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Egypte : Les femmes sur les devants de la scène

Manar Attiya, dans Al Ahram Hebdo, 24 juillet 2013.

Depuis le 25 janvier, la femme égyptienne s’exprime à toutes les occasions. Elle veut non seulement se faire entendre, mais aussi changer le visage de son pays.
Egyptiennes et Egyptiens sont descendus dans les rues le 30 juin, dans la plus grande mobilisation populaire de l’histoire de l’Egypte.
Slogans vengeurs, klaxons stridents, toutes les villes d’Egypte s’animent d’un joyeux tintamarre. Madiha, âgée de 70 ans, est accompagnée de ses petits-enfants. Noha, 63 ans, voilée, se jette dans les bras de sa cousine. Salwa, 52 ans, vêtue d’une chemise et d’un pantalon, se met à crier en lançant des dizaines de feux d’artifice en l’air. Héba, âgée de 47 ans, est venue sur sa chaise roulante. Sa maladie ne l’a pas empêchée de participer à cette révolution, considérée comme la plus grande dans l’Histoire de l’humanité, d’après la BBC.
Depuis le déclenchement de la révolution du 25 janvier et jusqu’à ce jour, la femme descend dans la rue et y reste.
Que ce soit devant le palais présidentiel d’Ittihadiya, dans la cité du 6 Octobre, devant le club Al-Seid de Doqqi, à Mohandessine ou à Tahrir, dans les grandes villes ou dans les villages, des milliers de femmes sont présentes sur la scène.
Dans la rue et dans les marches qui convergent sur les grands regroupements, ce sont les femmes qui dominent la scène. Et même sur l’écran, ce sont les voix féminines qui prévalent. En dépit de toutes les menaces, des femmes de tout âge, de tout courant politique et de toute classe sociale sont là. Elles occupent les places d’Egypte. « Nous sommes descendues pour dire à Morsi qu’il n’est plus notre président », déclare Oum Sabha avec anxiété. « Pourquoi avez-vous tué mon fils ? Pourquoi voulez-vous tuer notre jeunesse ? », ajoute-t-elle.
Selon plusieurs observateurs, si l’ampleur de la foule dépasse celle des plus belles heures de la révolution qui avait eu raison du régime autoritaire de Hosni Moubarak, en février 2011, c’est à cause de la présence massive de la femme.
« Le rôle de la femme ne diffère pas de celui de l’homme. Nous ne sommes prêtes ni à céder, ni à accepter l’accès au pouvoir d’un nouveau Moubarak ou d’un autre pharaon. Aujourd’hui, la femme a pu prouver aux islamistes qu’elle n’était pas un objet. Elle a réussi à montrer à ces pseudo-islamistes qu’elle est un être humain à part entière et qu’elle est l’égale de l’homme. Ils veulent qu’elle recule des siècles », déclare l’écrivaine Farida Al-Choubachi, en faisant allusion à Hoda Chaaraoui. En 1923, Hoda Chaaraoui a ôté son voile et a milité pour l’indépendance de son pays et pour les droits de la femme. Elle se rappelle aussi Dorriya Chafiq, qui a arraché au roi Farouq le droit de vote pour les femmes en 1951. Sans oublier Nabawiya Moussa et Céza Nabaraoui dans les années 1920. « Ces militantes ont joué un rôle pionnier dans l’émancipation de la femme en Egypte », ajoute-t-elle avec fierté.
Consciente de sa force, la femme égyptienne veut montrer au monde entier qu’elle n’est pas faible, qu’elle est prête à tout pour son pays, et qu’elle sait très bien se débrouiller. « Ils ont tenté de nous terrifier dans les médias et les journaux en disant que les femmes seront sexuellement harcelées. Ils nous avertissaient de ne pas descendre dans les rues. Il s’agit d’un scénario préparé à l’avance et qui se répète lors de chaque manifestation anti-régime », relate Hend, 30 ans.

 

