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Il y a 50 ans : la Révolution Culturelle, une révolution dans la révolution

 

Pourquoi une « nouvelle » révolution, après la Révolution ?

 

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) est un épisode révolutionnaire court mais décisif de la révolution chinoise entre 1966 et 1969. C’est un mouvement social de masse, un combat de la lutte des classes, impulsé par les maoïstes pour s’opposer à la restauration du capitalisme et tenter de sauver le processus révolutionnaire et le socialisme. C’est un processus historique d’alliances et de positionnements très complexe, avec bon nombre de débats sur le sens à donner aux événements. Il faut être prudent dans les interprétations. La GRCP pose les questions concrètes du succès et des erreurs de la Révolution. Car il ne « suffit » pas de faire tomber des dirigeants corrompus pour transformer en profondeur une société. Les réactionnaires vaincus ne lâchent jamais l’affaire et les masses prolétaires doivent s’éduquer à diriger en vrai toute la société.

 

La lutte des classes continue après la Révolution ? Oui…

 

Depuis la prise du pouvoir par le Parti Communiste Chinois en 1949, de profondes transformations de la société ont été engagées (éducation, santé, réforme agraire et collectivisations, communes populaires…) mais beaucoup d’inégalités subsistent et une nouvelle bourgeoisie s’est approprié des positions de pouvoir (dans le Parti, l’administration, les mairies des grandes villes, l’encadrement en entreprises, etc.).
Dans les usines, les contradictions de classe subsistent encore. Les cadres n’ont pas intérêt au même titre que les ouvriers aux transformations révolutionnaires qui réduisent les privilèges. L’éducation est encore largement élitiste et réservée de fait aux enfants de cadres, d’anciens propriétaires terriens...
Ainsi quinze ans après la prise du pouvoir, il y a toujours une lutte (de classe) entre deux voies, deux camps. Le camp prolétarien et révolutionnaire est partisan d’élargir le pouvoir ouvrier à tous les aspects (travail, éducation, vie collective…). Le socialisme est une phase historique (longue) de la lutte des classes. La société est encore marquée par la contradiction Bourgeoisie / Prolétariat, qu’il faut transformer avec une ferme volonté pour mener la Révolution jusqu’au bout. Le camp révisionniste est partisan d’un « statu quo » social conservateur des inégalités et de la division du travail (qui dirige, et qui exécute ?). Il mise tout sur le développement de la production, qui renforce inévitablement ceux qui occupent déjà les positions dirigeantes. Il est représenté par les « liu-dengistes » [1], alliance des partisans de Liu Shaoqi et de Deng Xiaoping.
Pour que la révolution continue dans le sens du communisme, c’est-à-dire de l’abolition complètes des classes, le processus révolutionnaire doit rester vivant et porté par les masses populaires. Sinon la situation se fige, les anciens réactionnaires et nouveaux bourgeois poussent au développement du capitalisme, d’abord un capitalisme d’Etat puis le capitalisme tout court !

 

Mao résume ainsi la situation au début des années 1960 : « En un mot, la Chine est un pays socialiste. Avant la Libération, c’était à peu près comme le capitalisme. Maintenant encore, on pratique le système des salaires à huit échelons, la répartition selon le travail, l’échange par l’intermédiaire de la monnaie, et tout cela ne diffère guère de l’ancienne société. La différence, c’est que le système de propriété a changé. »

 

La G.R.C.P. est donc une nouvelle étape du processus révolutionnaire, car la Révolution ne se limite pas à la prise du pouvoir. Le socialisme ne se limite pas à déclarer que « tout appartient à tous », à exproprier les exploiteurs au profit de la propriété collective, publique, d’Etat.
Pour les révolutionnaires, la suppression de la propriété privée des moyens de production (par la nationalisation, la collectivisation) est un premier pas, nécessaire, mais pas suffisant.
Pour les révisionnistes, c’est en fait l’aboutissement, et le début de la contre-offensive vers une politique toujours plus bourgeoise. Pour eux, à ce moment-là, comme Staline l’avait écrit dans la Constitution de l’URSS de 1936, la lutte des classes c’est fini ! Maintenant il faut produire pour développer le socialisme, donc les étudiants étudient, les ouvrier-es travaillent (avec ardeur et en la bouclant si possible) et les cadres dirigent.
Les communistes chinois s’appuient sur cette expérience de la révolution russe, où la lente désagrégation du processus révolutionnaire a débouché sur la bureaucratisation, puis la restauration du capitalisme. Ils développent donc une autre conception du socialisme, qu’ils essaient de mettre en pratique. Ils théorisent qu’il faut mettre la politique (le projet communiste) au poste de commande et non l’économie. Dans une société incomplètement transformée, l’économie repose toujours sur les inégalités antérieures, il faut donc lutter continuellement. C’est l’évolution de ces rapports qui permet de juger si la révolution avance vers le communisme.

Modèle chinois vs modèle soviétique
 
Dans le contexte international de l’époque de la guerre froide (affrontement des blocs USA/URSS), il est difficile de critiquer publiquement et ouvertement le « modèle » soviétique. Mais en 1963, les maoïstes chinois formulent dans la « Lettre en 25 points » les bases de l’existence d’une nouvelle bourgeoisie sous le socialisme, et dénoncent en 1964 Khrouchtchev comme révisionniste. C’est la rupture dite sino-soviétique. Cela aura des répercussions dans tout le mouvement communiste international qui va scissionner en deux, entre ceux qui resteront fidèles à l’URSS et à Khrouchtchev (comme le PCF en France et l’essentiel des partis communistes) et ceux qui resteront fidèles à Staline, appelés « marxistes-léninistes ». Parmi ces derniers, ils vont eux-mêmes se diviser en deux. Entre d’un côté ceux qui resteront fidèles à Staline et à ses erreurs, emmenés par le Parti du Travail d’Albanie et son dirigeant Enver Hodja ; et de l’autre ceux autour de Mao et des maoïstes chinois qui entameront un bilan critique partiel des erreurs de Staline et de la restauration du capitalisme en URSS. L’OCML VP est issue de ce dernier courant (voir l’édito de Partisan Magazine N°4)

 

La lutte des classes traverse même le Parti Communiste ? Oui…

 

Au tournant des années 1960, face aux difficultés concrètes de la construction du socialisme, un premier bilan s’impose. Le mouvement révolutionnaire s’essouffle et la collectivisation (Grand Bond en Avant, voir article précédent dans ce magazine) a connu de graves échecs. Les révisionnistes au sein du Parti (Liu Shaoqi et Deng Xiaoping) exploitent ces erreurs et sont aux commandes de l’appareil d’Etat. Ils opposent les nécessités de la production, et mettent un coup d’arrêt au développement de la collectivisation. Ils mettent en avant le développement technique (la mécanisation) comme priorité par rapport à l’émancipation politique et à la transformation des rapports sociaux. Malgré des affrontements politiques avec le courant maoïste, ils ont réintroduit les primes et les salaires au rendement, une dose de propriété privée en faisant pression pour restreindre les communes populaires à la campagne. Sous couvert de « réalisme économique », il s’agit de revenir en arrière et « d’appâter » une partie des prolétaires avec des avantages matériels. Cette influence révèle la décomposition du lien entre le parti et les masses dans de nombreux endroits, et la formation d’une petite bourgeoisie d’Etat, bureaucratique, dans les niveaux intermédiaires du Parti Communiste Chinois.

