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Quelles revendications contre la loi Travail ?

Le point d’accord : le retrait de la loi, sans conditions.

Là-dessus, c’est clair. Les camps sont désormais démarqués, les alliés du gouvernement marginalisés même s’ils attendent frénétiquement pour savoir où signer. CFDT, CFTC, FAGE ont disparu du champ de bataille et c’est tant mieux, on y voit plus clair.
Ce qui l’est moins, c’est le but, l’objectif, les revendications.
D’ailleurs pour toute une frange combative, pas besoin de revendication : un seul but, un seul objectif, faire plier le gouvernement, obtenir le retrait de la loi – finalement comme on a fait retirer le CPE en 2006 … (voir ICI). Pour ces camarades, ce qu’il faut c’est mettre un coup d’arrêt aux attaques du gouvernement, en finir avec des années de recul et d’échecs, c’est l’essentiel.
Bien sûr, tout le monde est d’accord.
Mais c’est quand même un peu court, ultra-défensif, alors que le projet El Khomri porte toute une série de questions très importantes pour le mouvement ouvrier et la jeunesse – et qu’il faut savoir quoi y répondre, qu’il faut savoir ce que nous voulons, nous.
Il est très important que le mouvement se construise sur une base revendicative claire, même si elle est réduite, pour bien cibler les attaques et savoir ce que nous refusons.
Faire plier le gouvernement, « bloquer tout » évidemment, mais pour nos intérêts à nous qu’il faut donc bien définir.

Unité étudiants-travailleurs contre la précarité capitaliste

Ce doit être le mot d’ordre central de la mobilisation, comme en 1968, comme lors du CPE en 2006.

D’une part parce qu’elle est au cœur des restructurations en cours dans les entreprises, ainsi que des réformes législatives depuis des décennies. Ensuite parce que dans cette revendication se retrouvent les intérêts des jeunes (petits boulots de merde, stages à répétition…) et des travailleurs (intérim, sous-traitance, travail des sans-papiers…).
C’est un mot d’ordre de classe, un mot d’ordre général contre un des fondements actuels de l’exploitation capitaliste, et elle fait l’unité. D’ailleurs, c’était déjà le cas contre le CPE en 2006 !
C’est cela qu’il faut avancer, qu’il faut afficher, autour de quoi regrouper, unifier la lutte actuelle : nous voulons un monde sans précarité, un monde où il y a un avenir visible, et pour cela il faut en finir avec l’exploitation capitaliste.
En particulier la revendication d’« embauche des intérimaires » est particulièrement bien venue pour illustrer ce mot d’ordre général.

Quelques mots d’ordre associés et complémentaires

- « Nous ne sommes pas de la chair à patrons ». Encore un mot d’ordre qui vient de 2006 et qui fait l’unité contre l’exploitation : « chair à patrons », c’est fort, c’est la référence à la chair à canon de la guerre militaire, c’est la remise en question explicite de l’exploitation qui transforme l’être humain en « ressource humaine » à côté des machines, des matières premières et des ressources financières… De cette société-là, on n’en veut pas !
Le capitalisme, c’est la guerre économique mondialisée, la guerre militaire à l’extérieur, la guerre économique et le besoin d’une chair à patrons de plus en plus docile, flexible, précaire, soumise. C’est un des objets de la loi El Khomri…

- « Non au travail le dimanche ». Mot d’ordre au cœur de l’actualité depuis la loi Macron. Malgré tous les efforts du MEDEF et du gouvernement, ça ne passe pas… et la loi El Khomri arrive pour contourner l’opposition et faire passer par la bande en s’appuyant sur les chefs et les fayots… Ah, c’est un mot d’ordre qui fait discussion parmi les jeunes, dans la mesure où ils sont souvent contraints de travailler le week-end pour payer les études. C’est vrai, mais cela doit s’articuler au droit au revenu étudiant etc. pour garantir l’interdiction du travail le dimanche.

- « Non au travail de nuit ». Vieille revendication du mouvement ouvrier (déjà portée pendant la Commune de Paris), abandonnée depuis des lustres par les syndicats au nom du réalisme. Pourtant 15% des salariés travaillent de nuit, habituellement ou occasionnellement et ce n’est pas très « naturel »…
Les jeunes nous le rappellent avec humour (voir photo), mais ce doit être une des revendications portée par la lutte, d’autant qu’un des enjeux du projet de loi est d’augmenter la flexibilité et la disparition de la coupure obligatoire de 11h a évidemment pour l’objectif de généraliser le travail de nuit, même partiel…

Les 32 heures ?

