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La lutte des travailleurs noirs aux USA et l’Internationale Communiste

Partisan Magazine N°12 - Novembre 2018

La venue des Noirs en Amérique du Nord n‘a pas été liée à une migration voulue, mais à la traite des esclaves. Ils venaient tous d’Afrique mais n’étaient pas une population homogène. Ce voyage rompait tous les liens de l’esclave avec sa culture d’origine. Un travail épuisant et une vie ignoble l’attendaient dans les plantations. Ces travailleurs n’avaient plus d’autre pays que les USA, souvent dans les plantations du Sud, et pas d’autre langue que l’anglais. On peut dire qu’ils sont bien plus américains que d’autres immigrés blancs venus de l’Europe. Ils n’ont jamais eu de promotion sociale, de possibilité de circuler, ils furent la force de travail prolétaire la plus stable. Ils sont le fondement de la culture populaire des USA. Ils se sont exprimés dans des musiques, blues, jazz, danses, qui étaient au début les seuls moyens de s’exprimer dans un monde blanc et raciste.
Après une guerre civile entre le Nord et le Sud, l’esclavage officiel était aboli en 1865, mais la même année le Klux Klux Klan était créé. Avec le régime fédéral, à partir de 1876, les onze ex-États sécessionnistes du Sud purent édicter des « codes noirs ». Les contradictions de classe restaient masquées par le racisme. L’abolition de l’esclavage avait détruit les relations de propriété du système esclavagiste, mais dans les plantations les relations sociales ne changeaient pas.
Les liaisons à l’époque n’étaient pas aussi faciles que maintenant, mais Marx ne méconnaissait pas le racisme aux USA. Pour lui, le racisme, en divisant la classe ouvrière, portait atteinte aux intérêts de classe des travailleurs blancs et noirs. Il faut l’unité de classe. « Dans les Etats-Unis du nord de l’Amérique, toute velléité d’indépendance de la part des ouvriers est restée paralysée aussi longtemps que l’esclavage souillait une partie du sol de la République. Le travail sous peau blanche ne peut s’émanciper là où le travail sous peau noire est stigmatisé et flétri ». (Le Capital, livre 1er, 3ème section, 1887).

Avec la première guerre mondiale, les industries du Nord avaient besoin des travailleurs noirs, car du fait de la guerre l’immigration européenne était bloquée. Des soldats noirs qui allaient en Europe étaient étonnés qu’il n’y ait pas de ségrégation raciale. Mais dans le sud des USA le racisme continue, les petits blancs ne voulaient pas être mélangés avec les noirs, anciens esclaves, dont pourtant les plus pauvres des Blancs partageaient les conditions de vie. A partir des années 1920, dans le pays des campagnes de boycott avait lieu contre les magasins qui n’employaient pas de Noirs. Des émeutes contre le racisme ont lieu dans le Nord, à Chicago en 1919, en 1935 à Harlem.... Dans l’Internationale Communiste, la « question nègre » aux États-Unis était posée, même si souvent elle était liée aux questions coloniales et nationales de l’Europe et de l’Asie.

