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Interview de Ramy Saath, militant palestinien exilé en France

Partisan Magazine N°24 - Décembre 2024

Nous avons rencontré Ramy Saath, militant palestinien réfugié en France, connu pour sa participation à la campagne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) contre le sionisme, et ses positions remarquées pour un seul Etat Palestinien, laïque et démocratique.
Il nous semble important de prendre le temps de faire connaître la parole des militants qui sortent des schémas trop simplistes et acceptent de se poser des questions.

Néanmoins, nous ne partageons pas toutes les positions de Ramy Saath.
• Il critique selon nous trop faiblement l’impérialisme français allié ouvert et explicite du sionisme, pour lui reprocher d’être trop « faible » et de s’aligner sur les USA.
• De fait, il soutient assez ouvertement Arafat en minimisant ses positions politiques, pour l’opposer à Mahmoud Abbas critiqué (à juste titre) comme larbin de l’impérialisme. Il faut quand même rappeler que non, Arafat n’a pas déclenché la deuxième Intifada, qu’elle s’est même déclenchée contre ses compromissions et ses négociations avec le sionisme.
• Il soutient la stratégie militaire du Hamas, en jugeant que c’est un succès (alors que l’évidence montre le contraire) en restant silencieux sur son projet politique réactionnaire et ses liens avec l’Iran. Il se montre ainsi très admiratif de Sinwar, le commandant du Hamas à Gaza tué par les forces sionistes.
• Pour lui, malgré quelques réserves, l’Iran a un rôle très positif à jouer, il fait partie de l’Axe de la Résistance.

Nous ne pouvons pas partager ces positions, et l’avons exprimé à de nombreuses reprises. Cela dit, il nous semblait important de faire connaître ces positions et de poursuivre le débat.
Avec cette trame de fond permanente : « On récolte aujourd’hui ce qu’on a semé hier, et on récoltera demain ce qu’on sème aujourd’hui »…


Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Ramy Shaath, j’ai 53 ans, je suis palestinien-égyptien, originaire de Gaza, né au Liban, et j’ai participé à la lutte palestinienne tout au long de ma vie, de diverses manières. En tant qu’avocat, en tant que politicien avec le président Arafat, en tant que l’un des fondateurs du mouvement BDS, en tant que participant à la révolution en Égypte, et enfin, j’ai été emprisonné illégalement pendant deux ans et demi en Égypte en tant que prisonnier politique, et je suis maintenant exilé en France.

Que t’inspire la position du gouvernement français vis-à-vis d’Israël dans la situation actuelle ?

Malheureusement, c’est en partie attendu, la France est un pays colonial et elle a participé à la création de cette colonie en Palestine depuis le 19ème siècle, elle a été l’un des premiers pays à réaliser cette colonie et l’un des pays qui a continué à soutenir, armer, financer, envoyer des mercenaires et faciliter l’immigration pour la croissance de cette colonie en Palestine. La politique française d’aujourd’hui et sa position sur la guerre représentent donc cette quête coloniale, ce racisme hérité à l’égard des Palestiniens, des Arabes et des musulmans. Mais elle représente aussi, et c’est peut-être nouveau dans la politique française de ces 15 à 20 dernières années, une faiblesse de la France, qui est devenue de moins en moins indépendante dans la prise de décision et moins visionnaire en ce qui concerne ses intérêts et ses intérêts stratégiques, et qui a suivi les États-Unis. Donc, oui, c’est un autre symptôme de la position française, qu’elle est faible, qu’elle n’est pas guidée.

Faut-il espérer quelque chose des gouvernements arabes ?

Absolument pas. Malheureusement, en Palestine, au Moyen-Orient, l’Occident colonial a géré l’ensemble du Moyen-Orient avec cette dualité de l’occupation israélienne d’une part, et des dictateurs arabes, la plupart imposés et soutenus par l’Occident colonial. Les monarchies arabes, toutes, dans le Golfe, en Jordanie ou au Maroc, ont été élevées et mises au pouvoir par l’Occident et les colonisateurs. Et la plupart des républicains, comme le général Sisi en Égypte, ou d’autres, ont également été soutenus par l’Occident colonial. Leur objectif premier est de sécuriser cette colonie et de faire en sorte qu’elle se développe et garantisse les intérêts impériaux et coloniaux de l’Occident et du monde arabe. Donc, non, ces dirigeants ne sont pas élus, ils ne représentent pas notre peuple, et ils font définitivement partie de la guerre contre la Palestine.

