Vous êtes dans la rubrique > Archives > Les 150 ans du Manifeste du Parti Communiste

Les 150 ans du Manifeste du Parti Communiste

Partisan N°128 - Mars 1998

Vive les 150 ans du communisme !

L’anniversaire de la publication il y a 150 ans du Manifeste du Parti Communiste (en février 1848) a été l’occasion d’une débauche de commentaires et de célébrations consensuelles. Il a été par exemple republié en totalité dans l’Humanité, le PCF recherchant ainsi à restaurer face au PS une image "de gauche" (sinon révolutionnaire) bien ternie par sa participation à la gestion des affaires de l’impérialisme français. Il est réédité chez Librio au prix modeste de 10F, et, si ce n’est déjà fait, tous nos lecteurs auront plaisir à le lire. Toutes les organisations gauchistes (de Lutte Ouvrière à La Forge) se sont fait les chantres de "l’actualité" du Manifeste contre les calomnies de la bourgeoisie, et elles n’ont certes pas tout à fait tort.
Mais est-ce bien là le problème ? Le Manifeste est-il une bible toujours valide depuis 150 ans, est-il dépassé comme le dit le PCF ?

Aux origines du communisme

Le Manifeste du Parti Communiste est un texte enthousiasmant et essentiel de l’histoire du mouvement ouvrier. C’est même un texte fondateur, qui met à nu des vérités que nous devons toujours défendre : il y a deux classes antagoniques, les bourgeois et les prolétaires ; la seule alternative au capitalisme est son renversement et le bouleversement de toute la société ; les prolétaires n’ont pas de patrie ; la lutte immédiate des travailleurs est indispensable mais perpétuellement recommencée et sans espoir si elle ne sert pas le débouché politique de la révolution et bien d’autres choses encore.
C’est un texte fort qui fait encore vibrer la chair et le cœur des lecteurs, qui fait passer le souffle de l’Histoire, qui redonne l’espoir et un sens au combat perpétuellement recommencé des prolétaires. C’est pour cela que chacun doit l’avoir lu (d’autant qu’il est court et de lecture facile) et le défendre contre tous ceux qui prétendent écrire "le livre noir du communisme" et la fin de la lutte des classes.

Mais le Manifeste n’est pas qu’un texte, trop daté pour avoir une valeur autre qu’historique : c’est ce que prétend par exemple le PCF qui n’hésite pas une seconde à défendre l’exact contraire du Manifeste dans sa politique aujourd’hui au nom des changements de la société : comment par exemple défendre la nation, "la France", quand Marx avançait déjà que "les prolétaires n’ont pas de patrie" ?
Le Manifeste est un texte au service d’une politique : il a été demandé à Marx et Engels par la Ligue des Communistes qui se constituait à l’époque en Europe, pour favoriser son unification et son intervention dans le mouvement ouvrier (voir à part). C’est à dire que dès l’origine, ce texte n’a de sens qu’en rapport avec l’activité dans la lutte des classes, dans le mouvement de l’Histoire. Ce n’est pas un texte pour un texte, c’est un guide pour l’action.

Ainsi, avec le Manifeste, le communisme apparaît pour ce qu’il est : d’un côté un but et un idéal, de l’autre un guide politique pour les ouvriers et les travailleurs de toutes les nationalités. C’est en même temps le but, la démarche matérialiste d’analyse de la réalité économique et sociale et de ses contradictions, et la pratique politique dans le combat de classe. En ce sens, et tous ces aspects réunis, c’est un courant de l’Histoire qui apparaît à ce moment, celui de la classe ouvrière, qui vit encore avec force aujourd’hui sur toute la planète, malgré ses défaites et ses déviations.
C’est pour cela que nous défendons le Manifeste du Parti Communiste : parce que c’est la première plateforme politique des communistes, qui n’a rien perdu de sa vigueur, et que la rage et le souffle qu’il contient est toujours valable pour nous aujourd’hui.

Le communisme n’est pas une religion, le Manifeste n’est pas sa Bible

Pour autant nous refusons tout à fait d’en rester aux incantations gauchistes sur "l’actualité" du Manifeste.
De même que le Manifeste est le fruit des changements de son époque, le monde a changé depuis 150 ans. Ça n’est pas faire le jeu du PC que d’affirmer que des éléments importants manquent à ce manifeste, comme l’impérialisme, le partage du monde et la domination des peuples, l’échec du socialisme à l’Est et en Chine et des tas d’autres questions tout aussi essentielles.
En rester à la défense de "l’actualité du Manifeste" ne permet pas de comprendre comment les partis communistes se sont transformés en défenseurs de l’ordre impérialiste, comment le socialisme a pu dégénérer en capitalisme d’Etat à l’Est, comment la dictature du prolétariat a pu se transformer en son contraire. Or à ce propos, de Lutte Ouvrière à La Forge en passant par la Voix des Travailleurs, silence radio, pas un mot. Et pourtant, si le PCF peut se permettre de republier intégralement ce document aujourd’hui, au delà des raisons opportunistes, c’est sans doute qu’il ne traite pas de questions aujourd’hui essentielles ?