 

En 1962, Mao réagit et déclenche un « Mouvement d’Education Socialiste (MES) », une campagne politique pour « combattre l’individualisme et élever une conscience socialiste dans les masses ». Mao différencie les cadres « bons ou relativement bons, ceux qui sont rééducables après l’aveu de leurs fautes et de leurs erreurs, d’une petite minorité engagée dans la voie capitaliste » [2]
Le MES part du principe de l’enquête en invitant les masses à critiquer l’autoritarisme des cadres et leur servilité à l’égard du pouvoir. Les cadres responsables de province, de communes, les officiers supérieurs de l’armée doivent aller travailler pour les récoltes. Il en va de même pour beaucoup d’étudiants (encore très fortement d’origine bourgeoise) qui sont envoyés à la campagne pour les grands travaux. Les organisations de masse, de femmes, de paysans, sont redynamisées.

 

Mao affirme aussi que la lutte de classe trouve son expression au sein du parti, et qu’il ne faut « jamais oublier la lutte des classes », ou alors « il se passerait peu de temps, peut-être quelques années ou une décennie, tout au plus quelques décennies, avant qu’une restauration contre-révolutionnaire n’ait inévitablement lieu à l’échelle nationale, que le parti marxiste-léniniste ne devienne un parti révisionniste, un parti fasciste, et que toute la Chine ne change de couleur » [3]. Mao sonne ainsi la première charge politique à l’intérieur du Parti lui-même.

 

Dès le lancement du MES, les cadres révisionnistes réduisent les consignes à un travail administratif, par exemple la purification de la comptabilité au lieu de l’action et de la critique politique populaire.
Tactiquement les directives de Mao ne sont jamais critiquées frontalement mais réduites à une application bureaucratique. De fait, elles sont largement sabotées ! Le propre des révisionnistes est d’avancer en masquant leurs positions. Tous se revendiquaient sans cesse de Mao, et plus ils étaient engagés dans la voie capitaliste, plus ils se réclamaient du socialisme. Les maoïstes les accusaient « d’agiter le drapeau rouge contre le drapeau rouge ! » Il n’était pas facile de les démasquer aux yeux des masses et de différencier les amis qui se trompent des ennemis qui se cachent.

 

Ces luttes politiques sont le reflet, dans le parti, de la lutte de classe qui continue dans la société. Ces évènements préfigurent par bien des aspects ce que va être la Révolution Culturelle, qui ne surgit pas d’un coup et de nulle part, mais exprime l’intensification des luttes politiques. Les maoïstes dans le Parti Communiste Chinois ont repris l’offensive politique. Mais la capacité de nuisance de la bureaucratie du Parti a été sous-estimée et s’est révélée plus forte que prévu. C’est ce qui poussera Mao à lancer une plus grande campagne de mobilisation des masses. Cette fois, la première cible qu’il désigne c’est le Parti Communiste Chinois lui-même : par le mot d’ordre Feu sur le quartier général ! C’est le début de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

 

La Révolution Culturelle, la « forme enfin trouvée de la lutte des classes sous le socialisme » (Mao) ?

 

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne est lancée de façon volontariste par le courant maoïste comme un mouvement de critique, idéologique, et « culturel ». Il s’agit d’implanter plus largement les idées révolutionnaires dans la vie sociale. Les masses populaires sont encouragées à s’organiser à s’exprimer (sous forme d’affiches et de journaux muraux, les dazibaos). Il faut former une nouvelle génération de militants et de dirigeants communistes, pour assurer l’avenir de la Révolution. La critique prend une ampleur inattendue, dépassant largement l’objectif assigné de quelques hauts dirigeants engagés dans la voie capitaliste : critique large des directions en usine, de l’éducation, politisation de la jeunesse, et elle se transforme en révolution politique. Mao qualifie la GRCP de forme enfin trouvée de la lutte des classes sous le socialisme [4].

 

Pourquoi une révolution « culturelle » ?

 

La Chine de l’époque est encore marquée par des mentalités imprégnées de féodalisme, opprimant les femmes, les minorités, de superstitions... Les maoïstes critiquent aussi la persistance de la pensée de Confucius (philosophe du 4ème siècle avant J.C.), et sa « théorie du juste milieu » [5], qui devient doctrine officielle de la dynastie des Han (à partir du 3ème siècle) et perdure encore. Présentée comme une sagesse, même encore aujourd’hui, c’est pour les maoïstes la défense du conservatisme social au profit des puissants. De même, ils dénoncent la « théorie du lignage » (à père cadre révolutionnaire, fils cadre révolutionnaire), servant de justification au népotisme politique dans le PCC, la Révolution n’étant pas héréditaire !
Les maoïstes combattent aussi la « théorie du génie » [6]
(au sein même du PCC), développant le culte de la personnalité et le culte du chef, dont Mao est l’objet via le Petit livre Rouge, créé par le militaire de l’Armée Populaire de Libération, Lin Piao [7], au début des années 1960, véritable « catéchisme de citations », ou encore son portrait étincelant rappelant les anciennes divinités contre lesquelles Mao luttait !
Les maoïstes mettent donc l’accent sur la lutte idéologique pour l’émancipation populaire, pour faire de la société toute entière une école. Ils lancent l’étude des œuvres de Mao, qui sont encore peu connues, plutôt que le Petit Livre Rouge, pour développer un esprit matérialiste et critique, ainsi que la théorie révolutionnaire.
Les débuts de la révolution culturelle prennent ainsi la forme de la critique d’œuvres littéraires. En novembre 1965, Yao Wen Yuan, un des futurs « quatre » [8], s’attaque à un cadre historien du Parti, mais la polémique sur la pièce de théâtre soulève en arrière-plan les problèmes économiques. Jiang Qing prône le développement de thèmes révolutionnaires dans la culture. Elle a déjà créé en 1964 un ballet moderne, « Le détachement féminin rouge » qui raconte un épisode de la guerre, au lieu d’empereurs, et de mauvais génies. Il s’agit de favoriser une culture égalitaire, sans préjugés, et qui parle de la vraie vie du peuple. Cette première phase, jusqu’au printemps 1966, est peu spectaculaire. Elle se déroule surtout au sein du Parti, secoue les cadres révisionnistes et déclenche une lutte acharnée.

