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Népal : interview de Basanta, un dirigeant du Parti maoïste

 Du Népal, de la révolution qui s’y déroule, Partisan en a déjà parlé. Mais on a voulu aller voir sur le terrain comment cette Révolution Nationale et Démocratique évoluait. Deux de nos camarades y sont allés, ils ont enquêté et rapporté quelques expériences directes faites d’interviews et de d’autres documents.

L’interview de Basanta, membre du Bureau Politique du Parti communiste népalais unifié (maoïste), a porté sur le contenu politique et sur la tactique du Parti dans la situation actuelle de la lutte révolutionnaire au Népal. C’est sur ces questions que le Parti maoïste doit discuter prochainement lors d’une conférence nationale devant réunir 6000 cadres du Parti à Gorkha.

Basanta

Partisan : La presse parle de fortes divergences dans le parti, de lutte entre 3 orientations. Parlez nous de cette lutte de ligne.
Les divergences ont été exagérées au niveau national comme au niveau international. Ceux qui ne veulent pas la Révolution au Népal essaient d’agrandir les divergences. Nous avons évidemment des discussions importantes et c’est normal dans la situation actuelle. La situation de statu quo ne peut durer éternellement et nos ennemis veulent créer une scission sur la base de petites choses dont ils font des grandes. Et finalement ils veulent perturber notre programme, nos objectifs. Nous ne désirions pas un débat si ouvert.
Notre but au départ c’était la République Démocratique, maintenant cela est fait. Aujourd’hui, se mène un nouveau débat dans le parti sur la nouvelle tactique pour aller vers la République Populaire et Fédérative (RPF). Il y a accord sur cet objectif, le débat c’est comment, par quel chemin aller vers cette RPF ? Ce débat tactique propagé à l’extérieur est devenu complètement exagéré.

La lutte de ligne ouverte n’était pas un choix du Parti ?
Dans une situation critique, nous pensons qu’il faut un débat élargi. Révolution et contre-révolution sont vraiment très proches. Nous pouvons vaincre, mais la défaite totale est possible aussi.
Tout est calme et paisible en apparence, mais la situation peut vite se retourner, tout peut arriver d’un moment à l’autre. C’est pourquoi nous essayons de retourner la situation en faveur du peuple. Nous sommes tous d’accord pour aller de l’avant vers la RPF, pas de divergences sur cette question entre les trois leaders [1]
. Le problème c’est quel chemin ? C’est là le point de divergences.

Les trois leaders sont-ils d’accord pour forger une alliance avec la classe moyenne ?
Oui, certainement. Il faut s’allier avec ceux qui sont pour la révolution et contre le statu quo. Nous devons faire l’alliance la plus large. Les adversaires internes et externes ont formé une coalition contre le peuple. C’est pourquoi la question de l’indépendance arrive au premier plan. C’est pourquoi nous faisons appel à ceux qui aiment leur patrie. En 1971, le Sikkim a été annexé par l’Inde. La bourgeoisie compradore, le gouvernement sont des marionnettes, des servants de l’Inde, et ils veulent capituler face à l’Inde. C’est pourquoi il nous faut une large alliance, sur cette question pas de divergences.
Kiran, l’un des dirigeants du Parti maoïste, dit que les moyens démocratiques ont échoué et qu’il faut mettre l’insurrection à l’ordre du jour.
Le problème, c’est comment accomplir la révolution. Il faut attendre encore pour être sûr que la situation est prête. Au parlement il y a 601 membres, et nous les maoïstes sommes 233, le Congrès Népalais en a 140 et l’UML 109... Nous représentons 1/3. De quelle sorte de constitution le Népal a besoin ? Une constitution est l’expression d’une domination de classe. Donc quelle classe dirige au Népal ? Une constitution ne pourrait être votée que par 400 parlementaires au minimum, nous ne les avons pas.
Actuellement, il y a une neutralisation, au niveau parlementaire. La réaction ne peut avoir 400 voix, nous non plus. Les réactionnaires veulent dissoudre l’Assemblée Constituante, pour faire perdre la majorité aux maoïstes qui sont l’expression du peuple. L’Assemblée Constituante répond aux aspirations du peuple. Le peuple doit intervenir. Notre programme est suivi par beaucoup de gens, et la réaction en a peur et elle veut nous marginaliser.

