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BOSNIE : comment on peut arriver à soutenir des fascistes
Partisan N°103 – Octobre 1995
Les bombardements de l’OTAN ont révélé les positions des uns et des autres.
Il y a ceux qui ont soutenu sans nuance, montrant que leur projet n’était autre que celui de la partition défendue par les grandes puissances.
Il y a ceux qui s’y sont opposé, parce que l’ONU, c’est l’impérialisme, la guerre et le nouvel ordre mondial. Nous en sommes et nous rappelons que nous défendons le retrait total de toutes les armées étrangères, des casques bleus, l’arrêt de tous les bombardements, la levée de tous les embargos et blocus (y compris donc contre la Serbie).
Mais parmi des derniers, on a vu apparaître ouvertement un courant de soutien à Milosevic et Karadzic, argumenté par une prétendue opposition à l’impérialisme. Avant de développer, citons deux extraits significatifs.
Une argumentation « particulière »
« Le principal, c’est l’agression impérialiste (…). De ce point de vue décisif, la résistance des Serbes en Yougoslavie est un facteur positif (…).
Notre position est donc celle-ci : « Nous ne soutenons pas l’orientation sociale réactionnaire de Karadzic, ni son nationalisme raciste. Mais dans la mesure où il lutte contre l’agression des Etats-Unis, de l’Allemagne et de leurs pions, Karadzic doit être soutenu à cet égard ».
Nous pouvons soutenir Milosevic dans la mesure où il se confirmera qu’il résiste à l’impérialisme (les Etats-Unis sont en train d’essayer de le ranger dans leur camp). Mais nous ne devons pas cacher deux facteurs :
1) En excitant le nationalisme serbe dans les années 80, notamment sur la question du Kosovo, Milosevic a lui-même fait le jeu impérialiste et précipité l’éclatement de la Yougoslavie.
2) Il est très possible que les intérêts propres de la bourgeoisie serbe l’amènent à capituler face aux impérialistes. »
(« Solidaire », journal du PTB, 20 septembre 1995)
« Quant à dire que Milosevic se réclame des Tchetniks, je répondrai que là encore il s’agit d’une intoxication, en effet, son parti le SPS (Parti socialiste serbe) se réclame du marxisme et prône un nationalisme purement défensif en face de l’impérialisme ; en fait, on devrait plutôt employer le terme de patriote que nationaliste en ce qui concerne Milosevic et le SPS. (…)
En cas de poursuite de l’intervention militaire contre les Serbes, il est possible que ces derniers se réunissent en un front anti-impérialiste qui engloberait les communistes (majoritaires) et les Tchetniks (minoritaires – Milosevic, Seselj et Karadzic, NdlR).
Ce jour-là, comme aujourd’hui, la place des communistes conséquents sera aux côtés du peuple serbe contre l’impérialisme et non pas à la remorque de sa bourgeoisie. »
(un lecteur pro-serbe, le 31 août 1995)
Qui représente les intérêts du peuple serbe ?
Il est malheureux de devoir le préciser : ni Milosevic, ni Karadzic ne représentent le peuple serbe. Ce sont des anciens dirigeants bourgeois de la Yougoslavie de Tito reconvertis en nationalistes féroces pour maintenir leurs privilèges. Milosevic était l’ancien directeur de la Banque centrale de Belgrade, ancien dirigeant de la Ligue des Communistes de Serbie. Karadzic était un ancien psychiatre également ancien dirigeant de la Ligue des Communistes de Bosnie. Leur marxisme n’est qu’une étiquette creuse qui leur sert à tromper les ouvriers et le peuple, ils n’ont rien, mais alors rien du tout de « communiste ». Comme le PC en France…
Sauf à considérer que l’ex-Yougoslavie était vraiment un pays socialiste ce qui serait une position intéressante… et nouvelle !
Nous renvoyons aux numéros passés de « Partisan » pour comprendre les évolutions en ex-Yougoslavie.
Milosevic et Karadzic ne sont pas anti-impérialistes
Les dirigeants de la Serbie (comme d’ailleurs Tudjman, Izetbegovic ou autres) ne sont pas anti-impérialistes parce qu’ils ne peuvent pas l’être.
Depuis le début du siècle et la domination de la planète par les grandes puissances, il n’est plus possible à des bourgeois locaux de diriger un quelconque pays de manière indépendante. Le développement du capital financier, du commerce mondial, des monopoles impérialistes, de la division internationale du travail et de leurs institutions (FMI, Banque Mondiale, ONU, OTAN etc.) modèle le développement économique, politique et social de tous les régimes de la planète. C’était d’ailleurs tout à fait le cas de l’ex-Yougoslavie.
