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Talbot : des leçons pour la lutte

Article de Pour le Parti N°65 - Février 1984

UN ENCADREMENT PEUT EN CACHER UN AUTRE

« CGT à la poubelle » ont dit les grévistes de Talbot-Poissy. Quel chemin parcouru depuis les grandes grèves du printemps 82 où les 0S de Citroën, Talbot, faisaient tomber le système CSL : le mot d’ordre était alors « CSL à la poubelle », les OS pour la plupart immigrés imposaient par le combat « leur » syndicat : la CGT.

Nous disions à cette époque que OS immigrés et CGT avaient un intérêt commun : se débarrasser de la CSL. Mais temporaire. La CGT ne remettait pas en cause l’exploitation ouvrière et visait, en ravissant « l’influence syndicale » aux fascistes, à gagner les nombreux fauteuils de gestion des affaires. La conclusion de notre analyse était que dorénavant, si l’encadrement fasciste était relativement écarté, les ouvriers « libérés » auraient à combattre l’encadrement bureaucratique CGT/PCF.

Tout ceci s’est parfaitement vérifié dans la pratique. Déjà entre les deux conflits on a parlé de « double CGT ». La base immigrée qui trouvait dans le syndicat un moyen de continuer la lutte contre des conditions de travail restées inchangées s’opposait aux responsables syndicaux plus soucieux de l’avenir de l’automobile française. « Produire français » quand on vient du Sud Marocain ça passe au-dessus de la tête.

Quant aux conditions de travail, ça reste en travers de la gorge. Comme l’affirmaient les grévistes de Talbot : « La mort de Talbot, on s’en fout, nous on est déjà morts ».

Le dernier conflit a provoqué un éclatement. D’un côté une CGT, huée, refoulée, ne contrôlant plus les grévistes, qui eux de l’autre côté, s’organisent en comité de grève. La ligne politique de la CGT, depuis l’annonce des 7 800 licenciements par PSA en Juillet jusqu’à la sentence en décembre a conduit à cette rupture inévitable.

Pas d’organisation de la lutte dès le départ, mais son contraire en remettant les intérêts ouvriers dans les mains liquidatrices de la juridiction bourgeoise. « Il n’y aura aucun licenciement » déclarait Krasuki. « Serait-il possible que la gauche fasse comme la droite » poursuivait Sainjon. Et puis de jour en jour, à mesure que s’intensifiait la riposte ouvrière, la CGT a montré de nouveau dans quel camp elle se trouve. De « non aux licenciements », elle est passée à « mieux vaut 2 000 que 15 000 ». Elle a applaudi l’accord du 17 décembre qui revenait sur 1 000 licenciements. Elle a tout fait pour isoler le noyau dur des grévistes en le qualifiant de « groupe de 150 extrémistes manipulés par des éléments extérieurs » (Krasucki). Les intégristes musulmans c’est chez Renault !! Elle a tenté d’organiser contre la grève ouvrière un référendum pour la reprise du travail : « 200 travailleurs ne feront pas la loi » (N. Tréhel, secrétaire de la section CGT-Talbot). Elle a délégué sur les lieux le leader marocain de Citroën Aulnay, Akka Ghazzi, fidèle cégétiste, pour essayer de réconcilier la base immigrée « trompée par des jusqu’auboutistes » avec leur syndicat « responsable devant les évènements ». La CGT a espéré l’intervention des CRS, tout en la condamnant avec la langue, pour sauver le site Talbot, pour assurer la liberté du travail. Car comme l’a dit N. Tréhel tout au long du conflit : « Nous ne sommes pas un groupe d’occupants, mais nous protégeons l’outil de travail » !! Et cela contre les ouvriers si c’est nécessaire.

Qui n’a pas déjà vécu ce scénario ! Toujours la même logique, le même cheminement : pourrissement de la lutte, pourrissement de la lutte... A peine deux ans après s’être donné la CGT comme syndicat, les ouvriers de Talbot ont été contraints de prendre leurs affaires en mains CONTRE l’encadrement CGT, pour défendre leurs intérêts, contraints d’affronter L’ENSEMBLE DE LA GAUCHE.

LA GAUCHE AU COUDE A COUDE

Le gouvernement PC-PS s’est une nouvelle fois couché devant les exigences du Capital. D’abord en désignant un expert qui conclut au sureffectif, et par là, de fait, entérine une future acceptation du PC-PS aux demandes de licenciements des nombreux candidats à la restructuration (chantiers navals, automobile, charbon). Puis, ’ face à la lutte des grévistes de Talbot, en ratifiant un accord qui accepte 2 000 licenciements et prévoit un plan social de reconversion bidon. Enfin, en envoyant une armée de CRS briser la grève ouvrière, sous prétexte d’empêcher Talbot de lookouter !

La gauche dans son ensemble, à l’occasion du conflit Talbot, mène campagne sur les restructurations « à visage humain », sur leur caractère inévitable, national, « historique ». Ceci afin de mettre en condition les futures victimes. Tout subordonner à la bonne santé des entreprises est la devise de chacun. Mais faisons du social, discutons autour de la table. Evitons de nouveaux Talbot. Sous-entendu attention à la colère ouvrière.

La CFDT propose les 35 heures pour réduire les licenciements, créer des emplois. D’accord ! Mais attention, au niveau de plusieurs pays européens, afin de mettre tout le monde au même niveau de compétitivité. Pas question que la France seule voit ses coûts de production grimper !!