Une question de temps, une question de méthode pour passer à l’insurrection immédiate ?
Pacifiquement aucun ennemi ne peut accepter la perte de pouvoir. Personne n’est pour une transition pacifique. C’est une question de temps et de préparation. Théoriquement nous sommes d’accord pour aller vers l’insurrection. Mais quel niveau de prépa, quel temps...?

Manifestation à Katmandou en novembre 2010

Quel rapport établisse-vous entre la lutte de ligne dans le Parti et la ligne de masse ?
Si nous échouons à éduquer les masses, celles-ci ne nous soutiendront plus. La lutte de ligne ne doit pas rester dans un cercle limité, cette lutte doit aller vers les masses. Quand les situations deviennent critiques, il faut élargir le débat et dans le parti l’élargir aux cadres des structures de base, et vers l’extérieur jusqu’aux sympathisants. Plus le débat est approfondi, plus nous trouverons de solutions. Il faut écouter les masses, mêmes celles qui sont dans l’opposition.

Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de la pratique de la démocratie dans votre Parti ?
R. : À propos de la démocratie nous voulons étendre le débat dans tout le mouvement communiste international. Nous pensons que la démocratie dans le mouvement a toujours été insuffisante. La moitié du monde était dirigé par des pouvoirs prolétariens, et aujourd’hui cela c’est effondré. Nous avons fait des erreurs. Notre perte de pouvoir n’est pas dû uniquement à des causes extérieures ; les causes étaient internes. Le Parti a fait des erreurs permettant au révisionnisme [2] de se développer.
Comment le révisionnisme a-t-il pu se développer, prospérer ? Comment empêcher que le révisionnisme apparaisse ? Dans certains documents, nous répondons à cette question, nous la théorisons. Mais nous ne pensons pas que ce soit le seul outil, car il faut aller plus loin. Il y a eu des luttes dures contre le révisionnisme, comme en Chine pendant la Révolution Culturelle, mais nous avons perdu, les révisionnistes ont gagné.
Il faut d’abord se baser sur le marxisme-léninisme-maoïsme, mais nous devons le développer pour faire face à de nouvelles situations, à de nouveaux défis. Plus il y aura de démocratie, plus la dictature du peuple sera forte. Il faut unifier les classes opprimées pour renforcer le camp du peuple. Quand la révolution sera achevée, dans une nouvelle société démocratique, il faudra étendre le plus possible la démocratie, y compris aux classes intermédiaires. Nous pratiquons cette théorie, que nous mettons en débat, que la pratique doit ou non confirmer ;. Ce débat doit se développer, exister dans le Mouvement Communiste International. Les masses révolutionnaires doivent superviser, contrôler et intervenir sur le pouvoir d’Etat, le Parti, l’armée populaire. Si le pouvoir va contre les intérêts du peuple, constitutionnellement, il doit y avoir une disposition permettant au peuple de se révolter. Le droit à la révolte doit être légalisé.