La revendication est réapparue, à la CGT comme à Solidaires, en forme de « solution miracle » au chômage : travailler moins pour travailler tous, juste une question arithmétique, une règle de trois.
Cette bataille est juste sur le principe : les gains de productivité ne doivent pas être transformés en chômeurs supplémentaires (ce qui est le cas actuellement), mais en temps libéré, pour vivre et pour lutter.
Mais avant de s’y lancer, il convient de faire le bilan du passé.
- La loi Aubry de 2000 sur les 35 heures n’était pas une réforme progressiste, désolé de chiffonner nombre de nos lecteurs. D’abord, contrairement à ce qu’on entend partout, elle n’a pas vraiment créé d’emplois : la loi a été votée début 2000 (alors que le chômage baissait) et ce taux de chômage n’a pas baissé depuis début 2001… La crise capitaliste est plus forte que les lois.
Ensuite elle s’est accompagnée de la récupération d’une multitude de jours d’entreprises qui existaient auparavant et qui ont disparu pour l’occasion (par exemple les jours de ponts, ou de garde d’enfants malades…). Et enfin, elle a eu comme contrepartie explicite la généralisation officielle de la flexibilité des horaires (modulation annuelle) et de la précarité du travail.
Le patronat ne s’est jamais gêné pour le claironner : les gains de productivité ont été tels que la réduction du temps de travail a été « récupérée » en quelques années seulement…
Si on se bat aujourd’hui pour la réduction du temps de travail, il faut bien cadrer le combat, et ce n’est pas vraiment le cas pour l’instant.
- S’il est juste de revendiquer la réduction du temps de travail, il convient également de prendre en compte le développement massif du temps partiel, légal ou illégal. Quand on sait qu’il représente en gros 4,6 millions de salariés (18% de la population active, dont 80% de femmes), on mesure mieux l’importance de la question. Il y a bien du monde qui voudrait aujourd’hui travailler 35 heures ! Et si ce n’est pas bien clair dans notre combat (associer la lutte contre le temps partiel à la réduction du temps de travail), la revendication peut sembler assez corporatiste en laissant de côté les secteurs les plus défavorisés.
- Enfin, on peut agiter haut et fort le drapeau radical des 32h, ça ne fera pas oublier toutes les « petites » attaques quotidiennes sur le temps de travail, le pointage en bleu, la modification des cycles de postes, la suppression des recouvrements, le badgeage devant l’ordinateur etc. Nous renvoyons à un autre article du blog "Où va la CGT ?" « Temps de travail : les simulacres et le vrai combat ».

Nous disons donc « Attention ! » dans l’usage de la revendication générale des 32 heures, juste « en principe », mais qui cache nombre de problèmes. Le combat pour la réduction du temps de travail est multiforme, et les exploiteurs ont particulièrement bien compris toutes les subtilités de ce combat, qu’il est plus malin de multiplier les entorses, les dérogations, la flexibilité, les petites attaques que de remettre en cause les grands principes… Regardez : Sarkozy n’a pas remis en cause les 35h. Valls et Macron jurent la main sur le cœur qu’ils n’y toucheront jamais ! Ah, c’est sûr, la formule restera dans les textes, mais dans la réalité elle sera détricoté maille par maille pour satisfaire le MEDEF…

La défense du Code du Travail ?

Il est sûr que le projet de loi El Khomri est une attaque sans précédent contre le Code du Travail, et il faut s’y opposer farouchement.
Mais de là à « défendre » le Code du Travail, il ne faut pas abuser.
Le Code du Travail organise l’exploitation, et enregistre, loi après loi, année après année, toutes les mesures patronales. Il suffit de le parcourir section après section (voir ICI), et tous les syndicalistes lucides l’ont remarqué, on voit la règlementation de la précarité, du travail de nuit, de la flexibilité, des accidents du travail, de la discipline et des règlements intérieurs, les règles des licenciements et les PSE etc.
Bref le Code du Travail enregistre légalement les formes de la dictature patronale. C’est cela l’aspect principal qu’il faut dire haut et fort, et défendre ce Code, c’est un peu fort de café…

Alors, on va nous traiter de fous et de gauchistes, nous dire qu’il sert de protection contre les attaques futures du patronat, contre les excès des patrons-voyous. C’est bien sûr tout à fait juste et il faut savoir l’utiliser sans hésitations… Aucun souci, n’empêche.
Mais ce qu’il faut défendre, ce sont les intérêts des travailleurs, ce qu’il faut c’est se battre sur des revendications claires, gagner les combats – et ensuite faire inscrire ces victoires dans la loi.
Mais c’est juste une illusion de voir la démarche à l’envers : imaginer d’abord gagner sur la loi pour gagner des acquis. C’est un rêve de bureaucrate réformiste qui n’a rien compris à ce qu’est le capitalisme, le rapport de classe, à quoi sert la loi et comment elle représente la dictature patronale.
Donc s’opposer aux attaques contre le Code, OUI. Défendre les revendications des jeunes et des travailleurs, gagner sur ces revendications, OUI. Défendre le Code du Travail, NON, et en tous les cas certainement pas comme une revendication pour le mouvement !

Larges extraits d’un article initialement paru sur notre blog "Où va la CGT ?" - 29 mars 2016

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