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Energie : nous sommes écolos-maoïstes
Partisan Magazine N°18 - Décembre 2021
L’article mis en page et maquetté pour le magazine. A télécharger au format pdf
Les prix de l’énergie flambent. Essence et mazout, gaz et électricité atteignent des sommets et chacun se demande comment boucler son budget, entre chauffage et transports.
De leur côté, les experts sont perdus, puisqu’en même temps les évidences écologiques s’imposent peu à peu dans les esprits : réchauffement climatique incontestable, caractère limité des ressources de la planète, pollutions généralisées. Les uns après les autres, ils viennent nous vendre à la télé « leur » solution, qui n’est qu’une nouvelle échappatoire sans issue… en attendant de dire le contraire le mois d’après.
Du coup, dans les débats écologiques et économiques, la polémique fait rage dès qu’on parle énergie, et c’est la confusion qui s’installe peu à peu, pour le plus grand bonheur des grands monopoles impérialistes qui peuvent faire comme ils l’entendent. Et pourtant, c’est bien notre avenir à tous qui est en question.
• Le charbon ? Pouah, caca, du CO2, des particules fines, de la pollution en mégatonnes, des conditions de travail épouvantables pour les mineurs – il y a un rejet massif de cette énergie fossile, tout à fait légitime. Malgré toutes les critiques, toutes les annonces tonitruantes et bienpensantes, l’extraction du charbon continue à augmenter au niveau mondial, et tend à resurgir avec la fermeture des centrales nucléaires (c’est le cas par exemple en Allemagne).
• Le pétrole ? Pareil que le charbon et les autres énergies fossiles (gaz naturel), avec deux aspects supplémentaires : il est indispensable pour le transport (automobile, poids lourds, aérien et maritime), et pour la pétrochimie.
• Le nucléaire ? Ah enfin une énergie propre et décarbonée nous chantent aussi bien EdF que le PCF. En oubliant les déchets radioactifs qui vont pourrir la planète pendant des millénaires, en oubliant le pillage, la pollution radioactive et les dégâts collatéraux dans les pays producteurs, les dégâts et la précarité de la sous-traitance.
• L’éolien et le solaire ? Enfin une source inépuisable et locale, sans CO2 direct. Mais qui parle de la durée de vie des éoliennes et de leur production intermittente ? Qui parle des métaux rares et toxiques nécessaires aux générateurs (comme le néodyme des électroaimants) ou aux cellules photovoltaïques, des composites imputrescibles pour l’éternité des pales d’éoliennes qui commencent à s’entasser dans de véritables cimetières ? Qui parle de la véritable désertification végétale provoquée par l’installation de centrales solaires de plusieurs centaines d’hectares ?
• La voiture électrique ? La tarte à la crème des constructeurs automobiles aujourd’hui, prêts à n’importe quel mensonge « écolocompatible » pour nous vendre leurs nouveaux produits. Mais quid des batteries, de l’extraction massive du lithium au Chili ou en Bolivie, pour une durée de vie finalement limitée ? A tel point que certains experts – peut-être un peu orientés ! – nous affirment que finalement la voiture électrique pourrait être plus polluante que la voiture traditionnelle sur toute sa durée de vie… Et bien sûr de l’alimentation électrique basée sur le nucléaire ??
• L’hydroélectrique ? Fluvial ou marin, ce ne pourra être qu’une solution d’appoint compte tenu de la configuration des fleuves, sans compter les désastres écologiques provoqués par les barrages gigantesques construits de nos jours (barrage des Trois Gorges sur le Yangtsé en Chine, barrage Renaissance sur le Nil en Ethiopie, barrage Inga sur le Congo en RDC, barrage Jirau sur l’Amazone au Brésil…).
• La méthanisation ? Gigantesques projets pour recycler les déchets animaux ou urbains en produisant du gaz naturel, non fossile mais producteur de CO2, avec des sources de pollutions annexes considérables…
• L’hydrogène ? Le fameux moteur qui ne rejette que de l’eau, magique, non ? En oubliant que la production de l’hydrogène vient pour l’essentiel des hydrocarbures très polluants, ou de l’eau elle-même avec un rendement extrêmement médiocre.
Et ainsi de suite… chaque fois qu’une nouvelle option apparaît avec ses avantages, surgissent en parallèle tout à fait dialectique les inconvénients, car bien entendu la solution miracle n’existe pas…
Mais alors qu’est-ce qu’on fait ? On ne s’y retrouve plus et pendant ce temps, notre « maison continue de brûler » ! Où que l’on tourne la tête, on ne voit que catastrophes et dégradations, et c’est désormais la confusion qui l’emporte. Confusion qui ne mène qu’à l’impuissance et au découragement.
