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Bilan du 1er tour des présidentielles : rebelote

Partisan Magazine N°19 - Mai 2022

Sans vraiment de surprise Macron va être réélu, et on va en reprendre pour cinq ans. Scrutin plus serré qu’en 2017 face à Le Pen, mais tout le ban et l’arrière ban de la bourgeoisie, plus ou moins réactionnaire, plus ou moins réformiste, de la petite-bourgeoisie intellectuelle paniquée par l’hypothèse de Le Pen au pouvoir, va voter le petit doigt sur la couture du pantalon pour Macron. Hollande et Sarkozy main dans la main avec Macron.
Nous sommes donc, comme en 2017, face au même défi : comment résister, comment construire une opposition de classe, anticapitaliste, digne de ce nom ?
Dans cette période incertaine, il n’est pas inutile de prendre un peu de temps pour réfléchir.

La notion de vote utile

C’est le phénomène marquant des derniers jours avant le premier tour, et même du deuxième tour à venir. On ne vote plus pour des idées, un programme, mais contre des ennemis qu’on veut éliminer. Quitte à se pincer le nez (rappelez-vous la pince à linge pour le vote Chirac au deuxième tour en 2002).
Le phénomène a joué à plein dans tous les sens :
Le Pen a essoré la droite classique (Pécresse a fait 4,7%, Fillon 20% en 2017), Dupont-Aignan (2,1% contre 4,7% en 2017) et même au final Zemmour annoncé à 14% et fini à 7,1%. Vote utile d’extrême-droite.
Macron a aussi essoré la droite classique, en se partageant le gâteau avec Le Pen, ainsi qu’une partie du PS, réduit à l’état de groupuscule. Vote utile de droite de gouvernement. C’est le vote de résignation, de soumission au capitalisme et à ses règles, à la compétence supposée de Macron, en mode « Il n’y a pas d’alternative dans la crise actuelle », comme Margaret Thatcher l’a martelé en Grande-Bretagne dans les années 1980.
Mélenchon a essoré l’autre partie du PS, le PC, une partie des Verts, l’extrême-gauche, une partie de l’électorat de Macron de 2017 qui lui est revenue (de l’ordre de 5%, les déçus de Macron), et une frange importante d’abstentionnistes, en particulier dans les quartiers populaires.
D’où la « tri-polarisation » de l’élection relevée par tous les commentateurs.
Mais il faut sortir de l’explication superficielle – exacte par ailleurs.
Est-ce que ça ne manifeste pas le caractère vraiment factice de la démocratie bourgeoise ? On vient nous chercher une fois tous les cinq ans, en agitant le bulletin de vote, en nous assurant qu’on a le droit à la parole… mais quel droit ? Le droit d’éliminer, et encore…
Certes les candidats ont des programmes, qu’on a pu lire et commenter, comme la retraite à 65 ans, ou le RSA sous condition d’heures travaillées (la moitié du SMIC… la belle blague !). Ou le programme de Mélenchon, bien détaillé, argumenté…
Mais ce n’est pas ça que nous voulons. Comme le disait Chirac, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient »… Et souvent la réalité met les belles promesses à la poubelle et la soupe est bien salée. On n’a pas oublié Mitterrand ou Hollande, Tsipras ou beaucoup d’autres. Ce que nous voulons, c’est vraiment décider, pour nous les prolétaires. Pas décider, une fois tous les cinq ans un catalogue de mesures qui seront, ou pas, appliquées.

Le vote utile, au final, c’est la dépossession ultime de notre point de vue. C’est la pression pour choisir un candidat qui n’est pas le nôtre, juste pour des calculs électoraux au final assez futiles.

La poursuite de la décomposition politique des partis bourgeois

Le PS était déjà en situation de mort clinique, c’est désormais confirmé, comme le PC. Il ne reste plus que les appareils locaux, municipaux et législatifs pour conserver un semblant d’existence. D’ailleurs, ces deux résidus se sont déjà entendus pour les législatives à venir.
Le phénomène touche désormais la droite classique, tiraillée entre la droite libérale de gouvernement de Macron, et la frange qui flirte avec l’extrême-droite. Alors que la non qualification de Fillon en 2017, pourtant avec 20% des voix, avait été un séisme, que dire des 4,7% de Pécresse, siphonnée sur ses deux flancs ? Même une partie des électeurs a été dégoûtée et s’est rabattue sur Lassalle !!