Le rôle de la femme n’est pas inférieur à de celui de l’homme.
Au cours de ces deux dernières années, les femmes sont devenues de plus en plus organisées. Pour elles, ce qui compte, c’est d’être là. Une réalité qui a obligé certaines d’entre elles à recourir à des astuces ingénieuses.
Chahinda Meqlad, l’activiste politique qui a 75 ans, avec dix autres femmes se sont mises d’accord pour louer un appartement donnant sur la place Tahrir, épicentre de la révolution. C’est sur la rue Champolion, que se retrouve ce groupe de femmes révolutionnaires hostiles au régime de Morsi. « Nous sommes convaincues que l’union fait la force. Notre appartement est ouvert à toutes les femmes qui, fatiguées, veulent venir se reposer un peu », dit Nour Al-Hoda Zaki. Durant les grands événements, ces femmes sont d’ailleurs très bien organisées, les plus jeunes descendent à midi alors que les plus âgées ne se rendent sur la place qu’après 16h. « On a fait cela pour être présentes sur place à longueur de journée et pour suivre de près tous les événements », note une autre femme du même groupe.
Elles sont toutes déterminées à atteindre leur but. « Comme on a pu renverser le régime de Moubarak, nous faisons la même chose aujourd’hui avec Mohamad Morsi, un an après son accession au pouvoir », lance Hoda Sabri, une femme de 61 ans à la retraite.
Le mur de la peur brisé
La femme est présente à toutes les manifestations.
Briser la peur, tel est le plus grand acquis de la femme durant les deux dernières années. « Au début de la révolution, je ressentais une certaine peur. Aujourd’hui, il est impossible que je reste chez moi », assure Nadine, qui descend avec sa mère de 75 ans. « Nous sommes en train d’écrire l’histoire de l’Egypte », ajoute-t-elle fièrement. « Il faut que les hommes et les femmes prennent part aux manifestations sans peur », estime-t-elle.
Le 30 juin, Nadine scandait avec la foule : « Le peuple veut le départ de Morsi », brandissant un carton rouge.
En effet, nombreuses sont celles qui ont défié leur entourage, mobilisant même les autres membres de la famille pour prendre part aux manifestations.
Ni la chaleur écrasante, ni la foule bruyante ne semblent les effrayer. Son fils Abdallah, employé, a beau lui dire de rester tranquillement chez elle, Oum Abdallah fait entendre sa voix depuis le premier jour de la révolution du 25 janvier 2011. « Cette fois-ci, j’exige le départ du président Morsi ! », assure-t-elle, haussant le ton pour se faire entendre.
Lors de la dernière élection présidentielle, Oum Abdallah a voté pour Morsi, le candidat des Frères. « Je pensais que c’était un bon musulman, quelqu’un qui allait prendre soin des gens comme moi », regrette-t-elle. Veuve et mère de trois enfants, Oum Abdallah l’avoue : Morsi n’avait ni le « charme » ni le « charisme » de Nasser, dont elle est restée fan inconditionnelle, mais « je l’ai cru lorsqu’il a promis d’améliorer la vie des Egyptiens dans son programme électoral avançant le soi-disant projet de renaissance ».
Depuis le 25 janvier, la femme égyptienne a apporté un véritable changement sur la scène politique, devenant un élément non négligeable pour l’équilibre des forces. Cependant, le 30 juin a été un véritable tournant pour elle. Dans certaines marches comme celles d’Héliopolis, elle forme la majorité. On pouvait entendre les manifestantes hurler : « La liberté ou la mort ». D’autres scandaient : « Mohamad Morsi ! Illégitime ! Frères musulmans ! Illégitimes ! ». D’autres encore scandaient : « Nous sommes le pouvoir et nous sommes le peuple » et « Le peuple veut la chute du régime ».
Aujourd’hui, rien ne semble empêcher ces femmes de participer et d’être présentes sur la scène. Certaines femmes descendent dans la rue avec une chaise pliante sous les bras. D’autres sont assises sur des bancs devant les immeubles. Elles avancent dans les manifestations. « Si nous sommes fatiguées, nous pourrons nous asseoir », précisent certaines.
Les canapés dans la rue
Pour la première fois, les femmes appartenant à ce qu’on appelle « le parti du canapé » sont descendues le 30 juin, éblouissant le monde par leur conscience politique et leur détermination. Ces femmes sont descendues dans le quartier de Doqqi et à la cité du 6 Octobre en faisant descendre leur canapé. « Non seulement le parti du canapé est descendu, mais les canapés aussi », ont-elles crié. « C’est un défi pour nous. Tout le monde disait que le parti du canapé ne participerait pas. Nous voilà toutes présentes dans la rue », note Galila, 80 ans, en souriant. Elle est fière de participer à cette scène inoubliable de l’histoire égyptienne.
Même les paysannes qui vendent des tomates et des radis au coin des rues ont participé à cette révolution. « Nous devons impérativement participer aux manifestations. On ne demande qu’à gagner notre pain. On n’arrive plus à vivre face à la hausse exorbitante des prix de toutes les denrées, même le pain … », note l’une d’elles.
Et même celles qui ne parvenaient pas à rejoindre les foules à cause de leur âge ou de leur maladie scandaient les slogans à partir de leurs balcons en brandissant le drapeau égyptien.
Toutes les tentatives de les terroriser n’ont pas abouti. Lors des dernières manifestations, les jeunes femmes qui n’ont pas réussi à entrer sur la place Tahrir n’ont pas hésité à se rendre à pied jusqu’au palais présidentiel d’Ittihadiya à Héliopolis parcourant un trajet de plus de cinq heures à pied. « Les islamistes craignent le rôle de la femme. Ils savent très bien que la femme égyptienne est courageuse et qu’elle va participer à cette révolution comme à la précédente », précise Doaa. En dépit du harcèlement collectif qu’a subi cette jeune journaliste de 34 ans pendant les manifestations de 2011, elle n’a pas hésité un instant à participer en 2013. « En novembre dernier, j’ai laissé mon mari et mes enfants pour venir manifester », ajoute-t-elle. Aujourd’hui, son mari a tenu à l’accompagner. Fatma vient ajouter avec colère : « Si les mots ne suffisent pas, on emploiera d’autres méthodes ».
Armée d’une aiguille cachée sous ses vêtements pour se protéger, Doaa ne rate aucune manifestation. « Mes amis et mes collègues étaient tout le temps à côté de moi pour me protéger. Un collègue est descendu exprès pour me venir en aide en cas de besoin », dit-elle avec fierté. Et Doaa n’est pas la seule à avoir encouragé des hommes à descendre.
Manal a encouragé son mari à descendre alors qu’il n’en avait pas l’intention. Le 30 juin, accompagnée de son mari, ses amies et ses enfants, elle a participé à une immense manifestation qui a débuté son trajet à la mosquée Al-Seddiq, située à Sheraton Héliopolis, passant par la place Al-Hégaz pour arriver à Ittihadiya.
Tout au long de la route, de jeunes femmes occupaient le devant de la scène et scandaient : « Ils prétendaient que la voix de la femme est un affront, la voix de la femme fait la révolution ». La foule composée d’hommes et de femmes répétait ce slogan en choeur.
Un vrai tournant dans la participation de la femme sur la scène politique. Alors que sa plus grande ambition était simplement d’être présente, aujourd’hui, elle occupe le devant de la scène et aspire à jouer un rôle-clé dans l’avenir de son pays .

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