En 1922, l’Internationale Communiste (IC) traite à nouveau de la question. « Le nègre n’était pas un esclave docile, il a eu recours à la rébellion, à l’insurrection, aux menées souterraines pour recouvrer sa liberté ; mais ses soulèvements ont été réprimés dans le sang ; par la torture, on l’a forcé à se soumettre ; la presse bourgeoise et la religion se sont associées pour justifier son esclavage. Quand l’esclavage concurrença le salariat et devint un obstacle au développement de l’Amérique capitaliste, il dut disparaître. La guerre de sécession entreprise, non pas pour affranchir les nègres, mais pour maintenir la suprématie industrielle des capitalistes du Nord, mit le nègre dans l’obligation de choisir entre l’esclavage dans le Sud et le salariat dans le Nord. Les muscles, le sang les larmes du nègre « affranchi » ont aidé à l’établissement du capitalisme américain, et quand, devenue une puissance mondiale, l’Amérique a été entraînée dans la guerre mondiale, le nègre américain a été déclaré l’égal du blanc, pour tuer et se faire tuer pour la démocratie. Quatre cent mille ouvriers de couleur ont été enrôlés dans les troupes américaines, où ils ont formé les régiments de « Jim crow ». A peine sortis de la fournaise de la guerre, les soldats nègres, revenus au foyer, ont été persécutés, lynchés, assassinés, privés de toute liberté et cloués au pilori. Ils ont combattu ; mais pour affirmer leur personnalité ils ont dû payer cher. On les a encore plus persécutés qu’avant la guerre pour leur apprendre à « rester à leur place ». La large participation des nègres à l’industrie après la guerre, l’esprit de rébellion qu’ont éveillé en eux les brutalités dont ils sont les victimes, met les nègres d’Amérique et surtout ceux de l’Amérique du Nord à l’avant-garde de la lutte de l’Afrique contre l’oppression » [1].

Avec la crise économique de 1929, les Noirs étaient les premiers licenciés dans les industries. Dans le Sud des lois nommées « Jim Crow » [2] ont été votées, qui officialisaient la séparation, dans les transports, les écoles. De nombreux lynchages sont exécutés contre les Noirs qui résistaient. Cela ne gênait pas la bourgeoisie du Nord soi-disant anti esclavagiste, mais en vérité qui avait surtout besoin de la force de travail des Noirs qui vivaient dans le Sud.
Des voix existaient qui proposaient à leur façon de changer les choses : Marcus Garvey, fondait un parti panafricain, l’UNIA, défendant le capitalisme, mais proposant de redonner la fierté aux noirs en retournant en Afrique. En ce sens il fondait une compagnie maritime. Il jouissait d’une grande popularité. Par exemple les parents de Malcom X ont fait partie de l’UNIA. Garvey fut expulsé des USA en 1927, mais peu de personnes retourneront en Afrique. Cette théorie rentrera en déclin dans les années 1930.
Les syndicats AFL refusaient de syndiquer les Noirs, les IWW (Travailleurs de l’Industrie du Monde) les syndiquaient au contraire, mais se firent durement réprimer du fait de leur opposition à la 1ère guerre mondiale. La centrale CIO, qui fut formée en 1935 contre le corporatisme de l‘AFL, acceptait elle aussi de syndiquer les travailleurs noirs.

En 1928, la résolution de l’IC parle directement « de persécutions et de l’exploitation blanche ». Elle avance aussi le droit « à l’autodétermination nationale des Etats du Sud où ils (les Noirs) forment la majorité de la population. La lutte pour l’égalité des droits et la propagande en faveur du slogan de l’autodétermination doivent être liées aux revendications économiques des masses noires... » Revendication gauchiste disent des trotskistes, mais cette revendication exprimait que les Noirs pouvaient eux-mêmes diriger un Etat, elle brisait des préjugés racistes. L’IC prônait l’unité entre travailleurs noirs et blancs. De plus l’année suivante l’IC complétait la proposition : « Le droit complet à l’autodétermination inclut aussi le droit à la séparation gouvernementale, mais n’implique pas nécessairement que la population noire doive utiliser ce droit, c’est-à-dire qu’elle puisse séparer la Black Belt [3] de la fédération gouvernementale des Etats-Unis ». On peut demander un droit et ne pas l’utiliser, « la position des communistes peut varier selon les conditions concrètes... Les communistes sont prêts à offrir à n’importe quel moment leur soutien si les masses ouvrières de la population noire sont prêtes à entreprendre la lutte pour l’indépendance gouvernementale de la Black Belt » L’IC indique aussi que le Parti Communiste « joue un rôle actif et dirigeant dans l’organisation des ouvriers et des ouvriers agricoles noirs en syndicats » et si les syndicats racistes refusent les Noirs demande d’« établir des syndicats spéciaux pour les ouvriers noirs ». Mais pour cela le Parti doit « mener une lutte sans merci contre la bureaucratie de l’AFL qui empêche les ouvriers noirs de joindre les syndicats d’ouvriers blancs ».
La contradiction principale est entre bourgeoisie et prolétariat, mais une contradiction secondaire existe et bloque cette contradiction principale, le racisme. L’IC parlait de « négrophobie » et expliquait que l’un des mots d’ordre communiste était : « Mort au lynchage des Noirs ! ». Cette contradiction devait être traitée afin que la contradiction principale qui reste active (bourgeoisie/prolétariat) apparaisse au grand jour et soit combattue par les ouvrier-e-s Noirs et Blancs. Cette contradiction n’est pas considérée comme éternelle et l’IC et le Parti Communiste se donnaient les moyens de la traiter. Lutter pour des syndicats pour les travailleurs Noirs et lutter dans l’AFL afin que les travailleurs Noirs puissent être syndiqués, c’est dialectique, c’est un détour momentané assumé sur la base de « situations concrètes ».