Oui, nous défendons le Manifeste pour ce qu’il est, mais c’est être fidèle à l’esprit de ses auteurs que d’affirmer que ce texte fondateur dont la perspective générale est toujours valide, est dépassé par 150 ans de lutte des classes.
Et c’est justement au nom du communisme que nous l’affirmons. Le communisme est un idéal, une pensée, une démarche d’analyse et un guide pour l’action. Tous les jours renouvelé par la lutte des classes, il s’enrichit de l’expérience positive et négative accumulée, pour tracer le chemin de la révolution vers la société sans classes et l’abolition de l’exploitation.
L’aveuglement sur le passé ou la défense dogmatique des principes ne conduisent qu’à l’échec. Le communisme est vivant, dynamique, comme l’est le Manifeste, comme l’est l’Histoire elle-même.

Rigueur politique et lutte contre l’opportunisme

Ah bien sûr, il y a le "risque" de dérapage opportuniste dans l’évolution de la pensée comme dans l’action des communistes. L’Histoire fourmille de tels exemples, et le PCF en est le triste représentant. Mais y a-t-il vraiment plus de risques à accepter l’évolution et la réflexion que de rester campé sur des principes ou des bilans dépassés par le mouvement de l’Histoire elle-même ? Aujourd’hui, c’est autour du bilan des pays de l’Est qu’on voit les résultats les plus catastrophiques de cette rigidité et de l’incapacité à avancer, toujours en pensée comme en action : de Lutte Ouvrière (et autres...) toujours incapables, aujourd’hui encore, de parler de capitalisme pour la Russie, aux courants marxistes-léninistes figés dans le "coup d’Etat de Krouchtchev" en 1956 comme raison de la restauration capitaliste en URSS...
C’est la rigueur théorique et politique, l’analyse matérialiste et historique de la réalité et du passé qui permettent d’avancer, en confrontant toujours le vrai au faux, en acceptant la polémique, en restant modeste et en pratiquant la critique et l’autocritique.

Ce qu’il faut c’est défendre le Manifeste du Parti Communiste et sur sa base poursuivre la démarche qu’il a ouverte il y a 150 ans.
C’est ce que notre organisation communiste marxiste-léniniste Voie Prolétarienne tente de faire, à l’échelle qui est la sienne. Le souci de stimuler le débat sur nos tâches actuelles, la nécessité d’unir les communistes véritables sur la base de 150 ans d’expérience, de nous démarquer de tous les courants opportunistes nous a conduit à réunir nos acquis dans une Plateforme Politique. Nous apportons ainsi notre contribution à ce mouvement de l’Histoire dont nous sommes fiers de faire partie, et nous n’hésitons pas à la soumettre au feu de la critique. Mais c’est ainsi que nous pensons faire vivre, de manière véritable, ce qu’a été et est encore le Manifeste du Parti Communiste.

Vive les 150 ans du communisme !
Lisons, étudions et développons le Manifeste du Parti Communiste !
Discutons la Plateforme de Voie Prolétarienne !

Le Comité Directeur de Voie Prolétarienne

L’histoire du Manifeste du Parti Communiste

(extraits traduit du Revolutionary Worker (USA), 14/12/97)

Au milieu des années 1840, le mouvement communiste avait cruellement besoin d’un nouveau manifeste unificateur. La société changeait rapidement et les vieilles doctrines révolutionnaires, copiées et adaptées de la grande révolution bourgeoise de 1789 en France, n’étaient tout simplement plus adaptées.
En quelque sorte, c’était des temps difficiles pour les révolutionnaires. La grande révolution française s’était terminée en défaite. Elle avait d’abord été trahie de l’intérieur - par Napoléon Bonaparte qui avait osé se couronner lui-même empereur. Ensuite, la France avait été écrasée de l’extérieur - en 1815, ses armées étaient battues par les forces combinés des monarchies féodales européennes. Pour des décennies, la "Sainte Alliance" des monarchies victorieuses allait garder le peuple sous une poigne féroce : les rois et princes étaient restaurés, les politiques révolutionnaires anti-monarchiques étaient supprimées, les frontières étaient étroitement surveillées, les espions et mouchards étaient partout.

Mais alors que les pouvoirs réactionnaires semblaient triomphants, des changements intenses dans l’économie minaient leur pouvoir et créaient de nouvelles puissantes forces de mécontentement. La technologie et la production avaient été révolutionnarisées. Le soi-disant "système d’usine" avait été développé dans quelques nouvelles zones industrielles d’Angleterre, et ses ateliers de sueur brutaux étaient en train d’être copiés ici et là dans les principales régions d’Europe. Des enfants d’à peine 9 ans étaient souvent exploités dans les moulins, travaillant 60, parfois 72 heures par semaine. Des métayers étaient chassés de leur terres par la nouvelle pression capitaliste sur l’agriculture, et certains rejoignaient une nouvelle classe rebelle, le prolétariat moderne.
Et il y avait des signes d’une nouvelle insurrection révolutionnaire. En juillet 1830, Paris se soulevait en combats de rue et barricades. En 1831, les canuts de Lyon sortaient de leurs ateliers en chantant :
Quand notre règne arrivera,
Quand votre règne finira,
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend déjà la révolte qui gronde !
Dix ans plus tard, il y avait tant "d’émeutes du pain" que la décennie commençait sous le nom des "années quarante de famine".