 

Le courant maoïste à l’origine du lancement de la GRCP !

 

Au printemps 1966, une série d’articles de presse popularise la critique des directions en en place et l’expression publique par affiches. L’effervescence critique gagne le mouvement de masses. Le courant maoïste lance alors véritablement l’offensive dans tout le pays. Il y aura deux circulaires politiques exprimant la vision de la GRCP.
L’une en mai 1966 marque le début d’une lutte ouverte contre la fraction de Liu Shaoqi, et l’autre en août 1966 donne plus d’ampleur encore au mouvement. Les circulaires préconisent « d’éliminer les représentants de la bourgeoisie qui se sont infiltrés dans le Parti Communiste et qui s’opposent au drapeau rouge en arborant le drapeau rouge », de destituer les responsables pourris, jusqu’aux plus haut niveaux du parti et de l’Etat.
Un des premiers responsables destitués est le maire de Pékin, rien de moins ! Mais dès le début, les révisionnistes essaient de saboter le mouvement de critique.
Les « groupes de travail » créés pour animer la révolution culturelle (pendant 50 jours en juin-juillet 1966) sous-direction de Liu Shaoqi (le Président de la République) et de Zhou Enlaï [9] (Secrétaire général du Parti), épurent massivement les cadres (des plus petits échelons) en assimilant à la « Bande Noire du révisionnisme » le plus grand nombre pour en protéger quelques-uns (hauts-placés). Ils accusent les activistes étudiants d’être contre-révolutionnaires et de désobéir aux ordres du Parti (alors que les directives du parti étaient explicitement de faire « feu sur le quartier général ») en instruisant de véritables « procès ». Les groupes de travail seront très vite critiqués comme conservateurs. Ces méthodes seront caractéristiques des révisionnistes tout au long de la GRCP. Des étudiants et des travailleurs commencent à se regrouper en noyaux plus ou moins larges pour les combattre, groupes qui donneront naissance aux Gardes Rouges.

 

En aout 1966, sous l’impulsion de Mao, la direction du Parti Communiste condamne ces « groupes de travail ». Cette seconde circulaire, dite « décision en 16 points », affirme que la résistance à la révolution est forte et pose les principes qui vont guider la révolution culturelle :
- accorder la primauté à l’audace et mobiliser sans réserve les masses,
- que les masses s’éduquent dans le mouvement,
- résoudre correctement (pacifiquement) les contradictions au sein du peuple,
- les cadres rentrent dans 4 catégories : bons ; relativement bons ; ceux qui ont commis des graves erreurs mais qui ne sont pas des droitiers antiparti et antisocialistes ; un petit nombre engagés irrémédiablement dans la voie capitaliste,
faire la révolution et stimuler la production (mettre la politique au poste de commande).

 

Le courant maoïste dispose d’une influence politique, celle de Mao au Comité Central, et de leurs positions dans la presse, le Quotidien du Peuple, et le Drapeau Rouge. Ces journaux sont de véritables médias de masse, qui diffusent des consignes politiques et des analyses au fur et à mesure des évènements. Mais au final leurs moyens d’actions sont vite limités. Même si les militants révolutionnaires du parti se battent au sein des « groupes rebelles » ouvriers, ils manquent de lieux et de temps pour centraliser les expériences et se coordonner. La structure du Parti est éclatée par la lutte de ligne. La GRCP se développe contre le Parti, gangréné par le révisionnisme, et donc quelque part sans parti pour l’animer !

 

La jeunesse aux avant-postes de la Révolution Culturelle

 

Le système éducatif, maintenu ou revenu à l’éducation traditionnelle après le Grand Bond en Avant, est contesté de manière virulente. Les Gardes Rouges se constituent sur la base des noyaux d’étudiants, d’élèves et d’enseignants. Ils recrutent uniquement les enfants d’ouvriers et de paysans (et aussi des enfants de cadres du Parti, selon la doctrine du lignage, qui sera critiquée plus tard. Leur âge varie de 12 à 30 ans environ, mais la plus grande partie est lycéenne et a tout au plus 16-17 ans.
Le 18 août 1966, un million de Gardes Rouges manifestent à Pékin, et Mao, en portant leur brassard, officialise leur existence. Le port des uniformes rappelle les grandes heures de la Révolution. Mao donne pour mission aux gardes rouges de « bombarder les états-majors ». Ils ne peuvent jouer seuls le rôle décisif qui appartient à la classe ouvrière mais doivent être le catalyseur.
S’ensuit une semaine de violence dans les rues. Les gardes rouges s’efforcent de reprendre le pouvoir aux cadres jugés mauvais du Parti. Liu Shaoqi est attaqué sans être nommé par la presse. Puis Deng Xiaoping. Mais aucune sanction n’aboutit contre eux.
Les gardes rouges entrent dans les usines. Zhou Enlai insiste pour que cela ne perturbe pas le travail et la production. A Shanghai, les cadres révisionnistes du PCC appellent même les ouvriers à participer à la Révolution Culturelle en dehors de leurs heures de travail… Ils mettront toute leur énergie à empêcher les rapprochements entre étudiants et ouvriers. Exploitant l’inexpérience et les critiques maladroites des gardes rouges, partout où ils le pouvaient ils les présentaient comme des éléments contre-révolutionnaires, pour dresser les masses contre eux. Les révisionnistes ont délibérément cultivé le chaos et les contradictions au sein du peuple. Il y a à Pékin jusqu’à Trois Quartiers Généraux des Gardes Rouges. Le troisième, à l’initiative des gardes rouges de l’Université de Tsinhua à Pékin qui avait résisté aux groupes de travail, est attaqué en novembre 1966 par le comité d’action uni (enfants de cadres réactionnaires), ainsi que par un groupe ouvrier (armée des travailleurs rouges).