La REM et les Insoumis s’en sortent, au prix du renoncement à l’existence d’un parti traditionnel, pour préférer une mouvance gazeuse et informelle, sous la férule d’un sauveur suprême, d’un gourou qui indique la voix à suivre. Si la REM va subsister le temps du deuxième mandat de Macron, il va être intéressant de voir comment les Insoumis vont assurer la succession de Mélenchon, hors de tout processus vraiment démocratique. Gageons qu’il va y avoir des surprises quand les ambitions et les dents longues vont se dévoiler…
Cette fragilité dans l’appareil politique et idéologique de la bourgeoisie pour maintenir son pouvoir risque de poser problème, et de faciliter l’avancée de l’extrême-droite qui théorise explicitement le rôle des chefs pour guider la nation.

L’abstention

L’abstention continue à progresser, en particulier dans les milieux populaires. Contrairement à ce que certains journalistes continuent à répandre, les ouvriers ne votent pas avant tout Le Pen, mais ils s’abstiennent, et cette progression est la marque du rejet en profondeur du système, même s’il ne se traduit pas en alternative.
D’ailleurs cette abstention est variable. Elle a même parfois diminué dans des quartiers ou des communes populaires (Vaulx en Velin, Vénissieux, Seine Saint-Denis, Montpellier), quand la mobilisation pour Mélenchon a été particulièrement forte : au-delà de ce qu’on pense des élections et de Mélenchon, c’est en tous les cas le signe que le débat politique est toujours bien vivant, et que ce qu’il manque véritablement, c’est une alternative anti-système, anti-capitaliste et anti-impérialiste.
Cela dit, si la progression de l’abstention est nette (+3%, un peu plus dans les quartiers populaires), elle poursuit une tendance de fond depuis les années 80, mais n’est pas notable, et c’est l’avenir qui dira ce qu’il en est.

Zemmour et le danger fasciste

L’extrême droite progresse globalement de 5,4% (Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan), mais deux fois moins dans les quartiers populaires (+2,3%). Des nazillons fascistes autour de Zemmour aux apprentis dictateurs Républicains (Ciotti, Wauquiez) en passant par le fonds de commerce du RN, on atteint un tiers de l’électorat. Notons que depuis 1995, l’extrême-droite est passée de 4,6 millions à 11,2 millions d’électeurs ce qui en dit long sur l’antifascisme électoral qu’on nous chante élection après élection.
Les Gilets Jaunes se sont partagés entre ceux des campagnes qui ont voté Le Pen, et ceux des villes qui ont voté Mélenchon ou se sont abstenus.

En fait, aujourd’hui, la progression de l’extrême-droite se fait sur un fond raciste et islamophobe, sexiste et homophobe plus que sur un projet économique. Pour l’instant, la bourgeoisie n’a pas besoin du fascisme, le candidat du MEDEF est de manière absolument évidente Macron, le banquier. D’autant plus en ces périodes troublées par les crises à répétition, crise sanitaire, crise militaire, crise écologique, crise économique, la bourgeoisie a besoin d’une personne de confiance et pas d’un.e exalté.e incontrôlable. Ce qui rend la perspective Le Pen ou Zemmour peu probable, ou si par éventualité elle se produisait, peu viable : la bourgeoisie imposera ses directives au gouvernement quel qu’il soit.
Mais attention, on voit poindre quelques grands oligarques (autrement dit bourgeois monopolistes) comme Bolloré, qui pour des raisons idéologiques avant tout (c’est un catholique intégriste), sont prêts à sponsoriser l’extrême-droite la plus brutale. Cela dit, il n’est pas sûr que la grande bourgeoisie industrielle et commerçante mondialisée soit prête à ce choix (rappelons que Bolloré est avant tout un financier spéculateur).

Il faut rester vigilant, mais n’oublions que le fond de notre combat est anticapitaliste et antiimpérialiste !

Le succès de Mélenchon

Qui l’eut cru au début de la campagne ? Avec 22% des voix, il échoue à un cheveu du deuxième tour, 500 000 voix de Le Pen. Du strict point de vue comptable et électoraliste, on comprend la haine des militants FI contre les candidatures Jadot ou Roussel.
Alors, c’est clair, Mélenchon est bien le digne successeur de Mitterrand, le calculateur qui a dynamité le PC, a rallié toute la gauche réformiste derrière son panache blanc pour gagner le vote de 1981.