On en arrive presque à nous faire croire que le nucléaire, finalement c’est super !! Malgré Tchernobyl, Fukushima, la mine d’Arlit au Niger avec les services spéciaux et les djihadistes, les déchets stockés à Bure ou ailleurs pour l’éternité…
Aujourd’hui même des secteurs des Verts et du NPA s’interrogent sur le nucléaire, finalement « pas si pire » : un texte de militants du NPA d’avril 2021 écrit froidement que « Contrairement à ce qu’affirme la commission écologie du NPA, sortir du nucléaire « en moins de dix ans » n’est ni possible, ni souhaitable. Pour lutter contre le changement climatique et pour le progrès social, les communistes doivent renouer avec les travailleurs de l’énergie et rompre avec la diabolisation irrationnelle du nucléaire. » Formidable retour en arrière de dizaines d’années de luttes antinucléaires…
Et Macron peut nous vendre la main sur le cœur l’installation des réacteurs nucléaires EPR pour remplacer les centrales actuelles qui deviennent vétustes (et qu’il va falloir démanteler), comme les mérites des SMR, ces petits réacteurs nucléaires modulaires tellement mignons qu’on vous jure qu’ils sont hyper propres…
Mais, en vérité, cette confusion n’est pas trop étonnante, puisque toutes ces perspectives ne sont imaginées que dans une évolution technique modernisée du capitalisme mondialisé, c’est-à-dire en respectant toutes ses règles fondamentales que sont le profit, le marché, la concurrence et la guerre économique, l’exploitation. Du coup, tout n’est qu’atteintes à l’homme ou à la nature, comme disait Marx. Le capitalisme, c’est la catastrophe, il ne peut en être autrement.
Ce débat, qui touche au mode de développement économique et social de toute la société n’est pas un débat économique ou technique. C’est d’abord un débat politique, qu’il faut aborder d’un point de vue de classe. Nous avons l’habitude de le dire dans nos rangs : la révolution est une révolution économique et sociale, portée par une révolution politique et idéologique. C’est-à-dire que le socle, la vraie transformation elle est bien dans la base économique, dans les fondements matériels de la société, mais que le moteur, le facteur dirigeant, c’est le projet politique et idéologique, le sens et l’objectif avec lesquels on transforme cette société.
Et de cela, personne ne veut en parler, ni les bourgeois capitalistes plus ou moins verts, ni les réformistes plus ou moins radicaux, ni les écolos plus ou moins intégristes.
Alors, remettons la politique au poste de commande et affirmons quelques pistes générales pour l’avenir – à défaut de pouvoir les mettre en œuvre dès aujourd’hui.
• Il n’est pas question de revenir à l’âge des cavernes. L’humanité s’est construite en transformant la nature, c’est inévitable. L’enjeu politique, c’est le caractère raisonné de ces transformations.
• La première chose, c’est de poser le problème politique d’un point de vue de classe. Qui défend-on au premier chef, à savoir la classe ouvrière et le prolétariat, les secteurs abandonnés et exploités ou « la population » en général, bourgeois et prolétaires main dans la main pour « sauver la planète » ?
Il faut avoir une orientation prolétarienne, non pas d’un point de vue étriqué, économiste (donner un peu plus d’énergie à celles et ceux qui n’y ont pas accès), mais d’un point de vue global à savoir la construction révolutionnaire d’une société libérée de l’exploitation, tout en préservant la nature. On ne se place ni du point de vue des monopoles capitalistes en plein green washing (évidemment), ni du point de vue des petit-bourgeois écolos-bobos, ni des experts rois des discours techniques inaccessibles, mais du point de vue de la classe ouvrière, de ses priorités immédiates et à long terme. Donc accès à l’énergie pour tous, oui, mais pas n’importe comment.
Il n’y a pas de recette technique, parce que de toutes les façons, toute intervention humaine modifie la nature, et que donc tout est question de choix, de priorités, de perspectives. Aujourd’hui ce sont les exigences du profit qui s’imposent, demain ce seront les besoins des plus défavorisés qui seront prioritaires, ainsi que la protection à long terme de la planète.
• Pour le prolétariat, les priorités énergétiques directes sont le logement (chauffage, éclairage), les transports, les communications modernes. Les priorités indirectes sont les nécessités industrielles pour la satisfaction des besoins les plus urgents. Qui sont elles-mêmes à définir, d’un point de vue politique et de classe. La priorité au transport aérien n’en sera plus une, c’est clair ; le dernier smartphone obsolète en deux ans non plus. Mais un logement sain et durable, de l’eau et des liens collectifs, certainement.