 

La classe ouvrière entre en masse dans la Révolution Culturelle

 

Des organisations de masses ouvrières sous la forme de « groupes rebelles » se créent. Le prolétariat est présent surtout dans les villes, en particulier à Shanghai où se développe un foyer révolutionnaire très important. Fin 1966, les organisations ouvrières à Shanghai accusent le maire d’appliquer la ligne pro-capitaliste de Liu Shaoqi. Les ouvriers sont entrés massivement dans la révolution culturelle, mais les cadres conservateurs sont tenaces et se cachent sous une ligne « de gauche en apparence mais de droite en réalité ». Ils s’appuient sur la frange conservatrice des travailleurs pour désorganiser la production. Ils poussent par exemple les ouvriers à quitter le travail pour aller protester à Pékin. Ils présentent les maoïstes comme voulant parler seulement de politique alors que les ouvriers veulent des augmentations de salaires. Ils les incitent à se cantonner à des revendications économiques, et à « se servir » sans tenir compte des écarts de conditions de vie avec les paysans, pour briser leur alliance. Ils encouragent à parcelliser les luttes et à multiplier les organisations concurrentes, pour provoquer la paralysie et montrer que révolution et production sont incompatibles.

 

Mais le mouvement ouvrier à Shangai est expérimenté, du fait de la longue lutte contre les occupations impérialistes. Il y a déjà eu des tentatives de « communes » dans les années 1920. Le débat se polarise sur la question des règlements d’usine, et des cadres, entre les révisionnistes pour qui seulement une petite minorité de cadres est à remettre en question, les maoïstes qui veulent rééduquer ceux qui peuvent l’être, et un courant pour qui 95% des cadres sont pourris et qui veut « tout critiquer, tout abattre », tout de suite. Les affrontements entre organisations se développent, et rend difficile le travail politique d’unité entre groupes rebelles révolutionnaires.

 

Le 6 janvier 1967, une alliance de groupes rebelles (un tiers environ des quarante organisations du moment) parvient à prendre le pouvoir et la Commune de Shanghai est proclamée (en référence à la Commune de Paris). Les anciens cadres sont destitués. Mais cette situation très avancée reste minoritaire [10].

 

Le courant maoïste soutient la création de la Commune et y voit potentiellement une nouvelle forme de pouvoir généralisable à tout le pays. Mais Mao y voit une initiative trop isolée et prématurée dans la situation générale chaotique du pays. La Commune de Shanghai est transformée fin février 1967 en Comité Révolutionnaire de Triple Union. La Triple Union comprend des rebelles révolutionnaires, des membres de l’Armée Populaire de Libération, et les cadres qui ont soutenu le mouvement. Rebelles et cadres doivent être désignés par les masses.

 

Pour Mao, c’est un compromis politique, censé consolider la Révolution Culturelle en isolant la droite. Dans la réalité, ce sera beaucoup moins évident. Dans tout le pays, c’est une période de lutte intense pour la mise en place de ces nouveaux organes du pouvoir. Mao demande à l’Armée Populaire de Libération de soutenir les rebelles révolutionnaires et d’assurer la production industrielle, par la force si nécessaire. L’Armée Populaire de Libération (APL) « arbitre » les affrontements entre factions, mais elle est elle-même divisée entre révolutionnaires et révisionnistes. Ceux qui ont le soutien du Comité Central du PCC et de I’APL locale renversent les cadres pro-capitalistes, ailleurs ils restent souvent en place. Les militaires de l’Armée n’appuient pas toujours la gauche, et les révisionnistes qui y ont des soutiens en profitent pour intensifier la répression des rebelles.

 

L’été 1967 : point culminant de la Révolution ou « guerre civile générale » ?

 

De vastes mouvements se sont développés, des grèves, des affrontements violents avec les autorités, ou au sein même des rebelles, entre fractions révolutionnaires et conservatrices, des répressions violentes jalonnent la Révolution Culturelle, à l’échelle d’un immense pays comme la Chine.

 

Se succède une alternance de courant de gauche et de droite, des mouvements complexes d’avancées et de reculs des rebelles révolutionnaires ou les cadres destitués sont souvent réhabilités. Le processus de critique contre les cadres pourris est parfois l’occasion de règlements de compte et de vengeances personnelles, et l’occasion de lyncher un adversaire en l’accusant d’être contre-révolutionnaire.

 

Des groupes d’opposition issus du PCC apparaissent (comme le Shengwulian) qui jugent le PCC irrémédiablement passés aux mains de la bourgeoisie et appellent à refonder un nouveau Parti Communiste. Ils seront éliminés, comme de nombreux groupes rebelles de toutes tendances.

 

A l’été 1967, Mao parle de « guerre civile généraled ». Le Comité Central du PCC, et notamment Zhou Enlaï, décident de reprendre en main la situation. Mao se range à leur point de vue. Décision qui se traduit par l’action de l’Armée Populaire de Libération, qui va désormais « rectifier » les gardes rouges rebelles, en commençant par leur faire rendre les armes (démilitarisation). Les comités révolutionnaires de la Triple Union sont maintenant composés à 50 % par l’Armée et le reste divisé entre cadres et rebelles (eux-mêmes représentés au début à 50/50 entre révolutionnaires et conservateurs !).
Des centaines de milliers de jeunes sont envoyés à la campagne, pour « se rééduquer » et disperser les organisations de gardes rouges. Ce sont aussi les écoles des cadres du 7 mai, basées sur la participation accrue des cadres au travail manuel et à la production.

 

La critique est recentrée sur un nombre plus réduit de cibles. Elle se concentre contre Liu Shaoqi, qualifié de « Khrouchtchev chinois », destitué, arrêté et emprisonné.

 

La Révolution Culturelle s’éteint. Ce sont les dernières luttes, dont les pires heures de la Révolution Culturelle, comme dans le Guanxi en 1968, où 4000 rebelles affrontent 30 000 soldats. De nombreux rebelles sont massacrés ou torturés. Sur cet épisode, on peut lire « Les années rouges » de Hua Linshan, témoin et protagoniste des évènements.

 

Au 9ème congrès du PCC en 1969, la moitié des membres du Comité Central viennent de l’APL. La Révolution Culturelle est présentée comme une victoire et une plus grande unité. Derrière cette façade unitaire, c’est une stabilisation politique qui fige la situation au profit de l’armée, pivot de la « reconstruction » du parti.

 

De 1973 à 1975, le courant maoïste dans un dernier sursaut, lance un grand mouvement d’études marxistes sur la dictature du prolétariat, et amorce un premier bilan de la Révolution Culturelle. Des textes qui nourriront la construction de I’OCML-VP à la fin des années 1970 [11]. Cependant, la base sociale chinoise continue de se transformer dans le sens de la restauration capitaliste, qui aboutira immédiatement après la mort de Mao en 1976. La « bande des 4 » est éliminée et toute contestation réprimée violemment. Puis c’est le grand retour de Deng Xiaoping, qui fait de la Chine à partir de 1978 un pur pays capitaliste, toujours en arborant la faucille et le marteau, bien sûr.

