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Conversation sur l’organisation avec deux militant.e.s de PEPS

Partisan Magazine N°22 - Décembre 2023

PEPS est une organisation que nous côtoyons régulièrement dans les luttes depuis son émergence à la fin du mouvement des Gilets Jaunes. Ses fondateurs ont repris plus ou moins le positionnement du Parti Socialiste Unifié des années 70 (dont certains étaient issus) : une fédération de groupes locaux, à la charnière de la gauche institutionnelle et des mouvements sociaux, et qui considèrent la décentralisation et l’autogestion autant comme un projet de société à construire que comme un modèle d’organisation. Ils rejettent donc le léninisme, le modèle du parti révolutionnaire d’avant-garde et le centralisme démocratique. C’est aussi un mouvement qui attire principalement des jeunes militant.e.s assez radicaux, issus de l’écologie, de l’antiracisme et du féminisme. Malgré ou à cause de nos différences, nous avons souvent de bonnes relations avec ces militant.e.s, et nous avons souhaité discuter de la crise de l’organisation avec d’eux d’entre eux (que nous appellerons « Elle » et « Lui », issu.e.s tou.te.s deux du mouvement des Gilets Jaunes pour voir s’ils s’en sortaient mieux que le reste de l’extrême-gauche.


L’article du Magazine N°22, maquetté, à télécharger directement ci-contre.

Nous : Pour commencer, pouvez vous vous nous résumer votre parcours militant

Elle : J’ai milité pendant une quinzaine d’années avec Lutte Ouvrière en tant que sympathisante active de ce mouvement. Dans n’importe quel autre parti, j’aurais été considérée comme une militante seulement voilà : je ne votais pas aux congrès. J’ai été formée aux méthodes partisanes verticales avec CC décisionnaire. C’était un cadre rassurant qui ne laissait pas de place à l’initiative et à la réflexion politique. Puis j’ai arrêté plusieurs années le militantisme politique, jusqu’au mouvement des gilets jaunes, et puis il y a eu la construction de PEPS, où j’ai été confrontée au refus complet de la structuration politique.

Lui : Pour moi, j’ai découvert l’écologie et l’anticapitalisme dans le mouvement des Gilets Jaunes, avant je me croyais très éloigné de tout ça, mais j’ai découvert qu’en fait ça rejoignait des questionnements que j’avais depuis longtemps.

Nous : On est partis d’un constat partagé : L’extrême gauche va mal, implosions en série au NPA, départ de Révolution Permanente puis scission entre les trotskystes canal historique et les pro-NUPES avec les Intersectionnel.le.s au milieu, crise à l’OCL, crise à l’UCL, crises à VP et à PEPS avec là aussi le défi de nouveaux courants « intersectionnalistes » qui mettent en avant les questions de race sociale et de genre.

Elle : C’est au-delà de l’extrême-gauche… N’est-ce pas une crise générale de l’ensemble des partis politiques ? On voit aussi le pugilat au PS avec des accusations de fraude entre les pro-NUPES et les autres, les conflits à LR après l’échec de Pécresse entre les pro-Macron et les autres. On est dans crise de recomposition du champs politique. La population ne se sent plus représentée par les partis politiques.

C’est une situation infiniment compliquée qui pose la question de l’utilité d’une organisation politique, comment une structure politique est-elle utile à la population. La population semble de moins en moins convaincue et les partis deviennent vide d’adhérents et sans base de sympathisants stables, tout le monde se casse la tête pour faire à nouveau le lien entre les organisations politiques et la population. Les élus sont perçus comme n’ayant plus d’utilité au sein de la société, déconnectés des besoins démocratiques et sociaux de ce qui formait autrefois le peuple de gauche.

Nous : il faut distinguer la crise de pouvoir, la crise de représentativité et la crise d’hégémonie. Evidemment en ce moment on vit un peu les trois en même temps puisque la réforme des retraites a été imposée contre la volonté d’une grande majorité de la population et de la quasi-totalité de la classe ouvrière. Mais cette crise politique s’inscrit dans une crise de la représentativité plus profonde et plus ancienne : les classes populaires ne se sentent plus représentées depuis longtemps par ce qui est perçu comme une caste politique issue de grandes écoles, ce n’est pas clair dans la tête de tout le monde qu’ils gouvernent pour le compte de la bourgeoisie, beaucoup pensent qu’ils gouvernent surtout pour eux-mêmes en cherchant à sauvegarder d’abord leurs privilèges. Mais cette crise de la représentation révèle aussi une crise d’hégémonie qui dure au moins depuis 50 ans : la démocratie bourgeoise ne suffit plus à donner aux classes populaires l’illusion du politique, mais faute de perspective révolutionnaire, c’est plutôt l’extrême-droite qui engrange des voix sur le rejet du parlementarisme, bref comme dirait l’autre : l’ancien agonise, le nouveau a du mal à naître et les monstres se tiennent en embuscade…

Elle : On a l’impression qu’ils sortent tous de l’ENA et de Science Po et qu’ils n’ont fait que ça de leur vie, comme Dussopt. Du coup ils n’ont plus de lien avec la population. C’est la lutte des places et pas la lutte des classes.

Nous : jusque-là, les partis bourgeois recrutaient dans des viviers : conseils de quartiers et centres sociaux pour le PS, cercles d’entrepreneurs et de notables pour la droite, mais c’était déjà la lutte des places et il n’y a pas grand-chose à regretter.

