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La Côte d’Ivoire, un pays dominé par l’impérialisme français

Partisan Magazine N°12 - Novembre 2018

Le 12 juillet 2018, l’OCML-VP a initié une réunion sur la Côte d’ivoire avec les résidents du squat Schaeffer/Fabien à Aubervilliers (93). La majorité des occupants, sans papiers et sans logement étant ivoiriens, cela nous a permis d’échanger et d’approfondir à propos de la situation dans ce pays et sur la situation de migrants et demandeurs d’asiles. Échanger c’est échanger à égalité entre prolétaires de Cote d’ivoire et d’ici.

Ancienne colonie française, la Côte d’ivoire acquit l’indépendance le 7 août 1960.
Félix Houphouët-Boigny, fut président du pays de 1960 jusqu’à sa mort en 1993. Il avait fondé en 1946 le Parti démocratique de Côte-d’Ivoire (PDCI). Yamoussoukro devint la capitale de la Côte d’ivoire en 1983. L’indépendance, se faisait sous l’aile « protectrice » de l’impérialisme français.

Les décennies 1960 et 1970 furent celles d’une forte croissance économique (le « miracle ivoirien »). La stabilité politique du pays fut favorisée en grande partie par le régime de parti unique et par la bonne tenue des cours du cacao et du café. La politique paternaliste d’Houphouët-Boigny suscita cependant une certaine opposition (manifestations étudiantes, conspirations dans l’armée, etc.). Le multipartisme ne fut instauré qu’en 1990, sous la pression des manifestations. Mais l’ouverture politique ne fut pas complète (opposants politiques enfermés en 1992).

Le décès en 1993 d’Houphouët-Boigny, ouvrit la voie à une période d’instabilité politique.

Son successeur, Henri Konan Bédié, introduisit la conception d’ivoirité dès 1995. Selon ce concept, une personne serait ivoirienne seulement si ses quatre grands-parents sont nés en Côte d’ivoire, ce qui permettait d’écarter son opposant, Ouattara. On peut parler de « méfiance identitaire ». Bedié perdit le pouvoir à la suite d’un putsch fin 1999. Le général Robert Guéï prit alors la tête du pays. Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI), devint ensuite Président après les élections d’octobre 2000.

En 2002, une tentative de coup d’Etat tourna à la guerre civile entre les rebelles du Nord et les loyalistes du Sud. Le pays fut alors été divisé en deux, et des conflits ethniques avaient désorganisé le pays.

Un début de solution se profilait le 24 janvier 2003 avec la signature de l’accord de Linas-Marcoussis (France). L’élection présidentielle de 2010, se déroula sous haute tension. Les deux candidats arrivés au second tour, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, revendiquaient tous deux la victoire et prêtaient serment comme président. Finalement, Alassane Ouattara parvenait avec l’aide des troupes françaises à prendre le contrôle du pays et faisait arrêter Laurent Gbagbo. Alassane Ouattara a été réélu en 2015 pour cinq ans. Le pays compte environ 26 millions d’habitants, la capitale économique Abidjan environ 5 millions. La Cote d’ivoire est indépendante depuis 1960 mais c’est Bouygues, Bolloré et des grandes entreprises étrangères qui contrôlent son économie !

VIE COURANTE, CORRUPTION, ÉDUCATION

En Côte d’ivoire, il y a des pénuries d’eau, seulement 20% de la population a accès à l’eau potable, pour boire c’est cher, la population casse les arrivées d’eau, la police intervient, par exemple à Bouaké. Surtout dans les campagnes, les femmes sont à la corvée pour l’eau, qui vient souvent de puits dont l’eau n’est pas traitée. Même difficultés pour l’électricité. L’école est gratuite en théorie, mais avec des frais d’inscription énormes, « ils (l’Etat) ont mis un numéro vert si on te fait payer (15 000 Francs CFA), mais celui qui décroche c’est celui qui te demande de l’argent ! ». Manque de tout, classes bondées, 100 élèves par classe. Parfois, les élèves n’ont cours que le matin ou l’après-midi, les parents paient, même quand les fournitures sont « gratuites ». Il y a de plus en plus d’écoles privées. Un intervenant nous explique « qu’il faut payer 500 000 Francs CFA pour suivre les cours à l’université, sinon tu n’auras pas tes examens ». Même chose sur la santé, manque de médecins, et d’infirmiers, alors que beaucoup sont sans emploi. Les « grands médecins, ceux qui ont les meilleures cliniques, empêchent que le matériel des hôpitaux publics soit renouvelé, afin de s’en mettre plein les poches ». Les bourgeois vont se faire soigner en France. Passer un concours administratif ? « Pour cela il faut de l’argent, que tes parents soient connus, que tu ais un diplôme, et même avec ça ce n’est pas sûr d’avoir un emploi administratif ! » Bouygues est derrière les sociétés d’électricité et de l’eau. Les vrais voleurs sont Bouygues et l’Etat. Bolloré, qui a des soucis avec la brigade anticorruption en France, détient le terminal de conteneur d’Abidjan, le chemin de fer vers le Burkina Faso. L’impérialisme français est très présent, 50% des recettes fiscales de l’État Ivoirien viennent des 800 entreprises françaises.