Ce choix des priorités sera donc l’objet d’une intense lutte de classe, pour imposer les besoins du prolétariat, et non pas ceux de la petite-bourgeoisie salariée ou des cadres par exemple. Et qui dit lutte des classes, dit participation massive au débat politique, confrontation, polémique, éclairage des enjeux, dénonciation des défenseurs de la voie capitaliste, celle des privilèges et des injustices.
• Car il y aura toujours besoin d’une grande industrie, d’acier, de ciment, de composants électroniques, de médicaments, de chimie et d’agro-alimentaire. Quoiqu’en disent les écolos intégristes, comme tous les amnésiques qui « oublient » tout simplement les fondements d’une société moderne. Et l’on voit alors bien la lutte féroce autour de ces secteurs : quelle importance ? Pour quels besoins ? Selon quels critères ? La production pour la production, comme on l’a vu se développer dans le capitalisme d’Etat russe ou chinois ? Ou une production contrôlée pour les besoins des prolétaires ?
• Dans cette lutte des classes, nous aurons bien entendu face à nous les bourgeois privés ou d’Etat dont nous voulons faire disparaître les sources de profit. Nous aurons face à nous toute une frange du mouvement écolo intégriste, qui ne jure plus que par la protection de la nature en abandonnant les rapports de production et la protection des producteurs, précisément parce que eux peuvent s’en sortir dans la société actuelle et qui ne jurent plus que par la préservation de leur petit confort individuel sans se soucier de la grande masse des prolétaires qui souffrent de l’exploitation, des pénuries et de la misère. Mais nous aurons avec nous la grande masse des écologistes radicaux, ceux qui vont jusqu’à mettre en cause le « système global » qui pilote la société et qui trouveront enfin une option révolutionnaire pour en finir avec les maux du capitalisme. Nous aurons avec nous la grande masse des prolétaires qui verront enfin leurs besoins mis en priorité par toute la société.
Mais ce n’est pas tout. Nous trouverons contre nous une frange de la petite-bourgeoisie salariée qui refuse absolument toute perspective révolutionnaire, et n’imagine qu’un capitalisme humanisé plus ou moins vert, sans trop de bouleversements et surtout sans remettre en cause les quelques privilèges et miettes concédées par les exploiteurs. De même, nous trouverons face à nous une frange de la classe ouvrière des pays impérialistes, gangrenée par le corporatisme et le productivisme, qui défendront jusqu’au bout leur emploi et privilèges, même s’il s’agit des pires des productions, comme l’armement ou le nucléaire – nous les voyons déjà à l’œuvre aujourd’hui dans la CGT et le PCF.
• Ensuite, la règle c’est la lutte contre tous les gaspillages, pour les économies d’énergie. Qu’il s’agisse de l’alimentaire, des déchets, du chauffage ou ici énergétiques, c’est une règle qui doit être au poste de commande : sobriété, économie, pas de gaspillages. Même le capitalisme est capable d’en pointer les perspectives dans ses perspectives de greenwashing : les maisons passives, par exemple, dont le bilan énergétique est nul et dont il y a déjà des exemples d’immeubles complets en Suède. On peut ainsi considérablement réduire la consommation énergétique sans modifier la satisfaction des besoins – que l’on peut ensuite éventuellement réduire. Le recyclage en fait partie, mais ce n’est qu’un pis-aller : d’abord réduire tous les gaspillages monstrueux engendrés par la société capitaliste. C’est de cette manière que nous pouvons dire que nous sommes « décroissants », pas à la sauce réactionnaire de Pierre Rahbi et de ses Colibris, mais au sens d’une production progressiste et responsable.
• Par voie de conséquence, il faudra mettre la priorité sur la déconcentration, la relocalisation des lieux de production, avec l’adaptation différenciée de la production d’énergie à l’utilisation, sans passer par des transformations ou des transports, sources de pertes. Pour faire du chauffage, inutile de passer par l’électrique, le solaire thermique plus l’isolation iront très bien. Ainsi, il faut savoir qu’au moins 10% de la production électrique est perdue dans les transformateurs et le transport de l’électricité, du fait de l’hyper centralisation du réseau. Il faudra en finir avec ça, donc revoir toute la production électrique sur une base décentralisée.
• Il faudra donc savoir remettre en cause des besoins inutiles, faire des choix de production. Ainsi, la réduction drastique de la consommation des plastiques mènera évidemment à des économies d’énergie importantes. En ce sens aussi, nous pouvons dire que nous sommes quelque part « décroissants ».
