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Référendum ADP : un écran de fumée réformiste

Partisan Magazine N°14 - Décembre2019

Le 9 avril 2019, des députés et sénateurs du PCF, de la France insoumise, du PS et des Républicains ont déclenché le processus qui permettra peut-être l’organisation d’un Référendum d’initiative Partagée (RIP) pour refu-ser la privatisation du groupe Aéroport de Paris (ADP), qui possède les aéroports d’Orly et de Roissy, qui est souhaitée par le gouvernement LREM. Pour déclencher le RIP, il est nécessaire de récolter les signatures de 10% des membres du corps électoral d’ici le 20 avril 2020, soit de plus de 4 millions de personnes.

Il est clair que ce projet de référendum est une manœuvre des partis bourgeois réformistes pour simuler une opposition à la politique du gouvernement Macron. Alors même que sous le gouvernement Jospin, PS et PCF main dans la main furent les plus gros privatiseurs, alors que nous sortons de 5 ans de gouvernement Hollande marqués par la Loi El-Khomry et le Pacte de compétitivité... C’est sous Hollande que le 5 octobre 2015, lors du CCE (comité central d’entreprise) il y a eu l’affaire de la chemise arrachée. Mais il n’y a pas que ça. Fondamentalement, il s’agit aussi pour eux d’essayer encore une fois de rallier les masses à l’illusion du caractère démocratique des institutions politiques bourgeoises, comme quoi nous pourrions nous, les exploités, compter sur leur parlement, leurs référendums et leurs élections, plutôt que sur notre organisation indépendante de classe.

Il est tout à fait juste de dire que le gouvernement Macron privatise pour renforcer les grands groupes capitalistes comme Vinci (sûrement pour consoler ce dernier de l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes) en leur cédant une entreprise extrêmement rentable. C’est la règle du « socialiser les pertes, privatiser les profits », classique des rapports entre les Capital et l’État dans la société bourgeoise. Ce constat flagrant, et à juste titre révoltant, ne doit cependant pas justifier de se rallier à toute proposition réformiste qui prend l’aspect d’un acte de résistance au Capital.

Quasiment toute la gauche et l’extrême-gauche s’est jointe à cette campagne pour le référendum, côte à côte donc avec le PS et les Républicains dans un bel élan d’unité nationale. Les grands partis réformistes bien sûr, mais aussi le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), ou même les anarchistes de l’UCL (Union communiste libertaire). Lutte Ouvrière (LO) a adopté une position ambiguë, sans dire ce qu’elle pense de la campagne pour le référendum, et concluant toutes ses prises de positions sur le sujet par une sentence du type « seule la lutte des travailleurs permettra de faire reculer le gouvernement... ».

Leur point commun à tous, c’est la défense du « Service public », ou bien l’idée que puisque ADP est une entreprise propriété d’Etat, elle serait « à nous ». Mais dans la société capitaliste, l’Etat est l’instrument de la bourgeoisie, le défenseur de ses intérêts communs ; ce que l’Etat contrôle est donc aussi entre les mains de la classe exploiteuse. Les prolétaires n’ont ni le contrôle de l’Etat, ni la propriété des entreprises publiques. ADP n’est donc certainement pas à nous. C’est le B.A.-BA du marxisme.

Aéroport de Paris, tout comme toutes les autres entreprises publiques, n’a pas été créée pour répondre aux besoins des travailleurs ou suite à leur combat, mais pour faciliter la circulation du capital en hommes, en marchandises ou en flux financiers. Les « services publics » correspondent à des fonctions nécessaires aux capitalistes dans leur ensemble, qu’ils ne peuvent pas assurer individuellement. En quoi dans sa mission Aéroport de Paris serait un « service public » à défendre ? Le développement du transport aérien est lié au développement de Paris comme métropole impérialiste, il sert avant tout à assurer la liaison du capitalisme français avec ses intérêts économiques dans le monde. Dans un monde sans impérialisme et sans tourisme de masse destructeur, il faudra de toute façon en finir avec les aéroports monstres. Dans la proposition de loi présentée par les groupes politiques qui défendaient le référendum à l’Assemblée nationale le 10 avril 2019, ADP est présenté comme « une société florissante ». Grâce à qui, et avec quels moyens ? La « construction d’un terminal 4... permettrait, à l’horizon 2023-2024, d’augmenter de 10 millions de passager sa capacité actuelle et à terme, de porter celle de l’aéroport à 120 millions de passagers en faisant le premier aéroport européen ». Pendant ce temps Heathrow, l’aéroport de Londres concurrent de Roissy « rencontre une forte contestation populaire ». Donc profitons que le concurrent soit en difficulté. On continue, « ainsi ce ne sont pas moins de 23 liaisons aériennes qui sont opérées depuis ADP, vers des destinations intérieures en métropole et dans les outremer ». Celles et ceux qui soutiennent ce référendum, se trouvent de fait à la remorque des bourgeois, pour qui ce n’est pas un problème de capturer des terres cultivables afin d’agrandir l’aéroport. Rappelons à ces « éco-socialistes ou écologistes » que les émissions de C02 des avions sont 45 fois plus élevées que le train. ADP est une multinationale expansionniste, qui rachète et investit dans les aéroports à l’étranger (37 à l’heure actuelle) et participe à la guerre économique impérialiste, comme le font Renault, Airbus ou Total. Comme le font la SNCF ou la Poste, autres entre¬prises « publiques ». Dans sa stratégie et dans sa manière de gérer, rien - mais vraiment rien - ne différencie l’Etat-patron de l’actionnaire privé. L’Etat fait même souvent pire. A France Télécom, la Poste ou la SNCF, c’est l’Etat patron qui s’est chargé de généraliser la sous-traitance, de casser les acquis sociaux, de dégrader les conditions de travail. C’est aussi le cas à ADP, où depuis plusieurs décennies la direction fait de même. ADP a été introduite en bourse en 2006, période où commence la sous-traitance vers sa filiale Alyzia. L’expérience montre que la privatisation est bien souvent le point final de la restructuration, et non pas son commencement. Une fois que l’Etat « bras armé du Capital » s’est chargé du sale boulot, il cède l’entreprise aux capitalistes.

