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Crise et licenciements

Partisan Magazine N°17 - juin 2021

Tentons de faire le point de la situation économique, même si tout est encore très confus dans la mesure où les mesures d’ordre exceptionnel autour de la COVID se poursuivent.

L’actualité sociale, du point de vue des travailleurs et plus largement des salariés, c’est un double constat [1] :

La poursuite massive de l’activité partielle qu’il s’agisse de l’Activité Partielle de Longue Durée (APLD) ou de l’Activité Partielle de Droit Commun (APDC). Au mois de mars 2021, elle a concerné 2,3 millions de salariés, un chiffre stable sur le trimestre, alors qu’il est monté jusqu’à 8,4 millions en avril 2020 lors du premier confinement. Cela a représenté 2 milliards d’euros d’aides de l’Etat pour le seul mois de mars 2021, 32 milliards depuis le début du confinement l’an dernier. Rappelons que dans ce cas les salariés touchent en net 70% de leur salaire brut antérieur hors primes exceptionnelles bien sûr, ce qui conduit à une perte sensible pour les petits salaires, tout en évitant la catastrophe immédiate du licenciement.

Cela dit, on se rappellera que la population active est de l’ordre de 29 millions de salariés en France, ce qui veut dire que la très grande majorité a continué à travailler dans les pires conditions sanitaires et économiques durant la pandémie. Ce qu’on nous cache soigneusement… Les « seconds de cordée » sont bien plus nombreux qu’on le dit !!

Cette « bouée de sauvetage » de l’aide à l’activité partielle explique le caractère encore limité de la crise en cours, quoique la misère se soit considérablement développée (500 millions de pauvres supplémentaires au niveau mondial, selon la Banque Mondiale, + 45% de bénéficiaires de l’aide alimentaire en France).

Enfin, elle concerne essentiellement l’hébergement et la restauration (77% des salariés), le commerce (12%) et les services (37%). Mais elle a touché, surtout lors du premier confinement, tous les secteurs économiques.

La multiplication des Plans de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) officiels et des licenciements économiques hors PSE. Le même document officiel de l’Etat indique près de 1000 PSE entre mars 2020 et avril 2021, concernant 105 000 suppressions d’emplois, plus 7900 procédures hors PSE, on peut imaginer au moins 100 000 licenciements supplémentaires. Les listes s’allongent, de l’aéronautique à l’hôtellerie, de la santé au tourisme, des banques aux fonderies et tous les jours de nouvelles annonces assombrissent notre avenir.

L’interrogation qui est bien sûr dans toutes les têtes (y compris au gouvernement d’ailleurs) c’est de savoir ce qui va se passer quand toutes les aides vont s’arrêter. Les prévisionnistes, qui n’hésitent pas une seconde à nous expliquer aujourd’hui pourquoi ils se sont trompés hier, nous chantent une reprise, nous savons qu’il n’en sera rien, et que les lendemains seront bien sombres.

L’Etat paye sans compter. Prêts garantis aux entreprises ? 300 milliards. Pertes de recettes sociales et fiscales ? 100 milliards. Dépenses de solidarité, de cotisations sociales, fonds de solidarité aux TPE, activité partielle, c’est 86 milliards en 2020 [2]. Et un bon paquet aussi à venir pour 2021, on annonce 168 milliards au total.

Alors que pendant des années, des décennies, le fantôme de la dette était prétexte à tous les plans d’austérité successifs (vous vous rappelez le fameux seuil de 3% de la dette à ne pas dépenser, inventé par Mitterrand ??), à toutes les vagues de restructurations des entreprises privées et publiques, aujourd’hui il apparaît que ce n’est plus un problème. Comme Biden aux USA, comme tous les états européens, Macron dépense sans compter pour la survie immédiate de l’impérialisme français, et pour demain on verra plus tard.

Mais alors qui va payer ces milliards déversés à flots, qui va payer cette dette ? Les réformistes sont ravis, persuadés que la crise donne raison à leur vision d’un capitalisme régulé, contraint par l’Etat fort, le retour du keynésianisme au premier plan sans se poser le début de commencement d’une question sur l’avenir. Ce qui est sûr, c’est que personne n’en sait rien.

Une brochette d’économistes prône l’annulation pure et simple de la dette des pays impérialistes, alors que pendant 50 ans ils ont étranglé tous les pays de la planète avec leurs plans d’ajustement structurels de l’Argentine au Sénégal puis à la Grèce – au risque de l’effondrement du système bancaire qui en est en charge, et conflits aigus entre puissances concurrentes qui ne sont pas logées à la même enseigne. Une autre brochette parie sur une hypothétique relance économique post-COVID, un peu comme l’expansion d’après-guerre. Mais comme toujours, le capitalisme est aveugle sur l’avenir. Après la crise de 2008, on a la COVID. En attendant la prochaine crise économique, sociale, sanitaire voire numérique (vous imaginez un virus global sur Internet ???) ? Alors le fantôme de la relance…

Non, il n’y aura pas de retour au « monde d’avant », d’ailleurs guère reluisant. Personne n’en connaît les détails, mais le fond de l’affaire, c’est que la crise à venir, comme les précédentes, va aboutir à un nouveau serrage de vis sur les travailleurs, les prolétaires, à de nouvelles vagues de restructurations et de réorganisation au niveau mondial.

Ce qui est clair dans l’immédiat, c’est la poursuite des restructurations massives, dans la santé (on continue à supprimer des lits en pleine pandémie !), aéronautique, tourisme, transports, automobile, et cela au niveau mondial, car la crise, comme le virus est complètement mondialisée.

