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Il y a 300 ans à Marseille

Partisan Magazine N°17 - Juin 2021

L’épidémie historique classique reste celle de la peste, et la dernière épidémie de peste fut celle de Marseille en 1720. On y voit à l’œuvre l’ignorance des médecins et la « cupidité » des politiques bourgeois ; un « en même temps » du sanitaire et de l’économique. Trois siècles plus tard, la même machine à broyer les hommes fonctionne toujours.

« Un navire maudit, le Grand Saint-Antoine ». Revue de l’IRELP, institut de recherches et d’études de la Libre Pensée, octobre 2020, p47 :

Marseille, un des premiers ports mondiaux au XVIIIe siècle, devait se protéger de la peste que pouvaient rapporter les navires marchands commerçant avec les pays du Levant. Le complexe sanitaire marseillais était alors considéré comme un modèle d’organisation : il comprenait un « bureau de la Santé », qui gérait un port pour la quarantaine des navires, et un lazaret pour la quarantaine des marchandises et l’isolement des passagers. (…) Cependant, le « mal » dormait dans les cales d’un navire, le Grand Saint-Antoine, arrivé du Proche-Orient en 1720. Cette année-là, malgré toutes ces précautions, la cupidité des hommes provoqua la dernière grande épidémie de peste.

Parti le 22 juillet 1719 pour aller commercer avec les Echelles du Levant, sous le commandement de Jean-Baptiste Chataud, un capitaine marseillais expérimenté, le Grand Saint-Antoine se présenté à son retour, au large de Marseille, le 25 mai 1720, avec une cargaison fort riche. La vente de cette cargaison à la foire de Beaucaire promettait d’importants profits à ses propriétaires : balles de coton brut, coton filé, laine, soie, cire, « toileries », que les armateurs avaient assuré pour 100 000 livres.
Le capitaine Jean-Baptiste Chataud est lui-même intéressé, en association avec Jean-Baptiste Estelle, premier échevin de la Cité, Antoine Bourguet, un armateur fortuné, et Jean Chaud, qui est son propre beau-frère. Chacun d’eux étant intéressé au bâtiment pour un quart.

Lors de sa déposition au Bureau de la Santé, Jean-Baptiste Chataud n’omit pas de déclarer les huit décès qu’il avait déplorés parmi son équipage lors de sa traversée de retour. (…) Mais la peste était bel et bien à bord du navire. L’épidémie s’introduisit progressivement dans Marseille, puis elle se propagea en Provence où elle causa plusieurs dizaines de milliers de morts.

« La mise en quarantaine » (wikipedia, Peste de Marseille 1720) :

Le 27 mai, deux jours seulement après l’arrivée du navire, un matelot meurt à bord. Le bureau de santé, à l’unanimité décide d’envoyer le bateau à l’île de Jarre, puis se ravise et dans une seconde délibération, décide de faire transférer le cadavre aux infirmeries pour examen et d’envoyer le navire à l’île de Pomègues, dans l’archipel du Frioul. Le 29 mai ce même bureau décide, fait inhabituel, de faire débarquer aux infirmeries les marchandises de valeur tandis que les balles de coton doivent être transférées à l’île de Jarre.

Le 3 juin, le bureau revient sur sa position et prend une décision encore plus favorable aux propriétaires de la cargaison : toutes les marchandises seront débarquées aux infirmeries. Si aucune preuve écrite n’existe, il est probable que des interventions ont eu lieu pour faire adopter la réglementation la moins contraignante ; il est impossible de connaître les personnes qui sont réellement intervenues, mais l’intrication des intérêts des familles de négociants et des autorités qui dirigeaient la ville suffisent à comprendre les raisons de ces nombreuses négligences. La déclaration du capitaine Chataud est falsifiée par addition d’un renvoi indiquant que les membres d’équipage décédés en mer sont morts de mauvais aliments. Les intendants de santé ont probablement voulu sauver la cargaison destinée en partie à la foire de Beaucaire, qui devait avoir lieu le 22 juillet 1720. Le 13 juin, veille du jour de sortie de quarantaine des passagers, le gardien de santé du vaisseau décède. Le chirurgien de service du port, Gueirard, examine le cadavre et conclut à une mort par vieillesse, sans observer des marques de peste.

Un mousse tombe malade et meurt le 25 juin. À partir de ce jour plusieurs portefaix qui ont manipulé les ballots de coton succombent à leur tour. Le bureau de santé s’inquiète très sérieusement et décide de transférer le vaisseau à l’île de Jarre, de faire brûler les hardes des personnes décédées et d’enterrer les cadavres dans de la chaux vive. Mais ces mesures arrivent trop tard, car des tissus sortis en fraude des infirmeries ont déjà transmis la peste dans la ville.

Conclusion.

Trois siècles après, le système capitaliste est toujours là, plus développé que jamais, prêt à tuer pour sauver les profits. Et « l’ignorance des médecins » ? La peste a été vaincue, direz-vous. Mais les spécialistes ont affaire à des virus nouveaux, inconnus, présents dans les forêts primitives. Les experts craignent que le dégel du permafrost de l’Arctique ne réveille une multitude de virus préhistoriques…

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