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Interview de l’OCML VP sur la mobilisation des Gilets Jaunes

Nous reproduisons ci-dessous une interview de l’OCML VP sur la mobilisation des Gilets Jaunes réalisée en décembre 2018 par le journal révolutionnaire Özgür Gelecek de Turquie et du Kurdistan.
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Votre organisation suit et rejoint la manifestation depuis le début. Qui étaient les manifestants au début et quel était le rôle des syndicats ?

 

Pour être tout à fait juste, nous avons rejoint le mouvement une semaine après la première journée d’action du 17 novembre. Il faut bien avouer que nous avons été un peu surpris par le caractère massif de la mobilisation du 17 novembre, et par ses spécificités. Au départ ce mouvement est difficile à cerner. Les gilets jaunes sont des personnes qui ne sont pas dans des organisations politiques ou syndicales, habitants des zones rurales ou dans des petites ou moyennes villes. Socialement c’est varié : les classes populaires sont mobilisées bien sûr, mais avec d’autres couches sociales, comme le petit-patronat (artisans et commerçants) ou des indépendants. Au niveau des revendications , hormis l’opposition à la taxe sur le carburant qui fait l’unanimité c’est aussi très hétérogène. En fait un mouvement comme celui-ci est assez inédit en France. Et les syndicats sont totalement absents en tant que tels des premières journées d’actions et de manifestations.

 

Après un certain temps, le nombre de manifestants a commencé à augmenter. Comment expliquez-vous cette explosion spontanée du peuple dans les rues ?

 

Dès le départ la mobilisation est massive : 300 000 personnes le 17 novembre selon la presse bourgeoise, mais sûrement bien plus au vu du nombre de point de blocage recensés dans tout le pays. Pour nous, le succès du mouvement s’explique principalement par deux aspects : l’aggravation des conditions de vie, et le mépris affiché envers les classes populaires par Macron depuis son élection. La crise économique est bien toujours là. Ce n’est pas nouveau, mais les effets se font de plus en plus sentir ... Pour les ouvriers et les prolétaires bien sûr, ce sont les premiers touchés. Mais elle touche aussi maintenant d’autres couches sociales, comme une partie du petit-patronat ou de la petite bourgeoisie salariée qui s’est mobilisée. L’autre aspect, c’est l’attitude de Macron ; pour beaucoup, c’est le « président des riches », celui qui a supprimé l’ISF (impôt sur les grosses fortunes). Et clairement la taxe sur le carburant déguisée en mesure écologique a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Que le gouvernement veuille faire payer la crise écologique à ceux qui n’arrive pas à boucler les fins de mois, ça n’est pas passé du tout.

 

Pouvez-vous également nous dire si les travailleurs migrants sont également impliqués dans ces actions et comment traitez-vous les groupes racistes de droite lors des manifestations ?

 

A notre connaissance les collectifs de sans-papiers ne sont pas impliqués en tant que tel dans le mouvement. Concernant les groupes d’extrême-droite, nous ne les avons pas directement affronté. Déjà nous n’en avons pas croisés, et dans les grandes villes nous avions fait le choix d’intervenir dans des cortèges identifiés comme progressistes. A Paris par exemple nous avons défilé au côté des cheminots et du collectif Vérité et Justice pour Adama. En tout cas dans plusieurs villes, les fachos se sont fait sortir des cortèges par des militants antifascistes, ou tout simplement par des manifestants qui refusaient leur présence, c’est très positif ! Cependant le racisme, le chauvinisme ou les manifestations d’autres oppressions comme le sexisme ou l’homophobie n’ont pas été seulement le fait de l’extrême-droite organisée dans cette mobilisation. Quand nous y avons été confrontés, nous les avons combattu en leur opposant nos slogans révolutionnaires et internationalistes. Et pour cela nous nous sommes appuyés sur les forces progressistes et révolutionnaires quand il y en avait autour de nous.

 

Ce sont les gens qui ont voté pour Macron il y a à peine un an. Comment expliquez vous ces réactions du peuple après seulement un an et demi de règne sur le pays ?