La défense du « service public » est très populaire parmi les travailleurs. Cette popularité est liée à la défense des acquis dans les services que la Bourgeoisie a dû mettre en place pour assurer la reproduction de notre force de travail : santé, école, famille, transports, services de base (eau, électricité...). Ces acquis, il faut les défendre contre les attaques permanentes du gouvernement et des patrons. Nous défendons aussi leur relatif caractère collectif et égalitaire contre la jungle du libéralisme individuel. Mais il y a une grande illusion à croire que le caractère public des services est le garant des acquis et de l’égalité ! D’ailleurs, les travailleuses et travailleurs d’ADP n’ont jamais bénéficié d’un statut particulier qui comporterait des avantages acquis qu’il faudrait défendre, à l’inverse des fonctionnaires ou des cheminotes et cheminots.

La question du statut public ou privé de l’entreprise n’a pas de sens du point de vue ouvrier si elle n’est pas considérée du point de la vue des statuts et des conditions de travail. D’un point de vue de classe, on constate qu’avant tout, le fameux « Service public », c’est le Service du Capital, même si ces Services ont été (et doivent être) l’enjeu de luttes pour défendre et étendre les avantages accordés aux travailleuses et travailleurs. Voilà pourquoi nous ne défendons pas le « Service public ».

Ceux qui aujourd’hui portent le référendum contre la privatisation d’ADP (comme les bureaucrates syndicaux de la CGT) sont ceux qui ont accepté l’extension de la sous-traitance et de la précarité depuis des décennies dans les entreprises d’Etat en échange de la sauvegarde de leurs privilèges et des acquis d’un noyau de travailleurs, d’« aristocrates ouvriers », formant leur base sociale, en sacrifiant toujours plus de travailleuses et travailleurs des activités considérées comme « périphériques ». Ou par le PCF, qui dans les collectivités locales qu’il gère privatise et sous-traite de plus en plus les services municipaux. Pas étonnant que ceux-ci ne mettent pas en avant la question du statut et des conditions de travail des salariés d’ADP dans leur campagne, et ne parlent que du caractère public de l’entreprise qui par lui-même changerait tout. La vraie question, c’est la défense des intérêts collectifs des travailleuses et travailleurs des aéroports. Défense de leurs intérêts matériels immédiats, mais aussi lutte contre tout ce qui divise et affaiblit le collectif des travailleurs face au patron, pour assurer l’unité de notre classe. Entreprise privée ou entreprise publique, ce qu’il faut mettre en avant, c’est notamment :

  • Le refus de tout licenciement,
  • La réintégration de tous les sous-traitants
  • L’embauche des précaires en CDI,
  • La régularisation de tous les travailleurs sans-papiers, nombreux à travailler sur les plateformes aéroportuaires.
  • Un même statut pour tous les travailleurs des aéroports, basé sur le plus protecteur
  • Non à l’agrandissement des aéroports et aux grands projets inutiles
  • Priorité aux transports par le train, suppression de la plupart des liaisons aériennes intérieures

Alors, si par miracle le référendum pour conserver le caractère public d’Aéroport de Paris a bien lieu, et s’il est remporté par les opposants à la privatisation, qu’auront gagné les travailleuses et travailleurs dans le fond ? Rien en réalité, si par ailleurs le patron, quelque qu’il soit, peut continuer à poursuivre en interne sa politique anti-ouvrière. Voilà pourquoi l’OCML-VP considère cette campagne pour le référendum comme un écran de fumée réformiste et ne participera pas à cette mascarade.

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