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Il y a 30 ans, Thorez jetait les bases du révisionisme moderne
Pour le Parti N°2AS - Novembre 1976
Le 19 novembre 1946, pour les lecteurs du journal bourgeois anglais le Times, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, exposait avec une grande « franchise » le nouveau cours bourgeois pris par le parti qui avait été jusqu’alors l’avant-garde du prolétarait en France.
THOREZ ne se contentait pas de commenter les positions prises par son Parti à la Libération, mais il allait plus loin en « théorisant » en une ligne politique systématique la trahison du PCF, et en présentant cette « théorie » comme un « enrichissement » du marxisme.
Il ne s’agissait de rien d’autre que de l’affirmation ouverte de la ligne opportuniste bourgeoise que THOREZ avait progressivement développée dans le PCF dès l’époque de la montée du fascisme (1934-1936) et que la IIIème Internationale n’avait malheureusement pas alors critiqué.
Il faut que les communistes se saisissent de cet anniversaire pour tirer la leçon de ces événments, alors même que des groupes comme HR ou le PCR reprennent aujourd’hui même un chemin identique en essayant d’entraîner les marxistes-léninistes et la classe ouvrière.
Négation du marxisme et embellissement de l’impérialisme français.
THOREZ présentait d’abord son parti comme un grand parti « national ». Son caractère de classe était gommé. En fait, le parti de THOREZ jouait bel et bien le rôle de serviteur de la bourgeoisie française et d’endormeur du prolétarait. De 1944 à 1947, il allait soutenir le relèvement de l’Etat impérialiste français en le présentant comme le « renouveau démocratique de la France », masquer la politique agressive de celui-ci (notamment contre les peuples coloniaux : en Algérie, en Indochine, à Madagascar) en appelant sans cesse au combat pour « la grandeur de la France », pour son « prestige international ». Il allait permettre le relèvement de l’impérialisme français aussi bien sur le plan politique (slogan fameux de THOREZ : « il ne doit y avoir qu’un seul Etat, une seule armée, une seule police ») qu’économique, en particulier en prenant la tête de la campagne pour la production minière (présentée bien sûr comme bataille de classe, comme servant les intérêts du peuple contre le soi-disant sabotage des trusts).
Ce rôle du PCF dans la politique de la bourgeoisie française n’était pas minime, mais indispensable. Sans lui, la bourgeoisie n’aurait jamais pu forcer ainsi les prolétaires de France à travailler aussi durement pour leurs propres exploiteurs [1].
Comme le fait remarquer aujourd’hui un ancien mineur dans un livre de souvenirs : « Je sais que je me suis crevé pour les 100 000 tonnes de charbon. Un type de droite, on l’aurait envoyé ballader. Mais un communiste ! » [2]
Aussi Thorez allait s’efforcer, dans cette interview, de présenter la situation de la France comme idyllique pour la classe ouvrière.
D’une part on marchait vers le socialisme sur le plan de l’infrastructure, grâce aux nationalisations : « elles portent atteinte à la toute puissance des oligarchies financières, elles limitent les possibilités légales de l’exploitation…, elles constituent un progrès dans la voie du socialisme ». Le PCF s’enhardissait. En 44-45 il prenait encore soin d’affirmer que les nationalisations n’étaient pas le socialisme, mais seulement une étape démocratique vers le socialisme [3], en tentant par là de concilier sa ligne bourgeoise de deux étapes avec les principes marxistes. Ainsi l’extension des nationalisations permettait de passer progressivement au socialisme, selon THOREZ sans toucher ni à l’Etat, ni aux rapports de production.
D’autre part, et sur cette base, on pourrait atteindre pacifiquement le socialisme par l’extension illimitée de la « démocratie », dont le progrès était tel qu’il permettait selon THOREZ, « d’envisager pour la marche au socialisme d’autres chemins que celui suivi par les communistes russes ». Mais deux ans plus tard, la police de Jules Moch, ministre socialiste, en tirant sur les mineurs en grève, montrait ce qu’il en était de ces contes de fées : une vaste supercherie, une mascarade.