 

Quelles sont les avancées réelles de la GRCP ?

 

A l’avant-garde de la Révolution culturelle, il y a quelques expériences très importantes, mêmes si elles ne sont pas étendues à tout le pays.

 

Produire et travailler autrement, c’est possible !

 

Avant la Révolution culturelle, les usines du secteur d’Etat étaient à la fois dirigées par le comité du Parti et gérées par le directeur de l’usine, désigné et pas élu. La composition du comité du Parti était en principe décidée par les membres du Parti de l’usine même, mais en réalité il arrivait très souvent que le comité du Parti soit désigné par les instances supérieures de l’appareil du Parti. La révolution culturelle a développé une critique de masse de la division du travail, des directions, de la place de chacun, du système des primes, des règlements d’usine….
La nouvelle gestion dans le cadre de la production se passait ainsi : tous les problèmes essentiels sont discutés et approuvés en réunion par les ouvriers (planification, perfectionnement technique, sécurité et protection du travail, etc).
Dans le cadre de la triple union, les ouvriers ayant l’expérience pratique (c’est la force principale), les techniciens et les cadres unissent leurs efforts. Ils permettaient à la classe ouvrière d’intervenir dans le domaine des sciences et des techniques, de s’émanciper petit à petit du savoir des experts. « Rouges et experts » était leur slogan.

 

La GRCP a entrepris de résoudre les écarts issus de la division du travail. Les cadres devaient participer au travail productif comme les ouvriers. Des universités d’usine étaient créées, pour former des techniciens à partir des rangs de la classe ouvrière.

 

La résistance de la ligne révisionniste a été considérable. La ligne maoïste s’opposait depuis longtemps à la ligne de Liu Shaoqi. Mao avait formulé en 1960 une Charte d’Anshan (pour les ouvriers de l’aciérie d’Anshan) qui n’a pas été appliquée avant 1964 et a été popularisée ensuite par la GRCP.
Voici ce qu’elle disait :
- Placer toujours la politique au poste de commandement,
- Renforcer le rôle dirigeant du parti,
- Lancer vigoureusement des mouvements de masse,
- Appliquer le système de la participation des cadres au travail de production et des ouvriers à la gestion, réformer les règlements dans ce qu’ils ont d’irrationnel et assurer une étroite coopération entre cadres, ouvriers et techniciens,
- Encourager vigoureusement les innovations techniques et mener énergiquement la révolution technique. »

 

Cette charte s’opposait au règlement en 70 points de Liu Shaoqi, copié sur le modèle soviétique, dite Charte de Magnitogorsk (du nom d’un combinat sidérurgique russe) et donnant la primauté aux experts et à la technique, et plaçant le profit et le rendement de la production au poste de commande. La GRCP avait critiqué le système des primes et des stimulants matériels (primes au rendement) comme développant l’égoïsme, renforçant le système du salariat, au lieu de le réduire pour l’abolir ultérieurement.
En critiquant les règlements abusifs, les ouvriers chinois critiquaient l’organisation du travail héritée du capitalisme, sous-tendue par le « profit au poste de commande ». Ces règlements protégeaient la division entre travail manuel et travail intellectuel, entre ouvriers et techniciens, au lieu de la réduire.

 

Deux expériences sont particulièrement popularisées pour être reproduites, celle de l’exploitation pétrolifère de Taking et celle du village de Tatchaï, qui reprennent les directives de la Charte d’Anshan.

 

L’agglomération industrielle (exploitation pétrolière) et agricole de Taking. A la fois urbaines et rurales, les agglomérations où vivent les ouvriers de l’entreprise et leurs familles sont reliées par un réseau routier. Une région industrielle socialiste de type nouveau commence à prendre forme, qui associe l’industrie à l’agriculture, la ville à la campagne, au lieu de développer l’un au détriment de l’autre. Les femmes sont pleinement associées à toutes les tâches de production comme de direction. Liou Chao-chi et ses acolytes criti­quèrent les ouvriers de Taking pour s’être engagés dans les productions agricoles, disant que c’était « aller à rencontre de la division du travail ». Ils accusèrent calomnieusement les femmes d’avoir « abîmé la prairie » en prenant l’initiative de défricher de nouvelles parcelles ! (Photo)

 

Tatchaï est une brigade de production agricole dans un village pauvre de montagne, en Chine du Nord. Il y a d’abord une lutte des paysans pauvres et moyens contre les paysans riches qui refusaient la collectivisation. Après quoi, au prix d’un travail acharné, tout le village a été aménagé, arraché à la montagne, des dizaines de culture en terrasse ont permis de développer les ressources. Il y avait un grand arbre où les anciens propriétaires fonciers, battaient et pendaient les paysans pauvres accusés de vol ou autre, alors qu’ils voulaient juste se nourrir. Cet arbre était devenu un lieu de mémoire et de regroupement où ils apprenaient aujourd’hui le marxisme. La clé, c’était l’effort soutenu pour éduquer les paysans, la clé c’était le facteur humain.

 

Apprendre et éduquer autrement, révolutionner l’enseignement !

 

Faire de la société toute entière une école de l’émancipation ouvrière, telle était la dynamique de la Révolution culturelle. Education populaire contre éducation élitiste.
Mao avait dit : « Les écoles supérieures sont nécessaires. Toutefois, il faut réduire la durée des études, mener la révolution dans l’enseignement, et former un personnel technique issu des rangs des ouvriers. Les étudiants doivent être choisis parmi les ouvriers ayant une expérience de la pratique ; après quelques années d’études, ils retourneront à la pratique de la production. » [Cité dans Pour le Parti - Spécial Chine, 1978]
Le monopole de la compétence technique, source de hiérarchie dans l’organisation capitaliste du travail (et aussi des différences de salaires) est remis en cause par ce nouveau type d’enseignement. Capables aussi bien de fabriquer que de concevoir, capables de diffuser leurs connaissances parmi leurs camarades, les ouvriers- techniciens sont à même de diriger l’ensemble du processus de production. L’enseignement ne s’arrête pas à la formation de nouveaux experts, occupant la place des anciens : la révolution dans l’enseignement inclut le retour à la « pratique de la production ». Ces universités ouvrières (de même que celles mises en place à la campagne sur le même modèle) ont connu, à partir de la GRCP, un développement très rapide.

