, accusations d’ « apologie du terrorisme » contre le NPA). Or certaines critiques méritent une réponse un peu plus argumentée que le simple mépris.
Des convergences dangereuses ?
Il y a actuellement un groupe de militants et militantes très actif dans l’extrême-gauche et le syndicalisme et qu’on retrouve dans différents cercles (Réseau d’Action contre l’Antisémitisme et tous les Racismes, Juifs et Juives Révolutionnaires, collectif Golem...). Ces militants et militantes se veulent en rupture avec les groupes juifs antisionistes (UJFP et Tsedek) qu’ils et elles accusent de minimiser systématiquement la question de l’antisémitisme dans l’extrême-gauche et les milieux populaires. En retour, les militants juifs antisionistes ont tendance à répondre que leurs détracteurs sont simplement des sionistes de gauche qui cherchent à pointer vers nos milieux le fameux « rayon paralysant » de l’accusation d’antisémitisme, afin d’inhiber tout soutien de gauche au peuple palestinien. Une récente Lettre ouverte aux organisations qui convergent au sein d’Urgence Palestine et signée par « des militantes et militants de gauche, révolutionnaires, libertaires, syndicalistes, juif.ves pour certain e s », dénonce la présence de groupe supposés antisémites et pro-Hamas dans les manifs. En gros l’idée serait soit de chasser ces groupes des manifs, soit d’organiser nos propres manifs sur nos propres mots d’ordre. Pour nous qui sommes une petite organisation, et qui n’aurions pas les forces pour faire les videurs et pour vérifier le cv de tout le monde (même si nous le voulions) nous pensons qu’il est utile de venir dans ces manifs pour y porter notre point de vue, même quand il est minoritaire. C’est le sens de notre banderole « Une seule Palestine libre, laïque et démocratique, du fleuve à la mer ». Et bien sûr nous faisons notre travail d’éducation contre l’antisémitisme à chaque fois que nous le pouvons, comme dans ce texte. En même temps, on ne peut pas lutter contre l’antisémitisme au sein des masses si on reste dans l’entre-soi et qu’on refuse de parler aux personnes influencées par ces idées (on parle des personnes, pas des organisations).
Il y a 20 ans, les manifs pour la Palestine étaient organisées par la gauche et l’extrême-gauche traditionnelle (sauf le PS bien sûr). La plupart des banderoles réclamaient une solution à deux Etats, et le soutien au Fatah de Yasser Arafat qui s’y étaient rallié (c’étaient entre autre les mots d’ordre du PCF et de Lutte Ouvrière) et nous étions bien minoritaire avec notre mot d’ordre d’ « Une Palestine libre, laïque et démocratique ». A l’époque, les sionistes de gauche portaient surtout la contradiction aux sionistes de droite (comme le journaliste franco-israélien Charles Enderlin, harcelé par les pro-Sharon pour avoir montré les photos de l’assassinat de l’enfant Mohamed Al-Durah), pas aux antisionistes qui, de toute façon, ne représentaient plus grand chose. 20 ans plus tard, le Fatah est complétement discrédité, le Hamas est devenu hégémonique, l’extrême-droite israélienne est durablement installée au pouvoir (le seul opposant crédible à Netanyahou, Lapid est à peu près aussi extrémiste que lui). Bref, la solution à deux Etats apparaît comme encore plus utopique que le projet de coexistence que nous défendons, et la gauche a perdu son leadership au profit de nouveau militants et militantes souvent issus de l’immigration postcoloniale.
Il ne s’agit pas de refaire la même chose que les fondateurs du Parti Communiste Algérien (souvent d’origine européenne, judéo-arabe ou judéo-berbère) qui posaient des exigences humiliantes aux Musulmans qui voulaient intégrer le Parti (professer publiquement l’athéisme par exemple) pour mieux rester dans leur entre-soi soi-disant « universaliste ». Le militantisme n’est pas un club privé. Par contre comme militants communistes, nous devons aussi affirmer notre propre point de vue, sans présomption, sans esprit de supériorité, mais aussi sans complaisance, ni lâcheté. C’est une ligne de crête, mais c’est aussi une ligne de démarcation.
Sans repli, ni complaisance, affirmons nos principes
Ce n’est pas la peine de se mentir : l’antisémitisme a progressé dans les classes populaires, au fur et à mesure que les idées révolutionnaires perdaient de l’influence. Et quand nous parlons des classes populaires, nous ne nous focalisons pas sur les quartiers comme le font les racistes, l’antisémitisme a aussi progressé à la campagne. August Bebel, un proche camarade de Karl Marx disait de l’antisémitisme que c’est le « socialisme des imbéciles », mais il disait aussi que le Prolétariat ne sort pas spontanément conscient et armé comme Minerve de la tête de Jupiter. Les idées justes existent déjà au sein des masses, mais elles ne se transforment pas spontanément en conscience politique, c’est le rôle des organisations politiques et des militants et militantes révolutionnaires. Encore faut-il qu’ils assument leur mission et ne tombent pas dans la facilité et la démagogie sous prétexte d’efficacité immédiate.
En conclusion, l’extrême-gauche est-elle devenue antisémite ? Non, c’est le discours d’Israël et de ses soutiens pour discréditer les manifs de soutien à la Palestine, repris par le RN pour faire oublier son histoire et par les macronistes pour affaiblir LFI. Certains politiciens LFI peuvent jouer sur l’ambiguïté pour séduire les électeurs complotistes et antisémites, il faut rester vigilant. Mais en soutenant le peuple palestinien opprimé, massacré et chassé de son territoire historique, l’extrême-gauche ne fait qu’être fidèle à son histoire antifasciste et anticolonialiste.
Aucune concession à l’antisémitisme, contre tous les racismes !
Pour un seul Etat, une Palestine libre, laïque et démocratique, de la mer au Jourdain !
A bas le sionisme génocidaire !

