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Lutter contre la pénibilité, lutter contre l’exploitation

La pénibilité au travail, c’est le cœur de l’extraction de la plus-value et de l’exploitation capitaliste. La pénibilité touche au cœur du rapport d’exploitation.
C’est le travail à la chaîne, posté, de nuit, l’exposition au bruit, à la chaleur, aux poussières, aux toxiques chimiques, la répétition des gestes et l’usure physique… tout ce qui détruit prématurément le corps et l’esprit des ouvriers et des travailleurs en général.
De tout temps le combat se mène contre des conditions de travail éprouvantes, contre leur dégradation pour satisfaire les besoins du capital, contre la pénibilité du travail, par refus de mourir à petit feu.
Contre le travail de nuit, qui n’est véritablement indispensable que dans quelques métiers sociaux (santé par exemple), mais jamais dans les métiers techniques. Contre le travail posté, qui est une mutilation physique et intellectuelle de l’être humain. Contre tous les toxiques, ceux de hier (amiante) comme ceux d’aujourd’hui (fibres céramiques, esters de glycol, nanoparticules…). Contre les causes de bruit à la source, par utilisation de machines silencieuses, de carters sonores efficaces pour rendre le port du casque inutile. Contre toutes les formes d’horaires atypiques, découpés, car la nuit c’est fait pour dormir, et nous voulons pouvoir vivre sans nous détruire la santé et nous occuper de nos enfants sans stress. Contre la précarité, car nous voulons une vie sûre et pas incertaine.
Des victoires importantes ont été remportées dans ce combat  : dans le travail posté en continu, avec la 5ème équipe contre le caractère insupportable de ce rythme de travail et pour la réduction du temps de travail  ; pour les travailleurs exposés à l’amiante, avec les mesures spécifiques autour du tiers-temps préretraite et le suivi médical.

A ces formes classiques de pénibilité viennent s’en ajouter de nouvelles, qui résultent de la réorganisation capitaliste du travail et de la société lancée dans les années 70, en France, pour palier la grande vulnérabilité des entreprises. Celles-ci n’ont-elles pas été paralysées 3 à 4 semaines durant en 68 ? Et cette vulnérabilité ne s’est-elle pas révélée de nouveau dans les conflits durs des années suivantes ?
Ce que le patronat vise à travers cette réorganisation du travail, c’est l’atomisation de la classe ouvrière et pour mener à bien cela il reprend à son compte des aspirations individuelles à être mieux respecté, entendu et responsabilisé, des aspirations très répandues parmi la petite-bourgeoisie salariée.
Cela passe par le démantèlement des collectifs de travail avec :
- l’individualisation (du statut, du salaire, des augmentations, des primes, des horaires, des pauses, de l’évaluation du travail, etc.). Les grilles de salaires disparaissent, la classification par compétences remplace la classification par poste ;
- la délation des défauts commis en amont ;
- les réorganisations et reconfigurations permanentes d’équipes, d’ateliers, de bureaux, de services et d’usines entières ;
- le développement de la polyvalence, de la flexibilité, de la mobilité et de la précarité ;
- l’exclusion des plus anciens et des plus réfractaires ;
- l’instauration de rapport clients-fournisseurs à la place des rapports de solidarité qui prévalaient autrefois entre les différents métiers ou équipes de travail.

En parallèle une mobilisation subjective démesurée, un engagement sans faille au côté de l’entreprise (qualité totale, excellence, groupe de travail, valeur de l’entreprise…) est exigée des travailleurs au service des seuls intérêts de l’entreprise capitaliste, présentée comme étant en « guerre » contre les entreprises concurrentes. Le salarié vertueux, militant de son entreprise, doit se dépasser sans cesse, faire mieux que les autres, ne pas hésiter à les éliminer.
Le travailleur se retrouve écartelé entre l’intelligence qui lui est réclamée pour qu’il produise efficacement et l’aveuglement qu’on attend de lui pour qu’il se soumette. Cela provoque stress, anxiété, perte de confiance, dépression, burn-out et suicides dans les cas extrêmes.