• Enfin, la préservation de la nature, de l’environnement, et de l’avenir de la planète doivent être parmi les premiers critères de priorité. Cela ne veut pas dire ne rien faire et se soumettre à la nature, mais faire des choix compatibles avec cette perspective, et y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans de nouvelles aventures productivistes. Nous devons remettre définitivement en cause tout le passé « productiviste » du mouvement communiste – plus exactement capitaliste d’Etat et révisionniste, qui pendant des décennies n’a vu le progrès que comme accroissement quantitatif de la production des biens matériels, sans prendre en compte l’impact désastreux sur la nature : l’exemple le plus connu étant l’assèchement et la désertification de la mer d’Aral de l’ex-URSS, pour la production industrielle de coton de l’Ouzbékistan. Outre l’exploitation toujours féroce des ouvriers.
Alors, s’il y a une révolution et que vous arriviez au pouvoir demain matin, vous faites quoi ?
Rêvons un peu… quoique de manière tout à fait métaphysique dans la mesure où on en est manifestement très loin et que nous ignorons tout des conditions de cette arrivée au pouvoir.
• Première option, cette arrivée au pouvoir se fait à l’issue d’une guerre civile, d’une guerre impérialiste ou autres bouleversements majeurs. C’était le cas de la Russie bolchevique en 1921. Le pays est à moitié détruit, on peut imaginer un théâtre économique et productif dans l’état de celui de la Syrie d’aujourd’hui.
Les conditions objectives s’imposent alors, et la première priorité évidente et urgente, quoiqu’il en coûte, c’est de restaurer la fourniture d’énergie et la garantie des transports. On peut alors imaginer qu’on relance le système énergétique tel qu’il a été développé par le capitalisme, ce qui peut même être contradictoire avec le programme de la révolution (imaginons : relancer les centrales nucléaires, ou au charbon…). Cela a été le cas lors de la NEP (Nouvelle Politique Economique) dans la Russie de 1921 où Lénine a accepté la relance d’une certaine économie capitaliste pour simplement garantir dans l’urgence la survie de la révolution bolchevique.
Tout dépend alors de la direction politique du Parti pour encadrer ce qui est un recul sérieux, même s’il est indispensable, en conservant la perspective future des transformations nécessaires. Avec tous les dangers que cela comporte de finalement reproduire l’ancienne société et de laisser de côté le programme écolo-maoïste.
Ce serait la même chose dans le cadre d’un contexte, tout à fait imaginable, d’un effondrement généralisé du capitalisme, écologique et sanitaire, financier et économique, politique et social. La pandémie de la Covid, comme la crise financière de 2008 en ont été comme des signes avant-coureur.
• Deuxième option, le pays n’est pas détruit, et il s’agit de mettre en œuvre le programme. Mais l’apparente simplicité de la question (« Vous faites quoi, alors ? ») se heurte à une multiplicité d’inconnues : si les communistes sont arrivés au pouvoir, c’est dans quel contexte international (à l’heure de la mondialisation, on a du mal à imaginer un cadre étroitement national) ? Dans quel contexte économique et social ? A l’issue de quelle mobilisation, qu’on peut imaginer massive ? Avec quelles alliances ? Dans quel état du débat politique et de discussion du programme ? Avec quels experts au service du prolétariat pour aider à la mise en œuvre de celui-ci ?
Effectivement, les moyens d’agir seront alors complètement différents, et ils sont difficiles à imaginer aujourd’hui. Sachant que lors d’un processus révolutionnaire, tout va très vite et la conscience fait des bons gigantesques en peu de temps. D’où l’importance, dès aujourd’hui d’approfondir la critique du capitalisme jusqu’au bout, pour dégager des pistes générales (voir plus haut) qui nous serviront alors de guides indispensables.
On le voit, la révolution écologique, politique et sociale est d’une ampleur sans précédent et ne peut se limiter à quelques recettes minables qui échoueront de toutes les façons. Par sa conception, qui touche le cœur du mode de production, elle s’inspirera nécessairement de la Révolution Chinoise et en particulier de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, qui a contesté ce mode de production jusqu’au cœur pour remettre en cause les fondements de l’exploitation, des rapports de production capitaliste.
Aujourd’hui, il faut élargir la perspective. Poursuivre bien sûr le chemin de la Révolution Culturelle, mais en insérant la conception écologique indispensable, que nous avons progressivement repris à notre compte, au fil de l’évolution de la catastrophe capitaliste elle-même.
Nous sommes Verts parce que nous sommes Rouges, nous sommes écolos-maoïstes !