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Il y a 40 ans, la "Révolution islamique" en Iran

Pour Le Parti N°12NS et N°14 - Février et Avril 1979

A l’occasion des 40 ans de la « Révolution islamique » en Iran, Nous republions ici deux articles de « Pour le Parti », ancien journal de l’OCML-VP. C’est le 11 février 1979, que le premier ministre que le Shah avait nommé avant de prendre la fuite un mois plus tôt, Bakhtiar, est renversé. Contrairement à ce qu’on en dit aujourd’hui, rien n’est joué à cette date, le renversement de Bakhtiar est le fruit d’une véritable insurrection populaire, Khomeiny n’a pas encore remporté la partie. Il apparaît clairement alors que les islamistes représentent, dans le fond, une des fractions de la bourgeoisie iranienne qui s’affrontent pour le pouvoir. A l’époque, VP a mis en avant la nécessité d’une Révolution démocratique populaire sous direction prolétarienne.

  1. La Révolution iranienne va de l’avant
  2. Iran, une victoire qui en appelle d’autres

     

La Révolution iranienne va de l’avant
Pour le Parti N°12 Nouvelle série – Février 1979

 

Nous insérons dans ce n°12 de PLP un tract "Iran : vive la révolution !" que nous avons diffusé à la mi-janvier dans les usines et à un meeting sur l’Iran à la Mutualité. Nous y expliquons à nouveau les deux voies, réformistes et révolutionnaires qui se présentent actuellement au mouvement des masses iraniennes. Le lecteur trouvera par ailleurs une analyse plus détaillée dans notre brochure "Vive la Révolution en Iran".

 

Au moment où nous écrivons la situation évolue toujours rapidement et nul ne peut prévoir ce qu’elle sera dans 15 jours quand sortira ce numéro de PLP, sinon qu’elle sera sûrement différente de celle d’aujourd’hui. Toutefois il apparaît dès aujourd’hui que, dans leurs grandes lignes, les choses se présentent bien telles que nous avions pu les analyser dans ces différents documents (et autres articles de PLP) à l’aide du marxisme-léninisme.

 

Le peuple iranien a obtenu une première victoire en obligeant le Shah à quitter le pays : le voilà maintenant qui rode en Méditerranée, auprès de ses amis Hassan et Sadate, espérant refaire le coup de 1953. Il est vrai que cette victoire du peuple n’est que très partielle. L’essentiel reste à faire. L’armée, pilier du régime, est toujours quasiment intacte, même si des troubles se manifestent parfois en son sein. Et la grande bourgeoisie iranienne est bien décidée à s’en servir - avec l’aide de l’impérialisme - pour maintenir l’essentiel : sa domination, la propriété privée, le capitalisme et l’exploitation du peuple.
Tel est le sens de la partie qui se joue actuellement avec Bakhtiar et Khomeiny, l’un refusant de recevoir l’autre à Paris et vice versa à Téhéran.

 

Pourtant tous les deux sont d’accords sur l’essentiel (et avec eux les divers partis bourgeois comme le Front National [1], le parti Toudeh [2], etc.) Ils veulent aboutir à rétablir l’ordre, à stopper le mouvement révolutionnaire en le dessaisissant du pouvoir. Leur plan est de promettre (dans le vague) de satisfaire ses revendications tout en les remettant à "plus tard", après que les élections aient eu lieu pour installer une "Assemblée Constituante", qui elle-même étudiera une nouvelle Constitution qui prévoira comment installer un gouvernement "légal" qui pourra alors "légalement" voter des lois, etc. Ceci sous le contrôle de l’appareil d’Etat actuel (et de l’armée) qui resterait à peu près intact (à quelques têtes près).

 

Mais comment arriver à ce que le peuple échange la force de sa lutte contre un bulletin de vote ? Bakhtiar espérait rallier Khomeiny à une perspective d’élections organisées en échange de l’arrêt des manifestations insurrectionnelles. Khomeiny semble pour le moment, à l’heure où nous écrivons, avoir refusé. Il a compris qu’il lui fallait rester intransigeant tant est grande aujourd’hui la force du mouvement populaire. Les couches qu’il représente (la petite bourgeoisie nationaliste) sont plus hostiles à l’égard de l’ancien régime que celles dont est issu Bakhtiar (bourgeoisie libérale). Et sans doute aussi son caractère le pousse à la fermeté à l’égard de ce qui est encore un gouvernement représentant le Shah qu’il hait.