C’est la bourgeoisie qui a introduit le terme souffrance au travail pour désigner l’ensemble de ces affections psychologiques, c’est apparu il y a 10ans avec la multiplication des suicides à France Télécom et ça s’est développé avec les restructurations dans l’appareil d’Etat.
Si la bourgeoisie parle de souffrance au travail, c’est parce qu’elle veut évacuer la question de la pénibilité qui ne concerne que la classe ouvrière, et peu lui importe que des ouvriers se tuent à la tâche car elle sait qu’elle peut compter sur une armée de prolétaire de réserve.
La souffrance au travail est donc une forme particulière de pénibilité, nouvelle et essentiellement psychique (les risques psycho-sociaux), qui touche principalement la petite bourgeoisie salariée, plus exposée du fait qu’elle nourrit généralement plus d’attentes professionnelles, qu’elle conserve encore une part de travail intellectuel, frustré par le capitalisme et ses restructurations (l’envie d’être socialement utile, l’idée qu’on est compétent techniquement…). Mais cette souffrance au travail touche aussi la classe ouvrière essentiellement via les nouvelles méthodes de management, le harcèlement des chefs etc. Et quand les compensations accordées en termes de rétribution ou de promotion ne sont pas à la hauteur de l’engagement exigé, les situations d’échec sont encore plus durement vécues.

La pénibilité du travail aliéné, c’est une question sans solution dans cette société.
La concurrence effrénée, la guerre économique que se livrent les groupes impérialistes, pousse sans cesse les entreprises à demander toujours plus aux hommes et aux femmes qu’elles exploitent. Soumis aux gains permanents de productivité fixés par le capital, de moins en moins de secteurs de l’industrie et du tertiaire échappent à des politiques fondées sur l’oppression sous ses différentes formes modernes.
Il n’y a guère de possibilité de retour en arrière. Que ce soit par la délocalisation vers des pays où les travailleurs subissent une exploitation plus féroce ou ici en jouant sur l’individualisation, sur l’intensification du travail, sur la précarité ou la flexibilité le processus de dégradation des conditions de travail va se poursuivre. Il n’y a donc pas de place pour la réforme.
La pénibilité et les conditions aliénantes du travail ouvrier conduit à poser la question de son abolition. Seule la transition vers le communisme peut la résoudre, d’abord en réduisant fortement le temps de travail pour ces travaux, en éliminant progressivement la division sociale du travail entre travail manuel et travail intellectuel et en éliminant les formes destructrices d’organisation du travail qui ne répondent qu’aux besoins du capital : le travail de nuit, posté, à la chaîne, aux pièces….
Éliminer le travail salarié, c’est rendre les travailleurs maîtres et dirigeants de la production, de son organisation, comme de la répartition du fruit de celle-ci. La condition de cela est évidemment qu’ils conquièrent le pouvoir politique.