Et du Fatah ou de l’Autorité Palestinienne ?

C’est une question beaucoup plus difficile. Je pense que le Fatah et l’AP ont commis une erreur stratégique en 1994 en adhérant à l’accord d’Oslo, en croyant les Européens, car j’ai participé aux discussions en Palestine, et personne en Palestine n’a cru les Israéliens ou les Américains. Nous avons compris qu’il s’agissait de deux criminels qui voulaient accroître leur colonie en Palestine, mais nous avons cru que les Européens avaient intérêt à imposer un certain droit international et des droits aux Palestiniens. Malheureusement, le Fatah a commis l’erreur d’accepter cette théorie et de s’engager dans un processus de paix très obscur qui a été utilisé pendant des années pour réprimer les Palestiniens, renforcer le contrôle israélien sur la Cisjordanie et sur notre territoire, et intensifier le nettoyage ethnique des Palestiniens. Mais les choses ont définitivement changé depuis 2004, depuis l’assassinat du leader historique de la Palestine, Yasser Arafat. Cet assassinat a mis fin à toute possibilité pour le Fatah de revenir dans le vrai combat et dans la vraie confrontation avec l’ennemi. Yasser Arafat, lorsqu’il a finalement refusé à Wye River et à Camp David à la fin des années 90, a déclenché la seconde Intifada en 2000, qui a finalement conduit à son assassinat. Cet assassinat s’est accompagné d’un contrôle et d’une occupation totale de la Cisjordanie par Israël, qui a imposé ce nouveau dirigeant, Abu Mazen (Mahmoud Abbas), à l’Autorité palestinienne et au Fatah. (…) L’AP est donc devenue un outil à part entière de l’occupation, pas seulement un outil politique, mais un outil d’oppression de la résistance palestinienne, d’oppression de l’aspiration du peuple à la liberté et au changement. (…).

Quelle est la stratégie du Hamas ? Quel était son but en lançant son opération le 7 octobre 2023 ?

Il y a eu une tromperie planifiée de longue date pour faire croire aux Israéliens que le Hamas n’avait pas l’intention de bouger, pour permettre le 7 octobre, mais le calcul était très simple. Premièrement, les Israéliens allaient procéder à la confiscation totale de la Cisjordanie et de Jérusalem. La profanation majeure de nos lieux saints, en particulier la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. Mais le plus important, c’est qu’il y avait un mouvement international mené par la puissance coloniale américaine pour contourner la Palestine, mettre fin à l’appel pour les droits des Palestiniens et valider la confiscation et la croissance israéliennes sur notre territoire.
Le premier objectif tactique, consiste à penser que cela permettra un échange de prisonniers. Nous avons constamment 5000, parfois jusqu’à 10 000 Palestiniens kidnappés et emprisonnés illégalement par Israël, et nous savons depuis des années qu’il n’y a pas d’autre moyen de les faire sortir que de procéder à un échange de prisonniers. Il s’agissait donc d’un objectif tactique.
Un autre objectif tactique est de réunifier la Cisjordanie et Gaza dans la résistance.
Un troisième objectif tactique était de mettre fin au plan de normalisation saoudien et arabe.
Le quatrième objectif tactique était de l’appeler Tufan Al-Aqsa (Déluge d’Al-Aqsa) pour souligner à nouveau l’importance du lieu saint d’Al-Aqsa et de Jérusalem en tant que parties intégrantes de l’aspiration et du nationalisme palestiniens.

Mais il y avait aussi deux stratégies majeures, Sinwar, les avait énoncées dans des interviews juste avant le 7 octobre. Elles étaient les suivantes :
• Premièrement, nous rendrons cette occupation beaucoup plus coûteuse pour les occupants. Pendant des années, les Israéliens se sont contentés d’assiéger Gaza et d’avoir un régime fantoche en Cisjordanie pour faire le sale boulot avec la population. Ils avaient donc une colonisation et une occupation bon marché, mais le Hamas les a rendues très coûteuses.
• Mais deuxièmement, il a dit, et je cite Sinwar juste avant le 7 octobre : « Nous obligerons les Israéliens à choisir entre : nous donner et se retirer des terres qu’ils occupent actuellement en Cisjordanie et à Gaza ou être exposés au monde comme un belligérant, un génocidaire, un criminel, un colonisateur ». Et là encore, Sinwar y est parvenu avec brio.
Et encore une fois, il avait quatre raisons tactiques, les prisonniers, l’ouverture du siège de Gaza, la mosquée Al-Aqsa, et la fin de la normalisation arabe, et jusqu’à présent, il a réussi.

