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Chavez, un modèle ?

Le président du Venezuela, Hugo Chavez, est mort. La question est de savoir si son mouvement politique, le chavisme, incarné dans un Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) lui survivra. En France, Chavez est devenu une référence pour une partie de la gauche réformiste, notamment pour Jean-Luc Mélenchon, qui présente le chavisme comme un modèle de mouvement révolutionnaire.

L’idéologie chaviste

Le chavisme se présente comme le « Socialisme du XXIe siècle ». Ce terme est de la bouche d’un intellectuel allemand installé au Mexique, Heinz Dieterich, que H. Chavez présentait comme une de ses principales sources d’inspiration politique. Voilà comment Dieterich définit son socialisme : « C’est une économie de marché orientée et dynamisée, jadis par l’État corporatiste, et aujourd’hui par un Etat bien plus démocratique, une économie sociale de marché fondée sur la substitution des importations... » Le socialisme chaviste, derrière son intitulé qui semble promettre des bouleversements sociaux radicaux, ne promet donc pas grand chose de plus que l’indépendance économique, un État bourgeois plus démocratique et planificateur, ainsi qu’une redistribution des richesses. C’est une vision économiste du socialisme. Pour nous, le socialisme ce n’est pas du tout ça. La définition du socialisme, c’est la prise du pouvoir par les exploités dans tous les domaines. Cela signifie tout le pouvoir aux exploités qui installent leurs propres institutions politiques, et pas juste la réforme de l’État bourgeois, cela signifie aussi la socialisation des moyens de production et l’élimination des capitalistes, et pas juste un partage différent des fruits de notre travail entre eux et nous. Sans ces ambitions minimales, ce n’est pas du tout du socialisme. Si pour Mélenchon le chavisme est un modèle, on voit bien quel est son projet politique : aménager l’État bourgeois et l’économie capitaliste pour qu’ils nous soient plus favorables, rien de révolutionnaire en fait. Au mieux, on nous promet la Norvège !

Ce qui a changé (ou pas) au Venezuela

Pour se faire définitivement une idée, il faut partir des faits. Et malheureusement, la réalité n’est pas à la hauteur des promesses. Chavez promettait l’indépendance nationale : si il était effectivement connu pour ses diatribes anti-américaines, ce n’est pas sûr que le Venezuela soit moins indépendant qu’il l’était avant. Sur le plan économique, l’industrie nationale a continué de s’affaiblir : le pays importe, en proportion, encore plus de produits finis qu’avant Chavez, et en exporte beaucoup moins. Le dépendance aux exportations de pétrole s’est accrue. Et le meilleur, c’est que les Etats-Unis ont renforcé leur statut de premier pays d’échange avec le Venezuela : il n’y a jamais eu autant d’exportation de pétrole vers les USA et d’importation de produits manufacturé depuis ce pays que sous Chavez. Malgré ses promesses, le chavisme n’a pas du tout réussi à construire l’indépendance économique du pays, encore plus dépendant de l’impérialisme qu’avant. Les gouvernements de Chavez n’ont en fait mené aucune vraie politique pour assurer l’indépendance économique. Même si il l’a souhaité, Chavez en a été incapable.
Chavez promettait une vraie démocratie, mais il n’a quasiment pas touché à l’appareil d’État qu’on lui a légué. Il a certes fait adopter une nouvelle constitution à son arrivé au pouvoir, mais ça n’a pas changé grand chose : elle a principalement instituée des référendums dans tous les sens pour légitimer régulièrement le pouvoir. A la base, le chavisme a développé des dizaines de milliers de « conseil communaux » censés être des organes de démocratie directe, mais la plupart de ces structures n’ont pas vraiment d’activité, ou alors elles ont de toute façon une marge de manœuvre très limitée : les masses n’ont aucune occasion de discuter les grandes décisions prises par un gouvernement de politiciens professionnels, qui fonctionne et prend ses décisions de la même manière que n’importe quel gouvernement bourgeois, avec pour seule légitimité une élections tous les 5 ans. Et dans les quartiers populaires, la Police, toujours constitué des mêmes, est toujours aussi violente. On est très loin de la dictature du prolétariat et du pouvoir aux soviets.

Malgré la redistribution, toujours l’exploitation

Chavez promettait la justice sociale. Il a surtout redistribué une partie des bénéfices tirés de l’exploitation du pétrole au peuple sous forme de prestations sociales, de « missions » éducatives ou de santé. Par ailleurs, le code du travail a été nettement amélioré, et les salaires ont augmentés. Il y a eu quelques nationalisations, mais en restant dans des rapports de productions capitalistes. Le chavisme prétend avoir stimulé plus de 120 000 coopératives, mais la plupart sont morts-nées. Et chez les autres, nombre ont été créées ad hoc par des entrepreneurs bien en cours auprès du régime et visent essentiellement l’obtention de subventions et d’exonérations fiscales, ainsi que la légalisation de formes de sous-traitance sauvage et la flexibilisation de la main-d’œuvre, qui sous prétexte d’ « économie sociale » déroge au code du travail. Mais face aux mouvements ouvriers, le pouvoir a eu une attitude ambivalente : d’un côté, Chavez prétendait soutenir les revendications, mais de l’autre les autorités chavistes locales réprimaient souvent violemment les ouvriers et ouvrières en mouvement. Aujourd’hui, plusieurs syndicalistes combatifs sont emprisonnés au Venezuela. Dans le domaine de la possession de la terre, la réforme agraire a été très limitée : elle concerne en premier lieu les terres appartenant à l’État, et affirme par ailleurs clairement que les grands propriétaires ont des droits sur leurs terres. Ce n’est que dans le cas où elles ne sont pas cultivées et dépassent une certaine taille qu’une partie d’entre elles peut être expropriée contre une indemnisation à la hauteur des prix du marché. Donc, pas d’expropriation générale des grands propriétaires terriens, alors que 5% des propriétaires possèdent 75% des terres. Au Venezuela, ce n’est toujours pas « La terre à celui qui la travaille ».

Quelle classe est au pouvoir ?

Non, le Venezuela, ce n’est pas le socialisme, et ça n’en prend pas la route. En fait, on voit bien que ce ne sont ni les ouvriers, ni les paysans, ni les habitants des barrios (bidonvilles) qui sont au pouvoir. Le pouvoir est au main d’une bourgeoisie issue des secteurs intermédiaires de l’appareil d’État ou de l’armée, et de la bolibourgeoisie (une classe d’affairistes qui doivent leur réussite à leur adhésion au chavisme). Avec Chavez, une fraction de la bourgeoisie en a remplacé une autre aux commandes de l’État. Peut-être que cette fraction chaviste porte une idéologie plus progressiste que celles qui l’ont précédé : il ne s’agit pas de nier les mesures profitables au peuple mises en avant par les partisans du régime. Mais il ne faut pas compter sur elle pour engager une transformation sociale radicale au profit de ces même masses. En tout cas, la mort de Chavez est un coup dur pour la bourgeoisie chaviste, car c’est à travers la popularité de ce dirigeant charismatique qu’elle s’assurait un soutien dans les masses. Difficile de dire, en conséquence, combien de temps le chavisme tiendra encore au pouvoir : en tout cas, son zénith politique est derrière lui.

 

Axel

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