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Interview radio sur les retraites
Partisan Magazine N°15 - Juin 2020
Cet article est extrait d’une interview de camarades de l’OCML-VP dans l’émission radio « Vive la Sociale » du 16/01/2020 sur Fréquence Pars Plurielles (FPP).
E., retraité de la chimie, et N. ouvrier gréviste de la RATP, nous parlent des AG interpro, de la difficulté du débat de fond, de l’importance des collectes de soutien, de la faible participation du privé, des revendications, de la pénibilité et pourquoi c’est si important dans les mots d’ordre, etc.
L’interview est disponible en intégralité sur le site de l’émission : http://vivelasociale.org/les-emissions-recentes/139-penibilite-et-reforme-des-retraites
La réforme des retraites est dans les choux, mais elle n’est pas officiellement enterrée, juste suspendue. Si même des députés LREM disent qu’il faudrait l’abandonner, c’est pour mieux la faire passer dans le 2e quinquennat de Macron ! Le sujet de ce texte, c’est comment des communistes participent à un mouvement de lutte gréviste.
Un noyau déterminé mais une grève qui peine à s’élargir
N : Le mouvement, ça descend, ça monte, mais il ne faiblit pas du tout. Les gens ont une détermination qui n’a pas faibli mais les contraintes financières sont fortes, alors il y a un turn-over. On en est à 42 jours. Moi perso j’en suis à 27, je vais avoir en février une paye de 0 euros. C’est un rappel à la réalité ouvrière, il faut payer son loyer. Donc on essaye de trouver une solution, c’est du travail, c’est long. On va arriver à des moments forts. La détermination elle est là, on lâche pas, on veut pas de cette réforme. Sur ce point-là on est tous OK.
E : Il y a de la rage, dans le noyau actuel de grévistes, à la RATP, à la SNCF chez les enseignants. C’est l’accumulation de tout ce que le gouvernement à fait pendant plusieurs années. Le suicide de Christine Renon (directrice d’école à Pantin) pour les enseignants, ça passe pas. Mais dans l’industrie privée, ça ne démarre pas vraiment. Pour l’instant, de manière dure, il y a les raffineries, les portuaires, les dockers, mais c’est un mouvement de 3 jours, on va voir si ça va durer. Après y’a d’autres mouvements qui viennent se greffer dessus, les avocats, les pompiers.
Dans les cortèges, les manifs, il y a des grosses délégations (PSA Mulhouse par exemple), plus large que le noyau militant mais pas encore massif. La grève dans les raffineries a un poids réel sur l’économie, mais y’a pas de pénurie…
Sur les AG interpro, y’a pas de privé, ou presque. Il y a des incompréhensions, les gens du public ne comprennent pas bien comment ça se passe dans le privé, et inversement.
N : Dans les AG on entend souvent "Oui, il faut que les gens du privé sortent". Mais les gens du privé, ils sont dans les manifs. Le problème du privé c’est que ça n’a pas le même impact. Tu fais une journée de grève, tu peux te retrouver le lendemain avec une lettre de licenciement. C’est ça la réalité, et c’est ça qui est difficile à faire comprendre dans les AG.
Si on veut pouvoir avancer, organiser, structurer, il faut des coordinations, mais qui se mettent d’accord, qui débattent pour recherche l’unité. Souvent, y’a 15 revendications mais pas de débat. Pourquoi cette revendication plutôt qu’une autre ?
E : Par exemple, pourquoi on devrait être pour le maintien des régimes spéciaux ? Qu’est-ce que ça veut dire ? L’idée des régimes spéciaux c’est une contrepartie à la pénibilité. Les égoutiers, ils pataugent dans notre merde et ils ont une espérance de vie inférieure de 17 ans à la moyenne. Donc ils partent plus tôt à la retraite. On est donc pour la défense des régimes spéciaux, mais pour l’étendre à tous. Nous on est une petite organisation, on n’a pas la prétention d’arriver et de dire "nous on a la bonne plate-forme et il faut la prendre". C’est pas comme ça que ça se passe. Mais par contre on a des orientations, il faut en discuter. La retraite, en général, c’est la contrepartie à la fatigue et à la souffrance au travail de l’exploitation capitaliste. C’est un truc de base. Ça touche les cheminots, les enseignants, le privé, et ça permet de faire l’unité, justement. Cette fameuse unité qu’on a du mal à construire...
Les AG interpros
N : Les AG interpro, c’est très important, la clé du mouvement. Mais c’est pas évident de structurer les AG. Elles prennent essentiellement des décisions sur l’action. Il faudrait pouvoir voter des commissions, par exemple. Qu’est-ce qu’on fait, où est-ce qu’on va ? On est là pour virer la réforme des retraites, mais aussi la société. Il manque des coordinations, des structures. De décisions connues et appliquées par tous.