 

Les jeunes diplômés de l’enseignement secondaire doivent faire l’expérience du travail productif, connaître les conditions de vie et de travail des masses, participer à la lutte des classes dans l’usine ou à la campagne. Le recrutement des étudiants ne se fait plus selon le seul critère des connaissances intellectuelles et culturelles (examens), les étudiants sont choisis par leurs camarades de travail qui reconnaissent en eux la volonté et les capacités de se former pour servir le peuple. Apprendre, c’est aussi apprendre à ne pas mépriser le travail manuel, apprendre à utiliser ses connaissances pour transformer la réalité.

 

Une école bourgeoise « démocratisée » ne peut former que des cadres bourgeois avec des enfants d’ouvriers. La GRCP a montré que la révolution socialiste dans l’enseignement avait une autre dimension. (Extrait de Pour Le Parti - Spécial Chine 1978)

 

Penser autrement : Combattre les idées traditionnelles réactionnaires

 

Partie de la critique de pièces de théâtre, la Révolution culturelle a mis en avant l’importance du bouleversement des idées reçues qui participent à la reproduction des systèmes de domination. Partout, dans les entreprises, aux champs, dans les écoles, à la maison, ces idées héritées des anciennes sociétés sont un frein au développement des idées révolutionnaires. Elles font partie des bases qui permettent à une société de se reproduire, mais elles sont dans chaque tête individuelle. Sur la place et le rôle assignés aux femmes dans la société par exemple, avec un mot d’ordre comme « ce qu’un homme fait, une femme peut le faire ; ce qu’une femme fait, un homme doit le faired ». L’aspect « culturel » de la révolution signifie cela : l’ampleur et l’enjeu décisif de réévaluer et changer les idées et comportements anciens qui en découlent, tout ce qu’on appelle l’idéologie.

 

La GRCP nourrit encore aujourd’hui les débats politiques !

 

Parce que la GRCP reste une expérience historique d’une portée immense, elle génère encore une lutte de classe autour de son bilan et de son existence. Comme l’écrivait Jean Daubier, historien français contemporain de la Révolution Culturelle : « La révolution culturelle constitue un défi général à la conception générale de la vie, aux sociétés dites de consommation, au culte de l’argent, à l’élitisme et à l’individualisme. Elle montre que la renaissance du pouvoir bourgeois en URSS n’est pas une fatalité pour les autres pays socialistes et que les valeurs exaltées par le capitalisme sont historiquement relatives et dépassables » [12].

 

Pourquoi la GRCP déchaine-t-elle encore aujourd’hui la haine anticommuniste ?

 

Périodiquement, il n’y a qu’à voir à chaque anniversaire, les médias reprennent en cœur ce grand chapitre du « livre noir du communisme » qu’est la Révolution Culturelle !
La Révolution Culturelle est présentée comme une « guerre des chefs » autour de Mao, dirigeant omnipotent d’un parti monolithique. Cela a l’avantage d’éliminer le « peuple », tous ces prolos et ces paysans suivistes, incapables, qui auraient été aux mains des élites pour faire régner la terreur. Car l’enjeu réel est bien là, pour la bourgeoisie : discréditer à tout prix, complètement et pour toujours, toute tentative de dictature du prolétariat.
La classe laborieuse (classe dangereuse pour la bourgeoisie) ne doit pas exister politiquement, elle doit être un « peuple » fictif et docile ! Elle ne peut pas diriger, elle ne doit jamais savoir diriger ! Car l’histoire et la mémoire des luttes est une arme pour nous, et donc aussi un champ de bataille pour la bourgeoisie !
Ces critiques se retrouvent chez un certain nombre d’intellectuels petits-bourgeois « démocrates » où transparaît clairement un mépris de classe, colonialiste de surcroît. Ceux-là même qui glorifient la Révolution française de 1789 ! Une des choses reprochées est la pratique d’autocritiques publiques, pancartes autour du cou, par ceux-là même qui pratiquent quotidiennement le lynchage médiatique télévisuel et hurlent avec les loups aux criminels, aux voyous à propos des militants radicaux, des syndicalistes, des immigrés, etc.
Ce qui est visé, c’est la critique par la Révolution Culturelle de l’origine sociale très favorisée et de la place des intellectuels de l’époque, qui furent envoyés travailler aux champs dans les mêmes conditions, certes très dures, que la masse des paysans ! Sont donc quasi toujours mis en avant des récits individuels biographiques d’intellectuels envoyés aux champs pour décrire toute la barbarie des communistes.
A ces critiques, nous ne répondons pas par des citations du Petit livre rouge, mais par l’analyse concrète des faits, qui ne sont encore que partiellement connus. Nous ne cherchons pas à minimiser les violences, et les morts, car la Révolution n’est pas un diner de gala, c’est une lutte de classe pour le pouvoir. Le nombre de morts pendant la Révolution Culturelle se monterait à presque 1 million [13]…se comptant au premier chef parmi les masses populaires, dans la répression après 1968. Mais c’est une falsification grossière de l’histoire de dire que Mao a ordonné lui-même des exécutions de masse.
De plus, c’est le pouvoir de Deng Xiaoping qui a fait systématiquement détruire toutes les archives, brûler les documents de l’époque, ce qui est un frein réel au travail critique des historiens aujourd’hui à la recherche de la vérité.

 

Les Critiques « de gauche » faites à la GRCP

 

