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Palestine : quelle est la place des femmes dans l’économie ?

Dans un long et passionnant article, le militant palestinien et chercheur Adel Samara [1]
, s’interroge sur la place des femmes dans l’économie palestinienne depuis 1967.
Dans un rappel préalable, l’auteur souligne les caractéristiques de l’économie palestinienne dépendante de l’Etat colonial d’Israël : « Les partis politiques ne représentent pas clairement les classes sociales, de larges secteurs des classes sociales (le capitalisme financier et les classes moyennes) se sont développés hors du pays, et les deux tiers de la classe travailleuse sont constitués de réfugiés ou de personnes devant faire la navette entre leur domicile et un lieu de travail situé en Israël ».
L’auteur, marxiste, nous rappelle que la place des femmes sur le marché du travail est déterminée par la nature de la formation socio-économique du pays, en particulier par le mode de production dominant, le niveau de développement des forces productives et les relations dialectiques entre forces productives et rapports de production. Ainsi les chances d’accéder à un emploi sont-elles plus élevées lorsque les forces productives sont complexes et hautement capitalistiques.

Entre 1950 et 1967, alors que l’économie (capitaliste de la périphérie) était à dominante agricole, l’industrie étant faiblement développée, les femmes n’avaient que peu accès à l’emploi. Durant la période d’occupation, suivie de celle de « demi-indépendance » des accords d’Oslo (1993), cette situation a peu changé. Plus récemment, selon une étude du ministère de l’agriculture, « le pourcentage de cette activité dans l’emploi général a décru passant de 15.9% en 2004 à 13.4% en 2008  ».
Ce recul a eu des conséquences importantes sur l’emploi des femmes, puisque c’est essentiellement dans le secteur agricole qu’elles exercent une activité . En plus de leur activité dans le secteur domestique (incluant la préparation des repas, permettant la reconstitution de la force de travail des hommes au quotidien), les femmes représentent en réalité 40% de la force productive dans le secteur agricole, même si leur travail n’est pas toujours reconnu ni comptabilisé comme force productive.
Ici, Adel Samara attire notre attention sur un fait important de l’évolution de l’économie palestinienne sous dépendance de l’état colonial sioniste : il n’y a pas eu, constate-t-il, une transformation de l’économie vers une place prépondérante de l’industrie, pour les raisons suivantes : l’Etat sioniste a expulsé les paysans de leurs terres, ces derniers sont alors allés grossir l’armée de réserve de chômeurs en ville, ont cherché du travail au-delà des frontières, et une minorité a trouvé des emplois bureaucratiques auprès du gouvernement autonome palestinien. La confiscation des terres aux agriculteurs palestiniens est un processus qui s’est poursuivi sans aucun développement de l’industrie, en tant que mécanisme permettant d’approfondir la destruction d’une économie palestinienne.
Ainsi, aucune protection du marché national palestinien n’a existé, et après les accords d’Oslo, les travailleurs licenciés par Israël n’ont eu d’autre choix que de rechercher du travail dans les territoires occupés. Israël n’a d’ailleurs absolument pas respecté son engagement de faire travailler 100 000 Palestiniens (Protocole de Paris, volet économique des accords d’Oslo).