Il faut aller à l’encontre de ce qu’on nous oblige à être, des ouvriers dociles. A la RATP, le climat est très dur, avec l’ouverture à la concurrence qui se profile et la répression syndicale hallucinante. Donc on se retrouve à des piquets de grève où les gens ne veulent pas parler, c’est "Action !".
E : Les AG interpro, je trouve que c’est positif. C’est pas nouveau, ça date des mouvements précédents (loi El-Khomri, loi travail, retraites 2010). Mais il y en a plus qu’avant, et elles fonctionnent. C’est le levier à saisir pour l’élargissement. Les limites c’est que ça repose souvent sur les enseignants, c’est eux qui font le nombre. Se sont agglomérés, les cheminots, la RATP. Au niveau syndical, c’est Solidaires et la CNT qui l’ont impulsé, mais ce qui est un petit peu nouveau c’est que dans certains endroits il y a des syndicats CGT qui commencent à y participer. La CGT a toujours été très hostile à ce type de structures, plus habituée au syndicalisme vertical et bien raide. Les AG interpros se développent dans le temps, en s’appuyant sur l’expé-rience accumulée. On retrouve un truc qui ressemble aux Gilets Jaunes. Les GJ sont présents dans les AG interpros, et ils peuvent avoir des positions plus radicales que le reste de l’assemblée, plus globales. Mais ils ont développé une activité complètement désorganisée, ils n’ont pas réussi à s’organiser.
N : Sur ce mouvement il y a des salariés qui sont contre les syndicats. Il y a une cassure énorme entre les directions syndicales et la base. Y’a comme si on essayait de repartir sur quelquechose, mais sans les bureaucrates.
L’enquête de VP
N : Dans les AG, on est pris par le mouvement, c’est beaucoup "action, action, action". C’est normal, on est ouvriers, la grève a un impact sur notre vie, direct. Il faut taper fort parce qu’on nous oblige à le faire. Ça ne laisse pas beaucoup de place à discuter. La police nous entoure, nous bouscule. Alors on s’est dit : « comment on va pallier à ça ? »
E : C’est super difficile de discuter politique au fond. Il faut que la grève tienne, être actif, tenir le piquet. Il faut organiser le combat, faire les collectes. Mais on ne peut pas en rester là. Faire des tracts ? Mais s’ils ne sont pas lus ce n’est pas très intéressant. Donc on veut faire une enquête, interactive, aborder les grévistes, les gens qui se posent les questions, d’échanger. Objectif c’est de stimuler un débat.
N : Aujourd’hui, dans la CGT, dans le militantisme, il n’y a pas d’enquête, pour savoir vraiment, qu’est-ce que pensent les gens ? Les questions qu’on a posées, c’est des questions basiques, mais ça parle aux masses.
E : C’est une vieille pratique de VP. On va écouter ce que les gens disent. Ça nous permet en même temps de proposer nos positions, et dans la discussion, d’avancer. Mais ça ne peut pas se faire, en remplissant un questionnaire par écrit. Il faut une relation directe. On découvre des choses. Par exemple, le mot pénibilité, y’a pleins d’ouvriers de travailleurs qui ne comprennent pas ce mot. Nous on pensait que c’était acquis. Par contre si tu leur parle fatigue et souffrance au travail, là, pouf, direct, ça tilte. C’est ce genre de chose que l’enquête permet de comprendre. Dans le dernier autocollant qu’on vient de faire, on parle de fatigue et de souffrance au travail.
Les questions de l’enquête VP
• Pourquoi a-t-on une retraite ?
• Une retraite universelle où tout le monde part au même âge est-ce que c’est juste ?
• Qui décide des conditions de la retraite (âge de départ, nombre d’années de cotisa-tions, calcul de la pension…)
• Les retraites sont financées par les cotisations sociales qui sont une partie des ri-chesses créées par notre travail. Alors pourquoi ce n’est pas nous qui décidons de la retraite qu’il nous faut ?