 

Néanmoins, avec ou sans l’intermédiaire de Bakhtiar, il faudra bien que Khomeiny se résolve à un compromis avec l’armée, c’est-à-dire l’ancien Etat du Shah. Il est peu probable que ce soit la grève générale et les manifestations à mains nues qui fassent s’écrouler l’armée. Pour cela il faut l’insurrection, la guerre civile (qui exige d’ailleurs la participation des masses paysannes). Certes l’intransigeance actuelle de Khomeiny pousse les masses de jour en jour plus avant vers cette perspective. Mais en même temps les religieux les en détournent ne les y prépareras. Et n’en veulent pas, pas plus qu’aucune des fractions de la bourgeoisie qui influencent actuellement le mouvement populaire. Car ils ont tous bien trop peur de ne pas pouvoir contrôler jusqu’au bout un tel processus insurrectionnel. Peur pour la propriété privée, pour leurs biens et privilèges (et les religieux en ont d’abondants).

 

Faute d’organiser la guerre civile, Khomeiny doit donc trouver un compromis avec l’armée. Et la grande bourgeoisie iranienne (capitalistes, hauts fonctionnaires, propriétaires fonciers) peut pousser l’armée à l’accepter s’il sauve l’essentiel. De même que l’impérialisme, notamment la France, a bien compris que cette carte pouvait s’avérer la meilleure pour vaincre la révolution. On ne compte plus les déplacements de hauts-fonctionnaires français à Téhéran. Poniatowski y est allé lui-même plusieurs fois. Certainement pour aider à la mise au point de ce compromis. Cela explique pourquoi Khomeiny ait été autorisé à mener la lutte contre le Shah à partir de Neauphle le Château (alors que le moindre révolutionnaire est expulsé immédiatement, comme chacun le sait). Giscard est en contact permanent avec lui par l’intermédiaire de l’ambassadeur Cl. Chayet.
Pierre Hunt, le porte-parole de l’Elysée, a déclaré le 16 janvier : "La France espère que les forces de la continuité (l’armée) et les aspirations nouvelles (incarnées par Khomeiny) parviendront à une synthèse et garantiront la stabilité de l’Iran". Selon le journal américain "International Herald Tribune", Paris mise sur une alliance entre les religieux et les jeunes officiers pour rétablir l’ordre en Iran. Car "l’armée iranienne et les membres du mouvement religieux peuvent marcher de concert : ils ont en commun leur nationalisme et leur anticommunisme, le même corps d’habitudes, d’idéaux et de réflexes traditionnels".

 

Le retour de Khomeiny, l’élection d’une Assemblée Constituante sous son contrôle, l’instauration d’une République bourgeoise, permettraient peut-être un certain développement du capitalisme en Iran, un développement plus profond des forces productives et la ruine des survivances féodales. Mais cela n’est pas la victoire que doit rechercher le prolétariat. Cela n’est pas la voie vers la libération réelle du peuple iranien de l’exploitation et de la domination impérialiste.

 

Si le peuple iranien acceptait la solution d’abandonner l’insurrection contre la promesse d’une Assemblée Constituante, il vendrait "sa libération contre un plat de lentilles". Il ne doit pas remettre son sort aux mains de Khomeiny ou autres : il n’obtiendra que ce qu’il arrachera lui-même, aujourd’hui, alors qu’il est en mouvement. Il n’obtiendra plus rien quand ce mouvement sera arrêté.

 

C’est pourquoi il faut vaincre toute hésitation. Lutter pour arracher toutes les revendications "à la plébéienne", c’est-à-dire par la force du mouvement insurrectionnel "d’en bas". Comme nous l’avons expliqué (voir notre brochure), seule la classe ouvrière peut permettre aux masses de surmonter leurs hésitations. Car seule elle veut aller jusqu’au bout de la révolution démocratique et nationale actuelle, qu’elle vise justement à dépasser plus tard par la révolution socialiste. Voulant aller aussi "loin", elle n’a aucun intérêt à s’arrêter à mi-chemin, dans l’étape actuelle, par exemple à l’auberge frelatée de la "Révolution Islamique".