Outre les classiques plans de licenciements (PSE ou autres) et fermetures d’entreprises, on voit toute la perversité (ou la subtilité) des plans envisagés :
• Dans plusieurs très gros monopoles, on assiste à la ré-internalisation de la sous-traitance, après des décennies d’externalisation. PSA [3], Airbus [4], Arcelor Mittal [5], il ne s’agit pourtant que d’une nouvelle vague de restructuration avec adaptation fine aux nouvelles exigences de la crise, dans un contexte qui a changé, mais toujours avec le seul critère de la rentabilité et de la productivité.

Du coup les réformistes les plus réactionnaires sautent sur l’occasion pour exiger le rapatriement des productions à l’étranger, comme la CGT Renault qui revendique le rapatriement des fabrications des pays de l’Est, bonjour le retour du nationalisme le plus étriqué !

• D’ailleurs, la sous-traitance se poursuit par ailleurs, comme la mise en gérance massive des magasins Carrefour, mais aussi la sous-traitance de la maintenance à Renault Lardy. Et là où la sous-traitance existe déjà, la renégociation des contrats est super-agressive à la baisse, jusqu’à 30% moins chers, ce qui veut dire 30% de productivité supplémentaire pour le personnel sous-traitant, par exemple dans la maintenance à la SNCF ou la SNECMA.

• Enfin, la bourgeoisie améliore toujours ses méthodes de licenciements, en s’appuyant sur la pression du chômage et la peur : anticipation des années à l’avance (comme dans les services publics), chantages (avec les Accords de Performance Collective), compromissions (pressions via des délégués plus ou moins corrompus), soumission… l’imagination des DRH est sans limite quand il s’agit de faire plier la résistance ouvrière…

La séquence à venir est donc bel et bien celle du combat pour l’emploi, d’autant qu’avec l’arrêt tôt ou tard des aides publiques, le poids de la crise va s’effondrer un peu plus sur les secteurs populaires.

On en voit poindre les résultats avec la réforme de l’assurance chômage. Initialement prévue pour juillet 2019, elle a été repoussée à trois reprises et va être finalement mise en œuvre au 1er juillet 2021. On en connaît grosso modo les effets, via le changement des modes de calcul, à la fois pour acquérir des droits, et pour le montant de l’indemnisation [6]. Baisse considérable pour plus de 800 000 allocataires, donc plus de pauvreté et de misère – on ne pleurera pas sur le plafonnement pour les hauts salaires des cadres supérieurs.

On peut voir un certain paradoxe à faire passer cette loi, alors que depuis plus d’un an le gouvernement finance les salaires via l’activité partielle, pour éviter les licenciements. C’est au contraire très cohérent, il s’agit non pas d’aider les chômeurs (comme le pensent trop souvent les travailleurs, bien encouragés par les réformistes), mais de faciliter les restructurations de l’impérialisme français en facilitant la flexibilité, en encourageant ainsi (par la pression financière de l’indemnisation) l’acceptation de boulots de reconversion, même déclassés. La réforme de l’assurance chômage est donc en quelque sorte l’anticipation des mesures à venir dans les futures restructurations post COVID.

D’où l’importance du combat entamé sur la question, travailleurs fixes, précaires et chômeurs réunis, avec ou sans papiers.

Pour conclure, du côté de la bourgeoisie, ne vous inquiétez pas, tout va bien.
La fortune des 42 milliardaires français a progressé de 2% en 2020, et jamais Bernard Arnault ne s’est aussi bien porté.

Les sociétés françaises du CAC 40 ont continué à verser 33 milliards d’euros de dividendes en 2020 (l’équivalent du montant de l’activité partielle pour les millions de salariés concernés), contre 64,5 milliards en 2019, et on s’attend du coup à un montant exceptionnel pour 2021… Au niveau mondial, malgré la crise, 1255 milliards de dollars ont été reversés aux actionnaires en 2020…

On ne va pas se cacher derrière son petit doigt, l’avenir que nous prépare le capitalisme mondialisé est assez sombre. Nouvelles vagues de restructurations, centaines de milliers de licenciements, de précaires, de chômeurs, concurrence exacerbée dans tous les secteurs.

Face au monde barbare qu’on nous promet, plus que jamais, c’est nos intérêts, et rien d’autre qu’il faut défendre. Refuser absolument de rentrer dans le jeu dans lequel on veut nous enfermer, celui de la concurrence, de la mondialisation, de la résignation, de l’acceptation de notre sort, du « moins pire » et du raisonnable. Il nous faut rejeter toutes les escroqueries de capitalisme plus humain, plus respectueux, qui répartisse mieux les richesses, il nous faut gagner un autre monde.

Il faut défendre notre emploi, et celui de ceux qui n’en ont pas, jusqu’au bout, parce que c’est vital.

Et il va bien falloir s’attaquer à la question de savoir comment on peut virer tous ces profiteurs qui nous exploitent et nous enfoncent toujours plus dans la précarité et la pauvreté. Il va bien falloir s’attaquer à la solution politique, à la question de l’organisation politique, parce qu’éparpillés et même très en colère, on n’y arrivera pas. Comme si on pouvait attendre une bonne loi venant d’un bon gouvernement… capitaliste !

Le capitalisme n’est qu’exploitation, chômage et misère

Travailler tous, moins et autrement !

Egalité, Justice et Révolution Sociale, reprenons les mots d’ordre de la Commune !

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