Fatigue et souffrance au travail
E : Y’a eu une négociation en 2007 avec les syndicats sur la pénibilité. A l’époque, grosse campagne de la CGT, dynamique, punchy. Mais le MEDEF a claqué la porte en 2008. L’idée c’était de reconnaître le fait que le travail, l’exploitation capitaliste, ça abîme. A l’époque il y avait une série de thème de pénibilité, y’avait 10 critères. Avec derrière l’idée que ça pouvait ouvrir le droit à des retraites anticipés. Quelque part c’est déjà un peu ça les régimes spéciaux (égoutiers, cheminots, etc.). Sous Hollande il y a eu le compte de prévention de la pénibilité mais qui a été mis en place de façon dégradée. C’est individuel et pas collectif. Ça passe par des commissions de sécu sociale, on gagne des points, par un mode de calcul de seuil. 6h de marteau piqueur par jour pendant 200 jours pour avoir droit à partir 2 ans plus tôt… Tu meurs avant. Des professions sont exclues, les femmes de ménage avec les toxiques chimiques, les postures pénibles…
E : Macron quand il est arrivé, il a dit, le "travail n’est pas pénible". Il a supprimé 4 critères du C3P (Compte personnel de prévention de la pénibilité) : Les toxiques chimiques, (qui ne concernent pas que la chimie mais aussi la santé, le nettoyage, la construction, le bâtiment, etc.) c’est énorme ! Les aides-soignants, les agriculteurs, bref... Les vibrations, les ports de charges lourde et les postures dangereuses aussi. Parce que ces critères-là, c’est plusieurs millions de personnes concernées. Au max les gens se retrouvent avec 2 ans d’anticipation de carrière. Un égoutier qui part à 52 ans devra partir à 64. Jules Guesde [1] disait en 1910 : "nous ne voulons pas de la retraite des morts". On en est là. Pas seulement pour les ouvriers. La pénibilité, elle a aussi pris une forme spécifique qui s’appelle la souffrance au travail et le harcèlement moral qui a produit des suicides de cadres en rafale à France Télécom.
Les moyens techniques, ils existent pour inventer des nouveaux engins, qui seront peut-être plus chers, moins performants. Y’a des usines qui tournent H24. « Oui mais tu comprends, on ne peut pas faire autrement » Bah si ! On peut mettre les usines en veille, on ne produit plus la nuit. Y’a pas une contrainte technique obligatoire, on a choisi le fait que c’est bien plus rentable de tourner toute l’année. Depuis 2008 plus personne n’en parle, la CGT a abandonné le combat sur la pénibilité.
N : T’es fatigué, t’as des douleurs aux mains. On trouve que c’est normal de rentrer chez soi, d’être crevé et de ne pas pouvoir jouer avec ses gamins parce qu’on est rincé par le taf. Mon père me disait « Non, le travail c’est pas fatiguant ». Il était conducteur d’engins, il a eu deux opérations des épaules, le dos éclaté avec une sciatique. On se construit avec ça. C’est une fierté de dire « Je ne suis pas fatigué ». Alors que non, c’est pas normal d’être fatigué en rentrant du boulot. La différence c’est qu’en tant qu’ouvrier on n’intellectualise pas la pénibilité, on la vit. Pourquoi cette fatigue elle est là ? Elle vient de l’intensité du travail. Nous, on veut travailler « Tous, moins et autrement ». On fait un lien entre pénibilité et retraite. On veut un tiers temps pénibilité, comme le tiers temps amiante.
La « retraite » que nous voulons
E : Y’a un tract que j’ai vu dans les manifs : "La retraite, un moment de solidarité qui échappe au capitalisme", écrit par l’UCL (Union Communiste Libertaire). Quand t’es retraité avec 1000 balles, jeté comme un chiffon qui sert à rien dans une société de merde, comment dire… On pourrait imaginer une société ou le mode de production soit complètement bouleversé. On supprime les productions inutiles, au hasard la publicité, l’armement, la production nucléaire, etc. On recompose le travail entre travail manuel et intellectuel, y’a pas d’un côté les chefs qui décident et les ouvriers qui exécutent. Il n’y a plus de pénibilité, on se donne les moyens de modifier le processus de production, plus de travail à la chaîne, plus de travail de nuit. A ce moment-là, la question de la retraite elle prend un autre sens. Dès aujourd’hui on peut le voir, les politiciens, les journalistes, les comédiens, ils ont des belles vies. Ça se passe bien pour eux, c’est enrichissant, et ils travaillent jusqu’à 80 ans ! On pourrait imaginer une retraite qui aille doucement, plus on avance en âge plus on est fatigué, ça y’a pas de mystère. Et avec le déclin on travaille moins. Comme les paysans le faisaient dans le temps. On fait de la formation pour les jeunes, on est retiré des travaux les plus physiques. On apporte son expérience, sa mémoire. Mais ça suppose d’en finir avec le capitalisme. Le capitalisme, c’est pas une répartition de richesses, c’est un mode de production,structurel.
Le mot de la fin…
N : Merci à toutes les femmes qui viennent sur nos piquets de grève. Nous en tant qu’ouvriers, en tant qu’hommes on ne gagnera pas si les femmes n’y vont pas. Pour tous les gars qui m’écoutent, ouvrez les yeux, occupez-vous des enfants, faites à manger, laissez vos femmes aller sur les piquets de grève. Cette réforme-là elle attaque les femmes durement, par le biais des carrières incomplètes, les femmes vont déguster méchant.
[1] (1845-1922) Dirigeant politique du mouvement ouvrier de tendance marxiste, sous la IIIème République.