 

Plus que jamais il faut tout faire pour que classe ouvrière iranienne fonde son indépendance, édifie son parti, dirige la révolution dès aujourd’hui et instaure une République démocratique Populaire.

 

La classe ouvrière doit pousser le peuple à la suivre par l’exemple de sa détermination. Refuser la solution de l’Assemblée Constituante. Du moins tant que l’Etat actuel n’aura pas été balayé et remplacé par un véritable pouvoir populaire. Elle doit guider le peuple et le diriger vers l’instauration de ce pouvoir qui sera fondé sur la force de l’insurrection. Il pourra organiser ses propres élections après avoir satisfait les principales revendications des masses, après que la démocratie réelle ait été établie pour elles (c’est-à-dire le droit de participer réellement à l’exercice du pouvoir).

 

Après septembre 1978 et les massacres du Vendredi noir la situation en Iran a été marquée par l’entrée massive de la classe ouvrière dans la révolution. C’est cela qui a obligé le Shah à partir en portant la lutte à un niveau supérieur (grève générale, blocage de la vie économique) ! Aujourd’hui, après les massacres ordonnés ou couverts par Bakhtiar fin janvier, c’est la conscience de la nécessité de la lutte armée qui croît dans les masses. Les manifestants se battent avec gourdins et couteaux avec un courage inouï. Ils réclament des armes. Ils les réclament encore aux religieux, mais finiront bien par se passer d’eux s’ils ne leurs en donnent pas. Ces faits sont reportés - avec inquiétude - par tous les journalistes qui se demandent : "Si Khomeiny ne rentre pas, qui calmera la foule ?" Il est donc grand temps qu’Air France, aux ordres de Giscard, le rapatrie !

 

Mais une fois Khomeiny éventuellement rapatrié - ce qui constituera une deuxième victoire obtenue par le peuple iranien - restera toujours l’armée. Il restera au mouvement révolutionnaire à obtenir l’essentiel : le pouvoir. La croissance de la lutte insurrectionnelle armée constitue en ce sens un grand espoir. Si elle se confirme, si la classe ouvrière et son parti peuvent en prendre la tête, alors il n’est peut-être pas loin, le moment où la direction des forces bourgeoises - religieuses sur les masses sera sérieusement ébranlée. Oui Khomeiny n’a sans doute plus beaucoup de temps devant lui pour rentrer en Iran avant que son influence ne soit dépassée. Alors la révolution iranienne pourra s’élever vers de nouveaux sommets, et chantera d’autres versets que ceux du Coran !

 

Le mardi 29 janvier 1979

 

Iran, une victoire qui en appelle d’autres
Pour Le Parti N°14 – Avril 1979

 

Une victoire de grande portée historique

 

Par d’héroïques combats le peuple iranien a balayé le gouvernement Bakhtiar mis en place par le Shah avant son départ. Notamment lors des journées insurrectionnelles du 9 au 12 février, qui ont vues les masses de Téhéran rejoindre les soldats révoltés, s’emparer de milliers d’armes, écraser les "Immortels" de la garde impériale réputés "corps d’élite", s’emparer de tous les bâtiments clés du gouvernement, des commissariats et des casernes qui tombèrent les unes après les autres. C’est la lutte armée qui a donné la victoire, malgré les tentatives des religieux jusqu’au dernier moment pour empêcher l’insurrection, malgré l’absence de Parti d’avant-garde dirigeant (encore qu’il faille souligner que l’influence grandissante de diverses organisations révolutionnaires, que les journalistes regroupent sous le vocable de "fedayins", a joué un grand rôle).

