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Cinq questions sur l’Europe
1. D’OÙ VIENT L’UNION EUROPÉENNE [1] ?
1948. Après la seconde guerre mondiale, l’Europe est détruite et ruinée. D’abord sous administration militaire américaine, les pays de l’ouest (France, Allemagne de l’ouest, Italie, etc.) retrouvent progressivement des gouvernements nationaux, parfois pacifiquement, parfois au terme d’une guerre civile contre les communistes comme en Grèce. Deux raisons poussent les Etats-Unis à accorder des milliards de dollars d’aide [2]. C’est le « plan Marshall ». Pour éviter une crise de surproduction d’abord, car les capacités de production des USA sont excédentaires, et les européens ont besoin de tout Mais surtout politique, car les USA veulent restaurer l’économie et les capacités militaires des pays européens face à la menace de l’Union soviétique et à l’agitation intérieure de la classe ouvrière. Officiellement on parle plutôt de lutter « contre la famine, le désespoir et le chaos » (Georges Marshall, secrétaire d’Etat US). L’Organisation européenne de coopération économique (OECE) est créée pour organiser la répartition des milliards américains. Elle est dirigée par une administration de fonctionnaires américains complètement noyautée par la CIA et qui donne directement des ordres aux ministères.
1951. La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est créée. Elle regroupe la France, la RFA, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. C’est déjà un marché unique, la première coopération à l’initiative des bourgeoisies européennes pour soutenir leurs secteurs industriels clés dans la concurrence mondiale. Officiellement on parle plutôt de paix, pour rendre une nouvelle guerre « non seulement impensable mais matériellement impossible » (Robert Schumann, ministre français des affaires étrangères).
1957. La Communauté économique européenne (CEE) est créée. C’est essentiellement une union douanière. On oublie souvent qu’en même temps se crée la Communauté européenne de l’énergie atomique. L’objectif est de réduire la dépendance énergétique. Car elle s’aggrave avec la perte progressive des empires coloniaux et du revers des impérialistes franco-anglais dans leur guerre pour le contrôle du canal de Suez face au gouvernement nationaliste bourgeois égyptien de Gamal Abdel Nasser. Encore une fois, on parle de pacifisme et de progrès : « Assurer par une action commune le progrès économique et social en éliminant les barrières qui divisent l’Europe » (préambule du Traité de Rome).
En 1993 est créée l’Union européenne que l’on connaît, suite au Traité de Maastricht. La création de l’euro en 2001 vient créer une zone monétaire. Au départ de la CEE, il y avait les mêmes pays que dans la CECA, puis d’autres s’ajoutent En 1972 : Royaume-Uni, Irlande, Danemark. Dans les années 80 avec la fin des dictatures : le Portugal, l’Espagne et la Grèce. Depuis la chute de l’Union soviétique et l’élargissement aux pays baltes et de l’est l’UE compte 28 pays. Mais 19 dans la zone Euro.
2. L’EUROPE C’EST QUOI ?
Depuis le début, l’Union européenne c’est la coalition du capital européen pour peser dans la concurrence capitaliste mondiale. D’abord organisée en soutien aux grands secteurs clés de l’économie capitaliste de l’après-guerre (charbon, acier, énergie nucléaire), elle est aujourd’hui une puissance financière, monétaire et commerciale. Depuis les années 90 s’affirme à fond une orientation vers la compétition internationale, avec la création de l’Euro, du marché commun. Chaque étape de la construction européenne est une étape supplémentaire dans la construction d’un bloc agressif face à ses concurrents impérialistes, d’abord américain et soviétique, et maintenant chinois, indien, etc.