Est-ce que les pouvoirs populaires (PP) mis en place pendant la guerre populaire prolongée (GPP) ont été maintenus ? Ces pouvoirs vont-ils être intégrés dans la nouvelle Constitution ?
Il y a eu un pouvoir populaire sur l’ensemble du pays, tout d’abord. Mais depuis les Accords de paix ce n’est plus le même pouvoir, cela a changé ; des compromis ont été passés. Toutefois nous avons fait des erreurs, nous aurions dû maintenir le PP sous d’autres formes. Actuellement ce PP n’existe plus. Mais nous avons maintenu notre influence d’une autre manière. Toutefois, les classes réactionnaires depuis les Accords de paix sont réapparues, sous la forme d’individus non élus. En fait nous avons maintenu notre influence au niveau local face aux forces réactionnaires. C’est pourquoi le pouvoir populaire ne peut être institutionnalisé dans la situation actuelle.
Nous avons commis quelques erreurs en faisant des compromis avec les classes ennemis, nous avons "abandonné" le pouvoir populaire. Nous avions établi des Communes Populaires (avec des hôpitaux, des écoles, etc.) --- elles continuent de fonctionner mais le gouvernement central ne nous aide pas. A l’époque de la guerre populaire prolongée (GPP), nous avions de forts Pouvoirs Populaires dans les communes et nous n’avions pas de problèmes d’argent. Aujourd’hui, les Communes fonctionnent mais ne se développent plus.

Martyrs de la guerre populaire

Quelle réforme agraire avait été faite avant les Accords de paix ?
Pendant la guerre nous n’avions pas de plan global. Nous avions distribué des terres, saisies aux féodaux et à d’autres éléments hostiles au pouvoir populaire. Ces terres avaient été données aux paysans sans terre, aux paysans pauvres, et aux familles des martyrs. Certaines saisies de terre n’ont pas été justes du point de vue de la propriété de la terre. Ainsi, les terres de certains petits propriétaires, qui étaient hostiles aux maoïstes, et que nous avions combattus comme, par exemple, informateurs des réactionnaires, et qui s’étaient enfuis, avaient été saisies, ce qui était injuste. Ces terres ont été rendues, suite aux accords de paix. Toutefois la réforme agraire est une question importante que la Révolution Démocratique doit résoudre.
Des terres appartenant à des temples religieux avaient été saisies, comme celles des grands propriétaires terriens. Ce qui était juste, et le peuple continue à les cultiver. Le gouvernement doit donner des terres aux paysans sans terre, doit faire une nouvelle distribution, sinon comment pourraient survivre ces paysans sans terre ?

Avez-vous maintenu les niveaux de socialisation (coopération entre paysans, par exemple) mis en place pendant la GPP ?
Rien n’a été fait sur une grande échelle, mais nous avons maintenu le niveau atteint qui avait été réalisé. Nous avions saisi tout le pouvoir à la campagne. Aujourd’hui, il y a un pouvoir central auquel nous n’avons pas accès, nous ne pouvons donc pas appliquer notre plan au niveau du pouvoir d’Etat, socialiser plus amplement. Mais nous avons quelques idées, nous pratiquons cette socialisation dans quelques petites poches : 20 familles organisent une Commune à Rolpa, à Thabang ; il y a des communes à Rukum, à Gorkha et ailleurs.

Pensez-vous être plus forts maintenant que pendant la guerre populaire ?
Nous sommes plus forts en terme d’influence, sur une large échelle, dans le peuple, idéologiquement et politiquement. Mais moins forts en terme de pouvoirs locaux, et l’Armée Populaire de Libération (APL) est dans des cantonnements. Nous sommes insérés dans les Accords de paix, nous les respectons, mais nous n’avons pas renoncé à la prise du pouvoir.
Aujourd’hui, nous sommes dans une transition et nous préparons la prise du pouvoir d’Etat.

N’est-il pas dangereux d’intégrer l’APL à l’ex-Armée Royale avant d’avoir établi la Nouvelle Constitution ?
On n’écrit pas une Constitution pour écrire une Constitution. Elle doit régler la question du féodalisme et de l’impérialisme. C’est donc une Constitution anti-féodale et anti-impérialiste. Les féodaux et les compradores s’y opposent. 99,5 % du peuple soutient notre programme, alors les réactionnaires veulent nous virer de l’Assemblée Constituante, et dans ces condtions ils ne veulent pas non plus régulariser notre Armée Populaire. Ils veulent un minimum de combattants de l’APL dans l’armée, et les disperser dans les diverses unités. Ce qui revient à vouloir dissoudre l’APL. Pour nous, les maoïstes, si le peuple n’a pas son armée, il n’a rien.

