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La guerre en Ukraine, où en est-on ?

Partisan Magazine N°23 - Juin 2024

Voilà deux ans et demi qu’une effroyable guerre de tranchées se mène en Ukraine, la reproduction de la guerre de 14-18, avec ses combats d’artillerie, ses assauts meurtriers, une ligne de front qui évolue à la marge au fil des attaques, en tous les cas une boucherie inhumaine.

Nous, militant.e.s de l’OCML Voie Prolétarienne avons dès l’origine pris une position qui nous démarque, et que nous pouvons résumer de cette manière :
• L’Ukraine n’est pas un pays impérialiste, et l’invasion par la Russie impérialiste est une atteinte évidente au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le peuple ukrainien a le droit de se défendre.
• Nous défendons la classe ouvrière et le peuple ukrainien, comme la classe ouvrière et le peuple russe, contre l’impérialisme, le capitalisme et la réaction. Nous ne soutenons ni Zelenski, ni Poutine, fidèles représentants de la bourgeoisie capitaliste de leurs pays respectifs. C’est un point de vue de classe et internationaliste qui guide toute notre orientation.
• La guerre en Ukraine est également un enjeu de la lutte mondiale entre les grandes puissances impérialistes, Europe, USA et OTAN d’un côté, Russie, Chine et autres puissances moyennes de l’autre pour une redéfinition de l’ordre mondial. Elle préfigure un nouveau conflit mondial à venir, entre deux camps tout aussi réactionnaires.
• Nous soutenons donc les forces politiques et démocratiques en Ukraine et en Russie qui se positionnent ainsi, pour la défense de la classe ouvrière et du peuple. C’est ainsi que nous avons été amenés à soutenir le KSRD d’Ukraine, organisation communiste explicitement anti-Zelenski et OTAN, qui condamne néanmoins fermement l’invasion de l’Ukraine par la Russie impérialiste. Voir leur longue interview publiée dans Partisan Magazine N°20 (également disponible en ligne) et leur bref courrier à la suite de cet article. La faiblesse de ces organisations, d’ailleurs similaire à la nôtre, ne doit en aucun cas nous mener à rabaisser nos positions au niveau du « réalisme » et du supposé « réalisable ». Même si l’état de faiblesse du mouvement communiste authentique, en Ukraine, en Russie comme en France doit nous contraindre à une grande modestie.

Concernant l’envoi de troupes, soldats etc. en Ukraine
Nous n’avons aucun état d’âme. Comme au Mali ou en Afrique, comme en Afghanistan, nous nous opposons absolument à l’envoi de troupes françaises, qui ne serviraient en aucun cas les intérêts du peuple ukrainien, mais ceux de l’impérialisme occidental.
Les camarades afghanes de RAWA le répètent à l’envie : quelles que soient les difficultés, la libération du peuple afghan ne viendra que de lui-même, et pas d’une quelconque intervention d’une quelconque puissance étrangère. Il en est de même pour le peuple ukrainien.

Concernant les armes, leur production, leur livraison
Nous reconnaissons au peuple ukrainien le droit de s’armer contre l’invasion impérialiste. Même si cet armement vient de nos ennemis. Sans oublier que c’est en comptant sur ses propres forces, en toute indépendance des grandes puissances que le peuple ukrainien pourra gagner une libération véritable. Le soutien en armement, ou plus généralement militaire, n’est qu’une aide supplémentaire, ils ne peuvent remplacer le combat du peuple pour sa propre libération.
Nous avons soutenu les parachutages d’armes anglais à la résistance communiste pendant la deuxième guerre mondiale, nous avons reconnu le droit du peuple bosniaque à se défendre contre le fascisme, nous soutenons le droit du peuple kurde à s’armer pour sa survie. Et nous soutenons le droit du peuple ukrainien à se défendre contre l’impérialisme russe. Même si la direction politique du peuple ukrainien est actuellement dans les mains de la réaction pro-occidentale. Nous ne pouvons en aucun cas défendre un pacifisme bêlant qui validerait l’expansionnisme et les agressions de l’impérialisme russe – en abandonnant au passage le peuple et la classe ouvrière à l’invasion. Et force est de constater que tous ceux qui aujourd’hui prétendent s’opposer aux livraisons d’armes à l’Ukraine sont des soutiens masqués à Poutine et à l’impérialisme russe.

Concernant NOTRE impérialisme, la situation politique en France. Nous nous opposons fermement à la militarisation accélérée de l’économie et de la société, au « réarmement » généralisé proposé par Macron. Du doublement de la production à la poudrerie de Bergerac ou à Nexter pour les canons Caesar à l’utilisation des fonds du Livret A pour l’industrie d’armement, en passant par l’uniforme à l’école et la généralisation du Service National Universel, et ainsi de suite, Macron et l’impérialisme français préparent la guerre à venir, nullement pour le peuple ukrainien, mais pour les intérêts bien compris de notre puissance dans la concurrence économique et politique mondialisée.

Il peut paraître un côté un peu « hypocrite » à reconnaître d’un côté le droit du peuple ukrainien à s’armer (donc y compris avec des armes françaises) et en même temps à refuser la militarisation de la France impérialiste. Le fait est que cette position dépend avant tout de la résistance du peuple ukrainien et de son indépendance par rapport à l’impérialisme et à la réaction.

