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La Journée internationale des femmes, hier et aujourd’hui

Article de Anuradha Ghandy, initialement paru dans « People’s March » de Mars 2001

Nous publions ci-dessous un texte de la féministe maoïste indienne Anuradha Ghandy (dont nous avons d’ailleurs publié par ailleurs une analyse passionnante sur le féminisme, voir http://ocml-vp.org/article2126.html).
Il s’agit ici de l’histoire de la journée du 8 mars, dans ses contradictions politiques, depuis son apparition dans le mouvement socialiste au début du XXème siècle, jusqu’à sa récupération aujourd’hui par les féministes bourgeoises.

Le 8 mars 2001 est le 91e anniversaire de la Journée internationale des femmes (JIF) [1], qui a été proclamée pour la première fois en 1910. Cette année‐là, Clara Zetkin, inspirée par le mouvement des femmes de la classe ouvrière en Amérique, a proposé à la deuxième conférence internationale des femmes travailleuses socialistes d’organiser une célébration annuelle de la journée des femmes. La réunion de l’Internationale socialiste à Copenhague, au Danemark, a instauré une Journée des Femmes, à caractère international, pour honorer le mouvement en faveur des droits des femmes et pour aider à la réalisation du suffrage universel pour les femmes. La proposition a été accueillie avec l’approbation unanime de la conférence de plus de 100 femmes de 17 pays. Aucune date fixe n’a été retenue pour la célébration de cette journée.

Suite à cette décision, la première Journée Internationale des femmes s’est tenue le 19 mars 1911 en Autriche, au Danemark, en Allemagne et en Suisse, où plus d’un million de femmes et d’hommes ont participé à des rassemblements. Outre le droit de vote, ils ont réclamé le droit au travail, à la formation professionnelle et la fin de la discrimination au travail. La date a été choisie par les femmes allemandes le 19 mars, car à cette date, en 1848, le roi de Prusse, confronté à un soulèvement armé, avait promis de nombreuses réformes, dont celle, non tenue, du vote des femmes.

En 1913, la date de la JIF a été déplacée au 8 mars. Cette date a été choisie pour commémorer deux événements importants qui se sont produits ce jour‐là. Le 8 mars 1857, les travailleuses de l’habillement et du textile de la ville de New York avaient organisé, pour la première fois, une manifestation contre les conditions de travail inhumaines, la journée de travail de 12 heures et les bas salaires. Les manifestantes ont été attaquées et dispersées par la police. Deux ans plus tard, toujours en mars, ces femmes ont formé leur premier syndicat. Le 8 mars 1908, 15 000 femmes ont de nouveau défilé dans la ville de New York pour réclamer des heures de travail plus courtes, de meilleurs salaires, le droit de vote et la fin du travail des enfants. Elles arboraient le slogan "Bread and Roses", (du pain et des roses) le pain symbolisant la sécurité économique et les roses, une meilleure qualité de vie. En mai de la même année, le Parti socialiste américain a désigné le dernier dimanche de février comme jour de célébration de la Journée Nationale des femmes.

La première Journée Nationale des femmes a été célébrée dans l’ensemble des États‐Unis le 28 février 1909. Bientôt, les femmes en Europe ont commencé à célébrer la Journée des Femmes le dernier dimanche de février. C’est dans ce contexte que Clara Zetkin a proposé la création d’une Journée internationale des Femmes lors de la conférence de 1910 de l’Internationale socialiste des femmes. Dans la semaine qui a suivi les premières célébrations de 1911, le 25 mars 1911, plus de 140 jeunes travailleuses ont été tuées dans le tragique incendie de l’usine Triangle aux États‐Unis. Cet événement a eu un effet considérable sur la législation du travail aux États‐Unis et a donné un nouvel élan à la JIF.

À la veille de la Première Guerre mondiale, les femmes russes ont célébré leur première Journée internationale des femmes en 1913. Ailleurs en Europe, le 8 mars de l’année suivante ou autour de cette date, les femmes ont organisé des rassemblements soit pour protester contre la guerre, soit pour exprimer leur solidarité avec les femmes opprimées. La Journée Internationale des Femmes Travailleuses la plus célèbre a été la grève du 8 mars 1917 (24 février dans le calendrier russe) pour "le pain et la paix", menée par les femmes russes de Saint‐Pétersbourg. Clara Zetkin et Alexandra Kollontai ont toutes deux participé à cet événement. La grève de la JIF a fusionné avec les émeutes qui s’étaient étendues à toute la ville entre le 8 et le 12 mars. La révolution de février, comme on l’a appelée ensuite, a forcé le tsar à abdiquer.