 

Nous avions fait campagne pour le boycott de ces élections. Déjà il faut préciser qu’un grand nombre n’a pas voté pour Macron, ou n’a pas voté du tout. Seulement 40 % des inscrits ont voté Macron et plus de 30 % se sont abstenus, ont voté blanc ou nuls. On ne peut pas dire non plus que le programme de Macron ait convaincu dans couches sociales qu’on retrouve aujourd’hui avec un gilet jaune, au contraire ! Et puis, voter une fois tout les 5 ans n’a par ailleurs jamais empêcher les classes populaires de se mobiliser.

 

Nous savons que les manifestations portent essentiellement sur les conditions de vie qui régressent, mais il existe également de nombreuses revendications concrètes. Macron a « prétendu » donner satisfaction à certaines des revendications mais le peuple continue à manifester. Dans le passé, les manifestations se terminaient après ce genre de situation, même si les conditions étaient généralement encore mauvaises. Qu’est-ce qui fait la différence aujourd’hui ?

 

Mise à part la taxe sur le carburant, Macron n’a pas vraiment reculé et les mesures annoncées sont vraiment des miettes. La hausse de la prime d’activité était déjà prévue, d’autres mesures sont carrément des cadeaux déguisés pour le patronat ! Clairement pour les gens mobilisés ne sont pas dupes, le compte n’est y pas ! Deuxièmement, depuis son commencement, ce mouvement échappent totalement aux organisations réformistes (dont les syndicats). En général dans les mobilisations sociales se sont ces forces qui dirigent le mouvement, qui le limitent et le canalisent, qui trouvent une issue « réaliste », dont le capitalisme peut s’accommoder. Ici les classes populaires investies dans le mouvement ne se soucient pas de porter des revendications « réalistes », mais de se battre par rapport à leurs besoins. Le rapport à la violence dans le mouvement le montre aussi assez bien. Les syndicats et autres organisations réformistes condamne fermement la violence, les « casseurs ». Mais dans les cortèges il y a un accord large pour dire que la violence populaire qui émane des manifs n’est pas grand chose par rapport à la violence sociale et économique du système que l’on subit au quotidien ; par rapport à la violence de l’État et de sa police aussi, qui répriment durement ces manifestations. Pour beaucoup de gilets jaunes, cette violence populaire est légitime !

 

Et quelles sont la ligne et le point de vue de votre organisation concernant la résistance actuelle ?

 

Syndicats absents, pas de partis à la direction du mouvement, ce mouvement est un bel exemple de soulèvement populaire spontané. On n’avait pas vu ça en France depuis les émeutes dans les quartiers populaires en 2005. Cela montre bien que les exploités n’ont pas besoin d’organisation pour se révolter. Au niveau politique, par ce mouvement beaucoup de personnes comprennent que pour que les choses changent, il faudra prendre nos affaires en main. Les personnes les plus combatives, les plus conscientes se posent des bonnes questions : l’emploi de la violence pour arriver à nos fins ; la question du pouvoir aussi : « Macron démission ? », mais après ? On voit cependant que le mouvement commence à montrer des signes d’essoufflement. Les manifs sont un peu moins massives, les revendications pêchent par manque d’unité : la spontanéité commence à montrer ses limites. Face à l’État et sa répression féroce, pour renverser le capitalisme et réellement changer les choses, les exploités ont besoin d’une organisation de combat solide, d’un quartier général. Bref d’un Parti Communiste. Notre organisation reste d’une taille modeste, nous n’avons pas la prétention d’être ce parti ni les moyens de faire infléchir la ligne générale du mouvement sur des bases communistes et révolutionnaires. Par contre, nous avons la capacité de faire avancer la conscience des personnes les plus combatives, et de nous renforcer là où nous intervenons au quotidien, : dans les entreprises et les quartiers populaires où nous sommes, en tant qu’OCML-VP ou via du travail dans des collectifs de masses et les syndicats. C’est ce à quoi nous travaillons, à notre échelle, dans ce mouvement.

 

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