C’est un fait, les conditions de travail se dégradent pour la très grande majorité des salariés. Les suicides d’ouvriers de Peugeot à Sochaux en sont le témoignage, comme ceux de techniciens et de cadres au Technocentre de Renault à Guyancourt, comme les suicides à France Télécom, à La Poste, ou à l’Hôpital…
Cette dégradation générale ne doit pas masquer qu’au sein de cette tendance, persiste une grande inégalité face au travail et à sa pénibilité, une inégalité qui a un caractère de Classe.
Cette inégalité est évidente quand on compare les espérances de vie des différentes catégories de travailleurs. Les ouvriers vivent en bonne santé en moyenne 10 ans de moins que les cadres ou les enseignants. Cette mortalité plus précoce est due à l’effort physique demandé, aux dérèglements physiologiques engendrés par le travail en équipes alternées auxquels seuls les ouvriers sont astreints, comme à l’exposition aux substances toxiques, aux poussières, à la chaleur ou au bruit. D’autre part, les ouvriers subissent aussi stress et anxiété qui provoquent des atteintes à la santé  ; ainsi le stress chronique augmente significativement les risques cardiovasculaires et le fait de réprimer l’expression de la souffrance que l’on subit, de prendre sur soi, finit par engendrer des tendinites, lombalgies et autres troubles inflammatoires des articulations et de la colonne vertébrale.
En mars 2007, les travailleurs de PSA Aulnay exigeaient justement une retraite à 55 ans pour les ouvriers des chaînes.
Dénoncer la pénibilité du travail ouvrier, c’est mettre en question le travail aliéné, celui sur lequel l’ouvrier n’a aucune prise. C’est mettre en question des activités qui le réduisent à n’être qu’une force productrice de profit. L’ouvrier s’appauvrit dans ce travail en capacités intellectuelles, en capacité à maîtriser sa vie. A l’opposé, les cadres, qui sont les forces intellectuelles de la production au service du capital, s’enrichissent par l’exercice de leur travail en capacité à diriger, quel que soit le stress que cette activité leur impose.
Combien d’ouvriers décèdent juste à la prise de leur retraite non seulement par suite des dégâts causés à leur santé par l’exploitation, mais aussi parce qu’ils ne se sentent “ plus rien ” arrivés à la retraite, vidés qu’ils ont été par le capital de toute capacité à diriger leur propre existence !

Sur la question du travail, la petite-bourgeoisie salariée, notamment dans la fonction publique, prend également la crise de plein fouet. La partie inférieure voit ses conditions de vie et de travail se dégrader rapidement et se rapprocher de celles du prolétariat. Elle se mobilise contre les suppressions de postes et le durcissement de ses conditions de travail. C’est particulièrement notable dans la santé, où le capitalisme dépossède et déshumanise les travailleurs et les malades au sein de “l’hôpital-entreprise”. Dans l’éducation, la soumission de l’école au capitalisme et aux besoins du patronat en flux tendu de mains d’œuvre apparaît plus nettement.
Le rejet de la précarité et de la souffrance au travail sont un socle d’unification de la petite-bourgeoisie salariée autour de la classe ouvrière, pour remettre en cause tout le système.
Sur la base de l’unification sur les conditions de travail et de vie de la classe ouvrière, une unité revendicative et politique peut se créer, qui servira de base à une future alliance sous-direction prolétarienne.
Défendre et faire vivre la centralité ouvrière dans ces combats, contre la pénibilité du travail, contre le travail aliéné est le seul moyen de se libérer du capitalisme.

On vous a dressé un tableau sombre, mais c’est comme ça, c’est la réalité, celle qui nous fait dire que nous vivons dans un monde barbare, qui détruit vraiment le corps et l’esprit du prolétaire, qui casse la vie sociale, individualise et déshumanise toutes les relation sociales , qui robotise tout ce qui est « humain » dans l’homme…
Les réformistes, eux, ils ne parlent pas du travail et de la pénibilité, ils ne parlent d’ailleurs presque pas de la vie quotidienne de l’ouvrier, et même au-delà de larges secteurs de travailleurs, au boulot : les petits chefs arrogants, le stress et le harcèlement jusqu’au suicide, le travail posté ou la nuit, les cadences infernales (sur les chaînes de l’automobile comme à l’hôpital…), le bruit, les toxiques chimiques, les morts de l’amiante, le corps cassé par les TMS, la chaleur, les horaires de dingues, les morts au travail dans le BTP, l’intérim et ailleurs etc. Bref ce qui fait le quotidien de notre vie d’exploités. Tout ça, ça n’existe pas pour les réformistes.
Leur solution à ce monde barbare c’est prendre sur les profits des actionnaires, et organiser une meilleure répartition des richesses. Avec en prime la baisse du temps de travail et l’embauche des chômeurs (c’est en gros ce que proposent Mélenchon, Arthaud et Poutou, les candidats qui se disent proches du peuple et de la classe ouvrière). Mais sans toucher à la pénibilité, le socle de la compétitivité des entreprises, de la productivité du travail, le moteur de la concurrence mondiale entre patrons dans la guerre économique capitaliste. Pour mémoire, les 35h Aubry de 2000 ont été le prétexte d’une gigantesque intensification de l’exploitation, de précarité, de flexibilité, à l’origine en fait d’une bonne partie de nos problèmes d’aujourd’hui.
Tous les syndicats et partis réformistes sont désormais bien intégrés dans l’aménagement du capitalisme  : ils ne demandent pas l’interdiction du travail à la chaîne ou du travail de nuit mais négocient des contreparties à la pénibilité avec des départs en retraite anticipée, ils ne se battent pas contre le démantèlement des collectifs de travail mais veulent règlementer la sous-traitance, ils n’exigent pas la régularisation sans condition pour nos camarades sans-papiers mais discutent sur des critère au cas par cas, ils ne revendiquent pas la retraite à 55ans sans condition de trimestre mais négocient les virgules pour le mode de financement…
C’est ça l’avenir que les réformistes imaginent tous pour nous ? Un capitalisme à visage humain, mais toujours vissés à la chaîne, en travail de nuit ! De cette société-là, on n’en veut pas !