En Union soviétique, le 8 mars a été déclaré fête nationale et s’est accompagné d’une célébration de "l’héroïque femme travailleuse". Depuis lors, le 8 mars a pris de l’importance et ses célébrations dans le monde entier ont marqué une prise de conscience croissante des droits des femmes. Les grandes avancées réalisées dans le domaine des droits de la femme en Union soviétique, après la révolution socialiste, ont été une source d’inspiration pour les femmes du monde entier. La Révolution Chinoise de 1949 a montré comment, même dans l’un des pays les plus arriérés du monde, imprégné de valeurs féodales et de pensée patriarcale, les femmes peuvent se lever pour le changement. Les progrès gigantesques réalisés par les femmes dans la Chine socialiste ont été un exemple vivant pour les femmes du Tiers‐Monde. En particulier, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, et son attaque constante contre la pensée féodale confucéenne, a été une grande source d’émancipation pour les femmes en Chine. La camarade Jiang Qing en a été le symbole vivant.

Les années 1960 et le début des années 1970, qui ont vu un fort essor démocratique dans les pays capitalistes et de puissants mouvements de libération nationale dans le Tiers‐Monde, ont également vu un rajeunissement du mouvement de libération des femmes. Ce mouvement a eu un tel impact énorme dans le monde entier que les impérialistes ont cherché à le détruire par la récupération et le détournement vers des canaux acceptables. Cela a eu pour conséquence que de grandes ONG, financées par des entreprises ou par l’État, ont attaqué avec véhémence le socialisme et mis en avant une forme bourgeoise de féminisme. Le processus de récupération a abouti à la reconnaissance officielle par les Nations unies du 8 mars comme Journée internationale des femmes en 1977. Depuis lors, les organisations les plus bourgeoises et les plus réactionnaires sont également venues "célébrer" le 8 mars, le privant de son contenu révolutionnaire et de la grande histoire de lutte dont il est issu. Ce processus a été ensuite catalysé par le renversement du socialisme, d’abord en Union soviétique, puis en Chine. La première victime de ces renversements a été la négation de certains des droits acquis par les femmes sous le socialisme.

Pourtant, la Journée Internationale des Femmes continue de vivre parmi les femmes opprimées du monde. Le recul temporaire du mouvement communiste et du socialisme, et la réaffirmation du capitalisme/impérialisme, ont frappé les femmes de plein fouet. La mondialisation, et le consumérisme grossier qui lui est associé, ont été témoins de la marchandisation massive des femmes, à une échelle sans précédent. L’industrie cosmétique, le tourisme et les médias bourgeois ont dégradé le corps des femmes comme jamais auparavant, sans aucun respect pour leur individualité. Cette situation, associée à une pauvreté de masse, a conduit des populations entières à se tourner vers la prostitution, comme on l’a vu en Europe de l’Est, en Asie de l’Est, au Népal, etc. De plus, la montée du fondamentalisme religieux et de diverses sectes dans le monde entier ramène une autre catégorie de femmes à un statut de l’âge des ténèbres. Coincées entre ces deux extrêmes, les femmes ressentent aujourd’hui, plus que jamais, le besoin d’affirmation, de respect de soi et d’égalité avec leurs homologues masculins. Le 8 mars a donc une signification encore plus grande aujourd’hui.

Les révisionnistes et les libérales bourgeoises cherchent à freiner l’esprit de liberté des femmes, en se moquant d’elles, en se comportant comme des sauveuses condescendantes, en les confinant dans leur foyer. Elles font des concessions aux valeurs patriarcales et aux traditions féodales et craignent l’émancipation et l’affirmation des femmes. Bien entendu, elles "célèbrent" aussi la journée de la femme, comme une routine, en publiant régulièrement des déclarations hypocrites.

Ce sont les forces révolutionnaires du monde entier, et plus particulièrement les Maoïstes, qui ont redonné un dynamisme à la JIF, en en faisant, une fois de plus, un jour symbolisant la lutte des femmes pour la liberté, le respect de soi, l’égalité et l’émancipation de toutes les valeurs patriarcales et pratiques d’exploitation. C’est cet esprit révolutionnaire qui fait naître un nouvel espoir pour l’avenir des femmes opprimées de l’Inde et du monde entier.

[1donc le 111e anniversaire en 2021

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