Penses-tu que l’Iran et les groupes qu’elle inspire, comme le Hezbollah, agissent positivement ?

Honnêtement, j’ai généralement un problème avec l’idée de groupes inspirés par l’Iran ou par les mains de l’Iran dans la région. C’est une nouvelle tentative des colonisateurs de dévaloriser la capacité et la quête de résistance et de liberté de notre peuple et d’en faire un simple outil au service d’un jeu ou d’un intérêt iranien. Le pays est la véritable chose, le pays auquel les Palestiniens, les Libanais et les habitants de la région ont résisté, à cette colonisation et à cette occupation, et qui a résisté à la colonisation étrangère de la région au cours des cent dernières années. L’Iran n’est entré en scène qu’après la révolution iranienne, lorsqu’il a commencé à faire partie de l’axe de la résistance. Donc, oui, c’est un avantage pour les deux parties. Toutes deux voient que la seule façon de survivre dans cette région est de mettre fin à ce cancer, à cette colonie de peuplement que l’Occident a implantée sur notre territoire, qui se développe, qui s’étend, qui est un nettoyage ethnique. Je considère donc que l’Iran a un rôle très positif à jouer, qu’il fait partie de la résistance.

Que penses-tu de notre mot d’ordre "Palestine libre, démocratique, laïque de la Mer au Jourdain" ?

Je suis tout à fait d’accord avec le slogan et cela a toujours été notre rêve, notre quête, qui a été verbalisé par le mouvement national palestinien depuis le début des années 70, nous parlons d’un seul État démocratique de la Mer au Jourdain. Mais un État démocratique ne signifie pas que l’on permette aux colonisateurs ou à la communauté créée par les colonisateurs d’avoir des droits en Palestine. Cela signifie que notre objectif n’est pas de génocider des personnes en dehors de la Palestine, notre objectif n’est pas contre les personnes, notre objectif est contre le sionisme, contre la colonisation, contre le système d’apartheid et de génocide. Si nous libérons notre pays, nous ouvrirons notre cœur aux personnes qui n’ont pas participé aux crimes en Palestine, qui n’ont pas participé à l’apartheid et au génocide, pour qu’elles puissent vivre en paix, si elles veulent appartenir à une nation palestinienne laïque, démocratique et qui s’étend de la Mer au Jourdain.

Quelle stratégie et quel programme politique offrent, selon toi, une issue au mouvement national palestinien ?

Je pense que notre voie est de nous unifier, de résoudre rapidement nos problèmes internes et de poursuivre notre résistance, de continuer à développer nos relations non seulement avec l’axe de la résistance, mais avec un axe de la résistance qui va dans le monde entier, avec des peuples libres dans le monde entier qui réalisent qu’Israël est une entité criminelle, génocidaire et coloniale implantée en Palestine, qui n’a rien à voir avec les Juifs. Elle a tout à voir avec la cupidité, la colonisation, le racisme occidental et le besoin de dominer les Arabes et les Musulmans et de voler leurs ressources. Israël n’est pas seulement une colonie en Palestine, c’est une colonie fonctionnelle qui permet à l’Occident de contrôler l’ensemble du monde arabe, de maintenir des dictateurs faibles qui permettent à l’Occident de dominer.
Notre rôle est de nous unir à un spectre plus large pour combattre cette colonisation, et nous gagnerons nos droits.

Que devons-nous faire, ici en France, pour aider la lutte du peuple palestinien ?