Avec son Union Populaire, Mélenchon a réussi partiellement la même manœuvre.
• Il a rallié une partie des cadres et des militants du PC qui ont mis l’espoir réformiste au-dessus de la survie de leur appareil, qui ont refusé la candidature réactionnaire de Roussel, le candidat des flics, des chasseurs, du nucléaire, du gros rouge et de la Marseillaise. Roussel, qui fait à peine mieux que Buffet en 2007 et moins bien que Hue en 2002…
• Il a rallié une partie des cadres et des militants des Verts, qui ont retrouvé chez Mélenchon une partie de leurs préoccupations écologiques, en mode moins hésitant et conciliant que Jadot.
• Il a rallié une partie des éléphants du PS, des résidus historiques, comme Ségolène Royal, Taubira, et quelques personnalités qui veulent continuer à exister, en convainquant ainsi une dernière partie d’anciens électeurs socialistes en déshérence, par exemple dans le Sud-Ouest ou dans le Nord, convaincus par la réapparition d’une perspective réformiste crédible.
• Il a essoré l’électorat de l’extrême gauche, Poutou et Artaud, qui ne font que survivre à 1,5% à eux deux depuis que Mélenchon se présente en 2012, alors qu’ils avaient même atteint plus de 10% en 2002. Quand on voit l’énergie folle dépensée par ces militants pour ces élections, quand on voit les mêmes résultats inutiles au fil des ans – car au final le résultat ne construit rien du tout, on se demande vraiment ce qui distingue les trotskistes de l’électoralisme le plus vulgaire, au-delà d’un discours radical et convenu, d’ailleurs le même d’une élection à l’autre. Coincés entre syndicalisme immédiat et élections, les trotskistes ne sont pas un avenir, et les réformistes s’en accommodent bien en ramenant une partie des abstentionnistes vers eux.
• Et surtout, et là c’est une nouveauté, il a rallié toute la frange militante de la petite-bourgeoisie intellectuelle salariée (travailleurs sociaux, journalistes, enseignants…), sur le thème « Barrer la route à l’extrême-droite dès le premier tour ». Qu’il s’agisse des antifas (La Jeune Garde), et surtout des militants racisés des quartiers (Bouteldja, Bouamama, Slaouti, Bouhafs, le collectif « On s’en mêle 2022 » etc…), ils se sont impliqués fortement dans cette élection, contre le danger fasciste et islamophobe représenté par Le Pen. Absolument aucun contenu de classe, juste une revendication démocratique antifasciste et antiraciste (« Mélenchon est le seul candidat qui n’est pas islamophobe »), dopée par les discours de Le Pen et Zemmour. De ce point de vue c’était très différent de l’orientation et de la dynamique classiste portée par Anasse Kazib (Révolution Permanente) qui aurait pu avoir un impact sur le même terrain.
Cette mobilisation est bien visible dans certaines communes où l’abstention diminue même (nous l’avons dit), et encore plus dans des bureaux de vote populaires, comme La Maladrerie à Aubervilliers, La Noue ou les Grands Pêchers à Montreuil, Le Mas du Taureau à Vaulx en Velin, Empalot à Toulouse etc.
Alors bien sûr, on peut regretter le caractère limité de ce vote, un vote de peur (tout à fait légitime) face à des ennemis toujours plus réactionnaires. Mais quoiqu’on en pense, c’est le signe que le débat politique est toujours bien vivant dans ces quartiers, et que le retrait du système électoral (l’abstention répétée) n’était que le signe de la disparition des partis réformistes traditionnels de ces zones (PC, PS, Verts). Reste maintenant à donner un caractère de classe à cette réapparition, et là, c’est une autre affaire.
Mais là encore, on en voit poindre des traces, par exemple les collectifs qui se sont mobilisés autour de la candidature Kazib et refusé ensuite de se rallier à Mélenchon (comme le collectif Adama Traoré, par exemple).
• A noter que dans le même genre, il a rallié une grande part du courant anarchiste et libertaire, fondamentalement petit-bourgeois, qui une fois de plus ne sait qu’associer un discours ronflant et radical avec l’opportunisme réformiste le plus immédiat.

Sur quoi repose le succès de Mélenchon ? Evidemment sur le rejet de Le Pen, le vote utile a marché à fond, et il a raison de souligner qu’avec son Union Populaire et ce succès, il a jeté les fondations de la recomposition de la gauche réformiste. PS, PC et Verts n’ont qu’à bien se tenir !
Il a également su capter les préoccupations des secteurs populaires, qu’il s’agisse des retraites, des salaires, de l’écologie ou de la démocratie, du racisme. Préoccupations populaires, mais en ultra-light, 0% lutte des classes, la défense des « gens » contre une petite oligarchie « très méchante ».