Quatre facteurs déterminent ainsi l’emploi des femmes dans l’économie dépendante de la Palestine :
Le premier, dont on vient de parler, est bien sûr l’occupation coloniale sioniste qui a conditionné tous les aspects, social, économique, politique, de la vie dans la Palestine occupée en 1967. Cette situation a été aggravée par les accords d’Oslo qui ont remis la terre, les ressources, l’import-export, aux mains de l’occupant.
Le secteur agricole avait dû affronter un déclin ayant de sérieuses répercussions sur l’emploi des femmes. Il faut ici ajouter que les seuls secteurs d’emplois offerts aux Palestiniens chassés de leurs terres sont dans la construction ; emploi exclusivement masculin, donc !
La destruction d’une économie palestinienne propre se poursuit aussi par le fait que femmes et hommes, chassés de leurs terres, sont obligés d’aller chercher du travail loin de leur village, aggravant par là le recul de la production agricole. La baisse du nombre de travailleurs (hommes et femmes) en Israël et dans les colonies, entre 1999 et 2007 indique qu’Israël, dans sa guerre économique contre les Palestiniens, a eu recours à des travailleurs venus d’ailleurs.
Adel Samara souligne que pendant cette ère d’Oslo, dite « de paix », le gouvernement autonome palestinien a ainsi fait la preuve de son échec à développer le pays.
En conséquence, la poursuite de la désindustrialisation des territoires, le recul de l’agriculture, la pénurie d’emplois en Israël ont fait obstacle au travail des femmes. L’absence d’emplois proposés aux femmes a bien sûr accru la domination masculine, sous le double aspect, capitaliste et patriarcal.

Le deuxième facteur mis en avant par Adel Samara, est la responsabilité propre de l’Autorité palestinienne :
La classe capitaliste palestinienne a sa responsabilité dans le maintien de l’économie palestinienne au rang d’une « économie de stand-by » (c’est-à-dire dépendante) marquée par l’ absence d’un développement pour les besoins locaux et la place privilègiée de la production pour l’exportation.
A la différence des hommes, très peu de femmes peuvent émigrer à la recherche d’un emploi à l’extérieur. Donnons en exemple le Golfe arabique qui impose des restrictions à l’emploi de femmes non accompagnées d’un homme !
Ainsi se conjuguent contre les femmes, le sionisme, l’autorité palestinienne, le patriarcat !

Le troisième facteur est constitué par la nature du mouvement palestinien de libération qu’Adel Samara caractérise comme mouvement militaire nationaliste.
Les femmes ont joué un rôle essentiel en 1987, pendant la première Intifada, où elles ont participé à la résistance sociale contre l’occupation en boycottant les produits israéliens, et en impulsant des coopératives de voisinage, de travail domestique, de production.
Mais la responsabilité de l’autorité palestinienne est lourde, car après les accords d’Oslo, le boycott des produits israéliens a été stoppé alors même qu’aucune porte n’était ouverte à la commercialisation de produits palestiniens, ce qui a contribué à la marginalisation du travail des femmes.

S’ajoute enfin le facteur externe, à savoir le rôle des ONG et pays donateurs.
Leurs objectifs ne sont pas calés sur les besoins de la population palestinienne. En ce qui concerne l’aide aux femmes, elles se concentrent sur l’élite, et n’ont jamais été capables de créer des emplois pour la majorité des femmes vivant en zone rurale, dans les camps de réfugiés et dans les quartiers pauvres.
« Ces ONG tentent d’orienter les féministes palestiniennes vers des liens avec les féministes israéliennes pour des activités qui sont clairement des formes de normalisation de l’occupation de leur terre natale ».

Une telle analyse nous amène aux conclusions politiques suivantes : les femmes ont joué un rôle important en contribuant à amorcer une économie de subsistance alliée à la pratique du boycott des produits israéliens pendant la première Intifada. Notre soutien international doit relayer cette campagne BDS qui va dans le sens d’un développement de produits palestiniens, vers une autonomie économique palestinienne où la contribution des femmes joue pleinement son rôle..

[1Adel Samara est un économiste et écrivain palestinien. Il vit à Ramallah. Il est journaliste au quotidien AlarabOnline et directeur du Centre oriental pour les études culturelles. Il dirige également la revue palestinienne trimestrielle Kana’an. Il a publié de nombreux livres traitant de la question palestinienne, malheureusement pas traduits en français à ce jour. En novembre 2009, il fut l’un des 20 signataires d’un appel dénonçant la corruption, le manque de démocratie et les trahisons de l’Autorité Palestinienne. Cela lui a valu d’être arrêté par la police palestinienne de l’époque.

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