En Côte d’ivoire, il y a une petite bourgeoisie émergente. De plus en plus de supermarchés, pour la petite et moyenne bourgeoise, il y a hausse des loyers de luxe, parfois l’équivalant de 1000 euros. Une trouvaille du Président Ouattara, la création d’un Sénat dont un tiers est nommé par le chef de l’Etat et d’une Chambre nationale des Rois et des Chefs traditionnels. Cette chambre existait mais n’était pas institutionnalisée, maintenant ils reçoivent un bon salaire.

LA VIE DES CLASSES LABORIEUSES

Avec la coupe d’Afrique en 2021 de nombreux chantiers sont ouverts, l’Etat rase des quartiers pour spéculer, par exemple à Port Boué et l’autoroute pour Grand Bassam. Les eaux usées dans ces zones industrielles sont directement envoyées sans retraitement avec les eaux de pluie. Il a de l’insécurité dans les villes avec les jeunes désœuvrés, ils débarquent dans les quartiers et font la loi. Le salaire minimum est de 90 euros par mois. « Un travailleur nourrit au moins dix personnes ! Il faudrait un minimum de 100 000 francs CFA, et là ce serait possible », d’après Marius Comoé, président de la Fédération des associations de consommateurs actifs de Côte d’ivoire. Autre problème : seuls les travailleurs des secteurs privé et public, dont l’emploi est réglementé, peuvent prétendre toucher le smig. Or ceux-ci ne représentent que 18,1% de la population en âge de travailler. Le gouvernement se ridiculise en expliquant qu’il n’y a que 2,8% de chômage. Il y a manque de bonnes terres, lutte entre les populations de l’Ouest des montagnes avec les immigrés Burkinabés et Maliens. Les grandes firmes du secteur du chocolat sont à l’origine de la déforestation des forêts, avec la collusion de producteurs de cacao installés illégalement dans des aires protégées. Plus de 90% des aires protégées sont transformées en cultures de cacao, alors que les forêts denses ne recouvrent plus que 4 % du territoire. Pillage du cacao et du café, l’argent va dans les poches des trusts impérialistes. Il y a des amendes pour les petits producteurs qui vendent leur production à l’extérieur du pays ou leurs produits sont mieux payés. Ceux « qui travaillent dans les champs ne gagnent rien. Ceux qui gagnent sont ceux qui travaillent dans les bureaux climatisés », une anecdote « la Première dame dirige une association ‘Children for Africa’, alors que de nombreux enfants dans son pays travaillent dans les champs de cacao... ».

RÉSISTANCES OUVRIÈRES

Dans les entreprises françaises il y avait des normes minimales qu’ils respectaient. Pour les Chinois, tous les travailleurs du bâtiment sont considérés comme manœuvres. Le grand stade a connu 3 grèves. Il y a des entreprises européennes, libanaises et d’autres africaines, les entreprises chinoises sont soutenues par leur Etat. A Yopougon qui est la plus grande zone industrielle du pays, il a des grèves pour les salaires, l’embauche des journaliers. À Koumassi, lutte pour l’embauche des journaliers, certains sont là depuis 10 ou 15 ans. Dans le bâtiment pas de déclaration à la Sécu pour les ouvriers, violence contre les ouvriers surtout dans les entreprises chinoises. Pour le chantier du stade olympique, de nombreux arrêts de travail, licenciements, intervention de la police.