Lui : Là il y a Edouard Philippe qui vient d’être coopté pour être le prochain leader néo-libéral. Et ils cooptent aussi leur opposition, en validant tel ou tel syndicalisme ou en dissolvant les oppositions qui leur conviennent pas, comme les Soulèvements de la terre. Les Gilets Jaunes sont nés en réaction à ce déni de démocratie mais, c’est au final les médias qui ont validé Maxime Nicolle ou Jérôme Rodriguez comme porte-paroles du mouvement, il n’y a pas de procédure de validation interne au mouvement.

Nous : Quoi qu’on pense de Maxime Nicolle ou de Jérôme, ils ont cette légitimité de pouvoir rentrer en manif sans que personne ne cherche à les en sortir, où à les faire rentrer dans la masse à coups de pelle sur la tête…C’est déjà pas rien. Les médias auraient préféré avoir Jacline Moureau comme interlocutrice mais ça n’a pas été possible. C’est la suite de Mai 68, pour le meilleur ou pour le pire : on se méfie tellement de la récupération, qu’on préfère abattre tous les représentants potentiels au fur et à mesure qu’ils émergent.

Elle : On ne trouve pas la forme qui correspond aux besoin profond de l’époque. Le Parti Léniniste apparaît comme ossifié et peu attractif. LFI a pris une forme gazeuse et nébuleuse pour s’adapter aux nouvelles formes d’engagement militants, même si la colonne vertébrale du mouvement est ultra-verticale et d’inspiration léniniste ou plutôt trotskyste.

Nous : Et encore c’est du trotskysme ossifié au service du réformisme le plus plat, une espèce de clergé qui vend du rêve à ses fidèles mais ne leur laisse aucune voix au chapitre, pire qu’à Lutte Ouvrière…

Elle : Bref, il y a les cadres dirigeants qui font tourner le parti et des groupes Watts’ap de colleurs d’affiches. Mais ça marche avec les gens qui aiment bien suivre, pas prendre d’initiatives. Les autres, qui cherchent de l’autonomie, peuvent toujours aller à PEPS…

Nous : PEPS, justement parlons en…

Elle : alors là, justement on teste les limites de l’horizontalité. On n’arrive même pas à se mettre d’accord pour savoir si on est un Parti ou un mouvement, la Forme Parti est quelque chose qui pour beaucoup de jeunes militant.e.s appartient au passé. No Future ni structure. En fait, à notre dernier séminaire on a conclu que plus qu’un Parti ou un mouvement, on était surtout un genre d’hôtel.

PEPS récupère des déçus de LFI qui en ont marre de juste coller des affiches et veulent participer davantage. PEPS apparait comme autonome mais centralisé, radical mais réformiste. Beaucoup arrivent, beaucoup repartent, c’est un peu l’auberge espagnole. Pas de vertebration, pas de structuration : un espace de rencontres, de consumérisme militant.

Les groupes et les réseaux qui constituent PEPS sont très dynamiques sur les initiatives locales (manif de l’eau, semaine décoloniale), mais on arrive pas à construire de direction politique : les militants ont envie de militer de façon indépendante, ne souhaitent pas s’impliquer dans la direction centrale. Même s’ils valident l’idée d’un bureau exécutif.

Construire la direction politique ça suppose de sortir de l’individualisme. L’idée d’une ligne politique fait peur, on y voit une entrave à la liberté individuelle. L’idée de sacrifier une partie de son individualité au profit du collectif et de ses buts devient insupportable.

Comme chez les gilets jaunes on se méfie des têtes qui sortent. Mauvaise définition du mot autogestion vu comme décentralisation absolue, horizontalité totale. L’autogestion ce n’est pas ça : c’est la discussion collective suivie d’une décision collective appliquée par des personnes mandatées. Quand on lance une campagne sur le nucléaire, on ne va pas s’en sortir si les responsables locaux refont tout le boulot des responsables nationaux parce qu’ils ont une conception un peu différente.

Nous : C’est marrant, parce que ta définition de l’autogestion, c’est à peu près la définition que Lénine donne du centralisme démocratique vivant qui est à peu près le contraire de ce que Lutte Ouvrière appelle centralisme démocratique… Pour en revenir au rapport entre individualisme et discipline, c’est justement ce que le capitalisme demande aux gens de faire à travers les réseaux sociaux : mettre en scène leur individualité, donner leur avis à tort et à travers sur tout et n’importe quoi pour mieux rester des individus impuissants et atomisés…

Il y a une confusion entre la politique et la morale, qu’on retrouve un peu dans les courants qui se réclament de l’intersectionnalité.
C’est normal de demander à un militant un minimum de cohérence entre le comportement privé et le discours public, mais la politique ça ne peut pas être juste de la morale
On a de plus en plus tendance à essentialiser les militants en fonction de leur appartenance à un genre ou à une race sociale, et pas à la justesse ce qu’ils disent. Une difficulté à articuler lutte contre les dominations et luttes de classes.

Nous : La classe aussi est une essence, et de plus en plus de gens considèrent le genre et la race sociale comme des classes. Dans le marxisme on demande tout le temps au gens d’où ils parlent, et la rupture avec la sociale-démocratie s’est faite par la promotions de prolétaires aux postes de responsabilité à la place des profs (de ce point de vue Mélenchon et son équipe sont des sociaux-démocrates typiques qui utilisent les prolétaires comme des token, des faire-valoir locaux). Le fait d’être un prolétaire ne garantit pas la justesse de sa ligne politique, pas plus que le fait d’être femme ou victime de racisme (Zhou Enlai disait à Khrouchtchev « vous êtes fils d’ouvrier, je suis fils de bourgeois et au final nous avons tous les deux trahit notre classe »), mais une organisation qui refuse par principe de se poser la question de l’appartenance de ses classes deviendra fatalement une organisation petite-bourgeoise, qui portera des problématiques petites-bourgeoises.

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