D’ailleurs, un peu partout dans le monde, la réaction impérialiste se chargeait de démentir les beaux discours de THOREZ. La Grande-Bretagne agressait le peuple grec, les puissances impérialistes sabotaient le cours nouveau dans les « démocraties populaires » et appuyaient la droite, comme en Tchécoslovaquie, soutenaient les régimes fascistes en Espagne et au Portugal et, bien entendu, s’opposaient massivement aux peuples des colonies, elles préparaient la « guerre froide » contre l’URSS et le camp socialiste en formation.
THOREZ, au lieu de préparer le prolétariat de France à affronter cette situation nouvelle, en l’éduquant dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien, en démasquant la démagogie « démocratique » de la bourgeoisie, renforçait la propagande doucereuse des impérialistes sur le « monde de paix » qui allait prétendument s’établir.
THOREZ suggérait alors qu’il y avait — pour aller au socialisme — une autre voie que la voie de la lutte armée, devenue inutile au milieu de ce « progrès démocratique » et, pour la première fois, exposait la thèse du passage pacifique au socialisme.
Le Parti devait rester « dans le cadre du système parlementaire qu’il a contribué à rétablir ».
Enfin, il souhaitait pour l’avenir voir naître un « parti ouvrier français » qui mettrait fin à la scission de Tours en 1921 (entre communistes et opportunistes) non pas sur la base des principes marxistes-léninistes mais par « l’ouverture » du parti en particulier aux "travailleurs catholiques"), et sur la base des rêveries de la « démocratie nouvelle ».
Les thèses de Thorez et le mouvement communiste à son époque.
Ces thèses ne faisaient que systématiser la politique bourgeoise du PCF. Elles n’avaient, de plus, rien de vraiment spécifique au PCF, sauf que, peut-être, le Parti fut un des plus « audacieux » dans la justification de son propre opportunisme.
Car en ces années 44-47, fort complexes pour les communistes, beaucoup de Partis firent des concessions à l’opportunisme. De nombreux dirigeants des « démocraties populaires » se berçaient d’illusions sur l’évolution de leur pays et laissaient entendre qu’on pouvait faire l’économie de la « dictature du prolétariat » [4]. Le PC Italien suivait la même ligne que le PCF. Tous rêvaient d’un monde sans guerre, garanti par les « grands alliés ».
Néanmoins, cette gangrène opportuniste allait être provisoirement stoppée. Pouvait-on continuer à rêver lorsque l’Impérialisme Américain à partir de 1947 attaquait ouvertement le camp socialiste et tentait de soumettre les pays d’Europe ? Aussi, en 1947, la 1ère Conférence du Kominform allait-elle critiquer l’opportunisme de certains Partis, notamment du PCF : "il ne s’agit pas d’apporter de petites modifications, mais de changer de fond en comble la ligne" dira Jdanov.
Mais le PCF ne fit jamais d’autocritique sérieuse. THOREZ ne fut nullement critiqué sur son entretien au Times. On mit formellement au rancart la thèse du « passage pacifique », mais sans la remettre en cause sur le fond. Aussi allait-elle rapidement resurgir.
Les thèses de Thorez : leur succès dans le PCF révisionniste
On peut facilement voir en lisant ce qui précède que les conceptions actuelles du PCF font un large emprunt aux thèses de THOREZ.
On y retrouve la même négation du marxisme, le même culte de la "démocratie pure", le même bavardage creux sur la "renaissance de la France", la même croyance "naïve" dans le passage pacifique au socialisme, sans heurts et sans dommages (surtout pas pour... la bourgeoisie), la même défense en fin de compte de l’Etat impérialiste, qu’il suffirait de rénover par une large démocratisation (par ailleurs incompatible avec le développement du Capitalisme Monopoliste d’Etat prôné par le PCF).
Certes, il y a une différence entre le PCF de 1946, qui comprenait encore dans ses rangs d’authentiques combattants d’avant garde issus de la Résistance, et celui d’aujourd’hui qui n’est qu’une pure organisation de la petite-bourgeoisie et de l’aristocratie ouvrière. Il était extrêmement difficile, en 1946, d’imaginer que le PCF ne se corrigerait pas. Mais sur le fond il n’y a aucune différence entre les positions de THOREZ exprimées au Times et celles de Marchais.