Dans les zones industrielles de Yopougon et Komassi, il y a beaucoup de journaliers. Il a des centaines d’usines ou il y a 1000 personnes. L’Etat s’attend plus à une opposition politique (intellectuels qui palabrent entre eux) pour eux les ouvriers sont des ignares. Grèves zones industrielles. Les travailleurs se battent pour leur dignité, ils sont insultés, le mécontentement est général. Un camarade nous explique « j’ai travaillé chez Bouygues construction, sur la route avec un gros camion, on a fait grève deux fois. Le ministre est venu, on nous a fait une promesse de 20 000 FCFA (35 Euros), en fait c’était des promesses sans lendemain, ils ont embauché des Camerounais et des Burkinabés pour faire le travail ». Les patrons reçoivent l’appui de la police, les inspecteurs du travail reçoivent de l’argent de main à la main des patrons et aident au renvoi des travailleurs. Difficile d’obtenir le droit de manifester, si tu manifestes, au nom de qui ? « Tu risques de te faire gazer ». Malgré les risques les travailleurs se battent quand même, il y a 5 centrales syndicales qui reçoivent leurs subsides de l’Etat. Des dizaines d’ouvriers sont révoqués, en même temps des dizaines sont embauchés. La lutte continue quand même. Si le gouvernement se méfie plutôt de ses opposants officiels, les dirigeants des travailleurs en grève risquent la prison.

ETHNICISATION ?

Les prochaines élections auront lieu en 2020, il y danger d’ethnicisation et de régionalisme. Quelles traces de la guerre civile ? La guerre, c’est fini il y a 8 ans. La partie occupée par la rébellion est dans une situation difficile avec beaucoup de paysans pauvres, c’est sur le plan économique qu’il y a des traces de la guerre civile. Dans le pays très souvent il y a des soulèvements dans l’armée, car une grande partie de l’armée estime que le Président lui est redevable. Ils réclament l’équivalant de 15000 euros par personne au gouvernement qui a dû céder. Dans l’Ouest il y a toujours des miliciens de Gbagbo. Il y a aussi l’aspect insécurité, les miliciens (de tous les camps) ne sont pas tous revenus à la vie civile, ils sont devenus coupeurs de routes, des enfants soldats surtout, qui sont nommés « microbes ». Ils sont armés de machettes, dépouillent les gens. Guillaume Soro ex dirigeant de la rébellion a été intégré et il est le bras armé du pouvoir actuel, il est ambitieux. Question ethnique dans le pays : c’est surtout pendant les élections que ces questions sont soulevées. A la veille des élections, les politiciens viennent dans les quartiers pour faire voter par ethnie. Les politiciens n’ont pas de programme, s’appuient sur les ethnies ou les religions. Le but arriver aux postes et piller. Le vote « est virtuel, le Président est déjà élu, avant les élections, ma mère me dit toujours, quel candidat soutiennent les français ? C’est X ? Alors il est élu ! » Quand il s’agit de se battre, les travailleurs sont unis et ne parlent pas d’ethnie, ils sont unis, on trouve ce problème pas seulement dans la classe ouvrière, mais dans tout le pays.

LES MIGRANTS (NOUS-MÊMES)

Autant les Ivoiriens sont attirés vers l’extérieur, autant les citoyens des pays frontaliers (Burkina Faso, Mali etc.) sont attirés vers la Côte d’ivoire, pour les mêmes raisons. Beaucoup d’Ivoiriens meurent noyés dans la Méditerranée, le tiers des immigrants qui arrivaient en Italie étaient de nationalité ivoirienne environ 1500 personnes par mois. On peut voir à Daloa des réseaux très puissants qui aident les jeunes à immigrer. Comme vous le voyez nous venons d’un pays ou les conditions seraient propices à une bonne vie, mais justement parce que notre pays est riche de potentialités, il est pillé sans vergogne par les impérialistes. La « présence de l’armée Française, ils ne sont pas là pour défendre la population, mais pour leurs intérêts car si la Côte d’ivoire est riche cette richesse ce n’est pas pour la population... ». Nous vivons mal ici, mais cela est préférable à une vie sans avenir et sans revenus pour nous et nos familles dans notre pays. C’est de cela dont nous voulons débattre.