 

Cette victoire est une grande bataille gagnée dans la guerre révolutionnaire en Iran. Elle concerne aussi tous les prolétaires et peuples opprimés du monde en portant un coup aux intérêts de divers pays impérialistes comme les USA et la France. En ce qui nous concerne, en effet, loin de nous lamenter avec notre bourgeoisie et de rendre le peuple iranien "responsable" de l’aggravation du chômage en France, nous nous félicitons de mesures comme la reconnaissance de l’OLP et la rupture de l’Iran avec Israël (ainsi que l’Afrique du Sud). Nous disons que l’arrêt des contrats nucléaires avec la France, l’augmentation des prix du pétrole et autres mesures relèvent du droit légitime de l’Iran à récupérer ses richesses. Et nous dénonçons au contraire la bourgeoisie iranienne qui, ayant profité de la lutte armée des masses pour "confisquer" le pouvoir à son profit, ne rompt pas totalement avec l’impérialisme, capitule même en fait complètement devant lui pour l’essentiel. Qu’est-ce en effet que le nouveau régime iranien ?

 

Le nouveau régime

 

Comme nous l’avons dit dans PLP n°12, en prévision du retour de Khomeiny en Iran : "avec ou sans Bakhtiar il faudra bien que Khomeiny se résolve à un compromis avec l’armée", car les religieux (et avec eux toute la bourgeoisie) "ont tous bien trop peur de ne pas pouvoir contrôler jusqu’au bout un tel processus insurrectionnel". Et nous notions aussi l’intérêt de l’impérialisme pour un compromis entre Khomeiny et le Front National, c’est-à-dire entre la petite bourgeoisie (artisans, paysans et petits commerçants) et la bourgeoisie libérale (gros commerçants, professions libérales, hauts cadres industriels capitalistes).

 

Les faits ont totalement confirmé ces prévisions. Khomeiny dès son retour a recherché une alliance pacifique avec l’armée, le soir même du premier jour de l’insurrection il demande aux masses "d’attendre et de se préparer au combat..." et s’écriait : "Je n’ai pas encore donné l’ordre de la guerre sainte". Les chefs de l’armée et ceux des grands bourgeois qui soutenaient encore le régime du Shah ont vite compris qu’avec Khomeiny ils pouvaient sauver l’essentiel. Comme l’a déclaré l’ex-chef de l’armée de l’air "Nous avions décidé qu’il ne servait plus à rien de soutenir Bakhtiar, puisqu’il promettait la République par des voies constitutionnelles alors que M. Bazargan [3] promettait la même chose par une voie directe. Nous avions décidé qu’il était préférable d’observer la neutralité" (Le Monde, 14.2.79).

 

Autrement dit, puisque Bazargan et Khomeiny nous promettent la même chose que Bakhtiar : la république bourgeoise et la sauvegarde du capitalisme, autant les soutenir eux (et abandonner définitivement le Shah) qui peuvent arrêter au plus vite la révolution puisqu’ils ont la confiance des masses. Ainsi la bourgeoisie a-t-elle "sauvé les meubles", avec l’armée elle a "tourné sa veste".

 

Aussi dès le 12 février Khomeiny se débat comme un beau diable pour faire rendre les armes. Premier acte. Deuxième acte : tout faire pour arracher le pouvoir des mains du peuple. Bazargan est nommé premier ministre, et avec lui de nombreux ministres de ce Front National (comme Sandjabi, etc.) qui quelques mois avant prônait un compromis pacifique avec le Shah lui- même. Ainsi est réalisé l’alliance bourgeoisie libérale - petite bourgeoisie (sous la direction de la première). Un gouvernement tout à fait étranger au mouvement ouvrier. Qui n’a qu’un but : stopper et éteindre le processus révolutionnaire. En utilisant une tactique bien éprouvée que Marx avait déjà analysée lors de la révolution de 1848 en France : la grande bourgeoisie s’unit à la petite (paysan, artisans, employés, etc.) pour écraser le prolétariat ; puis se retourne contre la petite bourgeoisie elle-même pour consolider son pouvoir. Tout faire pour tenter de consolider au mieux le capitalisme iranien, arracher à son profit quelques concessions à l’impérialisme (et finalement s’allier avec lui contre le peuple) ; voilà la voie que prend la bourgeoisie iranienne comme le montrent les décisions prises par le gouvernement Bazargan :

 


- Empêcher la désintégration de l’armée du Shah : à part la condamnation d’une poignée de généraux particulièrement corrompus, tous les officiers supérieurs restent en place. Trois généraux du Shah (dont l’ex-adjoint du préfet de police) sont nommés Chefs d’état-major de l’armée, chef de la gendarmerie et préfet de police. Ainsi tout est prêt pour la contre-révolution armée (comme ce fut le cas au Chili).

