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Y a-t-il un danger fasciste ?
Partisan Magazine N°19 - Mai 2022
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A la veille des élections présidentielles, plusieurs associations et groupes militants, y compris antifas, appellent à voter JL Mélenchon pour faire barrage à Le Pen/Zemmour, par « antifascisme ». Cela pose plusieurs questions :
• Y a-t-il un danger de néofascisme en France ?
• Le Pen ou Zemmour sont-ils des fascistes ?
• Qui sont nos amis et qui sont nos ennemis face aux fascistes et à la bourgeoisie réactionnaire ?
La crainte d’un néofascisme se répand. Cette crainte a pour base une tendance générale à la réaction dans tous les domaines. Les capitalistes réagissent à la crise en renforçant l’exploitation des travailleurs. Les attaques se sont multipliées, sous tous les gouvernements de droite ou de gauche, pour accompagner la restructuration du capitalisme français, en particulier les ordonnances loi travail de 2017/2018.
Le gouvernement Macron a poussé à un niveau encore jamais vu la construction d’un ennemi intérieur musulman et immigré. Les écologistes et les militants de la gauche radicale, les sans-papiers et les immigrés en général sont la cible des politiques d’Etat. Des campagnes réactionnaires sont menées contre les idéologies de gauche à l’université (Vidal contre l’« islamogauchisme », à l’école (Blanquer contre le « wokisme »), contre le soutien à la Palestine, assimilé à l’antisémitisme. Tout cela dans le but de réduire au silence les voix contestataires. De la droite à la gauche, les idées chauvines, souverainistes et protectionnistes progressent.
La mise en coupe réglée de la société a progressé sous Macron. Etat d’urgence, répression féroce des Gilets Jaunes, dissolutions ou menaces de dissolutions d’organisation de gauche. les nouvelles lois antiterroristes (dont la loi SILT de 2017) préparent une société de surveillance généralisée, à commencer par la surveillance de la vie des prolétaires. C’est une tendance mondiale, qui touche y compris les pays impérialistes (Trump/USA, Poutine/Russie, Bolsonaro/Brésil, Erdogan/Turquie).
Enfin, la police et l’armée sont des terrains de jeu pour la propagande fasciste et néonazie. L’« Appel des généraux » d’avril 2021, a été relayée plutôt positivement par les médias bourgeois gavés à la théorie du grand remplacement. Les tentatives de constitution de groupes terroristes d’extrême-droite se multiplient, par exemple AFO (Action des Forces Opérationnelles) en 2018. On ne parle plus de 10 skinheads qui ratonnent mais bien de professionnels de l’armée ou de la police, organisés et armés.
Cette tendance mène-t-elle tout droit au fascisme ?
Historiquement, le fascisme est une solution de la bourgeoisie à la crise du capitalisme et au développement des forces révolutionnaires dans les années 1920. Dimitrov, un révolutionnaire bulgare, secrétaire général de l’Internationale communiste, le définissait ainsi : le fascisme, c’est la dictature terroriste ouverte de la bourgeoisie. Malgré la tendance générale à la réaction, clairement, on n’y est pas.
D’une part, la crise s’approfondit mais les capitalistes français tirent encore leur épingle du jeu. Ils font payer la crise aux travailleurs. L’impérialisme français est contesté mais encore puissant, il peut s’appuyer sur des dictatures amies qui lui offrent les marchés, la main-d’œuvre et les ressources naturelles dont il a besoin. Les capitalistes ne s’y trompent pas, Macron est leur candidat n°1. Il applique leur programme à la lettre.
D’autre part, le pouvoir de la bourgeoisie n’est pas contesté. Tant que le réformisme marche, c’est-à-dire une domination de la petite-bourgeoisie et de l’aristocratie ouvrière, pas besoin de manière forte. Pour mettre fin aux révoltes des banlieues de 2005 et 2017, pour mettre fin au Gilets jaunes, la répression républicaine/démocratique/légale a suffi. Les révolutionnaires sont peu nombreux, sans idéologie claire, et éloignés des masses.
« Le Pen et Zemmour aboient, Macron mord. »
Dans les années Hollande nous disions « Le FN aboie, Le PS mord. » (voir l’encadré). Aujourd’hui, et pour les 5 années à venir, c’est Macron qui mord, fait la guerre aux sans-papiers, réprime les voix dissidentes, attaque les droits des travailleurs et des chômeurs, dissout des organisations antiracistes (CCIF) et de gauche (Collectif Palestine Vaincra, GALE). C’est lui qui a géré le Covid de façon policière. C’est lui qui est à la tête de cette police qui tue et mutile. En gros, c’est lui qui fait tout ce que les démocrates de gauche craignaient que Le Pen fasse quand ils sont allés voter pour Chirac en 2002.
A l’heure actuelle Le Pen/Zemmour sont des postulants plus ou moins réactionnaires à la gestion démocratique-bourgeoise de l’État, tout comme Macron ou Pécresse. Ou Mélenchon d’ailleurs. Sur le plan économique et social, Le Pen et Zemmour ont le même programme libéral patronal que Macron. Ils représentent juste une version idéologique et politique plus musclée. Leur accession au pouvoir serait de toute façon une très mauvaise nouvelle pour tous les travailleurs et en particulier les travailleurs immigrés, mais ne changerait pas grand-chose à la nature du pouvoir de la bourgeoisie.