CONCLUSION

Vous avez vu, c’est les deux visages du même monstre, et ce monstre on appelle ça l’impérialisme. Alors c’est un mot un peu compliqué, l’impérialisme, mais c’est quoi les impérialistes : c’est quelques nations, quelques pays qui dominent tout le monde, tout le reste du monde. Alors c’est l’Europe, les Etats-Unis, c’est le Canada, la Chine, le Japon, la Russie et ces pays ils contrôlent l’économie mondiale. C’est eux qui fixent le cours des matières premières, qui disent le cacao c’est tant, le pétrole c’est tant, on va l’acheter tant. Ils contrôlent le cours des matières premières et ils investissent ; ils construisent ce qu’on appelle des infrastructures : c’est Bolloré qui possède le port d’Abidjan et puis plein d’autres ports en Afrique, Voilà tout ça c’est à Bolloré. C’est des ports, là où il y a des gros bateaux qui viennent, des porte-conteneurs, c’est des voies de chemin de fer, c’est tout ça et eux ils font ça pour contrôler l’économie. C’est que la Côte d’ivoire, elle est indépendante depuis 1960, mais en vrai il y a toujours beaucoup d’entreprises françaises en Côte d’ivoire mais il y a d’autres entreprises, il peut y avoir des entreprises anglaises, américaines, il y a de plus en plus d’entreprises chinoises. Et ces entreprises elles sont là et ce qu’elles veulent c’est gagner le plus possible d’argent.

Alors l’Afrique c’est un continent qui est riche, riche déjà de sa population, de sa jeunesse, et puis elle est riche de ses ressources naturelles : alors c’est le bois, le cacao, c’est le pétrole, c’est l’uranium, c’est l’or, c’est tout ça. Et ces puissances impérialistes, sont là pour s’accaparer ces richesses. Elles sont là pour exploiter, prendre ces richesses, à leur propre profit. Et elles peuvent compter, comme l’un de vous l’a dit, sur les bourgeoisies locales. En Côte d’ivoire, il y en a qui sont au pouvoir et qui gagnent beaucoup d’argent en collaborant avec Bouygues, avec Bolloré. Ça, c’est un des visages de l’impérialisme.

Et quand vous arrivez ici, en France, vous voyez l’autre visage. L’autre visage de l’impérialisme, c’est l’exploitation ici. C’est l’Etat Français qui ne veut pas vous donner de papier pour permettre à des patrons de vous exploiter encore plus. Ça leur permet de vous appeler au dernier moment sur le téléphone portable, de dire tiens tu vas travailler là, j’ai besoin de toi, on va te donner un petit peu d’argent. Et puis demain vous n’aurez pas de travail, et puis après on va vous rappeler, et puis voilà ! Et comme vous n’avez pas de papier, vous ne pouvez pas avoir de logement, vous êtes obligés de vivre ici, de vous cacher de la police. Et ça aussi c’est l’autre visage de l’impérialisme. Il faut savoir que nous aussi en France on est exploité par des patrons. Alors c’est un peu différent parce que nous on a des papiers, donc on peut un peu plus se défendre ; mais ce n’est pas très différent non plus. Et puis ça explique pourquoi, par exemple tout à l’heure on parlait de Macron, mais Macron il déteste le peuple, les travailleurs ; lui c’est le représentant des banquiers, des grands patrons, des gens qui ont beaucoup d’argent et les gens comme nous il les déteste, les gens comme vous aussi. Juste ce qu’il voit, c’est que par notre travail il va pouvoir gagner beaucoup d’argent.

Nous, on est une organisation politique, et on dit : eh bien voilà, c’est ce monstre-là qui nous fait vivre dans la misère, c’est ce monstre-là, l’impérialisme, Français en l’occurrence mais comme les autres, c’est lui qui fait des guerres à travers le monde, c’est lui qui provoque des famines, et il faut l’abattre, il faut le détruire ce monstre. Et ça commence par discuter entre nous, comme on l’a fait aujourd’hui, faire des petites réunions. Et puis ça veut dire aussi avoir conscience de ce qui se passe ; et c’est ce que vous avez fait aujourd’hui, tous ensembles, en discutant, en disant ce que vous aviez en tête. Et, peu importe, il y en a qui ont des diplômes, d’autres qui n’en ont pas, mais le principal c’est les idées qu’on a et comment on les utilise et comment aussi on combat les divisions entre nous. Ça aussi ça a été dit, on essaie de nous diviser, et bien non, il faut rester tous ensemble, il faut rester unis.

Et puis pour finir aussi, parce que nous aussi on a des mots d’ordre, donc pour bien comprendre les choses, c’est ce qu’on dit : les troupes françaises elles n’ont rien à faire en Afrique, donc les troupes françaises hors d’Afrique. L’Afrique c’est pour les Africains, c’est à eux d’assurer leur développement économique, de choisir leurs dirigeants, ce n’est pas à des militaires français de mettre au pouvoir des gens qui leur sont favorables. Et puis on dit, il faut des papiers pour tous, pour la liberté de circulation et d’installation. Il faut que chacun de nous on puisse aller vivre là où on en a envie, pour nous, pour nos familles, pour pouvoir vivre dans la dignité.

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