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Mao Zedong et le communisme

Partisan N°208 - Décembre 2006

En octobre 1976, mourait Mao Zedong, dirigeant du Parti Communiste Chinois qu’il avait conduit au pouvoir en 1949. La révolution chinoise a marqué la lutte de classe dans les années 60 et 70. Elle produisit une scission dans le PCF et fait naître une opposition révolutionnaire marxiste-léniniste. Mai 68 a amplifié l’impact de cette révolution.
Aujourd’hui, beaucoup de ceux qui se réclament du marxisme-léninisme ignorent ou sous-stiment les apports de la révolution chinoise.

Mao est venu au marxiste par la rencontre du mouvement national et anti-impérialiste de la jeunesse chinoise (mouvement dit du 4 mai) et de la révolution russe. Fondé en 1921, le parti communiste chinois croît rapidement.

La construction du socialisme en URSS et l’Internationale Communiste (IC) étaient des appuis. Mais ils avaient aussi un rôle important dans la définition de la ligne et de la tactique du jeune parti.

LA RÉVOLUTION CHINOISE ET MAO ZEDONG. La Chine des années 20 est partagée entre seigneurs de la guerre concurrents. Elle est traversée de conflits sociaux et politiques aigus. Le Front uni impulsé par l’Internationale conduit le parti communiste à intégrer le Guomindang (parti nationaliste bourgeois). Il accroît ainsi son influence. Le PCC en reste à la tactique révolutionnaire qui a réussi en Russie : l’insurrection ouvrière urbaine. Il sous-estime le rôle des paysans dans la révolution démocratique et nationale.

Cette ligne conduit le PCC à des revers dramatiques. La droite du Guomindang, effrayée par les actions des Unions paysannes contre les propriétaires fonciers, se retourne contre son allié communiste. En 1927, à Shanghai, le Guomindang de Jiang Jieshi [1] massacre les milices ouvrières. Fin 1927, la tentative d’insurrection communiste à Canton se solde par une défaite.

Mao, tirant des leçons de ces échecs, propose une ligne opposée à celle des dirigeants du PCC qui continuent d’appliquer l’orientation de l’IC. Il définit la paysannerie comme force principale de la révolution en Chine, les ouvriers étant la force dirigeante. Il n’abandonne pas le front uni avec les forces nationalistes contre les classes liées à l’impérialisme et aux propriétaires fonciers, mais le subordonne à l’autonomie politique et militaire du PCC. La révolution ne doit plus se concentrer dans les villes ; et les campagnes (80% de la population) doivent encercler les villes. Son orientation (nourrie d’enquêtes) se fonde sur l’analyse de la société chinoise et de ses contradictions. Cette orientation permettra au PCC de tirer parti des circonstances changeantes pour conquérir le pouvoir en 1949.

Dans les années 30, Mao affirme la possibilité de zones rouges (dirigées par le parti).

De 1927 à 1934, plusieurs bases de guérilla communiste sont établies dans le sud. Leur encerclement par les nationalistes bourgeois oblige l’Armée Rouge à se replier et à engager une Longue Marche (1934-1935).

Celle-ci lui permet de propager les idées révolutionnaires dans tout le pays, car « l’Armée rouge ne se bat pas pour se battre, mais uniquement pour faire de la propagande parmi les masses, pour organiser les masses, pour aider les masses dans l’établissement d’un pouvoir politique » (1929) [2]

LE SOCIALISME ET MAO Quand le PCC arrive au pouvoir, porté par une révolution démocratique et nationale, il n’a d’autre conception du socialisme que celle de l’URSS : mécanisation de l’agriculture, développement de la grande industrie, rôle éminent des cadres et des experts, au détriment des masses. Dans les années 50, le PCC se divise sur l’orientation à suivre.

Mao développe une politique de socialisation (de la coopération simple à la Commune Populaire) à la campagne qui s’appuie sur la mobilisation et l’adhésion des paysans et non sur la mécanisation.

Les révoltes ouvrières en Pologne, puis en Hongrie, amènent le PCC et Mao à une première réflexion sur l’expérience socialiste et à traiter autrement que dans les pays de l’Est les contradictions au sein du peuple.