 


- De la même façon la vieille machine d’état réactionnaire est maintenue en place. Par exemple, la radio-télévision confiée à un ultra réactionnaire, et son "conseil de surveillance" constitué sans même un seul représentant ouvrier. Dans le même temps, l’épuration des anciens collaborateurs de l’ancien régime est très limitée et les procès restent secrets pour éviter la participation du peuple. Bazargan court d’ailleurs demander leur arrêt à Khomeiny (sous prétexte de légalisme) afin de rassurer les anciens fonctionnaires et pouvoir collaborer avec eux dans la remise en place de "l’ordre". A ce sujet il est piquant de voir les Chirac, Faure, etc. venir au secours de l’ex-premier ministre Hoveida et se lamenter sur sa possible condamnation à mort. Celui-ci, en 13 ans de règne, n’aurait été responsable de rien ! Comme les chefs nazis qui, on le sait, ne faisait eux aussi "qu’exécuter des ordres". Comme ces messieurs les bourgeois ont donc la trouille pour eux- mêmes !

 


- Tout ce qui pourrait être l’embryon d’un pouvoir des ouvriers et paysans est sévèrement combattu. Seuls les mollahs, dont beaucoup sont ultraréactionnaires, règnent sans partage. Khomeiny déclare la guerre "à tous ceux qui ne sont pas musulmans". Bazargan annonce : "Il faut canaliser la révolution sans coopérer avec les marxistes". Il refuse les élections des dirigeants en fonction de leurs mérites révolutionnaires par "la base", disant : "Comment la base peut-elle élire un chef qui doit ensuite la commander". Et pour l’exclure de la révolution il nomme "un ministre des affaires révolutionnaires" qui sera chargé de s’en occuper à sa place.

 


- D’ailleurs Bazargan ne parle que "d’écraser les mouvements d’extrême-gauche" (Le Monde du 20.2.79). Et le fait qu’il ait reçu en grande pompe Arafat, le Chef de l’OLP, pour se donner une caution révolutionnaire ne saurait tromper personne. Toutes une série de mesures comme la suppression de la vente de la pilule contraceptive, le rétablissement de la flagellation, le port du voile, etc. sont aussi venues faire mentir tous ceux qui parlent de "l’islam progressiste". Vis à vis des diverses minorités nationales qui peuplent l’Iran, Bazargan envoie l’armée (comme au Kurdistan) : comme le Shah il refuse la reconnaissance de leurs droits nationaux.

 


- Quant aux mesures économiques, c’est presque le néant. A part la nationalisation des biens royaux. Mais les propriétaires fonciers n’ont pas été expropriés de leurs terres (seule l’eau a été, momentanément, semble-t-il, déclarée gratuite par Khomeiny), ni les grandes sociétés capitalistes. Le nouveau directeur de la Banque centrale déclare : "Aucun pays du tiers-monde ne peut exister sans investissement étranger. Il nous est impossible de rompre à présent avec le système bancaire et financier international". (Les Echos, 6.3.79). Le nouveau chef des armées renchérit en disant que "plusieurs centaines d’experts américains doivent revenir en Iran" (Le Monde du 22.2.79).

 

Comme on le voit la bourgeoisie iranienne qui a pris le pouvoir (en réalisant un compromis avec Khomeiny comme nous l’annoncions dans notre brochure sur l’Iran, p23) se montre tout à fait incapable de mener la révolution démocratique et anti-impérialiste. Elle a bien plus peur du mouvement révolutionnaire des masses qui la menace elle-même à terme dans ses fondements que de l’impérialisme. Une fois au pouvoir elle s’empresse de se retourner contre le mouvement populaire qu’elle a chevauché pour y arriver, et de brider son élan.