Les bandes fascistes ont le vent en poupe
La menace fasciste la plus évidente, ce sont les bandes fascistes que Le Pen et Zemmour entraînent dans leur sillage. Ils sont une menace très réelle pour les travailleurs, les immigrés, les militants de gauche, les féministes, pour tous les progressistes. Cantonnés il y a encore peu à un activisme numérique stérile ou à des groupes marginaux et éparpillés, ils se sont maintenant développés et organisés. On a vu au meeting de Villepinte des centaines de militants pro-Zemmour faire ouvertement des saluts nazis. Ils n’hésitent plus à appeler ouvertement au meurtre de militants La France Insoumise, à lancer des campagnes de harcèlement contre les féministes, à attaquer des manifestations. Ils sont invités sur plusieurs chaînes de télé pour y diffuser leur haine des migrants et des gauchistes (on a même vu une représentante de Génération Identitaire sur un plateau, alors même que le mouvement avait été dissous !).
Le combat antifasciste est légitime, et plus que jamais nécessaire. C’est pourquoi nous apportons tout notre soutien aux groupes antifascistes attaqués par l’État. Nous dénonçons en particulier la dissolution du GALE (Groupe antifasciste Lyon et environs) par le facho Darmanin, et apportons notre soutien à ces camarades [1].
Quel antifascisme aujourd’hui ?
On voit la tendance à ces présidentielles de miser sur un vote « utile » ou « antifasciste » au 1er tour, comme certains qualifient le vote Mélenchon. Faire cela, c’est aller encore vers de graves désillusions.
C’est oublier l’expérience de la gauche au pouvoir [2] avec Mitterand, Jospin ou Hollande. C’est bien la faillite de la gauche réformiste mais aussi des groupes révolutionnaires qui a laissé les travailleurs dé-sorientés (la gauche = la droite). Orphelins d’une perspective politique, certains d’entre eux se sont tournés vers Le FN/RN et beaucoup se sont abstenus.
C’est faire croire qu’il y a d’un côté les démocrates et de l’autre les non-démocrates, en oubliant le contenu de classe de leur programme. La lutte démocratique doit être liée au combat révolutionnaire, et non pas confiée à tel ou tel politicien bourgeois, même de gauche. Prenons par exemple la régularisation des sans-papiers. Pour un démocrate de gauche, c’est une mesure humaniste et/ou une reconnaissance de leur apport à l’économie française, en rapport avec les besoins en main-d’œuvre des capitalistes. Pour les révolutionnaires, c’est un pas vers l’unité de notre classe, dans le combat commun contre nos exploiteurs. Même mesure démocratique, contenu de classe différent.
Pour conclure, il n’y a pas à notre avis de danger d’instauration d’un régime fasciste à court terme, quand bien même Le Pen ou Zemmour arriveraient au pouvoir. Car la bourgeoisie arrive à maintenir sa domination par des moyens normaux. Mais nous savons que l’aggravation de la crise du capital, de la crise écologique peut nous amener un jour à cette situation. La tâche de l’heure est de construire une organisation révolutionnaire dans les masses, sans attendre cette éventualité, pour que les travailleurs puissent riposter aux attaques de la bourgeoisie et construire une société libérée de l’exploitation.
(Tout est encore vrai dans cet extrait de la plate-forme politique de VP écrit il y 30 ans. Sauf le PS, qui est complètement discrédité (Hidalgo à 1,5 % au 1er tour) et clairement perçu comme un ennemi des travailleurs.)
352 - Une démocratie chaque jour plus dure pour les exploités.
L’accentuation des contradictions économiques et sociales, comme la montée du chômage, la misère des cités, la pression des nouveaux immigrants fuyant la famine... impose l’adoption de mesures qui restreignent les droits de la majorité, et l’accentuation de la répression : restrictions aux droit d’asile, au regroupement familial, chasse musclée contre les travailleurs au noir...
Les mesures légales accompagnent une tendance générale à la réaction dans tous les domaines : emprisonnement de militants, jeunes abattus dans les cités, sanctions pénales contre les ouvriers en lutte, engorgement des prisons, retour de la morale, glissement à droite de tous les partis dans le sillage du Front National, contrôle accru sur tous les aspects de la vie... Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres.
Mais s’agit-il d’une fascisation, au sens de la marche vers une dictature terroriste ouverte de la bourgeoisie, comme le clament ceux qui pointent exclusivement le danger lepéniste ? Nous pensons que non. Avancer cela, ça revient, d’une certaine façon, à opposer les partis "républicains" à l’extrême droite, à valoriser les partis "démocratiques", et à passer à la trappe la lutte contre la politique du gouvernement. "Le Pen aboie, mais le PS mord" ; et tous les autres partis en font, ou s’apprêtent à en faire autant. Jusqu’aux Verts qui se sont prononcés pour l’arrêt de l’immigration !…
[1] Depuis, la dissolution a été suspendue en Conseil d’Etat et nous nous félicitons de ce nouveau revers pour le gouvernement
[2] Voir aussi notre article sur Tsipras dans ce numéro