Ne rêvons pas trop : en son temps Mitterrand avait fait pareil, avec le programme commun rédigé en commun avec le PC, ce qui ne l’a pas empêché de l’envoyer aux orties dès que les contraintes du capitalisme mondialisé se sont faites trop fortes.
L’élection de Mitterrand, c’était il y a 40 ans, et si l’on rappelle à l’envie l’abolition de la peine de mort, on oublie soigneusement la rigueur de 1983, les plans de restructurations et les licenciements, la flexibilité et la précarité généralisées sous couvert de 35h, le soutien à l’Etat sioniste, aux génocidaires rwandais et aux fascistes serbes pendant la guerre en Yougoslavie, etc.
Car le capitalisme mondialisé, on le sait, il ne se réforme pas, il s’impose y compris même aux bourgeois. Il s’impose à tous ceux qui prétendent le contraire, ceux qui rêvent à un capitalisme à visage humain, à des jours heureux ou à un sauveur suprême plus ou moins radical. On a vu Mitterrand puis Hollande en France, Tsipras en Grèce, tous les réformistes mangent leur chapeau et se couchent face aux exigences du capitalisme mondialisé – et s’ils résistent, on les élimine comme Allende au Chili ! « Une seule solution, la Révolution ! », c’était un mot d’ordre de mai 1968, ça reste toujours vrai ! Autre formule à méditer, celle rappelée par Coluche : « Si les élections pouvaient vraiment changer quelque chose, elles seraient interdites ! »
Si Mélenchon avait été élu, on aurait eu exactement la même chose, d’ailleurs il se revendique comme le fils spirituel de Mitterrand, y compris dans le cynisme et le nationalisme !
Il ne faut pas oublier, que c’est la « gauche de gouvernement » ses magouilles et ses multiples reniements qui ont produit la montée de l’extrême-droite ! Alors quand Mélenchon se présente comme rempart contre Le Pen, on grince quand même un peu des dents…

Alors, c’est vrai. Le succès de la candidature Mélenchon stimule en profondeur la jeunesse et les quartiers et ça c’est une bonne chose. Sans oublier que ce n’est que sur une base très réformiste d’un capitalisme à visage humain. Tout reste à faire pour faire éclater ce cadre et ouvrir une perspective révolutionnaire, de classe. Sans oublier que nous avons échoué à le faire après 1981, et que donc nous avons du chemin à faire !

La voie de la lutte et le troisième tour social

Après le premier tour, on a eu immédiatement le droit à tous les chantres de la lutte immédiate, de la grève générale et du troisième tour social.
Bien sûr.
Mais la lutte, désolé de le dire au risque de choquer, ce n’est pas l’enjeu essentiel. Il y avait le même discours en 2017, et des luttes il y en a eu, effectivement : loi travail, retraites, sans-papiers, Gilets Jaunes, la réforme de l’hôpital, les EHPAD, l’éducation nationale, les luttes contre les fermetures et les licenciements, la grande grève d’Ibis Batignolles et ainsi de suite.
Et aujourd’hui, en 2022 où en est-on ? On n’a pas avancé d’un millimètre, on remet le tour des luttes. On va continuer combien de temps comme ça ? Ce combat éternellement renouvelé pour simplement résister, pour la survie, l’autodéfense ? Bien sûr que les luttes vont se mener, évidemment, d’ailleurs pas besoin de révolutionnaires et de communistes pour ça, c’est la réaction spontanée immédiate et inévitable des prolétaires qui n’en peuvent plus. Là où il y a exploitation, il y a résistance.

L’enjeu est ailleurs : reconstruire une conscience de classe, abandonnée par Mélenchon, caricaturée par Roussel (passéiste, délégataire, productiviste, réactionnaire), il y a un gros travail avec les reculs constants subis depuis les années 90. Et là, il va falloir mener la polémique, à contre-courant, pas d’autre solution, même si ça défrise certains.
Notre seul espoir, c’est d’abord l’organisation politique, communiste, contre le fascisme et la répression, contre le capitalisme et l’exploitation, contre la destruction de la planète, pour l’égalité totale de tous les droits. Il faut que les prolétaires reconstruisent leur quartier général contre celui des exploiteurs !

« Conscience et organisation ». C’est LA question clé.

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