 

Tout cela souligne le rôle tout à fait crucial qui revient aujourd’hui aux marxistes-léninistes en Iran pour mobiliser les masses, et tout particulièrement le prolétariat, afin qu’elles refusent de rendre les armes et s’apprêtent à poursuivre la lutte contre les forces bourgeoises dirigées actuellement par Khomeiny/Bazargan.

 

La révolution en Iran et nos taches

 

Il est clair que la situation en Iran n’est pas encore complètement stabilisée. Le régime du Shah, complètement pourri de l’intérieur et reposant seulement sur une poignée de propriétaires courtisans, hauts fonctionnaires et généraux corrompus s’est volatilisé. Bazargan n’a pas encore eu le temps de remettre complètement en route la machine d’Etat (dont l’armée) tombée entre ses mains. Les masses restent encore mobilisées, attentives à l’évolution de la situation, beaucoup ont gardé les armes conquises sur l’armée et ne sont pas prêts à subir sans broncher une nouvelle dictature bourgeoise.

 

De fait on peut apercevoir, à travers les informations que nous recevons malheureusement uniquement par la presse bourgeoise, une radicalisation de certaines couches de la population, par exemple dans les facultés et aussi dans l’industrie où la reprise du travail n’est pas encore complète et où semblent toujours exister différents Comités de travailleurs formés au cours des grèves et luttes précédentes. Par exemple encore les grandes manifestations des femmes, le meeting organisé par différentes organisations de la gauche (comme les fedayins) le 23 février à l’Université de Téhéran qui regroupa plus de 100 000 personnes.

 

Tous les événements ont montré à l’évidence la détermination et la force invincible des masses en armes. Elles ont su vaincre ce qui apparaissait comme les ennemis les plus redoutables : la bande impériale, la Savak, etc. Mais les événements montrent aussi que la lutte armée elle-même peut être récupérée par la bourgeoisie. Que la grande faiblesse du mouvement révolutionnaire réside dans le fait qu’il est dirigé politiquement et idéologiquement par des forces bourgeoises. Que celles-ci s’opposent à une révolution démocratique et anti-impérialiste conséquente, complète (voir notre brochure sur l’Iran). Voilà les ennemis que le prolétariat et les masses exploitées n’ont pas encore démasqués, qui les dupent, ainsi que les organisations opportunistes comme le parti "Toudeh". Ils n’ont en vue que des élections, un référendum qui n’offre pour seul choix que la monarchie ou la "République Islamique" extrêmement vague de Khomeiny dont, en fait, le gouvernement Bazargan donne un avant-goût.

 

La poursuite de la révolution jusqu’à la victoire nécessite que le prolétariat iranien prenne conscience de ses tâches historiques, puisse se porter à la tête du mouvement des masses exploitées. Il est plus nécessaire que jamais qu’existe un Parti Communiste ML dirigeant ce processus dans tous les domaines. Nous avons déjà cité dans nos articles l’existence du Parti Communiste ouvrier et paysan. Depuis nous avons appris l’existence d’autres organisations qui se réclament du marxisme-léninisme comme l’Union des Communistes Iraniens ou Combat pour la Liberté des Travailleurs. Il existe aussi d’autres organisations non marxistes-léninistes qui traduisent et représentent les aspirations démocratiques profondes des étudiants, intellectuels, et diverses couches de la petite-bourgeoisie. Comme les "fedayins Khalq" qui semblent avoir joué un rôle important dans l’insurrection de Téhéran (mais qui développent aussi des idées erronées en demandant simplement la démocratisation du gouvernement Bazargan, à y participer eux-mêmes, et aussi qui ne condamnent pas ouvertement l’Union Soviétique).

 

Nous ne sommes malheureusement pas informés précisément sur l’activité des marxistes-léninistes iraniens et où en est la reconstruction d’un Parti ml unique qui puisse être reconnu comme la seule avant-garde du prolétariat. Certains points de programme importants leur semblent déjà commun. Comme : rupture des liens avec l’impérialisme, expulsion des "conseillers", expropriation et nationalisation des banques et sociétés étrangères, annulation de la dette extérieure, nationalisation des secteurs clés de l’économie et des grandes propriétés, démantèlement de l’armée du Shah et son remplacement par le peuple en arme, renforcement des Comités révolutionnaires ouvriers et paysans et établissement d’une démocratie populaire dirigée par le prolétariat comme premier pas vers l’Iran socialiste.