Nous, ce que nous voulons, c’est une production complètement transformée, au service de l’homme, complètement transformée pour nous rendre notre condition d’être humain, par exemple pour recomposer l’activité intellectuelle et l’activité manuelle, et pas la spécialiser de plus en plus, ouvriers et prolétaires exécutant d’un côté, ingénieurs et techniciens supérieurs décidant de l’autre…
Nos combats d’aujourd’hui doivent tracer le chemin de la société que nous voulons construire pour notre avenir. C’est en finir avec le travail de nuit ou posté, avec le travail à la chaîne, c’est la diminution des cadences, le combat contre toutes les nuisances, c’est la reconnaissance de la pénibilité comme celle de l’amiante, un an de pré-retraite pour trois ans de travaux pénibles… Fondamentalement, c’est la « désintensification » du travail qui est au cœur de nos revendications.
On ne veut plus être soumis à l’exploitation et à une classe qui gère la société selon ses propres objectifs, soumis à un système qui nous échappe totalement, qui fonctionne selon des règles sur lesquelles nous n’avons aucune prise. Nous voulons que l’ouvrier, le prolétaire soit au cœur du pouvoir politique, économique et social. Nous ne voulons plus être des esclaves modernes, mais être maîtres de nos vies et de toute la société. C’est bien une révolution qu’il nous faut !

Ce texte est une reprise de l’introduction faite au stage d’été 2017 de l’OCML VP, à la demi-journée consacrée à la pénibilité. Il ne rapporte pas la richesse des échanges qui ont suivi ; les témoignages de chacun, par petits groupes, sur les conditions de travail aujourd’hui, en boites bien sûr (voir le bulletin Partisan n° 25), mais aussi dans la santé (à l’hôpital) ou à l’école (le personnel des services).

Que fait l’OCML VP  ?

Beaucoup a été fait dans l’organisation ces dernières années sur la question de la pénibilité au travail :
- L’impulsion par nos militants d’enquêtes syndicales sur l’amiante et/ou la pénibilité dans plusieurs usines [1].
- Différents ateliers et formations pendant des initiatives publiques comme par exemple le Forum « Des résistances à la Révolution » de novembre 2013 [2].
- Différents supports et matériels  : une rubrique spéciale sur notre blog « Où va la CGT ? » [3], ce dossier dans Partisan Magazine, de nombreux articles sur notre site internet etc.
- Et évidemment à partir de toutes ces expériences accumulées travailler à les collectiviser pour aider nos militants dans leurs différents lieux d’interventions (entreprise, école, hôpital, quartier populaire etc.).

[1Voir par exemple l’interview de deux militants ouvriers de l’OCML VP dans ce Magazine.

[2Voir le compte rendu sur notre site : http://ocml-vp.org/article1173.html

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