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Chlordécone quand l’empoisonnement industriel se double de domination coloniale

Partisan Magazine N°15 - Juin 2020

Le chlordécone est un pesticide dangereux qui a été utilisé pendant des décennies pour les plantations de banane aux Antilles, et maintenu jusqu’à son interdiction en 1976 aux Etats-Unis et seulement en 1993 aux Antilles. Selon toutes les études, il faudra des décennies pour que les sols soient débarrassés de ce toxique, qui a touché avant tout les travailleurs de la banane, mais en fait encore aujourd’hui toute la population via les aliments locaux (légumes) et l’eau potable.
Comme pour l’amiante, l’utilisation de ce produit toxique a été maintenue alors même que sa dangerosité était connue depuis les années 60, pour le plus grand profit des monopoles de la banane.

Nous publions ci-dessous deux extraits.
L’un d’une déclaration de l’UGTM (Union Générale des Travailleurs de la Martinique) de février 2020, qui décrit les ravages de ce toxique.
L’autre d’une déclaration de l’UGTG (Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe) du 15 octobre 2019 lors d’une audition à une commission d’enquête parlementaire, par la voix de son représentant Elie Domota qui qualifie de crime d’Etat le maintien des autorisations pour ce pesticide.

Déclaration de l’UGTM

« Sachant que le chlordécone pénètre dans notre organisme essentiellement par voie orale lors de l’absorption d’aliments ou d’eau contenant du chlordécone.
Sachant que le chlordécone perturbateur endocrinien, toxique, polluant organique persistant n’a pas de « seuils de toxicité » et que toute présence détectée de chlordécone dans le corps, si minime soit- elle, présente un risque potentiel. (…)
Sachant que « S’il n’y a pas pour le chlordécone de seuil de toxicité, il existe des périodes de la vie où le risque est plus grand quel que soit le taux : grossesse, petite enfance, puberté, vieillesse ».
Sachant que toute présence de chlordécone dans le sang, le foie ou les graisses d’une femme enceinte peut avoir des conséquences majeures sur le fœtus qui peuvent se révéler plusieurs années après la naissance (prématurité, malformations cérébrales, perturbations endocriniennes, puberté précoce, cancer du sein ou de la prostate). (…)

Constatant que l’eau du robinet en Martinique contient des résidus de pesticides associés au chlordécone, au regard des conclusions de cette étude, elle ne devrait plus être utilisée par la population pour l’alimentation tant que ne sera pas atteint l’objectif zéro chlordécone.
Lé gran moun - Les personnes âgées, lé ti moun - la petite enfance, les femmes enceintes ou ayant des timoun ou souhaitant en avoir, les personnes hospitalisées ou accueillies dans les institutions médico-sociales sont concernées en priorité. l’UGTM santé demande, à toutes les autorités ( ETAT, COLLECTIVITÉS...),à toutes les directions d’institutions publiques ou privées recevant, hébergeant, prodiguant des soins à ces populations (écoles, crèches, assistantes maternelles, EHPAD, Maison de retraire, Cliniques, Hôpitaux...), que toutes les dispositions nécessaires pour que soit servie une eau potable sans chlordécone, ni pesticides, ni éléments pouvant présenter un risque à court , moyen ou long terme pour la santé soient prises de façon URGENTE.

L’eau du robinet ne devrait plus être utilisée dans ces institutions pour l’alimentation des personnes qui y sont accueillies et celles qui y travaillent tant que des dispositions ne seront pas prises pour atteindre le zéro chlordécone. »

Déclaration de l’UGTG

« Nous avons écouté très attentivement les propos de Monsieur Eric GODARD (Ancien délégué interministériel chlordécone), mais aussi ceux de Madame BUZYN (Ministre de la Santé) et de Madame GIRARDIN (Ministre des Outres Mers).
Les propos de ces deux ministres confirment bien la volonté d’exonérer l’Etat français de sa responsabilité pleine et entière dans ce CRIME.
Pour Mme BUZYN, il y aurait une part de responsabilité de l’Etat, mais nous serions plutôt dans un cas de «  responsabilité partagée  » ; et même en présence de «  responsabilités locales pour faire pression sur l’Etat  » pour poursuivre l’utilisation du chlordécone.
A son tour, Mme GIRARDIN a embrayé dans le même registre en parlant de «  responsabilité de l’Etat aux côtés des fabricants, des importateurs, des exploitants agricoles, des socioprofessionnels, des élus  ».
Ces paroles sont indécentes, inacceptables et relèvent des bons vieux discours coloniaux qui s’apparentent à ceux des pédophiles qui cherchent à rejeter la responsabilité de leurs actes sur leurs victimes.
Ces paroles résonnent dans nos mémoires à l’instar de la loi du 30 avril 1849 qui va indemniser les esclavagistes et non les personnes réduites en esclavage.
Ces paroles résonnent dans notre chair à l’instar des crimes coloniaux perpétrés contre les Guadeloupéens notamment ceux relatifs aux évènements de Mai 1967 en Guadeloupe ; où l’Etat Français a commis un véritable massacre contre le peuple guadeloupéen et où ce sont les victimes qui ont été érigées en coupable.
NON, ce crime n’a pas débuté en 1993 mais bien en 1972, quand Jacques CHIRAC (Ministre de l’Agriculture et Ami des békés planteurs de bananes), au nom de la République Française, décide de violer les lois de la République Française en accordant une autorisation de mise sur le marché d’un produit interdit par la commission des toxiques depuis 1969.

S’en suivront alors une kyrielle d’autorisations ministérielles aussi illégales les unes que les autres et même une homologation ministérielle délivrée en 1986, là encore totalement illégale.
Si les lois de la République française avaient été respectées par l’Etat lui-même, ce scandale n’aurait jamais vu le jour.
NOUS SOMMES DEVANT UNE VIOLATION FLAGRANTE ET DELIBEREE DE LA LOI PAR L’ETAT LUI-MEME SINGULIEREMENT DE 1972 A 1993.
 »

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