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Ecologie : augmenter ou réduire la production ?

Partisan Magazine N°18 - Décembre 2021

Nous avons reçu le courrier suivant d’un lecteur fidèle, que nous nous faisons un plaisir de diffuser et de discuter.

Le 01/08/21

Merci de m’avoir amené au stage d’été de VP et à l’école de base dans les années 2000. Ça a eu une grande influence sur moi, même si au final je n’ai pas adhéré à l’organisation.

J’ai été ému par le texte "2016-2019 : La crise de VP", publié dans le dernier numéro du magazine. C’est touchant de voir la persévérance et la modestie de votre organisation.

VP a un riche passé, de luttes politiques et d’expériences pratiques, mais la crise traversée récemment doit nous rendre encore plus forts, et plus modestes. Que les expériences, parfois douloureuses, servent a tous pour aller de l’avant !

Si je peux me permettre de vous donner un conseil pour rebondir et aller de l’avant, je vous suggère de supprimer cette horreur de votre plateforme (section 422) :
"Si les ouvriers participent à tous les niveaux à la gestion et au pouvoir, leur expérience et leur initiative permettront d’accroître la production sur des bases nouvelles. Cet accroissement est nécessaire a l’amélioration du bien-être collectif et pour dégager du temps libre."

N’importe quel militant sain d’esprit et qui a des connaissances valables en écologie fuira votre organisation en courant après avoir lu ce passage. Moi, en tout cas, je n’adhèrerais pas a VP pour cette raison, car j’ai une contradiction antagonique avec ce passage.
Formez-vous a l’écologie, lisez Nature, lisez Science. Il ne faut pas accroître la production. Il faut la réduire.

A mon avis, si vous intégrez une orientation écologique véritable dans votre organisation, vous attirerez des gens bien. Par exemple des militants d’Extinction Rébellion, ou d’autres organisations écologistes, qui sont frustres par la naïveté politique de ces organisations.

Mais passer d’un objectif politique de croissance économique à un objectif politique de décroissance économique est une véritable révolution culturelle. En êtes-vous capables ? Je l’espère pour vous.
[Mousse]

Tout d’abord, un grand merci à notre lecteur pour sa contribution qui se démarque des critiques définitives et assassines trop souvent répandues dans le milieu militant. Merci pour sa lecture de notre résolution sur « la crise de VP », qui effectivement nous contraint encore plus à la modestie. Et enfin merci pour sa contribution pour l’écologie et ses conseils.
C’est à ce propos que nous voudrions, en toute modestie (!) apporter quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, notre lecteur a raison, la phrase est malheureuse, car elle propose une augmentation de la production en quantité pour libérer les travailleurs, même si elle est nuancée par une formule, plutôt vague on le concède, sur les « bases nouvelles » nécessaires. Mais il y a effectivement de quoi rebuter les écologistes radicaux d’aujourd’hui !
Notre plateforme date de 1993 (presque 30 ans déjà !) et, si nous avions déjà pris en compte la préoccupation écologique en particulier face au nucléaire, nous étions encore un peu influencés par la conception productiviste et économiste de la libération des forces productives que permettrait le socialisme. Nous nous permettons de mettre en encadré ci-contre un autre extrait de cette même plateforme (le paragraphe 596) pour éclairer ce que nous disions à l’époque, qui va bien plus loin qu’une simple formule malheureuse.

Au début des années 1990, rares étaient encore les écologistes et militants à critiquer sérieusement la limite des ressources de la planète et donc la nécessaire transformation radicale du mode de production, de ce point de vue. Sobriété, lutte contre les gaspillages, décroissance étaient des idées nouvelles et encore marginales, confuses et portées par des courants très réformistes voire réactionnaires.
Il nous a fallu du temps, à nous aussi, pour progresser dans la compréhension que le bouleversement complet des rapports de production capitaliste et du mode de production lui-même devait s’ouvrir à la préservation de la nature. Pourtant, les bases économiques et politiques étaient présentes dans nos positions, puisque nous critiquions déjà le productivisme, la notion même de croissance qui n’est que la manifestation de l’accumulation capitaliste.
Donc notre lecteur a raison de critiquer cette formule, et il conviendra de la corriger dans une prochaine mise à jour de cette plateforme (ce que nous envisageons, sans être trop précis sur les délais – il y a bon nombre de passages dépassés).

Cela dit, nous voudrions souligner quand même une limite de cette critique. La question de la production n’est pas avant tout une affaire de quantité, l’augmenter ou la réduire – même si c’est un aspect de la discussion.
La question de la production, c’est avant tout celle de l’accumulation, du pourquoi et du comment, des objectifs et des enjeux, des rapports de production. Et s’il faut bien libérer les forces productives (dont les prolétaires sont la part essentielle – il faut le rappeler ici), c’est précisément pour permettre l’avènement d’une nouvelle société libérée de l’exploitation et où le temps libéré permettra à chacun.e de prendre en charge l’avenir collectif.
Nous avons essayé d’illustrer ce point dans un autre article de ce magazine, à propos de l’énergie, en montrant la démarche que cela entraînait.
A ne traiter la question de la production que nous l’angle de la quantité, on risque fort de sombrer dans un débat stérile entre productivistes (plus de production) et décroissants réactionnaires (moins de production) sans rentrer dans le fond de la discussion.