Il y a beaucoup de choses, je pense qu’il y a une lutte de récit. Les colonisateurs ont toujours créé de faux récits et des mensonges sur la résistance palestinienne, comme ils l’ont fait contre la résistance algérienne, iranienne ou vietnamienne. Alors oui, la première chose à faire est de changer le récit et la compréhension qu’ont les gens de cette colonie.
Deuxièmement, il faut lutter contre la présence et la légitimité d’Israël, qui est illégitime dans le monde, et faire en sorte que les gens fassent la distinction entre leur lutte contre Israël et le sionisme et leur lutte contre un éventuel antisémitisme ou contre les problèmes religieux des gens.
Troisièmement, nous avons besoin de plus de boycott, de plus de sanctions, d’un mouvement de type sud-africain dans le monde entier qui fasse pression sur les occupants et rende les choses beaucoup plus coûteuses. Nous avons besoin de plus de liens entre les Français et les Palestiniens, leurs institutions et leur mouvement national. (…) En France, nous devons absolument changer d’attitude à l’égard de la Palestine, nous devons faire comprendre aux Français qu’ils ne bénéficient pas de la colonisation du pays, mais qu’ils en paient le prix. Ceux qui profitent de la colonisation sont une petite minorité de politiciens et d’hommes d’affaires cupides, mais les Français ne font qu’alimenter la radicalisation, la haine et le racisme, et les immigrés le paient encore plus.
Les Arabes ne veulent pas émigrer de leur terre, ils veulent y rester, mais y rester sans occupation et sans dictature imposée par l’Occident. Nous avons beaucoup à faire en France envers la Palestine.

Comment lutter contre la criminalisation de l’antisionisme ?

En la combattant de plus en plus, en l’affrontant, ils ne peuvent pas nous arrêter tous. Ils peuvent arrêter une minorité, un ici, un là, en essayant d’effrayer les gens pour qu’ils ne disent pas la vérité, qu’ils ne regardent pas la vérité en face, qu’ils ne se battent pas pour la vérité, qu’ils ne leur disent pas : « Vous êtes des criminels qui soutenez une idéologie criminelle, fondamentaliste, raciste, génocidaire, qui n’est pas acceptable, qui n’est pas en notre nom ». Et nous devrons tous le dire et faire grandir notre base jusqu’à ce que les autorités doivent reconnaître les droits des Palestiniens, les aspirations des Palestiniens et, surtout, le droit des Palestiniens à résister à l’occupation par tous les moyens, y compris les moyens militaires.

Que pensez-vous de la mort du chef du Hamas, Yahya Sinwar, tué par les forces israéliennes, et de ses conséquences sur le mouvement de libération ?

Sinwar était un grand leader palestinien. Comme tous les Palestiniens, je pleure aujourd’hui un combattant de la liberté, que sa mort a rendu encore plus historique. Il est mort dans sa tenue militaire, l’arme à la main, en combattant l’ennemi, sans se cacher dans les tunnels, sans s’entourer de prisonniers israéliens pour se cacher, sans vivre une vie d’hôtels et de voyages à I’étranger, mais en mettant toute sa vie sur le terrain à la tête de ses combattants dans un combat de liberté contre l’occupation. Je suis convaincu que les Palestiniens donneront naissance à des milliers de Sinwar et à des milliers de personnes désireuses et prêtes à prendre sa place, pour continuer à résister à notre occupation et à notre quête de liberté.

Avez-vous des mots à dire à nos camarades en France ou à l’étranger sur le mouvement palestinien et la lutte pour la libération en général ?

Je dirais deux choses aux gens. Il est facile pour l’Occident de sympathiser avec nous en tant que victime, et oui, nous sommes certainement victimes de génocide et d’occupation, d’injustice, mais nous ne sommes pas seulement une victime, nous sommes aussi une résistance. Si vous voulez soutenir la Palestine, vous devez soutenir notre droit de résister, de lutter, de libérer et notre quête de liberté avec les moyens dont nous disposons. Deuxièmement, soutenir la Palestine dans son cœur et verbalement est important, mais ce n’est pas suffisant. Nous avons un rôle à jouer pour faire perdre cette colonie. Nous avons un intérêt commun à vaincre le sionisme et la colonisation, c’est un combat commun. Lorsque nous libérons la Palestine, nous nous libérons tous, du capitalisme, de la domination, de la colonisation. C’est un combat commun, notre combat en Palestine pour la libération est lié aux combats des Européens pour leurs droits économiques et sociaux, il est lié à Black Lives Matter aux États-Unis, il est lié à la liberté des peuples en Afrique et en Asie. C’est un combat commun que nous devons poursuivre pour mettre fin à cette occupation.

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