Plus intéressantes et d’une autre nature, sont les critiques de gauche, qui regroupent sous des formes différentes, le courant de l’opposition ouvrière (Rosa Luxembourg face à Lénine, voir Partisan Magazine n°4), des positions dites conseillistes, et anarchistes, ou encore celles assez connues en France du philosophe Alain Badiou.
Ces critiques reprennent l’existence embryonnaire d’un courant politique de la RC, « anti-autoritaire » voulant « tout abattre, tout dénoncer » selon les mots de l’appel de Shanghai du 8 février 1967. Ces positions ont en commun la mise en avant de la démocratie directe par la forme « communale », se prononcent contre l’Etat-Parti, et veulent passer de la prise au pouvoir à l’abolition de l’Etat tout court.
Reprendre le pouvoir central, le pouvoir d’Etat à la bourgeoisie, et le déconcentrer, le décentraliser sous la forme d’un pouvoir ouvrier : tout cela anime l’esprit et les directives de la collectivisation, de la pratique des milliers de communes populaires qui furent créées dès les années 1950 à travers toute la Chine. La dénonciation de la bureaucratisation, de la fusion du Parti et de l’Etat, ce sont des constats et des critiques justes, tirées du bilan des expériences révolutionnaires.
Nous prenons au sérieux ces critiques et nous ne les balayons certainement pas d’un revers de main. Cependant de notre théorie politique, et des leçons de notre pratique, et de celles du mouvement ouvrier avant nous, nous en tirons des objections.
Il est facile de désigner dans l’abstrait un ennemi à abattre (Bourgeoisie, Etat, Autorité, Hiérarchie, Parti, etc.), mais il est plus difficile de s’attaquer à la racine des problèmes, et de maitriser la critique et la lutte dans les faits.
En marxistes, nous ne jetons pas le Parti et l’Etat prolétarien avec l’eau du bain. Nous voyons la « nécessité » du Parti comme celle d’un Etat de type nouveau de dictature du prolétariat. Rien à rien à voir avec un modèle « fétiche », une marque de fabrique des communistes, il ne s’agit que d’outils et pas une fin en soi. C’est la forme qui a permis à travers l’histoire de prendre le pouvoir et de le garder un tant soit peu (pas assez longtemps encore) pour transformer la société, sans quoi les épisodes révolutionnaires se sont révélés éphémères (de cent jours à peu d’années). Le Parti et l’Etat sont des « stigmates », c’est-à-dire la marque que la société n’est pas majoritairement transformée. Lénine soulignait déjà en 1917 que « la transformation des rapports de production détermine le dépérissement de l’Etat » et du Parti ou pas… si le pouvoir ouvrier ne progresse pas significativement dans les faits.
Décréter qu’on les supprime ne fait pas avancer plus vite la transformation des rapports sociaux et de production. Aucune forme ou règle collective d’organisation n’est à elle seule une garantie suffisante, ni la forme syndicat, congrès des producteurs, ni la forme Assemblée Générale… L’égalité comme principe « dans la loi » se proclame, mais l’égalité dans tous les aspects de la vie se construit, à commencer par l’éducation à prendre en mains toutes les questions politiques, économiques, écologiques… La seule chose qui est une garantie, c’est l’intérêt ouvrier réel en lutte, et l’implication consciente et active du plus grand nombre de travailleurs. C’est de réduire l’écart entre les prolétaires les plus conscient-es qui sont les « leaders » au départ du mouvement révolutionnaire et la masse… dans le partage des tâches de direction, d’organisation, de prise de parole, etc… Chasser un tsar, couper la tête d’un roi, enfermer des dictateurs ne suffit pas à supprimer l’existence collective de la classe exploiteuse… Même renversée, elle cherche toujours à réinvestir les lieux de pouvoir, peu importe ce qu’ils sont, et elle se dit rouge si le pouvoir est rouge…
Nous faisons aussi la critique, qui est au fondement de l’OCML-VP, du culte parfois aveugle de la spontanéité des masses, faisant fi des contradictions, des idées réactionnaires, de l’aliénation… Nous avons confiance dans la capacité des prolétaires à se libérer et à libérer l’humanité toute entière, mais nous ne sommes pas naïfs, ni conciliateurs. Mao avait surestimé cette confiance, en essayant d’unir 95% des masses à 95% des cadres, et il porte sa part de responsabilité dans l’échec final de la GRCP.

 

Débattons des enseignements de la GRCP !

 

L’appréciation de la fin de la GRCP a provoqué de vifs débats dans l’OCML-VP, malgré une étude approfondie sur plusieurs années. Les divergences portaient par exemple sur les positionnements du courant maoïste et la critique des décisions politiques de Mao. La question de savoir si la Chine était encore « socialiste » en 1967… L’organisation n’a pu à l’époque de l’étude se départager clairement sur l’expérience historique elle-même.
On retrouve une partie de ces débats dans les anciens numéros de la Cause du Communisme, n°12 à N°14 entre 1998 et 2000.
Cependant les leçons politiques tirées de l’expérience chinoise ont enrichi notre ligne politique et notre compréhension des tâches des communistes pendant le socialisme.

 

Pour neutraliser les nouveaux bourgeois, c’est la base matérielle de leur apparition qu’il faut changer, donc la transformation en profondeur, la révolutionnarisation de toute la société. La séparation entre l’Etat, investi par les ouvrier-es et prolétaires les plus conscient-es (ce qu’on appelle l’avant-garde), et la grande majorité des masses, donne une base matérielle pour que se reproduisent des rapports de production capitalistes et une nouvelle bourgeoisie.
Seule l’action révolutionnaire pratique des masses est susceptible de créer progressivement les conditions de la disparition des rapports de production capitalistes et du développement des rapports de production communistes. Ce développement se réalise à travers l’élargissement du pouvoir, la suppression des classes et donc l’extinction de l’Etat.

 

La lutte politique, l’éducation et la lutte des classes, sont le moteur de la transformation de la société !
Pour exercer leur action révolutionnaire, les ouvriers ont besoin de structures de masse à la base où s’exprime la démocratie prolétarienne, et où ils apprennent à prendre en main les affaires de la société toute entière. Ces structures apparaissent pendant le processus révolutionnaire, ce sont les soviets, ou conseils ouvriers. Ils sont le fondement, avec le Parti Communiste, de la transformation révolutionnaire des moyens de production et des rapports sociaux. C’est en leur sein, par le débat politique le plus large possible, et dans la lutte politique qu’ils préparent concrètement les conditions du passage au communisme.
Les soviets devront se doter de principes de fonctionnement qui leur permettent d’étendre le pouvoir parmi les masses.
Ces principes, ce sont :
- La lutte contre la délégation de pouvoir ;
- La révocabilité des élus par la base et le contrôle permanent des mandats ;
- La limitation de la hiérarchie des salaires ;
- L’aménagement du temps de travail pour permettre aux ouvriers de se former et d’accéder aux tâches de responsabilité ;
- L’organisation collective de la production ;
- Le droit d’expression et d’organisation, notamment syndicale ;
- La préservation et la garantie des droits de la minorité.
Ces principes sont la condition de l’élargissement du pouvoir. Mais ils ne sont pas en soi une garantie absolue. Et les expériences ont montré qu’ils peuvent s’affaiblir à la suite d’erreurs politiques, des combats contre la bourgeoisie et de la guerre impérialiste. Il faut entretenir sans cesse l’essor révolutionnaire, et s’assurer que de nouvelles générations prennent le relais des premiers « vétérans », car la période de transition est longue !

 

Construire l’unité au sein du peuple par la juste résolution des contradictions

 

Il faut poser les contradictions, à chaque pas, mais combattre l’esprit de clan, le sectarisme et toutes autres tendances réactionnaires bourgeoises visant à saper la direction exercée par la classe ouvrière. On l’a vu pendant la Révolution Culturelle, la multiplication des organisations n’est pas nécessairement source de démocratie et de pluralisme. Cela a été aussi source de concurrence, d’affrontements, de rivalités personnelles. Il faut donc toujours avoir à l’esprit le souci de l’unité la plus forte et la plus large possible. Unité au sein des exploités, qui ne consiste pas à mettre sous le tapis tout ce qui fait problème, mais à en débattre pacifiquement et à résoudre les désaccords par la voie de l’expérience et du bilan politique.
Une dure leçon, entre autres, de la Révolution Culturelle, est le rappel que l’unité est toujours transitoire et temporaire alors que les contradictions sont générales.