Le PCF actuel reconnaît cela. Il ne manque pas une occasion de célébrer la "lucidité" de THOREZ. Et le PCMLF se garde bien d’une critique systématique des positions thoréziennes en 36, 39, 45 etc.
Les historiens officiels (Bruhat, Ellenstein) regrettent seulement qu’il n’ai pas été davantage suivi (il est vrai qu’il y avait une résistance à la liquidation du marxisme-léninisme, et dans le PCF et surtout dans le mouvement communiste international). Pour eux, le "marxisme créateur" (lisez le révisionnisme) a dû reculer devant le "sectarisme" ("stalinien") (lisez la défense des principes ml) [5].
Enfin, pour ces plumitifs bourgeois, ce que THOREZ avait pressenti, et que le PCF développe pleinement aujourd’hui, c’est l’’idée d’une voie typiquement française au socialisme, tenant compte des traditions nationales. Nous pouvons facilement corriger : cette voie "française", c’est la continuation du vieil opportunisme social-démocrate contre lequel le PCF des années 25-30 n’avait cessé de lutter - avec plus ou moins de succès.
Après l’abandon de la notion de « dictature du prolétariat », Mitterrand se réjouissait du triomphe du « socialisme démocratique français », de la revanche de Blum, leader des réformistes au Congrès de Tours où s’est constitué le PCF. Déjà, dans les thèses de THOREZ, dominaient largement les idées social-démocrates : culte de l’Etat, idée du changement social par accumulation de réformes au lieu d’une révolution violente, social-chauvinisme, idée d’un parti ouvrier aux frontières floues - tout cela a été prôné par les Jaurès et les Blum. Vieux refrains sur des airs nouveaux ! La nouveauté de THOREZ fut de faire croire que ces idées pouvaient se concilier avec le communisme, avec la défense des Etats Socialistes, avec le bolchevisme. En cela, il a jeté les bases du révisionnisme moderne, adaptation aux temps nouveaux et à la spécificité des partis marxistes-léninistes du révisionnisme ancien, préparant en même temps des reniements encore plus radicaux.
Notons enfin qu’il ne faut pas être trompé par le caractère outrancier des formulations de THOREZ et de croire que le révisonnisme, ce n’est que cela.
THOREZ et ses successeurs sauront donner à l’occasion une teinte plus subtile à leur trahison du marxisme. En particulier, les dirigeants du PCMLF, héritiers de THOREZ à bien des égards [6] ne manqueront pas de reprendre de manère camouflée les thèses révisionnistes sur la « démocratie populaire », comme étape vers le socialisme, sur le rôle « national » du parti communiste y compris dans les métropoles impérialistes, sur le "parti des travailleurs". Si en paroles ils ne défendront jamais le passage pacifique et la voie parlementaire, ils ne proposeront jamais une ligne conséquente de préparation à l’insurrection prolétarienne armée, de préparation à la dictature du prolétariat.
Ceci nous montre qu’il est important de critiquer les idées opportunistes dès qu’elles apparaissent, afin d’éviter qu’elles se constituent en ligne systématique, en pratique de trahison. A cet égard, nous devons particulièrement comprendre toutes les erreurs du PCF depuis le Front Populaire jusqu’à la trahison de 45, pour saisir comment elles se sont peu à peu développées, constituées, malgré l’existence de la IIIème Internationale.
Mieux nous comprendrons cela, mieux nous comprendrons que le révisionnisme en France est le produit de la pourriture, du fumier de l’impérialisme français (et non, bien sûr, de la trahison de Khrouchtchev en 1956) et mieux nous serons armés pour lutter pour un nouveau parti communiste de France.
[1] En cette fin 1946, les prix avaient augmenté en 5 mois de 50%, les salaires n’augmentant en été que de 18%
[2] L. Lengrand "Un mineur raconte..."
[3] Fajon, Cahier du Bolchevisme - Février 1945
[4] Cela allait des erreurs, vite autocritiquées, de Dimitrov aux thèses déjà révisionnistes de Tito ou Gomulka
[5] Voir le livre d’Ellenstein "le phénomène stalinien"
[6] cf la brochure de l’OCML Eveil "Marxisme ou Opportunisme"