Pendant ce temps, les forces les plus radicales étaient en train de créer un nouveau mouvement qu’ils appelaient "communisme". Elles rêvaient d’une société de partage des richesses et d’abolition des distinctions de classes. Ce communisme initial était un mélange d’intuitions brillantes, de souhaits "utopiques" impraticables et d’audace dans les faits. Certains de ces premiers communistes pensaient que les mouvement communaux pouvaient éduquer graduellement éduquer l’humanité sur de nouvelles voies, sans renversement violent de l’ordre ancien. D’autres pensaient que les petites conspirations pourraient changer la société sans racines profondes parmi les masses du peuple.
De manière croissante, ces plans et méthodes se révélaient insatisfaisantes. Et deux jeunes révolutionnaires allemands commençaient à gagner de l’influence du fait de leur puissantes nouvelles analyses. Karl Marx et Friedrich Engels s’étaient retrouvé à Bruxelles pour définir la voie à la révolution communiste.

Chacun apportait des forces complémentaires à son partenaire. Karl Marx, né en 1818, avait analysé de très près de manière critique toutes les différentes théories révolutionnaires de l’époque. Journaliste au "Rheinische Zeitung" progressiste, il commençait une analyse détaillée des politiques et des conflits de l’époque, spécialement la vie des paysans en Rhénanie. En 1843, après l’interdiction de la "Rheinische Zeitung", Marx s’exila en France, qui était le centre de l’activité révolutionnaire en Europe. Engels, né en 1820 était un autodidacte universitaire, rejeté d’une riche famille capitaliste allemande. En 1842, il avait été envoyé à Manchester, en Angleterre, pour travailler dans la manufacture familiale. Durant ces jours, son esprit était rempli des chants révolutionnaires de la révolution française et il attendait la réapparition de la guillotine de la fameuse Terreur à Paris.
En Angleterre, Engels avait vu les développement les plus avancés du capitalisme de première main, la puissance des moyens de production industriels, et les bidonvilles et épidémies effroyables des nouvelles villes industrielles. Il avait étudié les Chartistes anglais - un des premiers mouvements de masse des ouvriers. Engels haïssait le capitalisme et voyait clairement qu’il était en train de transformer rapidement le vieux monde.
Ensemble, Marx et Engels travaillaient à constituer une nouvelle synthèse tranchante, basée sur une étude approfondie de la politique, de l’économie, de l’histoire et de la philosophie. Leur approche scientifique sortait le communisme du rêve éveillé de l’utopie pour le plonger dans le monde de la pratique politique.

Nouvelle organisation communiste, nouveau manifeste

En commençant en 1846, Marx et Engels prirent contact avec les nombreux différents groupes communistes qui émergeaient en Europe. Un des plus prometteurs était "la Ligue des Justes" à Londres, qui comprenait des révolutionnaires allemands exilés. Cette Ligue était intéressée par les écrits de Marx et Engels, et sur leur suggestion, se réorganisa en Ligue des Communistes. Marx (qui ne participa pas au congrès de fondation) polémiqua avec eux pour changer leur vieux slogan "Tous les hommes sont frères", en expliquant qu’il y avait des hommes dont il ne désirait pas être le frère. Leur nouveau cri de bataille devint "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !"
En septembre 1847, la nouvelle Ligue des Communistes produisit un projet de "Profession de foi Communiste". C’était un document utopique de la vieille époque, basé sur des principes éloignés de la vie réelle, et modelé comme un catéchisme religieux. Marx et Engels refusèrent de l’approuver. Et Engels s’arrangea pour être désigné pour rédiger un nouveau projet.
En octobre, Engels transmis ce projet à Marx, et fit une suggestion : "Je crois que la meilleure chose à faire et de rejeter cette forme de catéchisme et de donner à la chose son titre : le Manifeste Communiste. Nous allons devoir aborder une certaine dose d’histoire, et la forme présente n’est pas très appropriée à cela". Engels suggéra que le manifeste aborde les questions d’organisation du parti, mais seulement, précisa-t-il, "autant que cela puisse être rendu public".
Marx et Engels vinrent ensemble au deuxième congrès de la Ligue des Communistes, et pendant 10 jours en novembre et décembre 1847, le congrès débattit leur approche nouvelle de la politique communiste. Leurs propositions furent acceptées.

La Ligue des Communistes remplaça son vieux programme d’agitation pour "une communauté des biens" et adopta un but beaucoup plus global et incisif : "le renversement de la bourgeoisie, la domination du prolétariat, l’abolition de la vieille société bourgeoise basée sur l’antagonisme de classe et l’établissement d’une nouvelle société sans classes et sans propriété privée".
Marx fut chargé de rédiger le texte définitif et complet, et celui ci fut publié en février 1848, comme programme officiel de la Ligue des Communistes, quelques jours avant la nouvelle insurrection de février 1848 de Paris.

Soutenir par un don