 

Faire vivre le Parti et la théorie marxiste !

 

La GRCP nous donne des chantiers pour la construction du Parti ici et aujourd’hui.
Comment préserver le Parti du développement du révisionnisme ? Mao malgré son expérience et son influence politique s’est retrouvé plusieurs fois minoritaire, de même que le courant authentiquement communiste…
Une des critiques que nous formulons a posteriori au PCC est qu’il semble avoir eu peu de vie démocratique en interne, par exemple par la tenue régulière de congrès. C’est souvent le premier symptôme de dégénérescence, et de bureaucratisation. Il n’y en a pas eu pendant des années ! Les luttes politiques se sont donc déroulées de manière rampante sans que la base puisse bien mesurer la lutte de ligne grandissante et sans doute se mobiliser, du moins assez tôt.
De même, le Parti en tant qu’organe collectif a délaissé le travail théorique, c’est-à-dire l’étude critique des contradictions et de la lutte des classes en cours. Sans une analyse concrète, critique et actualisée au fur et à mesure des avancées et des reculs, il devient impossible de comprendre et de s’avoir où est la bonne direction.
Enfin la critique déjà dénoncée par Lénine de la fusion du Parti et de l’Etat doit être encore approfondie. Plus il y a de prolétaires éduqués et participant aux responsabilités d’organisation de la société, plus on réduit la fusion du Parti et de l’Etat, initiée par le manque de cadres ouvriers. De même plus il y a de prolétaires éduqués qui prennent en charge toutes les affaires sociales, moins il y a besoin d’un Etat en tant que corps spécial et plus on décentralise les responsabilités et plus on a de chances de travailler à son extinction…

 

Il nous faut creuser encore comment assumer d’emblée la construction du Parti et son dépérissement à terme, mais dans un même mouvement. C’est un apport fondamental du maoïsme, d’avoir développé une façon de faire de la politique et des méthodes de travail luttant contre la délégation, pour devenir tous dirigeants, et tous dirigés.

[1La droite révisionniste : Liu Shaoqi, Président de la République, sera dénoncé comme le « Khrouchtchev chinois ». Chen Pota, maire de Pékin, lui aussi une des cibles de la Révolution Culturelle. Il sera arrêté et mourra en prison en 1969. Sa mémoire est réhabilitée par Deng Xiaoping. Ceux qui seront les liquidateurs de la Révolution, Deng Xiaoping et Hua Guofeng, successeur de Mao, apparu tardivement mais qui va arrêter et réprimer les maoïstes dans tout le pays. Et surtout Deng Xiaoping, qui a fait ses études en France, et vécu en Union Soviétique, il a même travaillé brièvement à Renault Billancourt. Dès les années 1960, il cherche à diriger une politique économique capitaliste, en alliance avec Liu Shaoqi.

[2Discours de Mao devant le Comité Central du Parti en septembre 1962, repris ensuite dans les circulaires de 1966 de la Révolution Culturelle.

[3Idem.

[4La formule fait écho à Marx « La Commune est la forme « enfin trouvée » par la révolution prolétarienne, qui permet de réaliser l‘émancipation économique du travail », dans La Guerre Civile en France, citation reprise par Lénine et transformée en « première forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat ».

[5Seul le « milieu » est parfait, car une fois qu‘on se tient bien dans le « milieu », les choses ne peuvent aller à l‘extrême, et l‘ancienne stabilité qualitative des choses ne peut être détruite. En tant que conception de l‘histoire, cette théorie considère comme absolues et sacrées l‘ancienne forme socio¬ économique et sa superstructure ; elle nie la transformation révolutionnaire de la société, le mouvement de progrès de la société ; elle préconise les idées conservatrices, le retour à l‘ancien. La théorie du « juste milieu » de Confucius, Tcheh Kiun, 1975 http://chinepop.chez-alice.fr/chinepop2/justemilieu.pdf

[6La théorie du génie était portée par Lin Piao, à propos de lui-même, mais aussi de Mao. Elle instrumentalise la reconnaissance politique par les masses des dirigeants, vainqueurs de la guerre, pour la réduire au prestige individuel et servir des ambitions personnelles, comme si la justesse d’une ligne politique était le fait de « grands hommes ». Théorie dont on retrouve aussi le contenu en France dans l’enseignement de l’histoire.

[7Lin Piao ou Lin Biao : c’est un militaire, ex-ministre de la Défense, vétéran de la première heure de l’Armée Populaire de Libération. Il est l’auteur et l’initiateur du Petit Livre Rouge (recueil de citations de Mao diffusé dans les masses). Il entretient des liens avec l’URSS où il en tentera de s’enfuir en 1971. Il sera caractérisé « de gauche en apparence mais de droite en réalité » par le courant maoïste à l’issue de la Révolution Culturelle. De gauche, car il a notamment supprimé les grades dans l’armée, mais de droite en réalité car ce qu’il défend au final c’est le dogmatisme, un fort nationalisme, et le culte du chef.

[8Les communistes autour de Mao, que les révisionnistes appelaient la « Bande des 4 » dans un sens péjoratif, se référant à l’accusation de « bande noire du révisionnisme ». Jiang Qing (stigmatisée aussi pour être la compagne de Mao), Zhang Chunqiao, Yao Wenyuan et Wang Hongwen.

[9Ancien fondateur du PCC, diplomate, réputé habile, il a été Premier Ministre, puis Ministre des Affaires étrangères et enfin Secrétaire Général du Parti. C’est un centriste, très opportuniste, il soutiendra Mao tant qu’il sera fort, puis il s’alliera finalement à la droite.

[10Voir à ce sujet, la chronique du livre de Hongsheng Jiang, dans Partisan Magazine n°1, http://www.vp-partisan.org/article1376.html

[11Marx, Engels et Lénine sur la dictature du prolétariat, Mars 1975, http://www.vp-partisan.org/article1207.html

[12Histoire de la révolution culturelle prolétarienne en Chine, Petite Collection Maspero, Paris, 1971

[13Chiffrage en 2009 par les historiens Roderick MacFarquhar et Michael Schoenhals dans la « Dernière Révolution de Mao », Editions PUF, qu’on ne peut pas suspecter de sympathie envers le maoïsme.

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