La crise de 1929 provoquait la faillite des banques et 25% de chômeurs. Cette crise allait voir les travailleurs noirs les premiers licenciés. Pour relancer le capitalisme, il fallait une politique interventionniste. Roosevelt remporta l’élection grâce à ses promesses de changement. Après le laisser-faire, la bourgeoisie mettait en place le New Deal (Nouvelle Donne), un programme de relance de grands travaux, réforme des banques, programmes d’assistance sociale d’urgence, programmes d’aide par le travail, ou encore programmes agricoles et lois de protection syndicale. Au même moment, à partir de 1935, les PC et l’IC menaient une politique de Front Populaire en alliance avec la bourgeoisie contre le danger fasciste. Cette politique sacrifiait les intérêts de la classe ouvrière aux besoins de la machine de guerre impérialiste américaine. Sous ce prétexte, le PC soutint la politique bourgeoise de Roosevelt Cette politique avait ses laissés-pour-compte, les programmes agricoles ne prenaient pas en compte les domestiques et les ouvriers agricoles qui étaient majoritairement Noirs. Roosevelt pour être réélu ne pouvait se passer du vote des ségrégationnistes blancs dans le Sud, de ce fait il refusait son soutien à toute législation anti-lynchage. La politique économiste du PC s’apparentait à une lutte contre l’égalité des Noirs. De nombreux travailleurs noirs voyaient leur situation se dégrader, se sentaient lésés, partirent du PC, et fondèrent leurs propres organisations.

Les travailleurs noirs des USA voulaient l’égalité politique et sociale. Cette égalité ne pouvait être obtenue qu’avec une lutte pour le socialisme, et la contribution des travailleurs noirs à toute la classe ouvrière US était celle de la lutte contre le racisme et l’exploitation. Cette lutte est toujours actuelle. Les crimes racistes continuent aux USA même si l’intégration des Noirs américains est beaucoup plus avancée que dans la première partie du XXe siècle. La trahison révisionniste, qui vit le PC soutenir sa bourgeoisie, maintenait les travailleurs dans le cadre étroit du capitalisme. Cette ligne politique laissait de côté les revendications des travailleurs noirs et a contribué au déclin du mouvement communiste aux USA (n’oublions pas aussi la répression de la CIA). Lutter pour le socialisme, c’est être à l’écoute des masses les plus opprimées, participer à leur émancipation, lutter avec elles, apprendre d’elles, les former aussi politiquement afin de les intégrer dans le Parti, en faire des dirigeants. Mais les acquis ne se sont pas envolés, on l’a vu avec le Black Panther Party et le terme Black Power qui signifie que les travailleurs noirs sont prêts à prendre leurs affaires en main.

[2Jim Crow : terme générique pour désigner, de façon péjorative, les Afro-américains. Donne son nom aux lois racistes dans les Etats du Sud

[3La Black Belt (ceinture noire), est une zone géographique en forme de croissant aux USA dans laquelle vit un pourcentage élevé des Afro-américains

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