Sur la situation en Ukraine
Le soutien internationaliste est compliqué par la faiblesse de l’opposition progressiste, démocratique, anti-impérialiste en Ukraine.
Mais nous constatons que le consensus national s’effrite en Ukraine, que les critiques de Zélenski se répandent, et qu’il apparait de plus en plus qu’il y a deux ennemis : l’impérialisme russe et l’intervention occidentale avec Zélenski à sa tête. D’un autre côté la lutte nationale anti-impérialiste se poursuit, et conserve un large soutien dans la population.
Cela dit, nous ne pouvons pas faire de parallèle avec la résistance durant la Deuxième Guerre mondiale en France, où il y avait clairement deux camps identifiés : la résistance bourgeoise gaulliste, liée à l’Angleterre et aux USA et la résistance communiste (qui d’ailleurs se mettra sous la direction de la première, mais c’est une autre histoire…). Aujourd’hui, nous n’avons pas connaissance d’un camp résistant anti-impérialiste et anti-Zélenski. Mais toutes les informations montrent que les contradictions de classe s’accentuent en Ukraine, qu’il s’agisse de la corruption, des mesures réactionnaires en matière sociale, des privilèges face à l’envoi au front, ou des inégalités. Ces contradictions vont nécessairement s’accentuer, et nous devons choisir notre camp.
Nous savons qu’il y a des forces, communistes authentiques, anarchistes, trotskistes, qui tentent de maintenir une indépendance de classe. S’ils sont aujourd’hui ultra-minoritaires, c’est vers eux que va notre solidarité et notre soutien. L’histoire nous enseigne que les guerres impérialistes sont le terreau fertile des révolutions à venir…

Sur l’impérialisme occidental
Il n’y a vraiment pas grand-chose à rajouter concernant le cynisme de l’impérialisme occidental. Déclarations ronflantes, mais soutien toujours sous réserves, soutien à Zélenski contre Poutine mais pas un mot pour le peuple ukrainien sinon en mode « nous nous battrons jusqu’au dernier Ukrainien »…
L’impérialisme occidental mène la guerre contre l’impérialisme russe (soutenu par l’impérialisme chinois), c’est la seule chose évidente, avec en perspective un futur conflit mondial.
Ils jouent avec le feu, avec cynisme, alors qu’ils n’ont pas non plus un mot pour le peuple palestinien, victime du génocide de Gaza.
Les impérialistes sont fidèles à eux-mêmes, il n’y a rien à en attendre.

Sur Poutine
De mois en mois, la nature du régime russe avec Poutine à sa tête devient de plus en plus évidente. Dictature et répression féroce contre les opposants de tous bords, alors même qu’avec courage une minorité de Russes pacifistes résistent au consensus guerrier. Répression sexiste et homophobe, retour de l’intégrisme religieux, régression réactionnaire sur l’IVG, le travail des femmes, c’est le retour de la réaction la plus noire, raciste et sexiste. Le tout de pair avec la conscription toujours croissante (surtout dans les minorités nationales), les centaines de milliers de morts soigneusement cachés (pour l’instant) et le terrorisme intérieur.
Sans oublier qu’en Europe, Poutine est un fidèle soutien et le bailleur de fonds de tout ce qui se fait le plus à l’extrême-droite la plus radicale, qu’il s’agisse d’Orban en Hongrie ou des groupes néonazis de divers pays.
Certains font le parallèle avec Hitler et le nazisme, l’annexion de la Pologne et des Sudètes en 1938/1939 pour alerter sur le régime poutinien et l’avenir qu’il prépare aux peuples du monde (Pologne et pays baltes au premier chef). S’il y a effectivement certaines analogies, il est encore trop tôt pour déclarer la mobilisation générale antifasciste que cela impliquerait. Mais il faut être très vigilant, sans se laisser manipuler par les propagandes de tous les bords.
D’autant que chez d’autres, le soutien à Poutine est acquis, dans certains pays africains en particulier, et en France même dans l’immigration de ces pays ou chez les nostalgiques de Marchais et de Staline. Le thème général est l’abandon complet de toute référence de classe et critique, au nom d’un anti-impérialisme de pacotille, « l’occident va devoir payer après tout le mal qu’ils ont fait depuis des siècles ». L’occasion de répéter que le prétendu pacifisme de ces militants n’est que le cache sexe microscopique de leur sympathie pour le dictateur réactionnaire et impérialiste de la nouvelle Russie capitaliste.

Au final, sans chercher à conclure, c’est le soutien inconditionnel au peuple ukrainien contre tous les impérialismes, occidentaux et russe, et contre la réaction de Zélenski qui est la pierre de touche qui doit nous orienter dans la confusion actuelle.
Oui la situation est extrêmement compliquée, confuse, d’autant que le camp des communistes authentiques, des maoïstes, est extrêmement faible, à la différence des deux guerres mondiales précédentes. Alors, hissons malgré tout haute de la solidarité internationale des peuples et de l’internationalisme prolétarien !