La seule manière de mettre à bas la domination impérialiste réelle et sanguinaire, c’est de mettre en place un régime populaire, révolutionnaire, qui représente réellement les intérêts du peuple. Et cela, aucune bourgeoisie ne le fera, car ses intérêts y sont opposés.
Il peut certes y avoir des contradictions entre l’impérialisme des grandes puissances et les bourgeois des pays dominés. Mais elles sont secondaires, il s’agit de contradictions pour la modification du partage du gâteau, toujours au détriment du peuple. Et dans ces contradictions, même si les bourgeois des pays dominés peuvent avoir certains atouts (ressources comme le pétrole, militaire comme le régime serbe…) pour faire pression en leur faveur, ils sont en fin de compte toujours obligés de s’aligner. Car ils n’ont pas les moyens de leur indépendance et pas non plus les moyens de les obtenir !
C’est très clair en ce moment en ex-Yougoslavie, à voir la facilité avec laquelle ils sont en train d’arriver à un accord sous l’égide des USA. Bien sûr il y a des frictions, et il y en aura d’autres, mais il n’y a pas d’alternative.
Milosevic et Karadzic ne sont pas anti-impérialistes, ils ont simplement cherché à négocier la part du gâteau la plus importante possible à leur profit.
Quelles étapes ?
Tous ceux qui soutiennent les bourgeois serbes au nom d’un supposé anti-impérialisme se trompent lourdement.
D’une part parce qu’ils croient que ceux-ci sont opposés à l’impérialisme. L’histoire montrera ce qu’il en est, nous ne nous faisons pas de souci.
Ensuite parce qu’ils se trompent sur le processus de la révolution. Ils refont une erreur qui a déjà provoqué de graves échecs dans le mouvement révolutionnaire. Celle de croire qu’il y a d’abord des tâches anti-impérialistes, pour lesquelles on peut faire alliance avec sa bourgeoisie, et ensuite la révolution sociale. Ces deux étapes étant totalement séparées.
Même erreur d’ailleurs présente chez d’autres dans le combat démocratique : croire qu’il y a (par exemple en Bosnie, ou en Algérie) d’abord une étape antifasciste, où l’on peut s’allier aux bourgeois, et ensuite une étape de révolution sociale.
Or dans le combat démocratique, antifasciste ou anti-impérialiste, il y a déjà deux voies. Une voie bourgeoisie dont l’objectif est de reprendre le pouvoir, une voie révolutionnaire qui cherche par ce moyen à entraîner la lutte plus loin, car seule la révolution sociale peur garantir réellement et durablement la démocratie et la rupture avec l’impérialisme.
Et cela n’est pas sans conséquences très pratiques. Par exemple on voit nettement les deux voies dans le combat antifasciste :
S’appuyer sur les puissances impérialistes ou compter sur ses propres forces.
Développer le nationalisme ou l’internationalisme.
Développer le rôle des masses ou celui des experts et des dirigeants.
Préparer la libération sociale ou la remise en route de l’Etat démocratique bourgeois.
Ce n’est pas une vue de l’esprit : durant la deuxième guerre mondiale, ces deux courants ont été présents dans toute l’Europe au sein de la Résistance.
Concevoir la révolution en étapes totalement séparées, c’est enchaîner les travailleurs et les secteurs populaires à la bourgeoisie démocratique (elle-même soutenue par l’impérialisme), ou à des bourgeois qui se prétendent anti-impérialistes pour assoir leur pouvoir et ensuite négocier leur place avec ceux qu’ils prétendaient combattre. C’est empêcher l’indépendance politique des secteurs exploités.
Où cela nous mène…
Les deux citations en tête de cet article datent d’avant les accords de Genève et Washington qui montrent la collusion de régimes serbes avec les grandes puissances. Leurs auteurs doivent aujourd’hui être embarrassés, pais gageons qu’ils sauront rebondir.
Car arriver, pour des militants qui se disent « communistes », « révolutionnaires » etc. à soutenir des fascistes (c’est quoi des « nationalistes racistes » ?), c’est quand même proprement stupéfiant.
Voilà où mène la dérive de ceux qui n’ont rien compris à la nature des pays de l’Est, à l’influence de l’impérialisme sur la planète, à la libération sociale. Voilà qui doit encourager tous nos lecteurs à étudier l’histoire, le matérialisme, le bilan du mouvement ouvrier, l’économie politique. Voilà pourquoi Voie Prolétarienne met au premier plan la formation critique de ses militants et sympathisants, organise des écoles, stages, et donne autant d’importance dans son journal aux explications de fond.
La confusion actuelle des idées à la suite de l’effondrement du bloc de l’Est doit nous rendre archi-vigilants et renforcer notre volonté de comprendre et d’étudier.
Amis lecteurs, nos écoles sont ouvertes, pourquoi ne pas y participer ?
A.D.