Cette Europe est une Europe impérialiste sous la domination de l’Allemagne, de la France, de la Grande Bretagne. Des pays comme la Grèce ou d’autres se sont endettés auprès de leurs banques pour acheter du matériel et des armes allemands ou français [3]. Pour sauver leurs banques de la faillite, les pays qui dominent l’Europe imposent aux autres pays européens endettés les plans d’austérité les plus violents, qui jettent les travailleurs dans le chômage et la misère. Ces pays dominants manœuvrent pour gagner influence et marchés en Afrique, dans le Moyen Orient, en Ukraine, contre leurs concurrents impérialistes russes, ou chinois. Cette Europe impérialiste intervient militairement, sous prétexte de soutenir les peuples opprimés, mais en fait pour faire valoir ses intérêts. Elle soutient sans faillir Israël qui écrase le peuple palestinien. La France prête à la Pologne des avions de combat Rafales, pour intimider la Russie, alimentant les risques de guerre. Elle intervient au Mali, en Centrafrique.
C’est aussi une Europe de combat contre la classe ouvrière. Chaque étape récente de l’unification européenne s’est accompagnée de mesures anti-ouvrières (harmonisation à la baisse du droit du travail, système du travail détaché, etc.). Cette Europe, dont le gouvernement nous vante le caractère positif et progressiste, est celle qui organise la concurrence entre les travailleurs européens. Elle est celle de l’attaque de tous les droits sociaux acquis par nos luttes au nom des vertus du marché, de la « responsabilité », et de la baisse du coût du travail, pour défendre la compétitivité de la France dont dépendraient nos emplois futurs. L’élargissement de l’Union est loin de représenter un pas supplémentaire vers l’idéal d’une Europe prospère. Pour les travailleurs des pays de l’Est, c’est surtout « l‘opportunité » d’aller trimer sur les chantiers et sur les routes. Pour les entreprises allemandes, françaises, c’est plus de débouchés pour leurs marchandises et pour investir dans ces pays où existe déjà une classe ouvrière qualifiée mais peu chère.
Prétendre que cette Europe abolit les frontières est mensonger : la bourgeoisie abolit les frontières pour les marchandises et les capitaux, elle les maintient pour les hommes et les femmes. Elle fait la chasse aux travailleurs qui fuient la misère, les guerres en Afrique ou ailleurs. Pour échapper à Frontex, les immigrants risquent la mort par noyade en mer ou de soif dans le désert. L’Europe préserve les spécificités nationales des pays qui la composent et entretient les chauvinismes locaux pour maintenir des barrières entre les travailleurs à l’intérieur de l’Europe, même lorsqu’elles n’existent plus aux frontières.
Même la préservation de la paix en Europe, grand thème de la propagande bourgeoise, s’est révélé être une mascarade. D’abord, les guerres d’agression impérialistes de ses membres (surtout la France) ont continué. Et l’Europe a été au mieux impuissante, voir complice (France et Allemagne) face au génocide et aux atrocités des guerres des Balkans, en plein cœur du continent !
3. UNE AUTRE EUROPE, C’EST POSSIBLE ?
Depuis les années 80, tous les réformistes de gauche nous promettent une autre Europe, Une autre Europe est-elle possible en dehors de l’Europe libérale, de l’Europe de la finance ? Une Europe sociale, protectrice des droits et des travailleurs, ouverte aux migrants ?
Aujourd’hui les illusions sur une autre Europe, plus sociale, en ont pris un coup. Surtout après les violentes politiques d’austérité appliquées en Grèce et le Brexit. Récemment, plusieurs pays ont élu des gouvernements d’extrême-droite qui mènent une politique anti-ouvrière violente, comme en Hongrie, et maintenant en Italie. Dans l’Europe ou hors de l’Europe, dans un contexte de crise, la concurrence capitaliste (la guerre économique) impose aux capitalistes et à leurs Etats de baisser les coûts salariaux, de sacrifier les droits acquis, de s’attaquer aux travailleurs... L’Europe c’est aussi 120 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté !
Plus à la mode, on nous promet une Europe « écolo ». Mais c’est une grosse arnaque. Prenons un exemple. Le marché du carbone a été créé pour soi-disant réduire les émissions de CO2 de l’industrie. Au final, l’attribution généreuse de quotas aux entreprises et un mécanisme de compensation honteux leur ont permis non seulement de continuer à polluer ici, mais à gagner du fric et à subventionner des implantations d’usines encore plus polluantes dans les pays dominés ou émergents. Prenons un autre exemple. Les réformistes parlent d’adopter une agriculture plus écolo mais ils soutiennent en même temps la Politique Agricole Commune (PAC) au nom de la défense de l’agriculture française. Alors que la PAC subventionne grassement une agro-industrie qui nous fait bouffer de la merde, détruit l’environnement et notre santé, et ruine la paysannerie des pays dominés en inondant leurs marchés de produits européens à bas prix. En Europe comme ailleurs, des transformations révolutionnaires sont nécessaires pour s’attaquer à la crise climatique, mais elles butent contre la défense des intérêts capitalistes dans la concurrence mondiale.
L’Europe « ouverte », elle, s’arrête en général à la couleur de peau, à la défense de la main d’œuvre nationale et européenne. On veut bien des migrants, mais s’ils ont une qualification utile dans un domaine où il y a pénurie. Comme le disent timidement les syndicats [4], « Nous récusons l’idée d’une Europe forteresse ». Une façon de dénoncer la répression atroce dont font face les migrants mais sans pour autant appeler à ouvrir les frontières. Au passage l’Europe forteresse ce n’est pas une « idée », mais une réalité qui tue tous les jours.
4. FAUT-IL SORTIR DE L’UNION EUROPÉENNE ?
Qu’une autre Europe soit un mirage, beaucoup de travailleurs le voient aussi. Alors pourquoi ne pas en sortir ? C’est une question de plus en plus débattue depuis le Brexit. Certains partis le proposent, à droite comme à gauche.
À droite, c’est la version la plus réactionnaire, celle du FN, d’une partie des Républicains et des groupes fascistes. Ils demandent la sortie de l’UE pour redevenir « maîtres chez nous » et ne plus dépendre des « diktats » de la Commission européenne. Leur point commun c’est la défense agressive du capitalisme français dans la concurrence européenne et mondiale, au nom du patriotisme français. Mais en même temps tous ces partis profitent à fond du système, le FN gagne de l’argent avec des emplois fictifs d’assistants au Parlement européen, et en profite pour tisser des liens avec tous les fascistes d’Europe.
A gauche, c’est la version réformiste et ses nombreuses nuances. La sortie de l’UE, ou au minimum la renégociation des traités européens (La France Insoumise). Le point commun c’est une dose de chauvinisme « Prendre des mesures immédiates et unilatérales de sauvegarde des intérêts de la Nation », et une dose de démocratisme petit-bourgeois « Proposer une refondation démocratique, sociale et écologique des Traités européens » [5]. Encore une fois, défense du capitalisme français et réformes démocratiques mais sans s’attaquer au pouvoir de la bourgeoisie. Voir aussi la tendance complotiste du FRexit de l’UPR de François Asselineau, qui gagne une certaine influence.
Ceux qui, de gauche ou de droite, font de l’Europe la cause des attaques contre les travailleurs, orientent notre colère contre les pantins du capital, mais non contre lui. Ils nourrissent le repli national et le chauvinisme qui nous divisent. Ils nous entretiennent dans l’illusion que, si l’on revenait à la France de l’après-guerre, tout irait mieux.
La « gauche » qui se veut « patriotique », compte sur les frontières et le renforcement de l’Etat pour soi-disant sauver nos intérêts de travailleurs. En fait cette « gauche » divise notre classe qui est multinationale en France, et a les mêmes intérêts que les autres travailleurs du monde. Elle dénonce le manque de démocratie en Europe et le poids des lobbys à Bruxelles. Mais le parlementarisme national est-il vraiment plus démocratique ? Si c’était le cas, cela voudrait dire que jamais les députés au parlement français n’ont trahi les promesses faites pour être élus ! Cela voudrait dire que l’Etat ne serait pas au service du capitalisme français, de ses intérêts en France contre les travailleurs, dans le monde contre les peuples dominés et ses concurrents impérialistes !