 

Déjà l’ensemble des marxistes-léninistes a largement rompu avec la théorie contre-révolutionnaire des "trois-mondes". Mais de lourdes tâches restent encore à accomplir pour établir un authentique Parti Communiste et poursuivre la révolution jusqu’au bout.

 

On mesure aujourd’hui encore mieux qu’hier quels coups ont porté à la cause du prolétariat iranien tous ceux qui présentaient Khomeiny comme un chef et un guide révolutionnaire. Particulièrement toutes les organisations soi-disant "marxistes-léninistes" françaises comme le PCMLF, le PCR, l’OCF et autres qui n’avaient que louanges pour Khomeiny et qui maintenant commencent à le critiquer. Est-ce là le rôle de guide que doivent jouer les communistes ?

 

Nous disions, nous, dès le début : "Jamais les communistes ne doivent manquer à leur devoir de rappeler au prolétariat iranien que Khomeiny et la bourgeoisie nationale sont tout prêt à se rallier à la bourgeoisie libérale et au Front National en échange du départ du Shah". (Notre brochure Iran, p23). Dans la mesure de nos faibles moyens, nous cherchions à aider le prolétariat à prévoir le mouvement des différentes classes dans la révolution, à s ’y préparer en aiguisant sa méfiance à l’égard des religieux et de la bourgeoisie nationale, à ne les considérer dès le début que comme des alliés temporaires et hésitants à qui il fallait arracher la direction du mouvement.

 

Mais voilà des marxistes-léninistes qui aujourd’hui cherchent à justifier leur soutien à Khomeiny en disant qu’il "est normal que l’unité la plus large ait été réalisée pour renverser le régime du Shah... qu’il serait erroné de nier le rôle progressiste qu’a joué le clergé chiite dans la lutte contre le Shah". Derrière ces mots "unité", "progressiste", on obscurcit complètement la question essentielle. Question qui est : les communistes doivent-ils se borner à s’incliner devant la direction de la bourgeoisie sur le prolétariat sous prétexte d’unité. Alors ils ne serviraient à rien, ne faisant que suivre les événements tels qu’ils se déroulent par eux-mêmes. Leur rôle est au contraire de tout faire pour permettre au prolétariat de jouer son rôle dirigeant (ce qui ne veut pas dire, bien sûr, nier la participation de certaines couches de la bourgeoisie à la lutte contre le Shah à condition d’en montrer les limites, d’éduquer le prolétariat à ce sujet et non de s’incliner passivement devant elles).

 

Ceux qui louaient ainsi Khomeiny hier sans aucune retenue ont, à la mesure de leurs moyens, détournés le prolétariat iranien de ses tâches révolutionnaires. Ils ont affaibli la lutte contre l’impérialisme français pour qui Khomeiny et Bazargan représentent une excellente "carte" pour renforcer son influence en Iran (comme l’a déclaré l’Elysée Cf. PLP n°12).

 

La lutte du peuple iranien et notre propre lutte sont solidaires. Notamment contre l’impérialisme français. Comme on le voit une fois encore pour lutter contre l’impérialisme il faut aussi lutter contre l’opportunisme qui cherche à nous en détourner. Contre lui, expliquons sans relâche les buts et les tâches de la révolution en Iran. Démasquons ses faux-amis. Montrons l’unité de la lutte des prolétaires d’Iran et de France dans leurs différentes situations spécifiques. Apportons tout notre soutien au prolétariat iranien, qui a déjà une si brillante expérience de lutte, ainsi qu’à la reconstruction, au développement de son Parti ml unique.

 

Vive la poursuite de la révolution en Iran !

 

C. Paveigne, le 22 mars 1979

[1Parti de la bourgeoisie libérale, une des principales forces d’opposition au régime du Shah.

[2Parti « communiste » pro-soviétique.

[3Premier ministre, membre du parti nationaliste bourgeois du Front national, nommé par Khomeiny après la chute de Bakhtiar.

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