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Les 28 heures dans la métallurgie allemande... l’intérêt ouvrier est-il soluble dans la flexibilité ?

Le syndicat allemand de la métallurgie, IG Metall, a négocié auprès du patronat la possibilité pour les travailleurs de la métallurgie de passer aux 28 heures hebdomadaires pour une durée de 2 ans. Cela a été présenté par la presse comme une victoire du temps libre sur le travail. Il en est ressorti aussi l’idée que si les ouvriers sont dociles avec leurs patrons en période de crise (comme l’ont été les syndicats allemands il y a quelques années), ils finissent par en être récompensés plus tard lorsque l’industrie se redresse. En réalité, l’accord passée en Allemagne ne réduit pas le temps de travail, mais paradoxalement l’augmente ; il ne donne pas plus de liberté à l’ouvrier, il le soumet encore plus à la précarité capitaliste.

Une victoire en trompe l’oeil

Les travailleurs pourront certes choisir de passer à 28 heures par semaine entre 6 mois et 2 ans... mais sans maintient du salaire, les 28 heures seront payées 28 (les seuls qui auront des compensations seront les salariés ayant des enfants en bas âge ou des personnes âgées à charge). C’est sûr, ce sera déjà plus facile avec un salaire de cadre qu’avec celui d’un ouvrier. On peut penser que ceux qui passeront aux 28 heures le feront souvent contraint, et si ce n’est pas par le patron, ce sera pour l’utiliser comme congé parental à temps partiel ; en Allemagne, il existe peu de structures du type crèche pour accueillir les jeunes enfants, et les mères finissent souvent au foyer.
Le seul point positif de l’accord, ce sont les augmentations de salaires. Des primes de quelques centaines d’euros, puis des augmentations de 3,7% en 2018 et 4% en 2019. Mais ces augmentations seront en réalités modérées par l’augmentation du coût de la vie.

En échange, le patronat a obtenu une flexibilisation accrue du temps de travail. Alors que la durée légale du travail dans la métallurgie allemande est de 35 heures, désormais les entreprises pourront faire travailler jusqu’à 50% de leur effectif plus de 40 heures par semaine, contre 18% au maximum jusqu’à maintenant. De toute manière, plus de la moitié des salariés de la branche travaillent déjà 39 heures par semaine. A long terme, donc, c’est bien une augmentation moyenne du temps de travail qui se profile.

L’équivalent allemand du Medef a reconnu que les augmentations de salaires auraient été difficiles à refuser vu la bonne santé financière de l’industrie allemande. Le patronat a donc lâché un peu de lest car aujourd’hui il peut se le permettre, mais avec les mesures de flexibilisation du temps de travail contenues dans l’accord, il ménage l’avenir et se dote d’outils qui lui permettront, à la prochaine crise, de faire payer encore plus durement la classe ouvrière. Aujourd’hui l’Allemagne manque de main d’oeuvre, notamment de travailleurs qualifiés. Le patronat a l’intention d’encourager immédiatement le passage aux semaines de 40 heures.

Le précédent des 35 heures

Bien sûr nous voulons travailler moins. Pour nous occuper de nos proches, avoir du temps libre, et faire de la politique. Surtout qu’à l’heure actuelle, sur nos lieux de travail, la tendance est plutôt aux heures sup’ imposées, à la baisse des barrières mises à l’extension du temps de travail. Mais que signifie le libre choix de passer à 28h lorsqu’on est subordonnés à un patron, à un salaire, qui nous mettent la pression ?

Mais ça ne veut pas dire que nous voulons travailler deux fois plus vite ou deux fois plus fort pour compenser cette baisse du temps de travail. L’idée derrière le "deal" allemand, c’était déjà celle de la réforme des 35 heures en France. Réduction du temps de travail en échange de sa flexibilisation. Elle s’est accompagnée de la récupération d’une multitude de jours d’entreprises qui existaient auparavant et qui ont disparu pour l’occasion (par exemple les jours de ponts, ou de garde d’enfants malades…). Ou la possibilité de sortir les temps de pause du temps de travail. Et enfin, elle a eu comme contrepartie explicite la généralisation officielle de la flexibilité des horaires (modulation annuelle) et de la précarité du travail. Le patronat ne s’est jamais gêné pour le claironner : les gains de productivité ont été tels que la réduction du temps de travail a été « récupérée » en quelques années seulement… Avec pour conséquence une augmentation des cadences, du stress, de l’épuisement, bref de la pénibilité physique et psychique du travail, et des maladies professionnelles qui vont avec.

Quelle lutte pour le temps de travail ?

Aujourd’hui, la nouvelle carotte réformiste, en Allemagne comme en France, c’est de faire croire qu’il serait possible de concilier les besoins toujours plus importants du Capitalisme en précarité et en flexiblité avec l’intérêt ouvrier. C’est le mythe de la "Flexisécurité". Ou encore celui de la "Sécurité sociale professionnelle" chère aux dirigeants de la CGT. Mais ce n’est pas possible. On l’a vu avec les 35 heures : à quoi bon travailler moins si c’est pour souffrir plus ?

La revendication de baisse du temps de travail ne peut aller de paire qu’avec la lutte contre les cadences, contre la pénibilité, contre la flexibilité, contre toutes les petites (et grandes) attaques patronales pour nous exploiter plus efficacement par ailleurs. Sinon ce que nos exploiteurs nous lâcheront d’un côté, ils le récupéreront de l’autre. Cela va également de paire avec la lutte contre le temps partiel subis par nombre d’entre nous ( près de 5 millions de salariés, dont 80% de femmes), qui aimeraient bien souvent travailler 35 heures pour avoir un salaire correct. Enfin, les gains de productivité qui permettent la baisse du temps de travail ne doivent pas être transformés en chômeurs supplémentaires, ce qui est le cas actuellement. La réduction du temps de travail doit aller de paire avec des embauches, pour qu’il n’y ai pas d’un côté ceux qui se tuent au travail, épuisés par les exigences toujours plus dures des patrons, et de l’autre ceux qui crèvent du chômage.

Voilà le sens de notre mot d’ordre indémodable : Travailler tous, travailler moins, travailler autrement !

Bulletin N°28 - Mars 2018
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