La force de notre classe, ce n’est pas la force de l’Etat français contre ses concurrents impérialistes, c’est la solidarité entre tous les exploités et notre organisation par-delà les frontières. C’est la lutte commune de tous les exploités, pour en finir avec l’exploitation et la domination capitaliste et impérialiste, qu’elle soit française, européenne, américaine... C’est la lutte commune pour briser la concurrence entre nous. C’est la lutte commune pour construire, ensemble, une société libérée de l’exploitation, parce que dirigée et organisée par les travailleurs associés.
Alors quitter l’Union européenne ou y rester, c’est du pareil au même [6]. Nous disons : ce n’est pas de l’Europe qu’il faut sortir, mais du capitalisme !
5. QUELLE EUROPE NOUS VOULONS ?
À peine posée, cette question est déjà dépassée. Dès aujourd’hui, notre solidarité ne s’arrête pas aux frontières de l’Europe ! Notre solidarité active (propagande, manifestations, rencontres) va aux peuples africains en lutte contre l’impérialisme français et aux peuples des colonies françaises. Nous exprimons régulièrement notre soutien aux luttes des ouvriers des multinationales françaises, comme Latelec Fouchana (Tunisie), ou Renault Bursa (Turquie). Nous tissons des liens de solidarité avec le peuple palestinien, avec les révolutionnaires de Turquie et du Kurdistan, avec les communistes Philippins et des militants africains.
Et pour demain, quand les prolétaires seront assez forts pour prendre le pouvoir à la bourgeoisie ? Une France socialiste aurait un intérêt vital à abandonner rapidement sa souveraineté et à la remettre entre les mains d’une organisation européenne et mondiale des prolétaires. Car plus la souveraineté est collective, plus elle est réelle. L’indépendance de la France n’est pas notre combat, nous sommes pour l’éclatement de l’Europe impérialiste mais pour la remplacer par le pouvoir des ouvriers à l’échelle européenne et mondiale.
CONCLUONS
En Mai prochain il y aura les élections européennes... Parce qu’on ne peut pas imaginer transformer l’Europe impérialiste, la position des communistes est de ne pas participer à aux élections européennes. Même en étant très naïf on peut se demander quel est l’intérêt de voter pour les membres d’un Parlement qui ne décide de rien ou presque. On est perplexe quand on voit le NPA et LO dépenser tant d’énergie dans cette galère.
Mais quand un contenu concret est proposé au vote, il est juste de s’y opposer. C’était le cas lors du référendum de 2005 sur la constitution européenne, auquel VP avait appelé à voter NON [7]. Les travailleurs ont eu raison de rejeter la construction de cette Europe qui n’est qu’un instrument du capital pour nous exploiter à une échelle toujours plus large.
[1] Plus d’infos, lire l’article "D’où vient l’Union européenne" sur notre site
[2] En fait, l’ « aide » se compose de 20 % de prêts remboursables, le reste étant destiné à acheter des marchandises et moyens de production américains. aux pays européens
[3] Ne nous y trompons pas, tous les membres de l’UE ne sont pas impérialistes au même titre (La Grèce n’est pas la France) mais tous profitent de la domination économique et politique sur les pays dominés, d’une place privilégiée dans la division internationale du travail. On peut donc parler d’un bloc impérialiste européen.
[4] L’Europe que nous voulons, déclaration commune des organisations syndicales allemandes et française, dont la CGT (15/12/18).
[5] L’avenir en commun, programme de la France Insoumise aux présidentielles (2017)
[6] À lire sur notre site : "Quitter l’Union européenne ou y rester, pour les prolétaires c’est du pareil au même".
[7] A lire sur notre site : "Pourquoi nous appelons à voter NON au référendum (2005)" et "NON à l’Europe du capital (2005)".