Bien entendu, nous ne prêtons pas ces positions réactionnaires à notre lecteur ! Mais cette remarque est là juste pour illustrer la complexité du débat, et la nécessité de poursuivre le travail théorique et la réflexion sur ce qu’est un écolo-maoïsme véritable, dans tous les domaines, économique, politique, social et idéologique.
Nous y travaillons réellement, et nos prises de positions récentes en sont l’illustration : le nitrate d’ammonium à AZF et Beyrouth, le chlordécone aux Antilles, Lubrizol, la marche contre Monsanto, nous étions là à chaque fois pour faire le lien entre écologie et critique de l’économie politique chère à Marx !
On peut également relire avec profit le numéro 6 de notre Magazine Partisan dont le dossier est consacré à cette question. S’il est aujourd’hui épuisé, il est intégralement en ligne sur notre site (http://www.ocml-vp.org/article1672.html).

Encadré

Extrait de notre plateforme politique (cahier N°3)

596 - Verts parce que rouges.

La critique approfondie du capitalisme nous a conduits à prendre position sur le développement du nucléaire, et à dégager ainsi une démarche par rapport aux préoccupations écologistes.

Les catastrophes industrielles à grande échelle se sont multipliées ces dernières décennies. Elles ont provoqué une prise de conscience qui est à la base du succès écologiste. Les milliers de morts de Bhopal en Inde, des catastrophes de Mexico ou de Guadalajara, Tchernobyl et Three Miles Island, les déchets toxiques transférés clandestinement dans les pays dominés transformés en poubelles, les catastrophes ferroviaires et maritimes, l’extension de la pollution sous toutes ses formes... ont ouvert les yeux sur les risques de destructions massives qui pèsent sur l’humanité entière. Elles ont contribué à remettre en cause le modèle d’industrialisation actuellement dominant.

Mais le plus souvent, cette critique en reste au niveau des abus, des excès du système. Or ces catastrophes ne sont que des conséquences du mode d’accumulation capitaliste, de la domination impérialiste, de la recherche de nouveaux débouchés pour un capitalisme en crise, et de la course effrénée à la compétitivité dans la guerre économique mondiale. Ce n’est nullement le progrès, en tant que tel, qui en est la cause, mais bien les règles du marché, la loi du profit et la concurrence capitaliste.

Le problème n’est pas qu’on touche à la nature, qu’il faudrait en quelque sorte "préserver". L’homme ne s’est-il pas détaché de l’animal précisément en transformant la nature ? La question, c’est que la transformation inévitable de la nature doit être au service des êtres humains, actuels et futurs, et non pas au service de l’accumulation du capital. Seul le bouleversement des règles du jeu économique peut permettre le développement à long terme d’une conception durable, économique, anti-gaspillages, renouvelable... de l’utilisation des ressources de la planète.

Nous ne sommes pas anti-nucléaires par opposition générale au progrès. Nous ne le sommes pas non plus par une quelconque peur irrationnelle de l’atome. Nous sommes anti-nucléaires dans la mesure où le développement, civil comme militaire, de cette branche technique, industrielle et économique, s’est fait sur la base des impératifs impérialistes. Gigantisme et concentration, militarisation de la société, problèmes de sécurité non résolus, déchets de longue durée, principes techniques qui entraînent un processus productif très rigide, et par conséquent des gaspillages phénoménaux, du fait de l’impossibilité d’arrêter les centrales... Le développement de l’industrie actuelle obéit avant tout aux impératifs de l’accumulation capitaliste. Ce n’est pas spécifique au nucléaire. Mais cela atteint, avec celui-ci, une dimension encore jamais vue.

Ce que nous contestons, ce ne sont pas seulement les conséquences et les risques de cette industrie. C’est là qu’en restent les écologistes. Ce que nous récusons, nous, c’est un mode d’accumulation du capital symptomatique de l’époque de l’impérialisme. Et c’est là le sens que nous voulons donner à notre participation à ce combat anti-nucléaire.
Nous nous démarquons à la fois des courants écologistes et alternatifs, qui en restent à la critique des conséquences du nucléaire sans remettre en cause le capitalisme, et des courants "productivistes", comme le PCF et Lutte Ouvrière, qui parlent du "progrès" en général. Ces derniers défendent le nucléaire de ce point de vue, et considèrent qu’il suffit de changer quelques dirigeants à la tête de l’État pour résoudre le problème.

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