Alors que des divergences s’affirment avec l’URSS (qui retire en 1960 son assistance) Mao lance en 1958 le « Grand bond en Avant » avec la volonté de stimuler la production industrielle et agricole et la collectivisation par la mobilisation des masses. Les résultats ne sont pas ceux attendus et permettent à ses opposants de reprendre la direction du parti. Mao reconnaîtra lui-même s’être peu intéressé aux questions économiques. En effet nulle trace dans sa réflexion d’une connaissance approfondie des textes économiques de Marx. Ce dernier notamment souligne que l’ampleur et la vitesse des transformations ne tiennent pas seulement à la subjectivité des masses (leur conscience, leur détermination), mais sont conditionnées par les connaissances, les capacités productives, les rapports sociaux, accumulés par les générations passées. Quand Mao affirme, en 1958, que « le peuple chinois […] possède deux particularités remarquables ; il est pauvre et blanc. […] Ceux qui sont pauvres veulent […] faire des efforts, ils veulent faire la révolution. Sur une page blanche rien n’est écrit ; on peut y écrire les mots les plus neufs et les plus beaux ». Il pêche par idéalisme.

Aucune société n’est une page vierge. La sous-estimation des facteurs objectifs, et la prééminence donnée à la subjectivité des masses a pour contre partie la sousestimation du rôle spécifique de la classe ouvrière dans le processus historique de la transformation de la société.

LA RÉVOLUTION CULTURELLE ET MAO. L’échec de Mao va permettre à la nouvelle majorité dans le PCC de reprendre une ligne de construction du socialisme qui encourage le développement d’un capitalisme d’Etat et qui mène la Chine sur la voie suivie en URSS. La lutte de Mao contre cette orientation débouche en 1966, sur le lancement de la Révolution Culturelle, sur la lutte de masse contre les dirigeants engagés dans la voie capitaliste dans l’Etat et le parti.

Cette initiative a un impact immense parmi la jeunesse et la classe ouvrière. Le rôle des cadres est remis en cause, la critique ouvrière est stimulée. La transition au communisme ne saurait donc « être un long fleuve tranquille » alimenté par le développement des forces productives, et guidé par les experts et des cadres rouges. Elle est une lutte révolutionnaire ininterrompue pour transformer les rapports sociaux et éliminer la division sociale du travail.

Cette révolution fut théorisée au début des années 1970, non par Mao, mais par des théoriciens comme Zhang Chunqiao [3] (De la dictature intégrale sur la bourgeoisie).

Elle permit de dépasser les conceptions économistes de la transition socialiste qui s’étaient affirmées en URSS. La réflexion politique renoua avec Marx qui avait déjà souligné que la transition socialiste dont le but était le communisme avaient pour tâche d’éliminer la division sociale du travail, fondement du développement et de la reproduction des classes. C’est de cela que s’est nourri notre organisation.

La Révolution Culturelle n’a pas empêché que le Parti Communiste Chinois n’abandonne rapidement, après la mort de Mao, la voie communiste. Il est aujourd’hui le parti de la bourgeoisie d’un impérialisme montant. De ce point de vue, la révolution culturelle a été un échec. Notre organisation a débattu sans trancher la question de la responsabilité de Mao et des maoïstes dans cet échec [4], en particulier dans la recherche d’une stabilisation en recourant à l’armée populaire en 1968.

Mais quel que soit ce bilan, la portée de cette révolution est immense.

MAO ET LA PHILOSOPHIE Comme Marx, Mao a attaché une grande importance à la philosophie. Sa politique et ses positions sont incompréhensibles en dehors de la prise en compte de sa pensée philosophique.

Ses conférences philosophiques sont destinées aux membres et aux cadres du parti. Pour lui toute pensée politique est dirigée par un point de vue philosophique qu’il essaya de faire partager. Ses contribution (« De la pratique », « De la contradiction ») sont ancrées dans la vie du parti et s’intègrent dans les processus de rectification (« Sur les méthodes de direction ») [5]

MAO FAIT DE LA DIALECTIQUE UN LEVIER RÉVOLUTIONNAIRE La contradiction est universelle. C’est la condition du mouvement des choses. L’unité est toujours relative. Il valorise la lutte politique comme condition du développement de la théorie et de la politique du parti. Il considère inévitable l’expression des contradictions de classes sous le socialisme. Il rompt avec la vision linéaire et pacifique du procès révolutionnaire après la prise du pouvoir. Pacifique en ce sens que tout se réglerait soit par la clairvoyance du Parti, soit par l’exercice parfait de la démocratie ouvrière. Pendant la transition, les contradictions qui s’expriment ne sont pas seulement la conséquence des imperfections du système socialiste (du manque de démocratie, comme le pensent les trotskistes), mais de la nature même du socialisme comme transition qui ne peut se développer que par l’expression de la contradiction et de la lutte de classe.

Gilles Fabre

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