Courrier du KSRD d’Ukraine adressé à l’OCML Voie Prolétarienne, fin janvier 2024

Chers camarades,
Malheureusement, nous continuons à faire face aux conséquences des attaques sur nos maisons. L’alimentation électrique a été généralement rétablie, mais l’Internet est intermittent. En outre, à la fin de l’année 2023, dans le froid, les fenêtres ont été endommagées et ont également dû être réparées. Dans le passé, nous n’avons vu une telle vie que dans les films et les récits, de ceux qui ont survécu à notre Grande Guerre Patriotique, ou des témoins oculaires des guerres en Syrie, en Irak, en Bosnie.

Notons qu’au cours des derniers mois, on a vu apparaître des actions publiques menées par les femmes, visant au retour des personnes de la ligne de front ; il y a eu de nombreuses actions de ce type dans différentes régions. Elles se poursuivront probablement. Les slogans clés sont "Il est temps pour les autres !", "Les soldats ont besoin de limites". Lors de ces actions, les participantes plaident pour le remplacement de ceux qui sont sur la ligne de front depuis le tout début de la guerre (ou presque). Cela signifie à la fois une rotation temporaire (déplacement vers l’arrière pour se reposer et se réapprovisionner) et une démobilisation complète de ceux qui se battent depuis 1 à 2 ans sans interruption.

Dans le même temps, peu de gens soutiennent publiquement la fin de la guerre, même si, bien sûr, ces sentiments existent dans les masses. De nombreuses personnes tentent d’échapper aux difficultés de la guerre (à l’étranger ou au moins dans les régions occidentales de l’Ukraine), tant les hommes que les femmes. Cependant, la majorité d’entre eux tentent de s’adapter, ou se sont déjà adaptés. En particulier, on remarque que les personnes dont le logement a été endommagé ou complètement détruit s’emploient activement à le remettre en état, même si les destructions risquent de se répéter bientôt. Entre-temps, la haine des agresseurs reste à peu près au même niveau, ce qui s’explique aussi par le fait que de plus en plus de personnes ont perdu leur maison ou leurs parents et amis.

Les critiques à l’égard du gouvernement s’intensifient au fur et à mesure que se multiplient les manifestations de la lutte au sein du pouvoir et l’accaparement des richesses, tandis que des citoyens ordinaires meurent chaque jour par dizaines sur la ligne de front, au nom des intérêts égoïstes de la classe dirigeante. Les riches députés et leurs proches se vantent de posséder des biens de luxe et de faire des voyages luxueux à l’étranger, alors que le pays subit des attaques quotidiennes de la part de l’agresseur et que des civils sont tués tous les jours. Il y a également deux poids deux mesures de la part des soutiens occidentaux au régime en place, qui ferment les yeux sur la corruption et les conflits sordides au sein de l’élite dirigeante.

Il reste difficile pour les gens ordinaires de survivre, surtout en dehors des grandes villes ou des régions touristiques (comme les Carpates). Ainsi, à la fin de l’année 2023, 67 % des habitants du pays se trouvent sous le seuil de pauvreté, soit environ 20 millions de personnes, rapporte l’Institut de démographie et de recherche sociale d’Ukraine. En outre, la tendance à la hausse de la pauvreté est observée depuis 2014, lorsque le président Viktor Yanukovych a été renversé et que l’"invasion hybride" russe a commencé.

Les gens se sont particulièrement appauvris en raison de la guerre en cours - à titre de comparaison, en 2021, le taux de pauvreté indiqué par l’Institut était de 39 %, et en 2022, il atteignait 60 %. Les plus pauvres sont les jeunes familles avec enfants : avec la naissance d’un enfant, le risque de pauvreté augmente immédiatement. Par ailleurs, les retraités vivent toujours mal : la pension minimale est inférieure à 50 euros par mois au taux de change actuel.

Dans ce contexte, nous poursuivons notre travail auprès des masses, en particulier de la classe ouvrière. Nous sommes restés sur une position ferme : il n’y a pas de "bon" impérialisme, les impérialistes n’ont que leurs intérêts, pour lesquels ils sont prêts à sacrifier des peuples et des pays entiers. La cupidité et la pourriture du régime de Poutine ne signifient pas que l’Occident est bon et que nous devrions le prier. L’histoire du monde montre bien quels crimes les puissances impérialistes sont prêtes à commettre dans la lutte pour les sphères d’influence et les ressources importantes.

Malheureusement, la guerre se poursuit et apporte de nouvelles difficultés aux travailleurs. En outre, l’Union européenne, l’OTAN et l’impérialisme occidental en général se préparent clairement à une escalade militaire. Regardons les exercices à grande échelle de l’OTAN qui ont lieu actuellement et qui sont les plus importants depuis l’époque de la guerre froide. Et cela signifie, entre autres, la menace d’un conflit nucléaire, qui pourrait affecter la civilisation entière, jusqu’à sa destruction. Il est donc très important de faire tous les efforts possibles pour expliquer aux travailleurs la véritable essence des processus et des événements, malgré tous les mensonges de la propagande bourgeoise.

Salutations révolutionnaires !