Comment préparez-vous aujourd’hui, à l’étape de Révolution populaire fédérative, la seconde étape de la Révolution, celle du socialisme ?
Tout d’abord, nous devons terminer la Révolution. Celle-ci achevée, de nouvelles contradictions seront à résoudre. Les contradictions entre le peuple et la bourgeoisie deviendront principales, celles avec les restes du féodalisme deviendront secondaires. Cette transition au socialisme peut être pacifique.

A propos de l’impérialisme Indien

Pensez vous que l’Inde puisse envahir le Népal si les maoistes prennent le pouvoir ?
Notre pays est encerclé par l’Inde de trois côtés, nous sommes enclavés. Il y a toujours eu une influence et une pénétration de l’Inde, et nous avons eu beaucoup de traités inégaux. Traités qui dissimulent des rapports de domination : nous sommes en fait une semi-colonie de l’Inde. C’est pourquoi ces traités sont une invasion historique. En voici quelques exemples : en 1959, il y a eu une rebellion dans l’ouest du pays, et il y a eu collaboration entre les gouvernements népalais et indien. L’armée indienne est intervenue pour capturer les leaders de la rebellion. C’est une forme d’invasion et cela continue aujourd’hui.
Dans les domaines politique, culturel, social, l’Inde veut garder son contrôle, pour pouvoir exploiter nos ressources, principalement hydro-électriques. Nos ressources en eau sont les deuxièmes après le Brésil. L’Inde veut utiliser à son profit ces ressources, et a donc besoin d’un gouvernement à ses ordres.
Aujourd’hui, à l’étape de la république populaire et fédérale, les interventions de l’Inde s’accélèrent. L’Inde manipule des ministres et d’autres membres du Parlement. Notre Parti se bat aujourd’hui en faveur de la souveraineté nationale. Nous voulons un pays indépendant, qui définit lui-même son avenir. Nous ne voulons plus rester sous cette domination indienne. Ce qui ne veut pas dire absence de relations diplomatiques avec elle. Nous voulons être sur un pied d’égalité - chacun souverain et respecteux.
Une doctrine indienne dit qu’elle veut faire du Népal un protectorat. L’Inde a un plan militaire. Aujourd’hui, il y a augmentation de l’escalade. Personne ne peut affirmer qu’elle ne nous envahira pas. Dans le passé, elle l’a déjà fait.

En janvier 2010, une manifestation devant l’ambassade d’Inde

Mais le contexte a changé, il y a une révolution maoïste en Inde ?
Des rumeurs disent que nous entraînons militairement les Naxalites, et qu’avec une autre organisation pakistanaise "terroriste", nous voudrions pertuber l’Inde. Ce sont des prétextes pour nous envahir. En fait, elles créent une opinion publique en Inde favorable à une invasion du Népal.

D’après la presse bourgeoise à propos du lancement de chaussure sur l’ambassadeur indien, il y aurait des désaccords chez les maoïstes sur l’origine du lancer. Certains maoïstes prétendent qu’ils l’ont fait, d’autres le nient.
Nous l’avons fait. Mais cela ne rentrait pas dans nos plans. Lors de sa visite dans la ville de Soulougongo, l’ambassadeur a agi comme un premier ministre Népalais. Il se présentait ouvertement comme le représentant du premier ministre. Il a agi comme le grand frère dans les rencontres internationales. Nous avions un plan : nous agitions le drapeau noir contre la présence de cet ambassadeur lors d’une manifestation de rue pacifique ; ce n’était pas dans notre plan de lancer des chaussures - mais des gens l’ont fait. Notre but était de montrer notre opposition à l’Inde. Des gens dans notre parti peuvent ne pas avoir aimé. Toutefois, nos objectifs de manifestation étaient pacifiques.

[2Le révisionnisme, ici, c’est la révision du marxisme, l’abandon des principes révolutionnaires.

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