Le gouvernement PC-PS est d’accord pour le social, mais pas trop tout de même, car ce qui sera donné aux uns, il faudra le donner aux autres ; et face à la crise qui n’en finit pas, on ne peut distribuer les millions à tout vent, obliger les patrons à embaucher. A ce propos, concernant le plan social Talbot, des militants CFDT de l’ANPE et de l’AFPA affirment n’avoir « pour l’instant rien de plus à offrir aux travailleurs de Poissy licenciés que ce qui est proposé aux autres travailleurs »

On se souvient de la polémique qui a suivi l’accord du 17 décembre. Victoire ont clamé les syndicats, la CGT parlant même de reprise du travail : 1000 licenciements de moins, plus de primes, des reconversions, etc. Mais, face à la base gréviste qui a littéralement refusé le social de la gauche, les syndicats ont fait une magnifique pirouette. On ne nous a pas consulté, ont-ils prétexté, pour se démarquer du gouvernement !

Une activité correcte est à mettre à l’actif de la section CFDT-Talbot. Elle a mené la lutte sur « zéro licenciement » jusqu’au bout. Elle a soutenu le comité de grève et affronté la marée anti-ouvrière qui s’est abattue sur Poissy. Sa position ambiguë sur l’intervention des forces de l’ordre à la fin du conflit reste au débat mais n’efface nullement sa position de classe tout au long du conflit.

A l’inverse, on peut s’arrêter sur la confédération CFDT qui a laissé isolée la section Talbot. Pas de mouvement d’ensemble au niveau de l’automobile. Difficile de soutenir des ouvriers qui luttent contre les restructurations quand on est soi-même pour. La CFDT s’est donné un visage plus radical pour redorer son blason face à la montée d’influence de FO (élection de la Sécu), face à la force de la CGT dans la métallurgie.

Puis, quand les ouvriers décident d’aller « jusqu’au bout » pour défendre leurs intérêts, sans les syndicats qui s’arrêtent aux barrières du légalisme, de l’unité nationale, du profit, tous les bureaucrates rejoignent le camp de l’appel aux flics (voir l’intervention de Grangier, secrétaire de la métallurgie CFDT) pour briser et mâter ce qui sort du carcan bureaucratique, ce qui est prise en mains par les ouvriers de leurs affaires, ce qui est ferment pour les luttes de la classe ouvrière. A savoir l’embryon du pouvoir ouvrier contre le pouvoir bourgeois, du ministre au permanent local, chargés de faire appliquer les plans de crise.

RENFORCER L’ORGANISATION INDEPENDANTE

En cela, à l’heure du tour de France des restructurations qui laisse, laissera des milliers de licenciés sur le bas-côté, sachons nous emparer de l’expérience des ouvriers grévistes de Talbot. Avec la crise, les miettes à distribuer se restreignent. Aussi se multiplieront interventions ou des jaunes, ou des CRS pour casser la résistance ouvrière à l’exploitation. Face aux appareils syndicaux, face à l’Etat flic PC-PS, nul doute que l’organisation indépendante de la classe ouvrière est une nécessité urgente pour riposter à l’attaque de la bourgeoisie.

Le comité de grève, comme l’ont mis en place les ouvriers grévistes de Talbot, peut être une arme contre les appareils syndicaux. Mais la véritable force des ouvriers est leur PARTICIPATION ACTIVE pour transformer leur apport à la lutte, leur rapport à la société. Non pas assistés du permanent, du syndicat ou du comité de grève, mais dirigeants sur chaque problème soulevé par le combat. Dans ce sens peut être et doit être abordée la question de la résistance aux fascistes et CRS. En opposant à l’isolement local que créent les directions syndicales un rapport de forces de plusieurs usines d’un quartier, d’une zone, voire d’une région, sur les intérêts immédiats et à long terme de la classe ouvrière. Aller vers un rapport de forces national pour les 35 heures immédiates sans perte de salaire, sans intensification du travail, face aux restructurations du Capital. Non pas limiter la lutte à sauver son propre emploi, sans cesse remis en cause par le capitalisme, mais la relier à la lutte pour que tous travaillent, moins et autrement. Construire l’unité de classe, construire la force organisée de la classe ouvrière, qui renversera le pouvoir bourgeois.

La construction de cette unité, de cette force, est illustrée par la manifestation organisée le 14 janvier à Paris par les ouvriers licenciés de Talbot avec le Collectif Jeunes de Paris. Soutenue par des ouvriers de Renault-Billancourt, Renault-Flins, Chausson-Gennevilliers, cet exemple nous interpelle : comment faire le lien entre exclus et non exclus de la production, quelle activité devons-nous développer envers les prolétaires chômeurs ?

La lutte des ouvriers grévistes de Talbot montre concrètement ce que signifie « produire français », produire compétitif : licenciements, licenciements... dont seront frappés ultérieurement ceux qui ont refusé la lutte aujourd’hui. Elle montre l’antagonisme absolu entre la santé des entreprises dont se réclament les réformistes et les intérêts ouvriers, dont ils se réclament tout autant. Mais la réalité a tranché, SANS ambiguïté.

Le capitalisme n’est pas affaire de CSL remplacée par une CGT. Une usine capitaliste tourne suivant une seule logique : exploiter les ouvriers, sans limite. En fait, les grévistes de Talbot nous ont rappelé que pour délimiter les vrais amis des faux, la frontière passe entre aménager l’exploitation ouvrière ou la détruire. Que prendre le pouvoir partout pour détruire les multiples appareils de répression de la bourgeoisie est la condition pour l’avoir dans une usine. Que cela se fera contre tous les encadrements, quels qu’ils soient, qui empêchent l’initiative ouvrière de se libérer.

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